Vous avez entendu comme moi : el jefe est mort. Le chef Manuel Marulanda, patron des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), a fini par rejoindre dans un lieu improbable la ribambelle de « grands timoniers » qui l’ont précédé dans la tombe. Il fallait entendre les sanglots de l’un de ses admirateurs sur la radio de la guérilla ! Pouah ! Dans le même genre, on aura vu Timoleon Jimenez, autre chef des Farc, annoncer à la télévision vénézuelienne Telesur : « Le grand leader est parti ». Pouah, derechef.
Moi, je pensais alors à Tanja Nijmeijer, cette jeune Hollandaise dont le nom de guerre, chez les Farc, est « Eillen ». Entrée dans la guérilla en 2002, elle a abandonné à l’été 2007, dans un campement investi par l’armée, un journal de bord. Lisons ensemble, cela se passe (presque) de commentaires. En novembre 2006 : « J’en ai marre, marre des Farc, marre des gens, marre de cette vie en communauté. Marre de ne rien avoir à moi toute seule. Tout ça vaudrait la peine si on savait pourquoi on lutte. Mais vraiment, je n’y crois plus. C’est quoi cette organisation où certains ont du fric, des cigarettes, des gâteaux, et où les autres doivent mendier, pour être rejetés et réprimandés ? C’était comme ça quand que je suis arrivée il y a quatre ans, et ça n’a pas changé. Une organisation où une fille avec de gros seins et une jolie tête peut déstabiliser un plan qui avait été longuement préparé ensemble. Où on doit travailler toute la journée pendant que les commandants se racontent des conneries. Moi, qui sait si je sortirai un jour de cette jungle… […] Je veux m’en aller, quitter au moins cette unité. Chacun sait qu’il est ici plus ou moins comme un prisonnier. […] J’en ai assez du bla-bla sur le fait d’être communiste, honnête, ne rien gâcher, obéir. Et de voir à quel point les commandants sont hypocrites, vulgaires et traîtres. »
Et en avril 2007 : « L’offensive approche, aujourd’hui ou demain nous changeons de lieu. J’ai cinq points de suture à la cuisse, je me suis fait ça avec une pelle. […] Je ne sais pas, Jans, vers quoi nous allons. Qu’est-ce que ça deviendra quand nous aurons le pouvoir ? Les femmes des commandants roulant en Ferrari Testarossa, avec des implants mammaires et mangeant du caviar ? On dirait bien. ».
Tout cela n’aurait aucun rapport avec le sujet de ce blog, savoir la crise écologique ? Ce n’est pas si sûr. Car dans un pays comme la France, le vieux, le rance, le passé résistent dans les cerveaux, et résistent bien. Pour que des idées nouvelles surgissent et s’installent dans des têtes mieux faites, il faut de la place. Or cette place est largement occupée.
Chez beaucoup d’altermondialistes, qui croient mieux comprendre que quiconque, le stalinisme mental demeure un cadre. Je ne peux ni ne veux livrer ici une trop longue explication. Mais enfin, il y a un lien, irréfragable, entre Joseph Staline, Mao, Castro et les archéoguérillas comme celle des Farc. On trouve chez les staliniens de toute nuance la même conception de la politique, dont l’exercice est vertical, s’appliquant toujours du haut vers le bas supposé. Le peuple n’est rien, le parti est tout. Et bien sûr, le parti est avant tout le chef. Celui qui commande, celui qui montre la voie, celui qui brille de tous ses feux.
Je voue une détestation sans bornes à cette tradition, que je considère comme une maladie mortelle de l’esprit. Ces gens, tous ces gens se vautrent dans une abjecte soumission à l’autorité, laquelle accompagne comme il se doit le massacre. En Colombie, les Farc représentent la régression. La droite militaire aussi, cela va de soi. Il existe bel et bien un terrorisme d’État, et les paramilitaires sont bel et bien des assassins. Mais nous parlons des Farc. Et ces « communistes »-là font honneur à leur tradition.
D’abord, en policiers et juges intraitables, ils s’arrogent le droit d’emprisonner pour de très longues années des centaines d’otages civils. Il s’agit d’un crime, ni plus ni moins. Les responsables des Farc sont en outre machistes, malmènent les paysans qui ne les suivent pas, maltraitent les Indiens de la forêt, soutiennent l’industrie de la coca, antithèse parfaite de l’agriculture vivrière, s’allient donc avec les narcos, et ne rêvent que de production lourde et de « développement ». En clair, ce sont des ennemis. De l’homme comme de la nature.
Or ces braves gens trouvent de très nombreux relais. Notamment en France. Notamment grâce au soutien permanent accordé à leur petite armée par notre grand journal altermondialiste, Le Monde Diplomatique. Croyez-le ou non, je ne cherche pas à polémiquer. Cela ne sert à rien avec une publication comme celle-là.
Vous trouverez aisément sur le Net les archives gratuites du Monde Diplomatique et les articles consacrés à la Colombie depuis des années. Certes, la ligne éditoriale sur ce sujet délicat a évolué avec le temps. Il n’est plus possible de cacher toute la réalité. Mais ce qui demeure certain, c’est que le journal « comprend » mieux qu’aucun autre en France les staliniens armés des Farc.
Et pour en revenir à l’écologie, je me répète, vous me pardonnerez. Pour que surgisse enfin un mouvement prometteur, d’avenir, conquérant, paradigmatique pour parler savant, il faudra bien que recule encore cette insupportable (non)pensée. Je dois reconnaître que la mort de Marulanda me semble une bonne nouvelle.