La grande indifférence (le bilan Jospin)

numéro 691 de Politis

Cinq ans de gouvernement de gauche, et malgré la présence des Verts, un bilan parfaitement dérisoire. La faute à la culture, plus qu’à la politique

Quand un mitterrandolâtre veut vous clouer le bec – l’espèce est certes plus rare qu’au temps jadis -, il lâche, pensant justifier quinze ans de reculs et de corruption :  » Et Badinter ? Et l’abolition de la peine de mort ? « . On n’en est pas si loin à propos de Jospin, notamment en matière d’écologie. En cinq ans de pouvoir, la gauche aura pris deux mesures  » phares  » et seulement deux : l’abandon du canal Rhin-Rhône et l’arrêt de Superphénix.

Encore faut-il préciser les choses : ces deux fortes annonces étaient explicitement prévues dans l’accord politique entre les Verts et les socialistes, signé dès avant les élections. D’autre part, Superphénix était déjà condamné par une partie significative du lobby nucléaire, au fond soulagé par la décision de fermeture. Le monstre de Creys-Malville était en effet devenu un véritable boulet technique et financier, qui décrédibilisait l’ensemble de la filière. Rhin-Rhône, de son côté, était contesté jusques et y compris par la très haute technocratie d’Etat, en l’occurrence le corps des Ponts et Chaussées. Autrement dit, ces  » grandes victoires  » du mouvement écologiste ne furent qu’un habillage politique accompagnant et justifiant la présence des Verts au gouvernement.

Pour le reste, voyons. Le nucléaire ? Jospin avait promis une loi de transparence, le chamboulement, le débat public. Rien n’est venu, ou plutôt excatement le contraire : dans le secret habituel des bureaux, avec la complicité empressée d’un Christian Pierret – secrétaire d’Etat à l’Industrie et surtout lobbyiste forcené de l’atome -, le crucial dossier du futur réacteur EPR a continué d’avancer. Tout est prêt pour une relance massive du programme électronucléaire français.

La chasse ? Dominique Voynet et son conseiller Jean-Pierre Raffin se sont épuisés, en vain, pour essayer de sortir du face à face – un piège redoutable – avec les durs de Chasse, pêche, nature et tradition. Jospin, en excellent tacticien qu’il est, a laissé le ministère de l’Environnement s’engluer sans jamais s’exposer. De finasserie en dérobade, rien n’aura bougé, rien n’aura avancé. La question est redoutablement complexe ? A l’évidence. Comme celle du courage.

Sans doute pouvait-on espérer mieux à propos de la protection de la nature stricto sensu. Un programme européen de protection des écosytèmes remarquables – Natura 2000 – a été lancé en 1992, qui doit – devait – aboutir en 2004 à un réseau cohérent. Il était question, après un premier recensement, de classer environ 15% du territoire. Juppé, sous la pression, avait tout réduit à 5% au mieux – plusieurs de nos voisins flirtent avec les 20% -, et ni Jospin ni le ministère de l’Environnement n’ont osé bouger un doigt. Une véritable honte, mais qui n’émeut personne. Au reste, qui le sait ?

Même tableau à propos du loup, emblème pourtant de la biodiversité, qui est revenu naturellement dans les Alpes il y a une dizaine d’années. L’animal est protégé par une convention internationale, mais abandonné par l’Etat et le parc national du Mercantour – son grand refuge – aux braconniers et aux empoisonneurs. Dans les Pyrénées, l’ours est toujours menacé d’extinction, faute du moindre engagement sérieux. Jospin, en visite sur place, aura pour l’essentiel déclaré qu’il préférait l’homme au fauve. On voit assez bien le niveau.

Rien n’aura été seulement tenté pour contenir l’agriculture intensive, qui continue de pourrir, pour des dizaines d’années au moins, nappes et rivières. Rien n’aura été entrepris pour faire reculer la bagnole et le transport routier. Au contraire : le quinquennat Jospin aura été, aussi, celui du déferlement imbécile de la climatisation, désormais presque obligatoire dans les voitures neuves.

Et il y a pire. Dix ans après Rio, trente ans après Stockholm et la prise de conscience de menaces globale, la gauche au pouvoir s’est montrée incapable de parler et d’agir sur le plan international. Le plan national de lutte contre l’effet de serre est, eu égard à la gravité de la situation, une foutaise. Dans ce domaine, la seule vraie mesure de Jospin aura été de couler l’écotaxe, qui était pourtant la seule arme crédible pour limiter réellement les émissions de gaz. Un dernier mot à propos de la Guyane,  » notre  » forêt tropicale. La gauche avait l’occasion de frapper un grand coup en y créant – on en parle depuis plus de dix ans – un vaste parc national. Tout était réuni pour une spectaculaire avancée, aux résonances mondiales. Ni Voynet ni Jospin n’ont avancé d’un pouce.

Pourquoi un tel bilan ? En vérité, on le sait bien. Jospin et toute son équipe – ne parlons pas des archéocommunistes, productivistes et nucléaristes – sont parfaitement indifférents à l’écologie. Plus que d’une question politique, c’est d’un gap culturel qu’il faut parler.

Ces hommes-là en sont restés à une autre histoire, à un autre cadre intellectuel. Ils n’ont pas lu sur le sujet, pratiquement pas réfléchi à ces questions désormais essentielles, et ils sont pour sûr passionnés par d’autres choses que la survie de l’orang-outan  ou la beauté des forêts primaires. Le pouvoir donne d’autres frissons. Fallait-il, dans ces conditions, des ministres verts au gouvernement ? Ne fâchons pas, et disons que la question se pose. Du moins du point de vue de l’écologie.

Orwell, suite et fin

Cet article a été publié dans le numéro 689 de Politis, en février 2002

Le quatrième volume des Essais et lettres de George Orwell vient de paraître, signant la fin d’une très remarquable entreprise éditoriale. On y découvre un Orwell majestueusement antistalinien, à l’heure où l’espèce était rare.

Ainsi donc, fini. Le quatrième et dernier volume des Essais, articles et lettres de George Orwell vient de paraître, plus de six ans après le début de cette belle entreprise éditoriale. Nous avions rencontré dans le premier, publié en 1995, un Orwell policier – en Birmanie -, puis clochard ou peu s’en faut en France et en Grande-Bretagne, puis révolutionnaire et combattant du Poum dans la guerre civile espagnole.
Les années ont passé, et Orwell, en cette année 1945 qui ouvre le livre, est un homme fatigué, malade déjà, mais toujours aussi passionné par la chose publique. Le fascisme à peine à terre, Orwell est aussitôt passé à cette autre horreur totalitaire qu’est le stalinisme. L’analyse du phénomène, dans ses articles et lettres de l’époque, est omniprésente, et d’une clairvoyance qui ne peut que sidérer le lecteur français.
Car ne l’oublions pas : au même moment chez nous, le parti communiste de Thorez et Duclos, à la botte pourtant de Staline et de sa dictature, est devenu intouchable. Des milliers d’intellectuels se prosternent à ses pieds et forgent de folles théories sur l’art prolétarien et la science bourgeoise, ou l’inverse. Orwell, ami proche d’Arthur Koestler, qui a subi de l’intérieur l’extraordinaire mensonge communiste, ne mange pas de ce pain-là. Non content d’appeler un chat un chat – et l’Union soviétique un immense camp de travail forcé -, il ferraille contre les soutiens et soutiers du stalinisme.
Témoin entre cent autres exemples cette lettre adressée aux directeurs de la revue Partisan Review en mai 1946, dans laquelle il dénonce la tactique d’infiltration des  » cryptocommunistes  » dans le parti travailliste. On n’imagine plus aujourd’hui le courage qu’il fallait alors pour se lever de la sorte, quelques mois après la chute de Berlin. L’une des cibles d’Orwell, un député travailliste qu’il pense être au service clandestin des communistes, réagit vivement, dénonçant  » un acte ignominieux « .
Orwell, qui en a vu d’autres, comme cette balle fasciste entrée dans sa gorge en Espagne, reprend sa plume, superbement, et cloue le sbire une fois pour toutes. M. Zilliacus » s’imagine-t-il que lui-même et le petit groupe qui partage ses idées sont les seuls qu’il faudrait s’abstenir de critiquer ? Ou se figure-t-il qu’il peut me réduire au silence par l’intimidation ? Qu’il soit assuré que je poursuivrai mes efforts pour m’opposer à la propagande totalitaire dans ce pays.  »
Tout Orwell, ce grand homme de la liberté, est là. Capable de combattre en temps réel non seulement le fascisme, mais aussi le stalinisme, que tant de nos vaillants intellectuels – de Sartre à M. Sollers – soutinrent ici de toutes leurs forces. Il ne lui échappa pas davantage que le règne de la marchandise, qui allait sous peu tout recouvrir, recelait d’autres menaces. Dans un texte très vif, Les lieux de loisir, qu’on publierait volontiers dans sa totalité, Orwell constate que la radio – la télé n’est pas encore là -, souvent allumée pendant toute la durée du repas,  » tient ainsi à bonne distance cette chose redoutable qu’est la pensée  » Et il ajoute :  » Si l’on commençait par demander : Qu’est-ce que l’homme ? Quels sont ses besoins ? Comment peut-il le mieux s’exprimer ? on s’apercevrait que le fait de pouvoir éviter le travail et vivre toute sa vie à la lumière électrique et au son de la musique en boîte n’est pas une raison suffisante pour le faire « . N’est-ce pas ?
Mais la politique n’est pas tout, et Orwell poursuit son oeuvre, même s’il n’est guère satisfait de lui.  » Il y a maintenant seize ans, note-t-il en 1949, que mon premier livre a été publié (…) Pendant tout ce temps, il n’y a littéralement pas eu un seul jour où je n’aie eu le sentiment que je traînais, que j’avais du retard dans mes travaux en cours, et que ma production était assez misérable « . On osera dire qu’il se trompe. Même dans les courts récits – ainsi, dans  » Comment meurent les pauvres « , où il décrit un terrible séjour dans un hôpital parisien -, Orwell excelle à montrer l’homme et sa douleur, la vie, la mort.
Et quel formidable lecteur ! Quel oeil lorsqu’il dit son enthousiasme pour Conrad, quand il prend la défense de Shakespeare contre Tolstoï ! Il a l’honnêteté intellectuelle si chevillée au corps qu’il prend soin, même dans les critiques contre certains essais qu’il condamme au fond, de longuement présenter la pensée de ses auteurs. Sans simplification ni outrance : en donnant ses chances au livre, dirait-on, d’équilibrer son commentaire.
Quant à ces deux grands livres que sont La ferme des animaux et 1984, on en suit la trace pas à pas. Le premier, qui est une charge inouïe contre le maître du Kremlin, paraît enfin, après 18 mois d’infernaux contretemps, en août 1945, quelques jours après qu’eurent explosé les premières bombes atomiques de l’histoire. Le second est mis en chantier en mai 1946 :  » Il s’agira d’un roman, écrit-il à Leonard Moore, mais je ne souhaite pas en dire davantage pour le moment « .
Vite, George ! Miné par la tuberculose, Orwell n’a plus que quelques dérisoires années à vivre. Après la mort de sa femme Eileen, il se retrouve seul avec son fils adoptif Richard. On le voit avec lui sur certaines photos, emprunté et poignant, son éternelle cigarette au bord des lèvres. Comme on aimerait lui taper sur l’épaule ! Comme il nous semble un ami, un frère ! Et un camarade ? Oh oui, certes. Mais un vrai.

George Orwell, Essais, articles et lettres, volume IV, coédition Ivrea et Encyclopédie des nuisances, 650 pages, 250 francs, 38,11 euros.

La banque des escrocs et des criminels associés

Publié dans le numéro 669 de Politis, le 4 octobre 2001

La croisade de l’Amérique contre l’argent sale ne doit pas faire oublier qu’elle est, en ce domaine, un spécialiste mondial, comme le démontre la fantastique aventure de la BCCI. Au programme de cette banque engloutie en 1991, terrorisme planétaire, trafic de drogue et soutien aux pires dictatures. Mais c’était, bien entendu, au service de la liberté

M. Bush fils – W – fait les gros yeux : tremblez terroristes, et gare à l’argent sale ! Mais on n’est pas obligé d’apprécier les bluettes et de tout prendre au pied de la lettre. L’histoire que nous allons vous raconter est autrement passionnante.

En 1967, le cheikh Zayed bin sultan al-Nahyan, émir d’Abu-Dhabi, rencontre un banquier pakistanais qui va devenir son ami, son partenaire : Agha Hasan Abedi. Ce dernier n’est pas qu’un froid financier : on rapporte qu’il savait, à l’occasion, fournir aux proches de l’émir de jeunes vierges très attentionnées (1). En 1972 en tout cas, Zayed et Abedi créent une banque clairement  » islamique « , qui vise officiellement à mobiliser l’argent des pétromonarchies au service du développement des pays musulmans.

La Bank of Credit and Commerce International (BCCI) est-elle d’emblée une arnaque ? Probablement pas. Car l’affaire est avant tout politique, et américaine. Les actionnaires du départ sont certes Arabes pour la plupart – outre Zayed, on trouve parmi eux Khalid bin Mahfuz, le propriétaire de la banque personnelle du roi Fahd d’Arabie saoudite -, mais bien plus curieusement, l’influente Bank of America, américaine comme son nom l’indique, souscrit elle aussi au capital, pour 2,54 millions de dollars. Le trait d’union s’appelle peut-être Kamal Adham. Milliardaire, ce Saoudien est un actionnaire minoritaire de la BCCI, mais c’est aussi un homme-clé du régime de Riyad, qui a fondé les services secrets de son pays, en très étroite association avec la CIA. Simplifions : Adham est l’homme des Américains, en tout cas de la CIA.

Que vient faire cette dernière dans cette banque islamique ? On va le voir. Les premières années sont modestes et il faut attendre 1976 pour que les premières succursales soient ouvertes en Europe et en Afrique. En Amérique, c’est un temps plus compliqué, car la Bank of America s’est retirée en 1978. Or le marché américain est stratégique, et la BCCI va réussir un coup de maître extraordinaire en embauchant un certain Clark M. Clifford.

Qui est-il ? Une légende vivante. Né en 1906, il sera pendant plus de soixante l’an l’un des plus puissants hommes d’influence aux Etats-Unis. Appartient-il lui-même à la CIA ? Probablement : c’est lui en tout cas qui rédige, à la sortie de la Seconde guerre mondiale, certains des textes juridiques fondateurs de l’agence de renseignements. Conseiller proche du président Truman jusqu’au début des années cinquante, il conserve l’oreille de Kennedy dix ans plus tard, et devient même en 1968 le très puissant secrétaire d’Etat à la défense de Lyndon B. Johnson, en pleine guerre du Vietnam.

C’est cet homme-là, qui sait tout des secrets de l’Amérique, qui devient le digne employé de la BCCI aux Etats-Unis, lui permettant d’acheter, clandestinement et illégalement, des établissements bancaires américains. Dont la First General Bankshare, qu’il dirigera lui-même. Etonnant, non ? Cette fois, la combine est réellement lancée. Arrivée au faîte de sa puissance, la BCCI emploiera 14 000 salariés, totalisera des dizaines de milliards de dollars de dépôts, comptera 400 bureaux et 40 filiales dans 73 pays. A la fin des années 80, la BCCI est la septième banque privée du monde !

Les pauvres du Pakistan et d’Egypte, des Philippines ou d’Indonésie, du moins ceux qui travaillent dans les Emirats du Golfe, ont massivement confié leurs économies à cet établissement qui respecte si bien le Coran. Ils ont tort. Les riches aussi ont déposé leur argent, mais ceux-là ont raison. Au fil des années, on voit apparaître des clients réellement surprenants. Le cartel de la drogue de Medellin ainsi, a choisi la BCCI pour blanchir ses bénéfices par dizaines de millions de dollars. Manuel Noriega de même : ce chef d’Etat du Panama, agent de la CIA et trafiquant de cocaïne, aura jusqu’à neuf comptes à son nom. Tout à côté, Jean-Claude Duvalier, l’ami des tontons macoutes de Haïti, profitera d’une bienveillance identique.

Mais la BCCI ne connaît aucune frontière : en Asie, Ferdinand Marcos, maître des Philippines, est un client fidèle. De fameux marchands d’armes, comme le Saoudien Adnan Kashoggi, y font valser les milliards. Côté terrorisme, cela n’est pas mal non plus : Abou Nidal, le Ben Laden des années 80, a compte ouvert, tout comme d’ailleurs ses ennemis du Mossad, ainsi que l’OLP et Saddam Hussein, la Libye, etc.

C’est une pétaudière, mais du genre organisé. Et en large partie, par les services américains, dont elle est un instrument de pouvoir et de renseignement peut-être sans égal. Car la BCCI servira à monter, sur le plan financier, les coups les plus tordus de l’oncle Sam. Elle sera au centre du ravitaillement des moudjahidins afghans pendant la guerre contre l’Union soviétique, permettra d’encaisser les prix des livraisons d’armes clandestines américaines à l’Iran et d’envoyer une partie des mêmes sommes aux contras antisandinistes du Nicaragua.

Il n’est pas sans intérêt de le rappeler : M. Bush père est l’un des personnages-clés de ces différents épisodes, connus sous le nom global d’Iran-Contragate. L’Amérique aura bien mérité de cet homme, directeur de la CIA en 1976, puis vice-président des Etats-Unis, enfin président. Et grand moraliste, comme son fils. Hélas : après vingt années de si beaux efforts, la BCCI sombre, en 1991, dans une invraisemblable banqueroute. La banque, où s’enchevêtraient tant d’intérêts occultes, privés ou publics, avait fini par être incontrôlable, même par les Américains, et des clans démesurément gourmands, notamment autour d’Abedi, y pratiquaient des pillages colossaux.

Deux grains de sable – le douanier américain Robert Mazur, puis le District Attorney de New York Robert M. Morgenthau – déclenchent par leurs enquêtes, de proche en proche, une catastrophe financière mondiale. Combien d’argent a disparu dans la tourmente ? On ne le saura jamais : certains parlent de plusieurs dizaines de milliards de dollars. On ne connaît pas – on a le droit d’avoir des idées – les bénéficiaires de ce hold-up d’anthologie, mais on connaît les perdants.

En vrac, mais la liste est interminable : la Sécurité sociale du Togo et les chemins de fer du Zimbabwe – ruinés tous deux -, 130 000 petits épargnants britanniques – en grande partie d’origine pakistanaise -, les fonctionnaires du Cameroun, dont la paie ne peut plus être assurée, ceux du Congo dit Brazzaville. Devant les succursales de dizaines de pays du Sud, au lendemain de la fermeture définitive de la BCCI, le 7 juillet 1991, des dizaines de milliers de modestes clients pleurent et trépignent devant des agences barricadées.

Définitive ? Eh non, pas pour tout le:monde. Rebaptisée par ses propres employés, qui ont perdu leurs fonds de retraite au passage, The Bank of Crooks and Criminals Incorporated – la banque des escrocs et criminels associés -, la BCCI continue à fonctionner après sa fermeture officielle. Qui le dit, qui le prouve ? Un personnage hors du commun, coauteur avec le journaliste Denis Robert (voir ci-dessous son interview) d’un livre renversant, Révélation$.

Ernest Backes est un ancien cadre supérieur d’un établissement financier luxembourgeois, Clearstream, d’une puissance colossale. Or il découvre que les hommes de la BCCI au Luxembourg – le Grand Duché est l’un des centres de l’affaire – ont loué, après la fermeture judiciaire de la banque tout un étage de l’hôtel Intercontinental de la capitale. De là, ils continuent de donner des ordres de virement, comme si de rien n’était, grâce à Clearstream. Le 8 aôut 1991, par exemple, plus d’un mois après la banqueroute,100 millions de francs d’actifs sont soustraits de comptes normalement sous séquestre, et envoyés sur un compte des plus mystérieux, dit non publié, attribué à la Banque générale du Luxembourg sous l’intitulé 32506 BGLCLIEN.

Bien entendu, personne ne paiera jamais pour le scandale de la BCCI, professionnellement étouffé au Pakistan, dans les émirats, mais aussi en Angleterre et aux Etats-Unis, qui auraient eu tant à craindre d’un véritable coup de projecteur. L’argent sale ? Il fait tellement de bien à l’économie mondialisée et aux services secrets qui assurent sa défense aux quatre coins de la planète ! Avez-vous noté ? Dans les premiers jours qui ont suivi les attentats du 11 septembre, on se bousculait presque pour dénoncer les barbares qui avaient spéculé à la baisse – ah, ce délit d’initié terroriste ! – sur les valeurs de l’assurance, du transport aérien ou de la banque.
Et puis, soudain, plus rien. Les bourses du monde entier ont envoyé aux enquêteurs – qui l’ont parfaitement enregistré – un message sans ambiguïté. Il n’est pas possible, parce qu’il n’est pas souhaitable, de chercher les organisateurs de ces juteuses opérations. Et pourtant, comme l’explique et le démontre Révélation$, le livre de Robert et Backes, c’est faisable, et même facile. Mais pas dans ce monde-ci.

(1) Voir le livre très informé de Philippe Madelin, L’or des dictatures, Fayard, 1993

« Si on retire du circuit l’argent du crime, l’économie mondiale s’effondre »

Le journaliste Denis Robert, coauteur du livre Révélation$, a découvert ce qu’il appelle le  » centre névralgique des finances parallèles « , un établissement de clearing luxembourgeois. Il explique ici les liens entre l’économie officielle et l’argent noir

Il faut lire et même se jeter sur le livre de Denis Robert et Ernest Backes, Révélation$ (Les Arènes, 450 pages, 138 francs). Le premier est journaliste et romancier, et il est devenu l’un des plus acharnés pourfendeurs de la corruption. Le second est un Luxembourgeois, ancien cadre supérieur d’un des plus gros organismes financiers de la planète, le très peu connu Clearstream. Créé en 1970 sous le nom de Cedel, Clearstream est une chambre de compensation qui permet à deux clients – individus, entreprises, banques – d’échanger en toute confiance, et à toute vitesse, fonds et valeurs. Dans le monde entier s’il vous plaît : dans les tuyaux d’un tel monstre, des milliers de milliards de dollars circulent chaque année. C’est la cible parfaite de la taxe Tobin !

Or, expliquent les deux dans leur ouvrage fracassant, un système parfaitement opaque a été caché à l’intérieur de Clearstream, sous la forme de comptes non publiés, attribués même, parfois, à des clients occultes. Clearstream serait devenu, de la sorte, la plus grande lessiveuse de l’argent sale dans le monde. Imparable ? Tout au contraire : les transactions passent dans des tuyaux qu’il serait finalement simple, techniquement, de surveiller. Et il y a encore mieux : la trace du moindre des transferts est conservée sur des microfiches, réalisées en double exemplaire et conservées scrupuleusement. Révélélation$ montre que les Etats, s’ils en avaient la volonté politique, pourraient enfin s’attaquer à l’argent noir. Avis à la coalition antiterroriste.

Politis : Existe-t-il selon vous des liens entre l’affaire de la BCCI et celle de Clearsream, qui est au centre de votre livre Révélation$ ?

Denis Robert : Mais bien entendu ! Nous avons démontré, avec Ernest Backes, que la Cedel, – l’ancien nom de Clearstream -, a permis à la BCCI, qui disposait d’un compte chez elle, d’opérer un mois après sa fermeture légale un véritable détournement de fonds. Et l’on retrouve aujourd’hui les mêmes acteurs que dans l’histoire de la BCCI, car les blanchisseurs d’aujourd’hui, et parmi eux les terroristes, vont évidemment aux systèmes les plus performants en matière d’opacité. Or, Clearstream est probablement un champion du monde en matière d’opacité. On est là au coeur du capitalisme, là où se nouent à la fois spéculation et mondialisation.

Politis : A vous lire, et à vous suivre, Clearstream est le scandale du siècle. Pour le moins !

D.R : Je le crois, parce que j’ai mis le doigt sur le centre névralgique des finances parallèles. Quand je publie les listes de compte, le nom de filiales de banques françaises à Vanuatu ou aux îles Caïman, je brise une sorte d’omerta. Personne ne m’attaque sur le fond du livre. En revanche, on me fait des procès sur des points de forme qui visent à m’intimider et à me faire payer des frais d’avocat. J’attends de vrais procès !
Car j’ai les preuves de ce que j’avance dans mon livre, et notamment la preuve du blanchiment systématique. N’oublions pas que les huit principaux responsables de Clearstream, l’une des plus importantes multinationales de la finance, ont purement et simplement sauté à la suite de la publication de Révélation$. Croyez-moi, faire sauter André Lussi, le patron de Cleartream, qui voit passer chaque année cinquante mille milliards d’euros par an sur ses comptes, c’est plus difficile que de faire sauter Jean-Claude Trichet, le gouverneur de la Banque de France !

Politis : Un tel travail, qui a duré deux ans, n’est sûrement pas simple à mener. Avez-vous été menacé ?

D.R : J’ai été menacé, oui, et j’ai été suivi à plusieurs reprises, mais surtout des témoins importants ont fait l’objet de graves pressions. Depuis la sortie du livre, c’est le rouleau compresseur : 25 avocats, qui ont travaillé 24 heures sur 24 pendant un mois, ont cherché des parades et en ont d’ailleurs trouvé plein.

Politis : Revenons-en au livre. Contrairement à ce que beaucoup pensent, vous affirmez que toutes les transactions laissent des traces et que donc, si une volonté politique existait réellement, on pourrait savoir qui fait quoi ?

D.R : Exactement. Techniquement, des opérateurs de Cleartream scannent les transactions sur des microfiches. Entre 30 et 50 microfiches chaque jour, et sur chacune, 500 pages de format A 4. Il y a deux jeux, l’un caché dans un coffre pour 15 ans, et l’autre qui sert au service Opérations en cas de litige. Les jeux que je me suis procuré proviennent d’un insider, un homme de l’intérieur de la structure. De même, je me suis procuré une liste de comptes d’avril 2000, qui sont tous les comptes ouverts chez Clearstream, dont certains ne sont pas publiés et qui sont à la base de ce système opaque.

Politis : Pourquoi ces informations n’ont-elles jamais percé ?

D.R : Mais beaucoup de journalistes financiers sont purement et simplement à leur solde ! Tous ces types que j’ai cotoyés et parfois filmés au cours de mon enquête, ne posent jamais de questions. Pour eux, le clearing serait un outil de gestion technique, parfaitement neutre, alors qu’il s’agit d’un formidable appareil politique.

Politis : Comme l’était la BCCI ?

D.R : Evidemment. Où est passé l’argent de la banqueroute, les 50 à 100 milliards de dollars qui se sont évaporés ? Si on allait chercher dans les microfiches de 1991, qui dorment au siège de Clearstream, sans doute le saurait-on. Quand on parle avec certains responsables de grandes banques en privé, certains n’hésitent pas à dire : si on retire du circuit l’argent du crime, l’économie mondiale s’effondre.

L’Amérique et ses barbares

Cet article a paru dans Politis en septembre 2001, aussitôt après les attentats de New York

Faudra-t-il rejoindre, toutes bannières déployées, la croisade de George W Bush contre le Mal ? On préférera, pour commencer, ouvrir quelques livres d’histoire et de géographie. Si l’on parlait pour commencer de ce cher Franklin Delano Roosevelt, icône s’il en est de l’Amérique vertueuse ?

En 1939, le futur héros de Pearl Harbor – tiens donc – reçoit en grande pompe à Washington un certain Anastasio Somoza García, général nicaraguayen. Celui-ci fait régner la terreur dans son petit pays, mais il a le grand avantage, aux yeux de Roosevelt, d’avoir fait assassiner cinq ans plus tôt Augusto César Sandino, héros national et surtout ennemi juré des Américains.
Après le départ de Somoza, au cours d’un entretien décontracté avec quelques journalistes bien en cour, on demande à Roosevelt pourquoi il soutient this son of a bitch,  » ce fils de pute « . Le président répond du tac au tac :  » Somoza may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch « ,  » Somoza est peut-être un fils de pute, mais c’est le notre !  » Pour être honnête, la phrase est un peu apocryphe sur les bords, mais elle a nourri l’imaginaire de générations latino-américaines successives, et ce n’est pas par hasard.

L’Empire, sûr de sa force, aime depuis longtemps jouer avec le feu et Oussama Ben Laden on le sait, même s’il s’est singulièrement émancipé depuis, est lui aussi une créature américaine. Quand fut-il recruté par la CIA ? Probablement en 1979, au tout début de la guerre en Afghanistan. Au fait, qui se souvient encore de la banqueroute de la Bank of Credit and Commerce International (BCCI) ? En octobre 1988, en Floride, les hommes de la Drug Enforcement Administration (DEA), c’est-à-dire la police fédérale antidrogue, arrêtent plusieurs responsables de la BCCI, à la suite d’une mise en scène digne de Miami Vice. La banque, dont le propriétaire est soi-dit en passant pakistanais, recyclait sans état d’âme, et par dizaines de millions de dollars, l’argent du cartel colombien de la drogue de Medellín.

Trois ans plus tard, ce qui n’était qu’embrouille régionale devient un scandale planétaire. La BCCI ferme ses portes, laissant un léger trou de 60 milliards de francs. Au passage, on apprend qu’elle entretenait un formidable  » réseau noir  » d’environ 1500 personnes pratiquant à l’échelle mondiale l’extorsion de fonds, le chantage, le kidnapping, le meurtre. Rien de vraiment très étonnant si l’on songe que la banque avait pour clients les principaux barons de la drogue, mais aussi le dictateur panaméen Manuel Noriega – cet agent de la CIA disposait de neuf comptes sur lesquels circulait l’argent de ses propres trafics -, mais encore Abou Nidal, terroriste bien connu, et même un certain Oussama Ben Laden.

Le fâcheux, du moins pour la très scrupuleuse morale occidentale, c’est qu’on apprend également que la CIA avait une influence déterminante dans la véritable direction de la BCCI, et qu’elle utilisait cette étonnante structure pour mener les guerres clandestines qu’elle jugeait utiles à la stabilité du beau pays d’Amérique. Entre autres destinations exotiques, l’argent de la BCCI allait dans les poches des contras du Nicaragua et dans celles des moudjahidin d’Afghanistan. Or, M.Ben Laden était précisément celui que les Américains avaient chargé de distribuer le ravitaillement – armes et dollars – à ces combattants. Vous suivez, on espère.

Papa Bush et son fils W ne doivent pas être complètement ignorants des ressorts profonds de cette superproduction. Le premier parce qu’il fut tout de même – certes, quelques années avant la faillite de la banque – un fringant directeur de la CIA; le second, parce que l’un de ses grands amis, à l’époque où il faisait du business dans le pétrole, s’appelait James R. Bath. Le nom ne vous dit rien, mais c’est un personnage passionnant, probablement agent de la CIA lui-même, et qui finança largement les entreprises du fils Bush. Or Bath a joué un rôle important dans l’histoire de la BCCI et des sources sérieuses lui attribuent même des relations avec Oussama Ben Laden – mais oui ! – et son père.

Vous avez le tournis ? On espère bien. Sous couvert d’anticommunisme, l’Amérique n’a jamais cessé d’empêcher les peuples du Sud, souvent par la force, d’explorer d’autres voies sociales et politiques que celle de la soumission au Nord. Impossible, bien entendu, de tout dire ici, mais quelques unes des belles histoires de l’oncle Sam méritent un rappel. Celle qui suit nous rapproche de l’odeur du pétrole, si chère au coeur de la famille Bush : le 19 août 1953, le Premier ministre iranien Mohammad Mossadegh est renversé à la suite d’un coup d’Etat de la CIA.

Le 4 avril, le bureau de l’agence à Téhéran avait reçu de sa maison-mère l’ordre de  » faire tomber Mossadegh par n’importe quel moyen « . Cet ennemi de l’homme avait il est vrai décidé la nationalisation du pétrole iranien. Pensez ! Rien n’interdit de réfléchir aux liens souterrains entre ce coup d’Etat, l’un des événements-clés de l’histoire moderne de la région, et l’apparition quarante ans plus tard, sur la scène du terrorisme, d’un certain Ben Laden. On voulait le pétrole, on eut Reza Pahlavi, ce shah qui détestait son peuple et adorait l’Occident. On voulait le pétrole, et l’on eut pour finir Khomeiny, et sa suite.

Pas question non plus de bouger dans l’arrière-cour américaine, on s’en doute. En 1954, la CIA fomente un coup d’Etat au Guatemala contre le colonel Jacobo Arbenz, pourtant élu au suffrage universel – une rareté sous ces latitudes – en 1951. Cet audacieux voulait lancer, au pays de la United Fruit et des latifundiaires, une réforme agraire ! Archétype des interventions impériales en Amérique Latine – faut-il égréner la liste, de Saint-Domingue au Chili, du Brésil à l’Argentine, de l’Uruguay à Cuba ? -, ce putsch marqua l’entrée dans quarante années de guerre civile et de massacres d’Indiens. La liberté avant tout.

La même année – 1954 -, les services américains placent à la tête du Sud-Vietnam une de leurs marionnettes, Ngo Dinh Diem, fervent anticommuniste, grand catholique, immense trafiquant de drogue. Il tient jusqu’au 1er novembre 1963, date de son assassinat par des satrapes aux ordres de Washington. Ce fut le grand début de la guerre américaine, qui verra un pays  » civilisé  » écraser sous des milliers de tonnes de bombes au napalm un peuple de petits paysans. Au nord, les bombardiers de la démocratie tenteront même de détruire les digues du Fleuve rouge, afin de noyer Hanoï. L’Occident parle beaucoup des 58 000 morts américains de la guerre, presque jamais des millions de sacrifiés vietnamiens, en grande majorité civils. Et qui pleure les mutilés, et les centaines de milliers de survivants bancroches de la dioxine, nom véritable du fameux agent orange ?

Autre belle initiative en 1965, toujours en Asie. L’année précédente, le président Achmed Sukarno, un fichu personnage, avait décidé d’envoyer  » au diable  » l’aide américaine. Dans les campagnes surpeuplées, les paysans lançaient sans plus attendre une réforme agraire radicale, cent fois repoussée. Le 30 septembre 1965 – la surprise n’est pas bien grande, n’est-ce pas ? -, l’armée lance un coup d’Etat, soigneusement planifié par la CIA, qui fournit obligeamment de longues listes de  » suspects communistes « . 500 000 d’entre eux, peut-être un million, sont assassinés, et beaucoup d’autres croupiront en prison des dizaines d’années. Mais voyez le sort enviable de l’Indonésie d’aujourd’hui, menacée par le chaos et l’implosion généralisée !

Même en Afrique, chasse gardée européenne, les Américains, inlassables chevaliers blancs, retroussèrent leurs manches. Après avoir recruté au Congo un certain Joseph Désiré Mobutu, la CIA lui organise sur mesure un premier coup d’Etat, le 14 septembre 1960, à peine trois mois après l’indépendance. Patrice Lumumba, un naïf qui croyait au panafricanisme et à la liberté, est arrêté. Après bien des péripéties, il sera finalement découpé en morceaux et dissous dans l’acide, en janvier 1961. Le Congo, devenu le Zaïre puis la République démocratique du Congo, est dès lors entre de bonnes mains. Place au business, place au pillage de l’uranium – décisif pour les bombes atomiques américaines – du cobalt, du tungstène du cuivre, sans oublier l’or et les diamants. Le petit peuple de Kin, la capitale, n’aura droit qu’aux miettes, puis au sida, et enfin à la guerre. Mais quel rapport avec l’Amérique ?

C’est toute une génération politique, dans le monde entier, qui fut ainsi pourchassée et détruite. Certes, très influencée par l’Union soviétique stalinienne, elle n’annonçait pas nécessairement – il s’en faut de beaucoup – le bonheur des peuples. Mais ce que visait l’Amérique, bien avant le communisme, c’était la révolte contre le Nord et ses privilèges.
Or la révolte grondait, bel et bien. Du 3 au 15 janvier 1966, se réunissait à La Havane la Conférence de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine, plus connue sous le nom de Tricontinentale. Le Sud allait-il s’unir, les pauvres allaient-il enfin relever la tête ?

On connaît la fin de l’histoire : dès 1965, le Marocain Ben Barka, l’un des responsables de la Tricontinentale, avait été enlevé, puis assassiné par des sbires de Hassan II conseillés de fort près par la CIA. En octobre 1967, ce serait au tour d’Ernesto Guevara d’être abattu par des soldats boliviens entourés d’hommes de la CIA. Encore et toujours elle : une litanie.
C’est de cette manière que se referma le couvercle. La décolonisation ne serait pas l’émancipation, ni la révolution. La politique américaine, en massacrant les peuples et en décimant leurs élites, préparait le terrain, sans le savoir, à de tout autres oppositions. Les adversaires, islamistes en tête, qui ont surgi des décombres n’ont plus rien à voir avec les révolutionnaires – beaucoup étaient des humanistes – de ces années-là. A qui la faute ? Disons que la question mérite d’être posée.

Au mois d’août dernier, ce qui n’est pas si vieux, 15 documents officiels américains sont déclassifiés, et publiés. On y découvre que M. Clinton et ses services savaient parfaitement, dès avril 1994, que le régime rwandais allait massacrer des centaines de milliers d’innocents (1). Dans un texte d’une rare élégance, le Pentagone – oui, celui-là – mettait en garde contre l’utilisation publique du mot génocide. Pourquoi ? Parce qu’alors l’ONU – et donc l’Amérique -, serait ensuite obligée d’intervenir militairement contre les assassins. Les terroristes de New York, qui ont tué des milliers de personnes, sont des barbares. Mais ils ne sont pas les seuls.

(1) On se doute bien que la France de M.Mitterrand était encore bien mieux placée pour tout savoir, et tout arrêter, éventuellement. Mais c’est une autre histoire.

L’affaire Daeninckx

Je vous dois une courte explication. Ce long article a paru dans Politis 659, le 12 juillet 2001. Et il est l’un des rares à sortir du cadre de la crise écologique dans le site que j’ai créé fin août 2007, Planète sans visa. Pourquoi ? Parce que Didier Daeninckx ne renonce jamais. Sur son site Amnistia.net figure toujours une attaque absurde contre ma personne et le travail que j’ai eu l’honneur de faire en 2001 dans le journal Politis. Les quelques lecteurs que cela intéresse constateront que Didier Daeninckx ne prend pas le risque de reproduire l’objet de sa grande colère contre moi. Il m’a semblé que ce texte devait être disponible, pour que toute personne de bonne foi puisse former son jugement sur les habitudes extra-littéraires du romancier. Le texte en gras ci-dessous – ce qu’on appelle dans le jargon un chapeau – présente le dossier de juillet 2001. Viennent ensuite les articles qui le composent.

N’hésitant pas à employer le mensonge, la calomnie, d’effarants syllogismes, le romancier Didier Daenincks mène depuis cinq ans une offensive contre des militants connus de la gauche. Il les accuse tout bonnement de faire partie d’un complot négationniste ! Histoire d’un délire. Ou comment un écrivain organise des procès de Moscou à Paris.

On est là, à Aubervilliers, dans le bureau de Didier Daeninckx, sous son toit. Il fait terriblement chaud. Terriblement.  » Hervé Delouche m’a floué, dit-il. Il a basculé très vite du côté de Quadruppani, et ça, je n’ai pas compris. Et puis un jour, il a fini par me dire que lui aussi, il avait fréquenté ces milieux-là, les négationnistes. Si au moins il était venu me voir en me disant : « Voilà, j’ai fait une connerie » ! Mais non, il avait noué des relations qu’il m’avait cachées.  »

Cacher quelque chose au romancier Didier Daeninckx coûte très cher, et le journaliste Hervé Delouche, un homme fragile pour qui l’affectif – et l’affection – compte beaucoup, a payé le prix lourd en plongeant dans la dépression. C’est que Delouche, pendant des années, a été un ami, un intime de Daeninckx : les familles se fréquentaient, et passaient même des vacances ensemble. Mais en janvier 1996, Daeninckx apprend que les éditions La Baleine s’apprêtent à sortir un livre de l’ancien militant d’ultragauche Gilles Dauvé dans sa fameuse collection  » libertaire  » Le Poulpe.

Or Dauvé, selon Daeninckx, est un négationniste de longue date, un vieux complice de Robert Faurisson, l’ami des nazis. Daeninckx menace aussitôt La Baleine de retirer un manuscrit qu’il a déposé chez elle. Et voilà que Serge Quadruppani, auteur de polar lui aussi, prend la défense de Dauvé, qui fut son camarade. Tel est le point de départ d’une croisade de plus de cinq années : Dauvé, Quadruppani, et leurs innombrables complices vont devoir rendre gorge.

Pour Delouche, c’est la descente aux enfers. Il était un frère ou presque, il devient le traître. Dans un premier temps, Daeninckx se  » contente  » d’exhumer une revue confidentielle dont Delouche s’est occupé en 1980, lorsqu’il avait une vingtaine d’années, Magazine. Tout s’éclaire ! Ses pages, écrit-il  » font la part belle à l’écrivain d’extrême-droite Ernst Von Salomon (…) au théoricien de la Nouvelle Droite française Alain de Benoist et à son homologue italien Freda (1) « . Mais il s’agit d’un flagrant délit de mensonge, de montage, de trucage. Outre que Delouche ne signe aucun des articles incriminés, ceux-ci disent très exactement le contraire de ce que prétend Daeninckx !

Celui sur Alain de Benoist proteste  » contre cette remontée des courants idéologiques droitistes et néocapitalistes (parmi lesquels la Nouvelle Droite « . Cet autre, qui contiendrait une  » critique complaisante  » d’un livre de Freda, est en fait une dénonciation de  » l’ultradroite radicale « . La technique de Daeninckx n’est que trop claire : un coup de ciseau, un coup de stabylo pour sortir de leur contexte quelques bouts de phrase, et Delouche, qui milite à l’extrême-gauche depuis plus de vingt-cinq ans, devient un fasciste d’autant plus dangereux qu’il est camouflé.

La suite est pire et ne laisse place au moindre doute : Daeninckx,  » floué « , veut détruire celui qui fut si proche. Rencontrant Gérard Delteil, autre écrivain de polar, il lui confie sans hésiter :  » Delouche est un flic ! Et d’ailleurs, qui lui a payé son appartement ?  » La rumeur gagne et enfle, mais Javert n’en a pas encore fini. Sur le site Internet qu’il a créé (amnistia.net), Daeninckx accuse Delouche, à mots à peine couverts, d’avoir joué un rôle des plus troubles dans l’assassinat en 1988, à Paris, de la militante anti-apartheid Dulcie September !

Sur quelle base ? Voici : au début des années 90, Delouche est secrétaire de rédaction d’un journal d’enquêtes, J’accuse, auquel, par parenthèse, Daeninckx collabore. Une journaliste sud-africaine, Evelyn Groenink, vient proposer un article sur l’assassinat de September, qui met en cause les services français. J’accuse lui paie une avance, semble sur le point de publier son travail, puis hésite, puis refuse, estimant qu’elle ne dispose pas de preuves suffisantes. Amère, Groenink écrira en janvier 1998 un article dans un journal sud-africain où elle attaque Delouche, mais aussi Jacques de Bonis et Michel Briganti, les responsables de J’accuse.

Elle ne se demande pas pourquoi aucun journal dans le monde n’a repris ses informations, non. Elle écrit :  » Au fait, n’est-il pas typique des services secrets de monter un journal qui enquête sur les services secrets ? Peut-être suis-je devenue complètement paranoïaque.  » Voilà bien une question que ne se pose pas Daeninckx. Delouche l’infâme est un complice des tueurs parce que son journal n’a pas apprécié le travail d’une journaliste.

Et parce que, ne l’oublions pas, il n’a pas voulu accabler Serge Quadruppani. Le fond du dossier contre ce dernier est un mélange insupportable de petits faits vrais et d’énormités mensongères. Certes, Quadruppani a fréquenté dans les années 70 Pierre Guillaume, vieux militant d’ultragauche qui sombrera plus tard, sur fond de négation des chambres à gaz, dans l’antisémitisme le plus abject. Certes, une partie des militants qui l’entouraient alors éditèrent à la fin de ces années-là un journal confidentiel et nauséabond, La Guerre Sociale, aux relents en effet négationnistes.

Daeninckx, qui croit tenir sa proie, l’accuse d’en être l’un des piliers, mais c’est faux : Quadruppani n’a jamais appartenu à La Guerre Sociale. Dans un autre journal dont il s’occupe au même moment, La Banquise, Faurisson est en réalité décrété  » indéfendable « . Mais il faut ajouter que Quadruppani manie aussi, pendant quelque temps, de douteux paradoxes qui lui vaudront une sèche mise en cause de Pierre Vidal-Naquet, en 1983, pour  » discret révisionnisme « .  » Avec le recul, reconnaît Quadruppani, il est certain que j’aurais dû rompre plus tôt avec Guillaume. Nous pensions, et c’était une énorme connerie, que ce n’était pas la question de l’existence des chambres à gaz qui était un problème, mais bien l’extermination de masse. Nous nous sommes trompés, et nous l’avons dit, et écrit.  »

Ecrit ? Oui. En juin 1996, en réponse aux premières attaques de Daeninckx, Quadruppani et Dauvé publient une brochure, préfacée par Gilles Perrault, au titre explicite :  » Libertaires et ultragauche contre le négationnisme « . Ce pourrait être l’apaisement, c’est le déchaînement. Au fil des mois et des années, dans un crescendo angoissant, Daeninckx accusera, à l’aide d’insinuations et d’effarants syllogismes, Quadruppani d’être un agent de la DST, de faire l’apologie de la pédophilie, sous-entendra qu’il a des liens avec des petites frappes nazies et en effet pédophiles, comme Michel Caignet. Rien ne l’arrête, pas davantage une pétition signée en 1997 par Vidal-Naquet, Gilles Perrault, Maurice Rajsfus, Pierre-André Taguieff, et bien d’autres, cette fois en faveur de Quadruppani, et qui souligne notamment :  » Nous connaissons assez Serge Quadruppani, par ses écrits ou personnellement (…) pour estimer inacceptable qu’on lui applique aujourd’hui une étiquette de  » négationniste « .

Daeninckx tente même d’obtenir contre Quadruppani une interdiction professionnelle de fait. Auteur de polar on l’a dit, et directeur littéraire, Quadruppani est écarté, grâce à des manoeuvres, des festivals de Saint-Malo, Granville, Aubervilliers; on lui refuse une résidence d’auteur à Vienne, etc.  » Il existe tout un réseau, explique sans état d’âme Daeninckx aujourd’hui, un réseau de gens qui se connaissent depuis de très longues années, et dans lequel se retrouvent, j’en suis sûr, au moins Quadruppani, son ami Dauvé et Gilles Perrault.  »
Perrault ? Mais bien entendu ! L’auteur de L’orchestre rouge n’a-t-il pas signé la préface de la brochure de Quadruppani ? De juin 1996 jusqu’à ces tout derniers jours, Daeninckx mène une enquête terrifiante sur ce qu’il appelle  » l’icône de la gauche radicale « . On ne peut que résumer ici les étapes d’une construction géante qui figure en partie dans un pamphlet qu’il lui a consacé (2).

Perrault, qui fut un jeune homme de droite, s’est engagé pendant la guerre d’Algérie dans les parachutistes. Il tire de cette expérience un livre paru en 1961, Les Parachutistes. Daeninckx :  » Ce livre est une horreur absolue, qui justifie la torture et le viol des femmes algériennes  » Perrault :  » Si c’était vrai, il faudrait expliquer pourquoi Le Seuil, une maison d’édition plastiquée à l’époque par l’OAS, l’a publié ! Mon livre a reçu le prix Aujourd’hui, décerné par des directeurs de journaux, dont nombre étaient d’anciens résistants.  »

Pour Daeninckx, ce livre est pourtant une pierre angulaire, preuve irréfragable que Perrault est un homme d’extrême droite. Tout s’enchaîne à la suite, dans ce qu’il faut appeler par son nom : un délire, dont le site amnistia.net offre des développements stupéfiants. Le livre L’orchestre rouge, bréviaire pourtant de générations entières de militants de gauche et d’extrême-gauche ? Une savante opération de la DST, menée par le seul vrai mentor – et marionnettiste – de Perrault, le maître-espion Constantin Melnik, ancien chef des services secrets français ! De proche en proche, Perrault apparaît dans toute son horrible lumière : il fut l’ami dans les années 60 de Jean-François Steiner, auteur d’un Treblinka – du nom d’un camp de la mort nazi – que Daeninckx considère comme une entreprise souterraine de banalisation du nazisme, un précurseur du négationnisme. Seul problème : à sa sortie en 1966, le livre, qui obtiendra le Grand Prix de la Résistance, est salué par toute la critique, y compris communiste ! Et qui le préface ? Simone de Beauvoir !

Pour Daeninckx, ce n’est qu’une preuve de plus de la malignité du réseau. D’ailleurs, Steiner n’a-t-il pas témoigné en 1997 en faveur de Papon au moment de son procès ? Si Perrault connaît Steiner, et que Steiner défend Papon, n’est-ce pas la démonstration éclatante que Perrault a partie liée avec l’ancien Waffen-SS François Brigneau et les chefs de la DST, lesquels pourraient avoir commandité l’assassinat du militant internationaliste Henri Curiel en 1978, auquel, comme par hasard, il a consacré une biographie ? A peine exagérée – si peu vraiment -, voilà en quoi consiste la méthode du commissaire Daeninckx.  » Si Perrault était venu me voir, affirme-t-il sans rire, pour me dire : j’ai travaillé pour la Dst, mais maintenant je veux participier à la lutte antifasciste, j’aurais dit : pas de problème !  »

C’est sans doute pourquoi, parachevant son oeuvre, Daeninckx va jusqu’à traquer la soi-disant homosexualité de Perrault. Dans un chapitre de son livre, Le goût de la vérité, il atteint à l’ignoble, faisant  » l’analyse  » d’un roman de ce dernier, Dossier 51, où  » la fiction balise au plus près les aveux les plus terribles « . Pas les aveux d’Auphal, le personnage de cette fiction, mais ceux de Perrault, suggère Daeninckx de mille façons. Auphal, homo refoulé, tombe à cause de cela dans le piège d’un espion, et le devient lui-même. CQFD. L’ombre de l’espion Constantin Melnik, une fois de plus, plane sur ce méli-mélo sans nom.

Est-il bien étonnant, dans ces conditions, que tout le monde ne marche pas ? Maurice Rajsfus, inlassable militant antifasciste, dont la famille a été exterminée à Auschwitz, dirigeant pendant de longues années du réseau Ras Le Front :  » Fin mai 1996, j’apprends que Daeninckx a dit à Gérard Delteil, au cours d’une conversation : « Rajsfus a intérêt à fermer sa gueule, parce qu’il y a vingt ans, il a fricoté avec les gars de la Guerre Sociale ». Autrement dit, avec des négationnistes ! Quelque temps plus tard, et je ne le regrette pas, j’ai dit dans une conférence de presse que si Daeninckx était là, à répéter ces saloperies, il ne sortirait pas indemne de la salle. Ses méthodes sont celles du Guépéou. Un tel qui a connu un tel qui a connu un tel est coupable. Avec ça, chez ses amis staliniens, on avait droit à une balle dans la nuque ou au goulag. Assez !  »

Thierry Jonquet a lui aussi de bonnes raisons d’en avoir marre. Ce romancier reconnu, membre pendant vingt ans de la Ligue communiste, antifasciste de toujours, est appelé en urgence par Daeninckx un jour de 1997.  » Il me dit : « Delouche est dans le coup, c’est grave, je t’envoie les documents ». Je les reçois, les lis, tombe sur le cul, et le rappelle en lui disant : « Didier, tu perds la boule ! ». Mais il insiste, exigeant de moi que je prenne position au point que je raccroche en lui disant : « Je t’emmerde ! »  »

Funeste, très funeste réplique. Pourquoi Jonquet se refuse-t-il à admettre l’évidence d’un vaste complot négationniste ? N’en ferait-il pas lui-même partie ? Le 19 juillet 2 000, il fait une entrée spectaculaire sur le site Internet de Daeninckx, dans la redoutable rubrique  » Menaces fascistes « . Quel crime a commis Jonquet ? Celui d’avoir publié un livre qui a fort déplu à l’imprécateur, Jours tranquilles à Belleville (Méréal), dans lequel est abordé le thème de l’insécurité dans un quartier populaire.

 » La campagne de Daeninckx contre moi va loin, note Jonquet. Je ne peux plus aller dans une librairie de province, pour une signature, sans qu’on vienne me dire : « Mais pourquoi soutenez-vous les négationnistes ? ». Il y a quelque temps, invité à l’Institut français d’Athènes, je suis même tombé sur un professeur grec qui m’a dit : « Vous n’êtes pas clair avec les négationnistes » !  »

Selon des sources proches de Didier Daeninckx, lui et sa petite équipe de policiers prépareraient une enquête dont on n’ose imaginer le résultat sur Pierre Vidal-Naquet, le Juste. Dans l’atroce et crépusculaire roman noir qu’est le monde selon Daeninckx, chacun porte donc un masque. On a reconnu le sien : c’est celui du procureur Andreï Ianouarievitch Vychinski. Didier Daeninckx se croit à Moscou, en 1937. Son pistolet Nagant à lui, c’est la phrase qui tue.

(1) Didier Daeninckx, Le Goût de la vérité, Verdier, 1997
(2) Le Goût de la vérité

Contre l’assassinat moral

Ne nous y trompons pas, l’affaire Daeninckx est très grave. Depuis plus de cinq ans, sans jamais rencontrer une véritable opposition, ce romancier longtemps membre du parti communiste français – dont il est resté proche -, tente d’assassiner moralement des gens parfaitement respectables, dont une particularité saute aux yeux : ils sont tous de gauche ou d’extrême-gauche. Daeninckx prétend que Gilles Perrault, Serge Quadruppani, Hervé Delouche, Thierry Jonquet, Maurice Rajsfus et quelques autres sont, à des degrés divers, impliqués dans une épouvantable conspiration négationniste.

A l’en croire, les trois premiers seraient purement et simplement des agents des services français, policiers ou espions, qui cacheraient leurs idées d’extrême-droite sous des déguisements antifascistes. Quand Daenincks a-t-il dérapé ? Nous ne le savons pas. En 1993, il avait été à l’origine de la révélation, essentiellement dans Le Monde , de liens honteux entre quelques militants communistes et des cercles d’extrême droite. Fustigeant avec raison ces rouges-bruns, il avait néanmoins surpris certains militants antifascistes par ses raccourcis et ses exagérations, décrivant un vaste complot là où il n’y avait que dérive – infâme – de quelques individus.

Dans l’affaire qui nous occupe, et qui menace à tout instant de tourner à l’affrontement tant la colère d’une partie des victimes de Daeninckx est grande, il est bien entendu hors de question d’être neutre. Politis, dénonce des méthodes qui mêlent tous les grands classiques de la manipulation et du trucage : le mensonge quand c’est nécessaire; l’amalgame, le syllogisme, l’insinuation et la calomnie à chaque page ou presque de l’abracadabrantesque réquisitoire d’un écrivain devenu procureur.

Où sont donc ses preuves ? Il n’y en a aucune. Et quel serait le but de militants qui n’ont cessé, depuis des décennies, de soutenir toutes les causes de la gauche, y compris la plus radicale ? De se découvrir brutalement, le jour J, et d’appeler à rejoindre le combat de leur seul véritable allié, le nazi Robert Faurisson ? En d’autres circonstances, le délire – oui, il faut employer ce mot – de Didier Daeninckx aurait pu faire hurler de rire.

Mais des hommes qui n’ont à rougir de rien ont gravement souffert, moralement, d’être ainsi mis en cause. Mais un Delouche, mais un Quadruppani, mais un Jonquet rencontrent constamment dans le milieu du polar et de l’édition dont ils dépendent pour vivre des difficultés et des désagréments. Car Daeninckx, qui ne compte ni son temps ni sa peine, fait son possible pour les isoler, voire les empêcher de travailler.

Au-delà, ses folles accusations ont semé un trouble redoutable à l’intérieur même de l’association Ras Le Front, pourtant constituée pour lutter contre le fascisme, le vrai. Des départs ont eu lieu, d’innombrables bruits ont circulé, d’anciens amis et camarades ne se parlent plus. A cause de Daeninckx.

Celui-ci n’est nullement isolé. Malgré ses campagnes, il garde l’oreille de nombreux refondateurs du PCF, et de Robert Hue; de militants de premier plan de la Gauche Socialiste; de responsables du Mrap. Et beaucoup de journaux le considèrent, sans jamais être allés au fond de ses prises de position, comme le chevalier blanc de l’antifascisme. Il est temps, largement temps de stopper cette terrible mécanique qui, à l’instar des procès staliniens, entend découvrir ses pires ennemis au beau milieu de ses meilleurs amis.

Comment et pourquoi la gauche et le mouvement social ont-ils pu tolérer si longtemps ces procès de Moscou à Paris ? La question mérite d’être posée, et largement débattue. Quoi qu’il en soit, nous en prenons l’engagement, nous ne laisserons plus Didier Daeninckx dire et écrire n’importe quoi sans réagir. Et nous appelons solennellement tous ceux qui savent encore faire la différence entre la discussion publique et la calomnie à en faire autant. Stop !

Est-il enfin allé trop loin ?

Les victimes de Daeninckx sont cette fois décidées à réagir, y compris sur le plan judiciaire. D’autres  » négationnistes  » et  » pédophiles  » se sont ajoutés à la liste de la calomnie ces dernières semaines, dont Guy Dardel, directeur de la radio Fréquence Paris Plurielle, très engagée à gauche. Divers proches de Daeninkx, dont l’écrivain Fajardie dans un fax adressé à un éditeur, l’ont ainsi traité, sans seulement trouver un prétexte, de nazi et de pédophile.

Le 15 juin dernier, un groupe composé d’amis de Dardel, Rajsfus, Perraultn Quadruppani, Delouche, Jonquet et autres, a tenté de demander des comptes à Didier Daenincks au cours d’un festival du polar qui se déroulait à la Bastille. Des coups ont été échangés, mais aucun qui ait visé ou atteint Daeninckx, qui prétend avoir été agressé par un véritable commando.
Le climat actuel ne peut de toute façon que dégénérer, d’autant plus que Didier Daeninckx a franchi un pas supplémentaire en accusant Gilles Perrault, au cours d’une réunion avec le Syndicat de la magistrature, d’être derrière une vaste entreprise de  » libération de la parole antisémite  » orchestrée par la DST !

Gilles Perrault n’entend pas en rester là :  » J’ignore ce que fera la DST, accusée de commanditer une entreprise de  » libération de la parole antisémite « . En ce qui me concerne, j’ai transmis le dossier de cette lamentable affaire à mon conseil, maître Daniel Soulez Larivière. «