Ceux qui croient au Père Noël

Je ne sais si vous faites partie de la catégorie. Peut-être. D’un côté, croire au Père Noël est une bien belle aventure individuelle. Mais lorsqu’elle touche un peuple entier, cela devient plus embêtant.

Depuis qu’existe la blogosphère, il n’a pas manqué de commentateurs pour écrire à propos du Net toutes les sottises du monde. Parmi elles, cette idée qu’en « dématérialisant » de nombreux échanges, en limitant certains déplacements, en se contentant d’échanger des baisers par le réseau, on contribuerait fatalement à soulager la planète.

Hum. Une quarantaine de poids lourds de l’industrie informatique mondiale, dont Dell, Google, Intel, Hewlett-Packard, IBM, ont créé un machin appelé Climate Savers Computing Initiative (CSCI), censé lutter contre le gaspillage d’énergie des ordinateurs. Le WWF, ou Fonds mondial pour la nature, les conseille.

L’initiative paraît excellente, mais elle est en réalité consternante. Car ce qui se cache derrière elle n’est autre qu’un immense gaspillage de plus. L’auriez-vous imaginé ? 50 % de l’énergie des PC du monde entier disparaît purement et simplement sous la forme de chaleur. Elle se dissipe dans l’éther. Et faut-il parler des systèmes de veille, de ces centaines de millions d’ordinateurs qui ne s’éteignent jamais ?

Autre chiffre proprement hallucinant : selon un rapport du cabinet Gardner Group, le Net et les nouvelles technologies de l’information émettent 2 % de la totalité des gaz à effet de serre de la planète. Autant que la totalité des transports aériens !

Comme ces excellents industriels de l’informatique sont aussi de bons citoyens, ils ont accepté un plan qui prévoit d’améilorer l’efficacité de leur matériel. À les coire, mais nul n’est obligé, 54 millions de tonnes de gaz carbonique pourraient ainsi ne pas rejoindre l’atmopshère d’ici à 2010. À les croire. Mais je ne les crois pas. D’ici là, j’en fais le pari, quelqu’un aura trouvé un nouveau truc sensationnel qui aura le léger inconvénient de gravement nuire au climat. Vous vous souvenez des délirantes campagnes, chez nous, en faveur de la climatisation dans les automobiles ? En quelques années, alors que nous vivons dans un pays tempéré, la pub est parvenue à nous faire croire que c’était in-dis-pen-sable. Or la clim’ augmente la consommation d’essence d’environ 15 % en moyenne.

Amis du Père Noël, bonne journée derrière l’écran. Et surtout, n’oubliez pas la veille !

Une déclaration d’intention

Il n’y a plus d’ailleurs. Et voilà pourquoi ce site s’appelle « Planète sans visa ». Cette expression n’est pas de moi : je l’ai découverte chez Victor Serge, mais elle est antérieure à lui. À ma connaissance, elle a été utilisée dès 1929 dans un tract surréaliste, probablement écrit par André Breton, ainsi que dans un livre de Léon Trotsky. N’importe. Révolutionnaire, antistalinien, foncièrement démocrate, Serge était aussi un notable écrivain. Et j’ai retenu cette phrase, sous sa plume : « Planète sans visa, sans argent, sans boussole, grand ciel nu sans comètes, le Fils de l’homme n’a plus où reposer sa tête…».

C’est un fait : la planète est devenue une banlieue où s’entassent les peuples. Jadis, c’est-à-dire hier, franchir une frontière vous mettait à l’abri d’une guerre. En 1917, après avoir passé cinq années dans les prisons de France, Serge prend un train pour Barcelone et découvre un pays épargné par la boucherie. Oui, à cette époque si proche que certains parmi nous l’ont connue, la condition humaine pouvait être refusée, dans une certaine mesure. D’autres que Serge, convoqués en 1914 pour le grand massacre européen, refusèrent les tranchées, préférant l’exil. Comme ils avaient raison ! Et comme avaient tort ces soldats partant la fleur au fusil !

Tout a changé. La planète est une, les prouesses technologiques nous ont définitivement cloués sur place. L’homme, devenu un agent géologique de première puissance, a inventé l’ère anthropocène. Ce site parlera donc de la crise écologique, à ma manière. Sans concessions, sans inutiles précautions, sans vain respect pour les hommes et les institutions qui ne le méritent pas.

S’il doit avoir un sens, ce sera celui d’écrire librement. De décrire et de dénoncer ce qui se passe. Car il se passe un événement si considérable, tellement inédit, à ce point stupéfiant que la pensée refuse de l’admettre. Ce qui nous arrive peut se résumer, même si aucun esprit n’est capable de le concevoir pleinement : nous sommes les contemporains de l’anéantissement de la vie. De la destruction des conditions de vie de l’humanité. De l’asservissement des autres êtres vivants à notre bon plaisir imbécile. D’une crise d’extinction des espèces comme la planète n’en a pas connu depuis la fin des dinosaures, voici 65 millions d’années.

Je n’ai pas l’illusion, ni l’outrecuidance, de savoir quoi faire. Je ne sais pas. Mais je pense, mais je suis convaincu qu’il faut marquer au plus vite une rupture complète avec notre manière de penser la société. Et cela implique de se détacher au plus vite des formes politiques anciennes. Je vise la droite comme la gauche. Et les Verts aussi, évidemment.

Ce n’est pas un programme, c’est un drapeau. Il nous reste peu de temps, je le crains, pour imaginer un avenir qui ne soit pas de guerre et d’affrontements majeurs. Comme j’aime la liberté, et parce que je défends l’égalité, et même la fraternité, je souhaite que ces valeurs soient conservées. Il faut donc défendre les droits de l’homme, assurément, mais on ne peut plus en rester là. Le rêve né en France autour de 1789 atteint sous nos yeux ses limites. L’individu est une limite, une triste et terrible limite qu’il nous faut dépasser. L’individu n’a pas, ne peut plus, ne doit en aucune manière avoir tous les droits que lui reconnaissent, pour le plus grand profit des marchands, la publicité et la propagande. Lesquelles ne sont en réalité – qui peut encore l’ignorer ? – qu’un seul et même mot.

Nous devons, dès qu’il sera possible, travailler ensemble à une Déclaration universelle des devoirs de l’homme. Car l’homme a désormais la responsabilité de protéger et de sauver ce qui peut l’être encore. Les plantes et les arbres. Les singes et les colibris. Les fleuves et les pierres. Le vent et les abysses. Les étoiles et les saisons. Sans oublier lui-même. Sans nous oublier nous-mêmes.

C’est peut-être difficile. C’est sûrement moins prometteur, pour les divas de la télé et les margoulins de la presse officielle, que de clamer combien le monde est beau et comme il continue d’aller de l’avant. Mais je n’imagine pas d’autre chemin. Or donc, suivez-moi dans le dédale, et nous tenterons ensemble de ne pas perdre notre fil d’Ariane. Je vous promets de vraies informations. De la dérision et du rire. De la polémique. Et peut-être un peu d’espoir.

FABRICE NICOLINO, le 27 août 2007

  1. Calissia le 29 juin 2013 Editer

    Bonsoir Fabrice, un tout petit amendement à cette déclaration – un bémol qui pèse bien peu en regard du drapeau hissé et de la parole promise… Le tract surréaliste qui donne son nom au blog n’est pas de 29 (date de l’expulsion de Trotski d’URSS) mais de 34 (date de son expulsion de France, avant le refuge mexicain), voir le facsimilé : http://www.andrebreton.fr/fr/item/?GCOI=56600100381330

Quelques mots sur moi.

Il faut bien que je me présente un peu. Un peu. Enfant, j’ai connu l’existence du sous-prolétariat urbain. Je déconseille, si on peut éviter. Et j’ai, dans la suite, pratiqué un assez grand nombre de métiers.

Entre autres, j’ai été apprenti chaudronnier, sans jamais le devenir. J’ai fait de la soudure, j’ai distribué des télégrammes, j’ai livré des paquets dans Paris avec une camionnette, j’ai été employé, j’ai travaillé avec des enfants, j’ai expédié des vêtements, j’ai classé des monceaux de polices d’assurance à la main, par numéro, et plus d’une fois, je n’ai rien fait.

Par ailleurs, j’ai vécu quelque temps en Italie, et sur le continent américain, du nord au sud. Je suis journaliste professionnel depuis la fin de 1984.

Dans ce cadre, j’ai écrit pour différents journaux, parmi lesquels Femme Actuelle, Viva, Politis, Le Canard Enchaîné, Télérama, Géo. Je suis actuellement conseiller éditorial du groupe Bayard, et signe dans deux de ses journaux, Terre Sauvage et La Croix.

Je suis également l’auteur de sept livres. Un polar, au Fleuve Noir. Des livres pour les enfants, dont Yancuic le valeureux et La France sauvage racontée aux enfants (Sarbacane). Le tour de France d’un écologiste (Le Seuil). Enfin, deux essais parus chez Fayard : Pesticides, révélations sur un scandale français (avec François Veillerette) et La faim, la bagnole, le blé et nous (Une dénonciation des biocarburants).

Il va de soi que mon employeur n’est en rien engagé par les propos que je pourrais tenir ici. En cette époque où la presse est (re)devenue la propriété de l’industrie, j’ajouterai un commentaire sur Bayard. Ce groupe a la singularité d’être la propriété d’une congrégation catholique, les Assomptionnistes. Lesquels ne réclament aucun dividende. Que ce soit le fait du hasard ou non, Bayard accepte en son sein la présence de personnes différentes. On me permettra donc de saluer cette tolérance vraie, qui n’a pas besoin de haut-parleur pour se manifester.

Ce site est à mes yeux celui de la liberté d’expression, reconnue à chacun. Et c’est en mon nom personnel que j’ai décidé de l’ouvrir. Et en mon nom personnel que j’en assumerai le contenu.

Quand les éléphants craquent

Les éléphants sont-ils en train de devenir fous ? C’est la question que se pose le grand journaliste américain Charles Siebert dans un article récent (1). Après un long voyage, en particulier en Ouganda, il revient persuadé que les relations entre pachydermes et humains basculent.

Les signes ne manquent pas : partout en Afrique, mais aussi en Inde et dans le sud-est asiatique, les éléphants tuent de plus en plus d’hommes et dévastent leurs cultures. Dans le seul État indien d’Assam, 605 personnes ont été tuées en 12 ans, dont 239 depuis 2001. Le phénomène est si marquant que les scientifiques ont forgé un nouveau concept pour mieux le comprendre, appelé Human-Elephant-Conflict (HEC).

Certains éléphants, comme en Afrique du Sud, en arrivent à tuer d’autres animaux comme les rhinocéros. En somme, nous sommes passés d’une coexistence relativement pacifique à ce qu’il faut bien appeler une guerre. Les raisons les plus évidentes sont connues de tous : les braconniers ont prélevé des centaines de milliers d’animaux au cours du vingtième siècle, et les villageois ont détruit massivement les grands habitats de ces animaux, comme la forêt ou la savane.

Mais une étude publiée dans la revue Nature en 2005, Elephant Breakdown, ajoute de très étranges éléments. Selon ses auteurs, les sociétés humaines ont infligé aux sociétés d’éléphants un traumatisme comparable à celui que subissent les victimes de conflits, en Bosnie ou au Rwanda. Les éléphants, surtout les jeunes, connaissent un stress chronique et ne sont plus capables de vivre normalement en groupe. D’ailleurs, les “ familles ” d’éléphants, cruciales pour l’éducation des jeunes, sont désormais le plus souvent disloquées. Comme chez nous dans certaines régions ou pays. Une preuve de plus, selon les neurobiologistes, que certains phénomènes traversent la barrière des espèces.

Les éléphants sont en réalité plus proches de nous que nous l’avons longtemps pensé. Ils connaissent ainsi des rites de deuil et d’enterrement impressionnants, qui les poussent à “ visiter ” les sépultures de leurs morts pendant des années. Et les vivants entretiennent entre eux des relations d’une grande complexité. Lorsqu’un animal souffre, par exemple, tout le troupeau le ressent aussitôt. Et en cas de menace imminente ou de mort d’un membre du groupe, les éléphants échangent à distance des messages subsoniques, trop subtils pour nous puissions les entendre. Comment faire la paix avec eux ?

(1) An Elephant breakdown ? New York Times, 10 octobre 2006
Paru au printemps 2007 dans la revue Canopée

Les barbares du bois de Verrières

(Bretagne Vivante 12)
Je vous en préviens, cette chronique est un peu mélancolique. Daniel Prunier est un type bien, passionné par les insectes, qui habite la région parisienne. Il y a quelques années, j’ai eu le privilège de faire avec lui une grande balade dans la forêt de Fontainebleau. Il y faisait des bonds de cabri, me montrant des vols de Dicerca berolinensis, le grand bupreste du hêtre, ou des accouplements de Cerambyx scopoli, le petit capricorne. Je n’ai jamais oublié.

Et voilà qu’il m’adresse copie d’une lettre envoyée par lui à notre glorieux Office national des forêts (ONF) ainsi qu’au ministère de l’Écologie. C’est un cri, un de plus. Daniel a remarqué des va-et-vient dans le bois de Verrières, à huit kilomètres de Paris. L’ONF prépare une grande coupe dans ce qui reste d’une forêt royale jadis géante. Daniel a joué le jeu de la discussion, prenant le soin de placer des marques bleues sur les arbres les plus essentiels, pour qu’eux au moins soient sauvés de la hache.

Peine perdue. Extrait de son ultime courrier, resté sans réponse :  » Des centaines d’ arbres sont marqués pour un abattage imminent. On s ‘est même permis de marteler expressément des arbres que j’ avais demandé de préserver pour leur intérêt écologique. Je vous demande encore une fois de d’ arrêter le massacre « .

À l’heure où je vous écris, j’ignore l’issue de cette misérable affaire. Mais je pense au lieu, bordé par la Bièvre – une rivière – que je sais habité depuis le paléolithique inférieur. Les Gaulois l’ont parcouru, Louis XIII y chassa sous les chênes et les merisiers, Malraux, Louise de Vilmorin, Saint-Ex y ont habité. Et des barbares ordinaires ont décidé en notre nom de le changer en boîtes d’allumettes, sciure et cageots.

Je devine que certains trouveront le mot barbare excessif. Et je sais, croyez-moi, qu’il y a d’excellentes personnes à l’ONF. Mais quoi ? Faudra-t-il toujours reculer ? Pourquoi devrions-nous sempiternellement tolérer la destruction du monde ? Je vous avais prévenu.