Biocarburants : un barrage contre le Pacifique

(Bretagne Vivante n°11, 2006)

Vous qui avez tant aimé les pesticides, vous adorerez sans peine les biocarburants. Il s’agit d’une farce grandiose, un brin tragique, mais il faut reconnaître qu’elle est très bien mise en scène. Soit pour commencer une humanité shootée comme jamais au pétrole. Soit ensuite une peur croissante et justifiée du vaste dérèglement climatique en cours. Soit enfin une curieuse coalition de gens honnêtes et de margoulins qui prétendent avoir (re) découvert la pierre philosophale.

Bon sang, mais c’est bien sûr ! Si l’on plante massivement du colza, de la betterave et du tournesol – dopés comme il se doit, avec ce que vous savez -, plus aucune friche en France, des débouchés assurés, des paysans heureux, des automobilistes au paradis. Les biocarburants sont en effet un miracle capable de changer le végétal en carburant, en recrachant au total infiniment moins de carbone que les combustibles classiques. Roulez jeunesse, en avant comme avant !

Hum. Premier très léger problème : est-il acceptable de planter des céréales, dans un monde qui a faim, pour faire rouler une bagnole ? Deuxième ennui, à peu près dérisoire : les biocarburants sont en train d’achever les dernières forêts tropicales de la planète. Car voyez-vous, tandis qu’on amuse chez nous le chaland avec des arguments de pure propagande, d’autres au Sud ont compris les leçons que le Nord dispense depuis si longtemps. Comme il y a un marché florissant pour l’éthanol et ses petits camarades, des pays comme la Malaisie, l’Indonésie, et demain le Brésil sont bien décidés à l’occuper.

Comment ? Mais en plantant partout des palmiers à huile ou du soja, qui sont de remarquables matières premières pour les biocarburants. Selon une étude fouillée de l’association internationale Friends of the Earth, 87 % de la déforestation en Malaisie, de 1985 à 2 000, serait due aux plantations de palmiers à huile. La ruée vers l’or vert !
Pour nous, qui ne voulons en aucun cas renoncer à la voiture individuelle, c’est parfait. Roulons tous à l’éthanol, et vive la liberté ! Le rite magique durera ce qu’il pourra durer. Au fait, à quoi sert un barrage contre le Pacifique ? nike air max günstig nike air max günstig

Quelques notes andalouses

(Bretagne Vivante 10)

J’ai de la chance, je reviens d’Andalousie. Je ne peux tout vous raconter – dommage, soyez-en certain -, mais j’en rapporte aussi l’habituelle moisson d’amertume. Le lynx ibérique, une espèce qu’on ne trouve qu’en Espagne et peut-être dans quelques îlots portugais, est sur le point de nous dire adieu. Son extinction serait la première d’un félin sur terre depuis 10 000 ans, depuis la mort du tigre à dents de sabre. Et pas au fin fond de l’Afrique martyrisée par les guerres et la maladie. Non, au cœur de l’Europe riche et donneuse de leçons.

Il y avait autour de 100 000 lynx au début du siècle passé. Il n’en reste qu’une centaine : un abominable désastre. La faute aux chasseurs – longtemps, la peau du lynx se monnaya fort cher -, la faute au lapin – proie essentielle du félin, il disparaît lui aussi, victime d’épidémies -, la faute aux routes.

Les routes, oui. Arrêtons-nous une seconde au bord de l’une d’elles, qui relie les villages de Villamanrique et d’El Rocío. Elle coupe en partie le parc national de la Doñana, et elle tue chaque année un ou plusieurs lynx survivants. Quand il en reste si peu, c’est énorme. Pourquoi cette route, officiellement présentée comme  » chemin agricole  » ? Parce que certains habitants de Villamanrique en avaient assez de faire un tout petit détour. Leurs élus locaux ont œuvré, l’Europe a ouvert la pompe à finances, et la route a été livrée. Beau chemin agricole, en vérité, que cette large route, asphaltée, qui ferait honte à nos meilleures départementales.

L’histoire vous en rappelle peut-être d’autres, plus locales. Vous savez sans doute qu’une réforme des parcs nationaux français est en cours. Une loi sera tôt ou tard discutée au Parlement. Sur le papier, c’est épatant. Nos bons maîtres souhaiteraient appliquer la décentralisation aux milieux naturels protégés. Et donc accorder plus de pouvoir aux collectivités locales, en assouplissant le cadre juridique qui protège pour l’heure nos parcs nationaux.

Rien n’est bouclé encore, rien n’est achevé, certes. Mais comment vous dire ? J’ai peur. Je pense à tous ceux qui guignent les Écrins, les Aravis, la Vanoise. À ceux qui rêvent de marinas et de lotissements sur les dernières lignes de rivage libres. Je pense au lynx d’Andalousie. nike air max weiß nike air max weiß

L’industrie du mensonge

(Bretagne Vivante 9)

Je ne devrais pas vous le dire, car je vis de ce métier, mais le journalisme se porte honteusement mal. Honteusement. Ce n’est certes pas la première fois dans son histoire, vous le savez tous, mais les temps présents sont réellement calamiteux.

Pour le dire (trop) vite, nous sommes passés des Ordonnances de 1944 – l’euphorie de la Libération créait une presse enfin délivrée de ses liens avec l’industrie – au culte permanent de la marchandise. Des secteurs essentiels appartiennent déjà aux philanthropes Lagardère et Dassault, fabricants d’armes, ou à Bouygues, roi du béton. À quelques exceptions, l’acte d’achat volontaire du lecteur est devenu second. Ce qui prime, c’est la vente d’espaces qui devraient pourtant être réservés à l’information. Bienvenue dans le monde de la bagnole, du pétrole et de ses dérivés, des lessives, du plastique, des objets inutiles et coûteux, place au gaspillage sans limite.

La pub n’est-elle pas l’industrie du mensonge ? Et le moins qu’on puisse écrire, c’est qu’elle n’est pas l’amie de la nature. Arrêtons-nous sur deux exemples. Le premier, à l’heure où je vous écris, donne lieu à un procès. D’un côté l’industrie des pesticides, ou plutôt son faux-nez, l’Union des Industriels de la Protection des Plantes (UIPP). De l’autre des associations qui lui reprochent d’avoir lancé en février une campagne de publicité géante dans la presse, qui devrait durer six mois. À main droite un système, des millions d’euros, une presse toujours plus dépendante de la publicité. De l’autre, nous. Nous, qui savons bien quel poison infernal est caché dans la chimie de synthèse. Nous, tous réunis : combien de divisions ?

Le second exemple vous a peut-être échappé. Greenpeace a révélé, s’appuyant sur le travail d’un laboratoire néerlandais, que la presque totalité des grands parfums contiennent des produits inquiétants. Notamment des esters de phtalate et des muscs de synthèse. Ces molécules s’attaquent tantôt à l’ADN, tantôt aux spermatozoïdes ou à notre système hormonal.

Et ? Nos journaux, écrits ou télévisés, auraient dû consacrer gros titres et copieux dossiers à cette incroyable dégradation de nos conditions de vie. Au lieu de quoi, (presque) rien. Je ne vous ferai pas l’injure de vous proposer une conclusion, tant elle est évidente. À quand la révolte ?

Une civilisation en danger de mort

Cet article a été publié dans Les quatre saisons du jardinage

Rien ne va plus. Le riz, essentiel à l’alimentation de la planète, traverse une crise sans précédent. Les rendements ne progressent plus, la production baisse depuis trois ans, et les besoins ne cessent d’augmenter. En Inde, où le riz est presque sacré, la biodiversité agricole est menacée par les multinationales et le génie génétique

Va-t-on manquer de riz ? C’est désormais probable. Probable et tragique à la fois, car le riz est l’un des remparts principaux contre la faim, surtout en Asie. Est-ce tout à fait un hasard ? La FAO (1) a décidé de faire de 2004 l’année du riz au moment même où la baisse de la production inquiète jusqu’aux plus optimistes. Pour Jacques Diouf, le directeur général de la FAO, le riz est  » l’aliment de base pour plus de la moitié de la population mondiale, mais sa production subit de sérieuses contraintes « . C’est un euphémisme : il faudra probablement augmenter la production mondiale (2) de 40% d’ici 2030 pour faire face aux besoins. Mais le pourra-t-on ? Rien n’est moins sûr, pour des raisons qu’explique Diouf lui-même :  » les ressources en terre et en eau pour la production de riz diminuent « .
Les prévisions pour 2 004 sont mauvaises : pour la quatrième année consécutive, la production va sans doute diminuer. D’environ 20 millions de tonnes. C’est d’autant plus inquiétant que les deux principaux producteurs, la Chine et l’Inde, sont dans une situation particulièrement difficile. Le premier a dû, l’an passé, utiliser 17 millions de tonnes de ses réserves pour faire face aux besoins; et le second deux millions de tonnes.
Faut-il s’étonner, dans ces conditions, de l’extraordinaire offensive lancée par les multinationales américaines et européennes ? Profitant de l’inquiétude générale, elles tentent depuis plusieurs années d’imposer sur les marchés asiatiques de nouvelles variétés de riz génétiquement modifié, à commencer par le fameux  » riz doré « , ce bricolage qui permet d’enrichir le riz en vitamine A, mais que de nombreux écologistes dénoncent comme une supercherie. Ils font notamment valoir que, même si ce riz transgénique tenait toutes ses promesses, ce qui est loin d’être garanti, il ne représenterait jamais qu’une infime fraction de la vitamine A contenue, à quantité égale, dans des feuilles de coriandre ou de curry.
Quoi qu’il en soit, Monsanto et DuPont, entre autres, appuyées par la fondation Rockfeller – officiellement pour des raisons philanthropiques -, pénètrent de plus en plus profondément au coeur des deux plus grandes nations paysannes de la planète, la Chine et l’Inde. Au risque évident, sur fond de mondialisation, de mettre en concurrence des petits paysans travaillant leur lopin et des agromanagers gorgés de subventions, 500 fois plus  » productifs « . Au risque évident de voir des empires commerciaux du Nord s’emparer peu à peu, grâce à des brevets sur les nouvelles variétés, des derniers bastions de la biodiversité agricole de notre planète.
Fantasme ? Hélas, non. En septembre 1997, la société texane RiceTec Inc. obtient le brevet américain n°5 663 484, intitulé  » Lignées et graines de riz basmati « . Le riz basmati, connu pour son parfum si particulier, est cultivé depuis des siècles au Punjab, en Inde et au Pakistan. Il est le produit de sélections locales, opérées au cours d’innombrables générations de travail humain. RiceTec, de son côté, n’a fait qu’utiliser ce savoir-faire en croisant des varités basmati avec d’autres, semi-naines, elles aussi cultivées en Inde depuis longtemps. En accordant un brevet commercial pour ce qui n’est qu’un tour de passe-passe, l’État américain permet à cette  » invention originale  » d’être vendue sous le nom de basmati partout dans le monde, alors même que RiceTec la vendait auparavant sous le nom commercial de Texmati, Jasmati ou Kasmati. L’affaire est loin d’être achevée, mais de puissants syndicats paysans, en Inde même, craignent d’être obligés, un jour ou l’autre, de payer des redevances pour cultiver le riz qu’ils ont collectivement créé.
On ne le sait pas assez en France et en Europe, mais l’Inde se bat farouchement, depuis des décennies déjà, contre ce que nous appelons depuis peu la mondialisation, dans le droit fil du satyagraha, l’esprit de résistance gandhien, pacifique mais ferme. Bien avant les rassemblements altermondialistes, le Karnataka Rajysa Raitha Sangha (KRRS, Association des agriculteurs de l’État du Karnataka, au sud du sous-continent, voir l’encadré) organisait des rassemblements monstres contre les projets des multinationales.
Témoin cette extraordinaire année 1993, qui commence en fanfare, dès février. Un millier de paysans occupent à Bangalore le siège local de Cargill, le géant américain des céréales, et brûlent immédiatement les documents qui leur tombent sous la main. En mars, 200 000 petits producteurs se lancent dans une marche qui les mène à Delhi, la capitale, malgré de nombreuses arrestations partout sur la route. L’ambiance est joyeuse, ceux d’Uttar Pradesh portent des casquettes vertes, celles du Karnataka de superbes châles de même couleur. La mobilisation paysanne, soutenue par le groupe d’intellectuels et de scientifiques Gene Campaign, vise l’obscur rapport d’Arthur Dunkel, le directeur général du Gatt, l’ancêtre de l’OMC. Dans ce texte, aussitôt brûlé par le professeur Nanjundaswamy, président du KRRS, Dunkel réclame l’autorisation de breveter les semences, prélude au sinistre Terminator.
En octobre enfin, entre 500 000 et un million de paysans se retrouvent à Bangalore, capitale du Karnataka, pour proclamer leurs droits sur leurs propres semences et annoncer la création de banques de ressources génétiques. L’un des leaders du KRSS, Suresh Bongle, lance alors, prophétique :  » Le gouvernement américain et les compagnies étrangères tentent de créer dans ce pays un monopole de la production des semences « . Des Éthiopiens, des Indonésiens, des Thaïlandais, des Philippins, des Nicaraguayens, des Sud-Coréens sont présents, conscients de l’enjeu planétaire de la bagarre. Peu avant, , la célèbre altermondialiste Vandana Shiva, une biologiste de formation, avait créé une nouvelle association, Navdanya, qui regroupe aujourd’hui 60 000 adhérents. Outre une aide concrète à l’agriculture biologique, Navdanya a mis en place une vingtaine de banques de semences à travers le pays, pour sauver ce qui peut l’être encore.
L’Inde est à bien des égards un pays à part. Sa civilisation agricole date d’au moins 4500 ans, et ses 650 millions de paysans sont les dépositaires d’un savoir à peu près unique au monde. Selon les estimations, entre 30 000 et 200 000 variétés de riz existaient dans cet immense pays il y a encore cinquante ans, avant la révolution verte (Voir encadré). Le riz, souvent appelé brana dans les campagnes – autrement dit le souffle de la vie -, est à lui seul une civilisation. On ne sait pas précisément combien de variétés continuent d’être cultivées, mais une chose est évidente :la révolution verte en a fait disparaître un nombre considérable. Et selon Vandana Shiva et ses amis de Navdanya, l’apparition du riz transgénique risque d’achever ce processus.
Or, le travail des paysans, depuis des milliers d’années, a permis la mise au point de variétés parfaitement adaptées à la sécheresse – dans le seul ouest du Bengale, on en compte 78 variétés – ou à l’extrême humidité. Et même au sel, comme les chercheurs de Navdanya en ont découverte dans les régions côtières d’Orissa, du Kerala et du Karnataka.
C’est, on l’aura compris, une tout autre vision de l’avenir. Dans la ferme que possède Navdanya, 160 variétés locales de riz sont cultivées, et au total, l’association protège soigneusement 2 000 variétés de tout le pays. Au moins 100 000 paysans ont profité du système d’échange de semences bio, et depuis 1998, Navdanya s’est tourné vers le commerce équitable. Un partenariat a été conclu avec l’Allemand Gepa, et 400 tonnes de riz basmati dehra duni ont été exportées vers l’Europe en 2 002.
Ce n’est rien ? En effet, et cela pourrait même sembler dérisoire à l’échelle d’un pays de un milliard d’hommes. Mais le choix qui s’impose, presque évident, décidera du sort d’une civilisation. Ou les paysans indiens resteront dans leurs villages, s’appuyant sur leurs traditions, en les modifiant quand c’est nécessaire. Ou le marché mondial et les multinationales les chasseront vers les grandes villes, où ils rejoindront dans les bidonvilles les dizaines de millions de déracinés qui les y ont précédés.

(1) L’agence de l’ONU pour l’agriculture et l’alimentation, basée à Rome
(2) Par rapport aux chiffres moyens entre 1997 et 1999

Une révolution très contestée

Quarante ans après son lancement, le bilan de la  » révolution verte  » n’est pas encore totalement tiré. Le point de départ est connu : au début des années 60, la Banque mondiale et d’autres institutions internationales décident de financer la recherche agricole pour permettre aux pays du Sud, disent-elles, de régler le problème de la faim. De nouvelles variétés de céréales à gros rendement sont en effet mis au point, et un extraordinaire mouvement de  » modernisation  » traverse en quinze ans l’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Le Nord envoie des experts, des machines, des engrais et des pesticides, et indiscutablement, les rendements explosent, et la faim recule.
Mais aujourd’hui, le bilan apparaît aux yeux de beaucoup comme hautement discutable. Les dégâts sociaux et écologiques de l’intensification ont en effet été largement sous-estimés, et souvent même niés. Or la révolution verte a largement déstabilisé les sociétés paysannes, favorisant les plus riches et privant les pauvres des anciens accès aux pâturages et aux forêts, imposant au passage une dépendance considérable par rapport aux technologies du Nord. Sur le plan écologique, de nombreux scientifiques, y compris au Sud, parlent ouvertement de désastre. L’irrigation massive a en fait appauvri d’immenses zones, par des phénomènes de salinisation qui n’étaient pas au programme. L’emploi généralisé de pesticides empoisonne non seulement les sols, mais aussi les hommes. La généralisation de la monoculture, jadis presque inconnue, se fait au détriment de la biodiversité agricole et de la faune sauvage.
Ce qui est troublant, c’est que les promoteurs des OGM sont souvent les mêmes que ceux qui promettaient, il y a quarante ans, l’éradication de la faim par l’introduction de la chimie. Parmi eux, des fondations comme celle de Rockefeller ou des centres de recherche comme l’Instititut international de recherche sur le riz (IRRI).

Des associations très diverses
Qui parle de paysans en Inde tombe immédiatement sur le puissant Karnataka Rajysa Raitha Sangha (KRRS, Association des agriculteurs de l’État du Karnataka). Ce syndicat de petits et moyens producteurs est basé dans le sud de la péninsule indienne, mais rayonne désormais dans tout le pays, appuyé sur des réseaux efficaces d’information et des liens internationaux noués dans le cadre de Via Campesina, à laquelle adhère en France la Confédération paysanne.
Pensé dès 1965 par un tout petit noyau de cinq personnes, créé officiellement en 1980, le KRSS regroupe aujourd’hui des millions de membres. Très gandhien dans sa philosophie, il plaide pour l’installation, à long terme, d’une vaste  » république villageoise  » fondée sur la démocratie directe, l’autonomie et l’autosuffisance. Le syndicat a joué un rôle-clé dans l’apparition d’une structure nationale de défense des paysans, la Bharatiya Kisan Union (BKU).
Parmi les dernières nées des associations, le Joint Action Forum of Indian People (JAFIP) est une fédération de mouvements contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Apparu en 1998, JAFIP est parvenu à rassembler des foules considérables, notamment à Hyderabad. Certains lui reprochent d’accepter la présence à ses démonstrations d’une autre fédération, marquée par ses liens avec des groupes armés, proches de la tradition maoïste, All Indian Peoples Resistance Forum (AIPRF).
Citons également deux mouvements populaires très influents. D’abord la Narmada Bachao Andolan (NBA), créée au milieu des années 80 pour lutter contre le projet d’aménagement – essentiellement sur fond de barrages – de la vallée de la Narmada. La romancière Arundhati Roy est devenue une sorte de porte-parole officieuse de la NBA.
Enfin, le National Forum of Fishworkers (NFF), lancé au Kerala au début des années 90, entend coordonner les combats des pécheurs-artisans de l’Inde, gravement menacés par les chalutiers de la pêche industrielle. nike air max 90 damen nike air max 90 damen

Bataille de l’Ebre, bataille de l’eau

sept 2003 (Les 4 saisons du jardinage)

En Espagne, les lobbies de l’immobilier et de l’agriculture intensive tentent d’imposer un Plan hydrologique national aux dimensions inédites. Il s’agirait de vider le grand fleuve du nord, l’Èbre, pour abreuver le sud, les golfs et les hôtels, le maïs et les cultures sous serre. Coût total des 863 infrastructures, dont 118 grands barrages ? Plus de 23 milliards d’euros ! Heureusement, l’Espagne se mobilise, comme rarement depuis trente ans.

C’est la guerre. La guerre de l’eau, annoncée de longue date, a déjà commencé. Et non pas au Moyen-Orient ou le long du Nil, que se partagent comme on sait tant de pays, mais au coeur de l’Europe. L’Espagne connaît en effet depuis près de trois ans la première crise écologique globale de l’Union européenne. Le pays tout entier se mobilise, dans des manifestations impressionnantes. Le plus souvent contre le Plan hydrologique national (PHN) annoncé par le gouvernement en septembre 2000, mais quelquefois en sa faveur.

Des exemples ? Dès le 8 octobre 2000, 300 000 personnes se rassemblent à Sarragosse, contre. Le chiffre, pour cette ville de l’Aragon, est gigantesque, très inattendu, stupéfiant même. D’autres manifestations, à Barcelone et Madrid, ont rassemblé jusqu’à 500 000 personnes, contre elles aussi. Mais le 2 mars 2003, sans doute 400 000 personnes ont envahi Valence, au sud, pour le PHN. Et à chaque fois, beaucoup de cris, et de plus en plus d’exaspération. No al trasvase ! (Non au transvasement) d’un côté, Agua para todos ! (de l’eau pour tous) de l’autre.

De quoi s’agit-il ? Pour les partisans du PHN, d’un simple problème de plomberie et, officiellement du moins, de démocratie et d’équité. Le nord de l’Espagne concentre en effet 70% des ressources en eau du pays grâce aux Pyrénées, aux monts Cantabriques et à leurs fleuves, tandis que le sud méditerranéen, dont l’Andalousie, qui abrite pourtant 55% de la population totale, n’en fournit que 23%. Le sud est en outre le douteux paradis de l’agriculture intensive et du tourisme de masse. Il faut beaucoup, beaucoup d’eau pour abreuver des cultures irriguées, mais aussi pour les villages de vacances avec golfs, piscines et hôtels des bords de mer.

Le plan prévoit de transférer chaque année 1 050 hectomètres cubes (Hm3) des eaux de l’Èbre vers Barcelone et la Catalogne, et surtout l’arc méditerranéen. Cela ne vous dit peut-être rien, mais un tel flot représente 15% du volume total charrié par l’un des plus grands fleuves d’Europe. Le PHN inclut au total la construction de 118 grands barrages et de 863 infrastructures, dont des canaux, des ponts, des réservoirs. Le coût de ce projet géant dépasse 23 milliards d’euros, dont 4,2 pour le seul  » transvasement « . De très loin, ce serait le plus gros chantier hydrologique jamais lancé sur notre continent.

Les aménageurs avaient-ils imaginé un refus aussi massif, aussi déterminé ? A coup certain, non. L’Èbre n’est pourtant pas seulement un fleuve splendide, il est un mythe à lui seul. Né dans les monts Cantabriques, il a donné son nom à l’Ibérie, comme les Grecs appelaient l’ancienne Espagne, et sa vallée a même abrité certaines des civilisations pré-ibériques les plus fameuses. Tout au long de l’histoire, l’Èbre a joué un rôle-clé dans le destin de la péninsule. Le fleuve a longtemps séparé les occupations romaine et carthaginoise, servi de frontière, à l’époque de la Reconquista, entre troupes chrétiennes et arabes, servi de siège à l’une des grandes batailles de la guerre d’Espagne entre franquistes et républicains.

Il suffit de regarder une carte pour mieux comprendre son importance exceptionnelle : long de 928 km, il court des abords de l’Atlantique jusqu’à la Méditerranée, où il s’achève en delta.  » Grâce  » à une multitude d’ouvrages hydro-électriques, son bassin fournit environ 50% des besoins en électricité du pays !

Un territoire peut-il vivre sans son fleuve ? Pour les opposants de la première heure, qui organisèrent en octobre 2000 une mémorable grève générale des Pyrénées centrales, non. L’Aragon, notamment, a déjà connu sous Franco un exode rural plus brutal encore que le nôtre, qui a laissé derrière lui quantité de villages fantômes. Les habitants de la région se réfèrent explicitement à cette période dans tous leurs rassemblements, rappelant le temps où on les obligeait à quitter leur terre  » a punta de pistola « , à la pointe du pistolet. Combien de villages seraient engloutis, et combien évacués de force ?

Les opposants font remarquer par ailleurs, aidés par les statistiques officielles, qu’à cause des barrages déjà existants et de l’explosion de l’irrigation, le débit moyen de l’Èbre a déjà diminué de moitié entre 1960 et 1990, passant de 16 842 Hm3/an à 8 235 Hm3. Le président de la région Aragon a du reste parfaitement résumé la question dans l’un de ses discours :  » Demain, 80% du territoire espagnol, c’est à dire tout le centre, risque d’être transformé en une espèce de tiers-monde intérieur fournissant la matière première et la main-d’oeuvre à un arc méditerranéen asphyxié par un développement trop intensif. Nous sommes en train d’assister à une désertification démographique de zones entières « .

Mais l’une des leçons les plus intéressantes de la bagarre en cours, c’est que ce cri du coeur a très vite été relayé par une grande partie de la communauté scientifique espagnole. Il n’y a sans doute aucun exemple d’une telle mobilisation chez les chercheurs de la péninsule, dont certains sont parmi les plus prestigieux. Dès le 7 novembre 2001, des centaines d’entre eux signent une très explosive Lettre ouverte au parlement européen dans laquelle ils l’adjurent de ne pas financer » la plus grande agression écologique jamais perpétrée dans l’Union européenne « .

Selon eux, le delta de l’Èbre, reconnu zone humide d’importance internationale en 1971 par la convention dite de Ramsar – 200 000 oiseaux y hivernent chaque année -, risque pratiquement de disparaître. Déjà, les 70 barrages existants retiennent dans leurs réservoirs plus de 90% des sédiments jadis transportés par le fleuve jusqu’à la mer. La ligne de côte recule, certaines années, de 100 mètres. Qu’en sera-t-il lorsque toutes les nouvelles retenues auront été construites ? Et que se passera-t-il avec les remontées d’eau de mer, déjà dramatiques en certains lieux ? La diminution programmée du débit de l’Èbre risque de stériliser tout ou partie du delta, car l’eau salée, plus lourde, fonctionne comme une sorte de semelle qui s’infiltre sous le cours du fleuve, remontant toujours plus en amont. Cette semelle est déjà à Amposta, à 25 km de l’embouchure.

Les conséquences du PHN seront aussi très sévères pour ses soi-disant bénéficiaires. Almerìa, province andalouse, dispose paradoxalement, sur le papier, de 3 000 litres d’eau par jour et par habitant alors que la moyenne, dans l’Union européenne, n’est que 1 800. Comment expliquer un tel  » miracle  » dans cette Espagne où il ne pleut presque plus ? Par la surexploitation des nappes phréatiques, essentiellement pour abreuver l’agriculture intensive. Le modèle andalou est connu : culture sous serre, plus irrigation massive, plus main d’oeuvre bon marché venue souvent du Maroc.

Dans cette même province, ainsi que dans celle de Murcie voisine, l’administration locale a toléré l’installation de milliers de nouveaux puits illégaux et de réseaux d’irrigation qui sont en train de ruiner définitivement la région. Sauf bien sûr si l’eau du nord finit par arriver : la seule annonce du PHN a entraîné une nouvelle fuite en avant, surtout sur la côte valencienne. Le gouvernement régional laisse se commettre de véritables crimes écologiques, dont le défrichage de larges zones forestières, certaines officiellement protégées. Le but est limpide : permettre, à terme, l’urbanisation des dernières zones littorales encore naturelles.

Le plus édifiant peut-être, c’est que le PHN a un précédent. En 1981, en effet, le gouvernement de l’époque décidait le transvasement de 1 000Hm3/an – le même volume que celui envisagé par le plan actuel – des eaux du Tage vers le Segura, qui coule dans la région de Murcie. Ces eaux étaient censées, elles aussi, rétablir  » l’équilibre hydrologique  » de cette partie du sud méditerranéen, et permettre au passage l’irrigation de 50 000 hectares. Vingt ans après, seulement 300 Hm3/an ont été effectivement apportés, mais 87 000 hectares nouveaux ont été irrigués. On l’aura compris : dans ce système de shadocks, où il faut pomper sans jamais s’arrêter, il ne peut y avoir d’autre fin que catastrophique. Que fera-t-on quand les nappes seront réellement vides, ou tellement polluées par les pesticides qu’elles ne seront plus utilisables pour irriguer ? Dans certains cas, malgré de savants mélanges avec des eaux de meilleure qualité, on approche des valeurs-limites.

Si tant de gens, au sud, se mobilisent pour l’application rapide du PHN, c’est parce qu’une véritable angoisse existentielle s’est emparée de larges secteurs de l’opinion. Les paysans du midi espagnol, tous comme les éleveurs et  » maïsiculteurs  » bretons, ont été fêtés pendant des décennies comme les artisans d’un miracle économique. Et ils ne comprennent pas que le système tant vanté les a conduits droit dans un mur. De ce point de vue, leur grande manifestation du 2 mars dernier, à Valence, résonnait un peu comme une marche funèbre. On y a entendu le (célèbre) joueur de tennis Juan Carlos Ferrero lire le manifeste Agua para todos, dans lequel il évoquait le  » désastre  » en cours, concluant par ces mots :  » Nos champs, nos industries et nos services sont de grands exportateurs,. Nous générons de l’emploi et notre croissance ne cesse d’augmenter. Mais pour suivre ce chemin, nous avons besoin d’eau. « .

Quelques jours plus tard, un opposant modéré au PHN, Emilio Sales Almazán, lui faisait cette réponse dans une lettre ouverte :  » Agua para todos, si. Agua para todo, no « . C’est-à-dire : de l’eau pour tous, oui, mais pas pour tout et n’importe quoi. De l’eau pour la consommation humaine et pour une agriculture soutenable, économe, oui. Mais pas pour les golfs, les parcs à thème et une irrigation utilisant des ressources de plus en plus rares.

On l’aura compris, il s’agit de deux visions différentes et même opposées de l’avenir. D’un côté, on réclame l’adaptation des activités humaines aux richesses écologiques existantes. De l’autre, on exige de la technologie qu’elle permette à l’économie de continuer sa route vaille que vaille, et coûte que coûte. Le dossier est désormais à Bruxelles, où se joue une partie décisive. En septembre 2001, une  » marche bleue  » est partie du delta de l’Èbre avant de gagner la Belgique, pour plaider la cause du fleuve devant la Commission européenne.

Si cette denière refuse de financer le plan espagnol – Madrid réclame 30% des 23,5 millards d’euros du projet -, tout l’édifice pourrait bien s’écrouler. On n’en est pas là, mais le 24 juin dernier, la commissaire européenne à l’Environnement, Margot Wallström, a annoncé le blocage du financement européen, en attendant certaines vérifications sur la compatibilité du PHN avec les lois européennes.

Pour l’heure, l’Espagne vibre comme rarement depuis la mort de Franco, il y a bientôt trente ans. Le vieux caudillo avait légué à son peuple, au passage, un discutable record du monde : celui du nombre de grands barrages par habitant et au km2. Corseter un fleuve, n’est-ce pas une vision du passé.

Fabrice Nicolino

Pedro Arrojo, héros de l’Èbre (ENCADRÉ)

L’épopée de l’Èbre a tout naturellement trouvé sa grande figure. Pedro Arrojo est un physicien, par ailleurs professeur d’économie à l’université de Sarragosse. Né en 1951, il a été depuis vingt ans de toutes les grandes manifestations non violentes pour la nature et la paix. Spécialisé ces dernières années dans l’économie de l’eau, il a même été chargé officiellement d’une étude sur le plan hydrologique national finalement annoncé par le gouvernement madrilène en 2001.

Cette étude l’a convaincu de la folie furieuse du projet, et depuis, il n’a eu de cesse de le combattre sur tous les fronts. Fondateur de la Coordinadora de Afectados por grandes embalses y trasvases (Coagret, la grande coordination des opposants), il est également parvenu à créer avec d’autres collègues universitaires une très prometteuse Fondation pour une nouvelle culture de l’eau.

La prestigieuse fondation américaine Goldman, qui récompense chaque année un défenseur de l’environnement sur chaque continent, a choisi cette année, pour l’Europe, Pedro Arrojo. En avril dernier, celui-ci a reçu à San Francisco ce qu’on considère généralement comme le prix Nobel de l’écologie, assorti d’un chèque de 125 000 dollars aussitôt réinvestis dans la bagarre contre le plan hydrologique national.

L’eau du Rhône à Barcelone ? (ENCADRÉ)

Ce n’est pas une mauvaise blague : depuis 1995, la société française BRL (société d’aménagement du Bas-Rhône et du Languedoc) mène un inlassable travail de lobbying pour  » exporter  » de l’eau du Rhône jusqu’à Barcelone. BRL – en partie publique, en partie aux mains de groupes comme Bouygues, Suez ou Spie-Batignolles – possède une concession de l’État français qui lui accorde jusqu’en 2056 un droit d’eau sur le Rhône.

Le projet est d’une grande simplicité : il s’agirait d’enterrer une canalisation de 330 km et de transférer 1 300 000 m3 d’eau chaque jour d’Arles jusqu’à la capitale de la Catalogne. Un autre projet, espagnol celui-là, envisage la construction de canalisations sous-marines entre la France et Barcelone, qui pourraient être poursuivies jusqu’aux îles Baléares, voire plus au sud.
La Catalogne est-elle à ce point assoiffée ? C’est toute la question. La polémique fait rage sur les chiffres fournis par les défenseurs du projet. Les opposants font remarquer, entre autres, que les fuites dans le réseau atteignent 25% et que la dépollution de la nappe phréatique sous Barcelone, certes très coûteuse, permettrait à terme de faire face à l’augmentation de la demande.

Quant à Pedro Arrojo, qui vient de recevoir le prix Goldman pour sa contribution à la défense de l’Èbre, il estime :  » La facture des travaux serait sans doute payée, en bonne part, par la Communauté européenne et les autorités publiques. Et pourquoi ? Pas parce que le citoyen normal manque d’eau. Pour alimenter plus de toilettes d’hôtels de la Costa Brava et de parcours de golfs. En d’autres termes, il ne s’agirait pas de solidarité européenne, mais d’argent public au service de spéculateurs privés. «