Considérations sur l’imbécillité (en Espagne et ailleurs)

Avouons que ce papier s’adresse d’abord à ceux qui croient encore dans la politique. Je veux dire la politique ancienne, celle qui émet les signaux que nous connaissons tous, celle de madame Royal, de monsieur Sarkozy. Celle venue en droite ligne de 200 ans d’histoire tourmentée.

On le sait, ou l’on finira par le savoir, je ne porte plus guère attention aux acteurs de ce jeu de rôles, mais je ne cherche pas à convaincre. Je ne fais qu’exprimer un point de vue. Et voici pour ce jour : j’aimerais vous parler d’Andrés Martínez de Azagra Paredes. Un Espagnol. Cet ingénieur, également professeur d’hydraulique, propose un néologisme : oasificación. Pour nous, Français, ce n’est pas très difficile à comprendre : il s’agit de créer des oasis. Martínez est un homme très inquiet de l’avenir de son pays, menacé par des phénomènes de désertification dont nous n’avons pas idée. Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au delà, comme aurait dit Montaigne. Mais nous avons grand tort, en l’occurrence, de ne pas tendre l’oreille.

Martínez, en tout cas, a des solutions ( attention, en espagnol : www.oasification.com). Cela consiste, sommairement résumé, à récupérer l’eau, de pluie surtout, et à restaurer un couvert végétal là où il a disparu. En mêlant savoirs ancestraux et technologies nouvelles. J’avoue ne pas en savoir bien plus. Est-ce efficace ? Peut-être.

Mais la vraie question est autre : l’Espagne devient un désert. Bien entendu, il est plus que probable que nous ne serons plus là pour admirer le résultat final. Le processus est pourtant en route (afp.google.com) : le tiers du pays est atteint par des formes sévères de désertification, et le climat comme la flore et la faune seront bientôt – à la noble échelle du temps écologique – africains. J’ai eu le bonheur, il n’y a guère, de me balader sur les flancs de la Sierra Nevada, cette montagne andalouse au-dessus de la mer. Je me dois de rappeler que nevada veut dire enneigée. De la neige, en ce mois de novembre 2005, il n’y en avait plus.

Pourquoi cette avancée spectaculaire du désert en Europe continentale ? Je ne me hasarderai pas dans les détails, mais de nombreux spécialistes pensent que le dérèglement climatique en cours frappe davantage l’Espagne que ses voisins. Et comme le climat se dégrade aussi en Afrique, notamment du nord, il va de soi que les humains qui ont tant de mal à survivre là-bas ont tendance à se déplacer plus au nord, au risque de leur vie quand ils tentent la traversée vers les Canaries ou le continent.

Et que fait le gouvernement socialiste en place ? Eh bien, avec un courage qui frise la témérité, il vient de décider la création d’un Plan national contre la désertification. Tremblez, agents de la dégradation écologique ! Je ne vous surprendrai pas en écrivant que les choix faits depuis 50 ans n’ont jamais qu’aggravé les choses. La surexploitation des ressources en eau, la déforestation, l’agriculture intensive et l’urbanisation sont les points les plus saillants d’une politique d’autant plus efficace qu’elle est évidente, et rassemble tous les courants qui se sont succédé au pouvoir.

Du temps de Franco, vieille et sinistre baderne aux ordres du pire, le choix majeur a été de vendre le pays au tourisme de masse. Une aubaine pour les vacanciers français découvrant, dans les années 60, la défunte Costa Brava, puis le reste. Les héritiers du Caudillo, de droite d’abord, puis de gauche, ont poursuivi dans la même direction, toujours plus vite, toujours plus loin. Le Premier ministre en place, José Luis Rodríguez Zapatero, ne cesse de vanter l’état de l’économie espagnole, qui lui devrait tant. Par parenthèses, faut-il rappeler l’enthousiasme de madame Royal chaque fois que quelqu’un l’appelle la Zapatera ?

Donc, Zapatero. Il me fait penser à DSK. Ou à Moscovici. Ou à Delanoé. Ou à tout autre, cela n’a pas la moindre importance. Il se vante donc de l’état de l’économie sous son règne, espérant bien remporter les élections générales du 9 mars prochain. Comme je m’en moque bien ! Car il y a tout de même un peu plus important. Certes, le socialistes locaux ont stoppé – pour combien de temps ? – le démentiel Plan hydrologique national de la droite, qui entendait détourner une partie des eaux de l’Èbre – fleuve du Nord qui a donné son nom à la péninsule – jusque vers l’extrême sud et les côtes touristiques.

Certes. Mais la soi-disant bonne santé du pays repose, pour l’essentiel, sur la construction. Qui n’est bien entendu que destruction. Jusqu’à la crise des subprimes, ces damnés crédits immobiliers américains, l’Espagne était considérée comme un modèle (www.lemonde.fr) à suivre partout en Europe. Écoutez donc cette nouvelle chanson, dans la bouche de Patrick Artus, gourou financier bien connu : « La crise récente risque de montrer qu’il s’agissait de « faux modèles » à ne pas suivre. Que reste-t-il du dynamisme de ces pays, une fois enlevés l’expansion des services financiers et de la construction, qui y représentaient 50 % à 80 % des créations d’emplois ? ».

Zapatero est un grossier imbécile. Je vous le dis, vous pouvez le répéter. Imbécile, je pense que cela va de soi. Grossier, car dans le même temps que sa ministre de l’Environnement faisait semblant d’agir contre l’avancée du désert, on apprenait la teneur de quelques chiffres officiels. L’an passé – de juin 2006 à juin 2007 -, les mairies du littoral espagnol reconnaissaient l’existence de projets immobiliers plus nombreux que jamais. Soit 2 999 743 nouveaux logements, 202 250 lits dans l’hôtellerie, 316 terrains de golf et 112 installations portuaires avec 38 389 places neuves pour les jolis bateaux. Sans compter 90 cas de corruption établis, impliquant 350 responsables publics (attention, en espagnol : www.glocalia.com).

Tout est malheureusement connu, et le Parlement européen lui-même a condamné sans appel des « projets d’urbanisation massive (…) sans rapport avec les véritables besoins des villes et villages concernés », contraires « à la durabilité environnementale » et qui ont des effets « désastreux sur l’identité historique et culturelle » des lieux (www.batiweb.com). Voilà pourquoi, bien qu’aimant l’Espagne et sa langue, je mets rigoureusement dans le même sac le PSOE – parti socialiste au pouvoir – et le PP, ou Parti populaire, de droite. Plutôt, parce que j’aime profondément l’Espagne. Mais vous aurez rectifié de vous-même.

Le grand mage parle de 2008

On dirait que je serais le grand mage. Celui qui voit et surtout prévoit. Celui qui peut le dire. Eh bien, je peux vous dire que la presse française, en ce début d’année 2008, va découvrir la faim dans le monde, l’explosion du prix des céréales et même – je suis fou, mais tant pis – le déferlement des biocarburants.

Oui, 2008 va être une grande année. Question imbécile : pourquoi diable la presse dite sérieuse – Le Monde, Libération, Le Figaro, Le Nouvel Obs, L’Express, etc. – n’a-t-elle encore consacré aucune Une à ce qui est, d’évidence, le problème le plus dramatique du moment ? Deuxième question imbécile : pourquoi le ferait-elle maintenant ?

Étant mage, il m’est assez aisé de répondre aux deux interrogations. Mais avant cela, permettez-moi de préciser mon propos. Sur cette terre fragile et tourmentée, des hommes autant hommes que vous et moi ont les crocs. J’écris les crocs, car l’image est nécessaire. La faim, les crocs. Officiellement, ils sont 854 millions. Mais il faut ajouter une autre catégorie plus vaste, celle des humains vivant (?) avec un dollar par jour. Les estimations commencent à 1,1 milliard. Et si l’on passe à la somme rondelette de 2 dollars par jour, on atteint alors près de la moitié de la population mondiale. Entre 2,7 et 3 milliards de nos frères on ne peut plus théoriques sont dans ce cas.

Eh bien, et le mage va vous surprendre, lorsqu’on dispose d’un trésor pareil, on en consacre la plus grande part à la nourriture. Au Sénégal, qui n’est pas le pire pays de la planète, la rue dispose d’une expression claire pour désigner ce qu’est devenue la vie. Il s’agit, pour l’immense majorité de la population locale, de trouver la DQ. C’est-à-dire la dépense quotidienne. On se lève, mais sans savoir encore comment assurer la DQ. Il vaut mieux ne pas avoir la grippe, et ne parlons pas de la flemme, si douce sous nos latitudes.

Bon, la hausse vertigineuse du prix des « denrées agricoles » frappe et frappera massivement ces autres absolus que sont les pauvres du monde. Quelle est l’explication de ce tsunami social ? Selon le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, pourtant libéral bon teint, les biocarburants sont une cause première (www.lemonde.fr). Et il annonce à nouveau des émeutes et des conflits très graves.

Revenons aux oignons du grand mage. Pourquoi ce silence quasi total de notre presse ? Je dis quasi, car il serait aisé à un contradicteur de trouver des articles épars, ici ou là. Bien entendu ! Ce qui reste indiscutable, c’est que l’opinion française est sous-informée. Considérez cela comme un euphémisme. Ne parlons pas de TF1, qui n’a pas de temps de cerveau disponible à perdre. Mais tous les autres ? Le grand mage, à la réflexion, n’a pas d’explication définitive. Mais je peux écrire sans hésitation que la presse, dans sa presque totalité, défend ardemment l’organisation générale des sociétes humaines, telles qu’elles sont. Je ne pense même pas au rachat massif des titres par la grande industrie. Je parle de la publicité, cette industrie du mensonge qui fait vivre les équipes en place.

Puis, sachez que la presse est désespérément moutonnière. TF1 regarde Le Parisien qui regarde Le Monde, éventuellement l’AFP. Tant qu’une institution ne fait pas un choix clair, les autres rédactions considèrent en général qu’il faut ne rien faire soi-même. Or Le Monde, organe central de la presse française, se tait, pour l’essentiel. Je vous dirai mon sentiment sur cet insupportable silence un autre jour, car il a aussi des causes particulières. En tout cas, Le Monde se taisant – j’utilise ce journal comme symbole du grand sérieux, mais on peut remplacer par un équivalent -, les autres ne pipent.

Cela va-t-il changer ? Oui, je le pense. Car Le Monde est très impressionné par la presse américaine, et à un moindre degré britannique. Or notre quotidien a publié hier vendredi, comme chaques semaine, une sélection d’articles du New York Times, considéré comme indépassable. Et le titre de couverture, accompagné d’une photo terrible – les mains d’un paysan égrenant les fruits d’un palmier à huile – dit à peu près tout : An Insatiable Demand.
Nul besoin de traduction.

L’article de Keith Bradsher, chef du bureau du Times à Hong Kong, est d’une clarté de cristal. Et rappelle que l’augmentation stupéfiante du prix de l’huile de palme – près de 70 % en 2007 – plonge les pauvres d’Asie dans un grand malheur, car l’huile pour eux, c’est l’alimentation de chaque jour. Or cette huile, je vous le rappelle, est massivement transformée pour produire des biocarburants, qui seront vendus surtout chez nous, au Nord.

Où en étais-je ? Même un mage peut s’égarer en route, quelle horreur ! Je reprends : la presse française, moutonnière et docile, cache pour l’heure à ses lecteurs un vrai grand drame. Je sais bien que c’est moins intéressant que le prochain disque de Carla Bruni. Mais ce n’est pas grave, car cela va changer, grâce au NYT, le Times, quoi.

Une ultime prophétie : de l’instant où la machine s’emballera, c’est à qui prétendra avoir été le plus clairvoyant. Et il ne fera pas bon, alors, rappeler que certains ont tiré la sonnette d’alarme bien avant, dans le silence et l’indifférence. Début octobre, certains le savent, j’ai publié un livre appelé La faim, la bagnole, le blé et nous. Un pamphlet contre les biocarburants. J’ai très vite convoqué une conférence de presse, car la madame qui dirige l’Ademe, agence publique que je secouais très fort dans mon livre, cette madame montrait les dents contre moi.

J’ai fourni ce jour-là quantité d’informations importantes, dont une mise en cause réitérée de l’Ademe, du ministère de l’Écologie, de M.Borloo, etc. Et ? Et à peu près rien. La presse officielle se passionnait alors pour le Grenelle de l’Environnement, et se battait pour recueillir des bribes de ce qui apparaîtrait plus tard comme insignifiant. Le grand silence est aussi un grand désert, parole de mage averti.

Peut-on encore être contre (les OGM) ?

Avant de vous entraîner encore dans un coin sombre, trois minutes de rigolade. Vous ne refuserez pas, je pense. Voici l’adresse : www.terre.tv. Disons qu’il s’agit d’un combat de gladiateurs modernes, entre brocolis d’une part et sauce thai de l’autre. Disons. Et si vous ne riez pas, eh bien, passons à ce qui vous fera, je l’espère, grincer des dents.

Ma question du jour, la voici : peut-on encore être contre les OGM ? Je pense disposer de quelques secondes avant que de me faire écharper par les amis de José Bové. Il me faut donc foncer : l’essentiel du mouvement écologiste chipote. C’est dit.

Le funeste Grenelle de l’Environnement, en octobre dernier (fabrice-nicolino.com), a montré au grand jour ce qui s’observait depuis des lustres derrière le décorum : il n’est plus question de demander la fin des OGM. Il s’agit bien plutôt de discuter, de négocier, de trouver un compromis qui permette de parler de victoire.

À ce jeu tout de même singulier, les grandes associations sont devenues maîtresses. Il est vrai que la réalité est consternante : en 2006, 100 millions d’hectares dans le monde ont porté des cultures OGM. Le combat français, s’il est d’une grande qualité morale, n’en reste pas moins d’arrière-garde. Je sais que cette expression en choque certains, mais je la conserve, car je la crois juste.

Un combat d’arrière-garde n’est pas une défaite. Et il peut se changer en victoire. Nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, les OGM s’installent puissamment, et les associations françaises, piégées dans le Grenelle, ne savent plus quoi demander. La clause de sauvegarde sur le maïs de Monsanto – qui ne le voit ? – n’apporte rien sur le fond du dossier.

J’en étais là dans ma réflexion lorsque j’ai reçu, lundi je crois, un appel téléphonique de Thierry Jaccaud, rédacteur-en-chef de la revue L’Écologiste. J’ai beaucoup de sympathie pour Thierry, et lis avec grand intérêt – en général – son journal. Que me voulait-il ? Me parler d’une pétition anti-OGM (www.ogm-jedisnon.org), lancée par L’Écologiste et l’association OGM dangers (voir les raisons d’une modification dans les commentaires) .

Je l’ai aussitôt signée, car elle parle simple et clair. Elle rappelle qu’il existe des personnes refusant la présence d’OGM dans l’alimentation, et réclamant du même coup l’interdiction de la culture OGM en plein champ. Une telle pétition de principe est désormais nécessaire, car le WWF, Greenpeace, France Nature Environnement, José Bové, sans parler de la fondation Hulot, sont devenus, à des degrés divers, des réalistes.

Tous les signaux que j’arrive à recevoir le montrent. Il n’est plus question de combattre franchement et sans détour. Il s’agit de saisir l’une des perches aimablement tendues par Son Altesse Sérénissime (SAS) Sarkozy 1er. Au lieu de porter sur la place publique l’extrême complexité de la bataille contre les OGM, les experts de la lutte, autoproclamés, tentent de sortir de cette histoire par des artifices.

Or nous nous devons la vérité, fût-elle décevante. Il n’est pas possible de bâtir un vrai mouvement planétaire, décidé à empêcher la destruction, en se contentant de simulacres. L’opposition contre les OGM ne doit pas faiblir, mais il lui faut aujourd’hui penser d’une façon stratégique. Ce qui commande, oui da, de critiquer personnes et institutions. Au nom d’un intérêt bien supérieur.

On verra ce que donnera la pétition de L’Écologiste. Thierry pense, et je crois comme lui, qu’elle pourrait permettre une clarification. Le mouvement écologiste n’est pas un monolithe. Je n’y compte pas d’ennemis. Mais j’y vois beaucoup d’ombre et de faux-semblants, trop d’intrigues, pas assez de vision.

La montagne a-t-elle le droit ?

Raymond Faure m’envoie la copie d’un texte du juge Gérard Charollois, qui signe souvent du beau pseudonyme Gérard Condorcet (www.ecologie-radicale.org). Charollois-Condorcet y affirme sans détour : « la montagne a des droits ». Vous lirez, ou non, son texte. Il m’amène en tout cas à penser à cette question fondamentale : qui peut se prévaloir, dans notre monde, d’une vraie protection par le droit ?

Il y a une quinzaine d’années, j’ai essuyé dans les locaux du Canard Enchaîné un coup de vent dont je me souviens encore. Je discutais avec l’un des rédacteurs, et il me racontait une histoire pour lui inconcevable : quelqu’un – je ne sais plus qui – osait défendre le droit des arbres. Il riait si fort de cette imbécillité – à ses yeux – que d’autres journalistes du Canard nous rejoignirent. Et tous commencèrent à rire aussi fort, heureux de pouvoir tomber d’accord sur une telle évidence. Je crois que l’un d’entre eux a dit : « Et pourquoi pas le droit des pierres ? ». J’étais on ne peut plus seul, mais j’ai tout de même relevé le gant. Et me suis fait assommer de quolibets.

Faites l’expérience autour de vous. L’écologie, d’accord, passe encore. Car dans l’esprit commun, il s’agit de changer la moquette dans le salon. Mais la mise en cause de la prééminence absolue de l’homme, jamais ! Pourtant, à l’évidence, le cadre mental est en train de céder. C’est flagrant à propos des animaux (fabrice-nicolino.com). Le propre de l’homme, ce qui le distinguait définitivement de l’autre radical, animal, (re)devient une question.

Nous savons depuis très peu que les sociétés animales connaissent elles aussi la culture, la coopération, la guerre, l’amour. C’est un choc anthropologique tel qu’il faudra un temps long pour qu’il diffuse dans la société entière. Mais le mouvement est lancé, et sa route, même chaotique, est tracée. Nous étions simplement aveugles. Et barbares. Puisque les animaux étaient des machines, nous pouvions les user, les casser, les jeter. Nous ne nous en sommes pas privés, allant jusqu’à menacer de mort nos plus proches cousins, les grands singes.

Quelle folie, vraiment ! Nos sociétés, qui ne parlent que de connaissance, d’intelligence, de connection, se privent au passage de la possibilité de mieux comprendre d’où nous venons, et où nous allons. Mais je le répète : au passage. Car je propose d’aller bien plus loin, et de proclamer le droit des animaux, des plantes, des éléments naturels, dont la montagne, sans qu’ils continuent être corrélés à nos besoins et demandes.

Certes, nous n’y sommes pas. Beaucoup de ceux qui réclament davantage de respect pour la vie et ses formes se sentent obligés d’ajouter un couplet sur l’homme. Il faudrait sauver les forêts parce qu’elles contiennent une pharmacopée stupéfiante. Il faudrait limiter la surpêche, car bientôt les pêcheurs ne pourront plus rien prendre, etc.

Ne croyez pas que je sois indifférent à cette dimension. Je suis plus que sensible à la souffrance des humains, et je serai toujours du côté de ceux qui réclament justice. Mais je vois comme vous à quel point nos pensées sont courtes, dérisoires, égoïstes. Ce qui domine notre temps, évidemment, c’est notre ignorance globale. La vie demeure un mystère complet.

Est-ce si grave ? Oui, parce que l’aventure humaine est en train de transformer ce mystère en un cauchemar planétaire. Comme nous ne comprenons rien, nous nous autorisons tout. Je crois plus sage de commencer à réfléchir ensemble à un droit totalement inédit, à la hauteur enfin des événements réels. Ce droit ne pourra, selon moi, que s’appliquer à toute forme existant sur cette terre, fût-elle minérale. Et devra permettre, enfin, de vrais combats judiciaires où l’on pourra dire le crime. Ce crime majeur, ce crime contre la vie de tous, ce crime contre lequel rien n’est encore possible.

Une révolution ? Oui, bien sûr. Ne croyez pas qu’elle soit impossible. En 1221, dans ce Moyen Âge que tant jugent ténébreux, un avocat a défendu devant le tribunal épiscopal de Genève le droit des anguilles du lac Léman. Accusées de quantité de méfaits, elles furent acquittées et leur droit sur une partie du lac dûment reconnu. Eh oui !

Plus près de nous, combien de temps aura-t-il fallu pour reconnaître aux Noirs, aux Indiens des Amériques, aux femmes même, le droit à une personnalité juridique ? Et que je sache, les enfants, les nouveaux-nés, les trisomiques, les archi-vieillards perdus dans la brume profonde d’Alzheimer ont heureusement les mêmes droits fondamentaux que vous et moi.

La bataille en faveur de la vie, pour tous et partout, ne fait que commencer, et elle sera rude. Vous en serez ?

L’éternel retour du prince Potemkine

Grigori Alexandrovitch Potemkine, prince de son état. Vous situez ? Je vous aide un peu : il était beau, il était intelligent, et il fut amoureux. De la tsarine, Catherine II, qui le lui rendit bien. Ils furent amants jusqu’à sa mort à lui, survenue en 1791. Ah l’amour !

Potemkine adorait construire des villes. Et il en fonda plusieurs, dont Sébastopol. Mais il ne supportait pas, paraît-il, que sa belle souffre si peu que ce soit de l’affreux spectacle du monde réel. On lui attribue une trouvaille fabuleuse : la construction de faux villages sur le parcours du carrosse impérial. Derrière le rieur carton-pâte et les personnages de bande dessinée, la boue, les tas de fumier, les moujiks. D’où l’expression, parvenue jusqu’à nous, de « villages-Potemkine ».

Un village Potemkine désigne de nos jours la tentative de masquer à l’aide d’artifices, de tromper l’opinion, de la manipuler de manière qu’elle prenne des vessies pour des lanternes. Nul doute que le prince russe dispose dans nos sociétés d’une belle descendance.

Dans le domaine des villes, cher à son coeur, il faut même parler de bousculade. Mais prenons quelques exemples. Tout près de nous, Rivas-Vaciamadrid, au sud-est de Madrid. Le maire,
José Masa Díaz, vient de lancer un projet présenté comme une grande réponse collective au changement climatique. Sur 75 hectares, une ville nouvelle accueillera bientôt une cité de de l’eau et de l’énergie. Bienvenue générale au soleil, à la récupération et au recyclage, à la mobilisation écologique (attention, en espagnol : www.madridiario.es).

En Chine, les facétieux bureaucrates qui tiennent le pays depuis 1949 ont eux aussi de nobles idées. Par exemple, Dongtan, sur l’île de Chongming, au nord de Shanghaï. Superbe ! Sublime ! Cette ville nouvelle écologique devrait abriter entre 50 000 et 80 000 habitants dans un premier temps, puis jusqu’à 500 000 en 2050 (attention, en anglais : www.dongtan.biz).

Des questions ? À peine. Car tout a été prévu. Des éoliennes, des toits végétaux, des piles à combustible, des panneaux solaires, des espaces verts, des produits bio. Une société anglaise, s’inspirant directement de l’éco-quartier londonien BedZed, sera le maître d’oeuvre de l’ensemble. Admirable.

Des questions ? À peine. Des dizaines de milliards de dollars seront engloutis dans la fabrication de cette fabuleuse vitrine (Potemkine ?). Le site retenu menace sans détour une réserve naturelle essentielle à la préservation d’un des oiseaux les plus menacés au monde, la spatule à face noire. Il en resterait un millier sur terre. Puis, de l’aveu franc et massif des concepteurs, l’empreinte écologique exemplaire de ces habitants exemplaires devrait être, si tout se passe bien, de 2,2 hectares par personne. Ce qui est bien supérieur à la moyenne souhaitable pour conserver des chances d’habiter notre planète.

Mais le pompon revient sans aucun doute à l’émirat d’Abu Dhabi. Les mots manquent, fatalement. Ne sachant visiblement plus quoi faire de l’argent du pétrole, le cheikh Khalifa a décidé, dans sa simplicité coutumière, d’accorder 10 milliards d’euros à la construction de Masdar, une ville à créer en plein désert, mais pas trop loin de l’aéroport international tout de même. Preuve qu’on peut être un féodal tout en gardant le sens de l’humour : masdar veut dire source. En plein désert. Hi, hi.

Masdar, selon les plans du promoteur, anglais lui aussi, devrait compter 50 000 habitants en 2015. Il n’y aura, il n’y aurait aucune voiture, aucune émission de carbone, aucun déchet. Je n’en rajoute pas : ces « informations » sont tirés à bonne source. Du reste, il existe une photo où l’on voit George W.Bush admirant la maquette de Masdar en compagnie de Sultan Al Jaber. L’affaire est donc vraie. Au passage, et sans vouloir trop me moquer, sachez que des cours d’eau artificiels parcourront – parcourraient – les ruelles pour les rafraîchir.

Que veut prouver le cheikh Khalifa ? Mais qu’il n’est pas un bad guy, un sale type perdant l’argent qui ne lui appartient pas sur les innombrables tables de roulette du Nord. Et que représentent 10 milliards d’euros ? Quand on aime, aurait sans doute proféré le prince Potemkine, on ne compte pas. Ce qui est un rien troublant, pour un bad guy non repenti, comme moi, c’est le rôle joué par le WWF dans cette histoire.

Le WWF, officiellement, c’est l’écologie dans sa splendeur. Mais le passé de cette ONG mondiale rapporte quantité de faits curieux et désagréables, dont je m’abstiens de vous parler ce jour. Créé par des aristocrates et des grands bourgeois, le WWF s’appuie sans hésiter sur l’industrie pour se financer. Ce qu’on appelle un choix. Je connais beaucoup d’anciens du WWF et certains salariés actuels de la structure, pour lesquels j’ai une grande estime. Serge Orru, son directeur actuel en France, est un homme que j’apprécie pour de vrai.

Pourtant. Pourtant rien ne peut m’empêcher de hurler contre Jean-Paul Jeanrenaud, responsable au WWF-International des relations avec les industriels. Dans un entretien révoltant avec une journaliste du Monde (http://www.lemonde.fr), ce monsieur apporte un soutien décidé à cette ville nouvelle soi-disant écolo, plantée dans le désert de notre avenir.

Que dit-il ? Ceci, que vous jugerez : « Masdar est le signe que les dirigeants de ce monde réalisent que nos ressources ne sont pas inépuisables. C’est un projet particulièrement intéressant parce qu’il se situe dans le Golfe, qui vit du pétrole ». Je ne sais pas combien ces mots ont rapporté au WWF-International, mais j’ai dans l’idée que la somme est coquette.

Évidemment, tous ces projets, et tant d’autres qui sortiront sous peu des cartons, ne visent qu’à tromper. Shangaï, pour ne prendre que ce sinistre exemple, s’emploie du mieux qu’elle peut à détruire dans sa racine physique cet immense pays de culture et de cultures appelé la Chine. Mais les officiels pourront bientôt faire visiter Dongtan aux Sakozy, Brown ou autres Bush qui viendront y vendre leur bric-à-brac. Attendez-vous à un déferlement d’images positives.

Et quoi ? Et rien. Potemkine étant du genre mort-vivant, immortel, perpétuellement renaissant, je nous conseille de bien ouvrir les yeux et les oreilles. Amis lecteurs, quand vous monterez à bord d’un carrosse, demandez à descendre de temps à autre. Et passez de l’autre côte du décor.