Conseils pour se saouler la gueule et boire un café

Paru dans Charlie y a pas longtemps

Mes amis soulographes, c’est la fête. Je me demande parfois combien d’hectolitres de vin rouge j’ai déjà ingurgités dans ma vie. Et je me souviens avec attendrissement du Mogana de ma jeunesse, quand je travaillais comme apprenti-chaudronnier à Montreuil. Le Mogana était un tueur en série qui titrait peut-être 13 degrés, et qui assommait d’un coup sec juste au moment où il fallait écraser son clope et aider le vieux polisseur Socrate – je n’invente rien, il était Macédonien – à passer un comptoir en cuivre rouge au blanc d’Espagne.

C’est la fête, car une étude réalisée par trois savants – Olivier Gerbaud, Magalie Delmas et Jinghui Lim, publiée dans la revue Journal of Wine Economics (1) montre que les vins bios ont bien meilleur goût que ceux enrichis aux pesticides. Les auteurs ont travaillé sur une méta-analyse de 74 148 vins – conventionnels comme bio – produits en Californie entre 1998 et 2009. Au travers de notes de qualité parues dans trois revues à peu près indiscutables, Wine Advocate, Wine Spectator, et The Wine Enthusiast.

Sur une échelle de 50 à 100, les vins bio obtiennent en moyenne une note supérieure de 4 points. Le drame est que la majorité des vignerons californiens bio reproduisent eux-mêmes les préjugés sur leur propre méthode et préfèrent ne pas afficher de label sur leurs étiquettes. Car voilà bien le fond de l’affaire : les soi-disant esthètes du vin vont répétant depuis de longues années que le vin bio est forcément une piquette, et qu’un un bon vieux bordeaux au bromophos vaut mieux qu’un vin élevé en biodynamie.

En France, le vignoble ne représente que moins de 4% de la surface agricole, mais consomme 20% des pesticides. Tout est donc pourave, sauf qu’une évaluation préliminaire portant sur les notes du Gault et Millau indique la même tendance chez nous qu’en Californie. Buvons du vin bio, jusqu’à l’ivresse, car il est bon, et oublions Emmanuel Macron.

D’un autre côté, le café se fait la malle. Ce n’est pas le moment que je raconte la récolte du café au-dessus de Matagalpa, avec mon copain Mogens, quand on se tapait du riz et des frijoles dès 5 heures du matin. Quand le fruit est prêt à être cueilli au bout des longs doigts des branches, c’est une drupe, les amis. Une sorte d’olive rouge qu’il faut caresser comme on le ferait d’une joue, car autrement, on nique la récolte suivante en torturant les rameaux et branchettes. Je m’égare.

Le café. Une étude infernale du Climate Institute australien assure que d’ici 2050 – les vieux s’en foutent, c’est vrai – la production de café pourrait être divisée par deux. À cause de l’augmentation de la température et de l’apparition de nouveaux ravageurs des récoltes, comme les champignons. Notez que c’est déjà la merde partout. La rouille du caféier a foutu au chômage 350 000 paysans d’Amérique centrale en 2012. En Colombie, le même champignon a été découvert dans les montagnes où pousse le café, là où il ne pouvait survivre auparavant. En Afrique, le scolyte des grains de café – un coléoptère vorace – ne cesse de gagner du terrain en Tanzanie, où 2,4 millions de paysans vivent du caoua. Et il est retrouvé sur le Kilimandjaro, 300 mètres plus haut qu’il y a un siècle.

Ce n’est pas fini, car l’étude australienne prévoit même qu’en 2080, il pourrait bien ne plus y avoir de café du tout. Du moins dans ses territoires actuels. Les 120 millions d’humains qui dépendent du café pour vivre n’auront qu’à passer au pop corn. Un conseil d’ami : tenter le Grand Ouest français. On trouve des maisons à bon prix au cap Sizun, près de la pointe du Raz, et c’est un bel endroit pour se saouler. Ceux qui seront encore là dans 60 ans – moi le premier – peuvent espérer y cultiver leur pif et leur café (disons sur les monts d’Arrée). Garanti sur facture.

(1) Does Organic Wine taste better? An Analysis of Experts’ Ratings.

En Équateur, les Indiens se noient dans le pétrole

Paru dans Charlie y a pas si longtemps

Soit Rafael Correa, président de l’Équateur et grand pote de l’écologiste Mélenchon. Il vient de lancer des forages pétroliers dans un parc national où vivaient jusque-là, tant bien que mal, des Indiens Huaorani. La mort des Fils du jaguar est au programme.

L’Équateur. Reconnaissons qu’on ne sait pas où c’est, et apprenons. C’est un pays d’Amérique du Sud, moitié moins grand que la France, avec une partie le long du Pacifique, une deuxième dans les Andes et une troisième en forêt tropicale amazonienne. Avec environ 45 % de métis – la famille du président en place Correa -, 10 % de noirs et de mulâtres, 15 % de blancs d’origine espagnole et européenne, 30 % d’Indiens. Avant d’expliquer pourquoi et comment les Indiens se font enfler une fois encore, il faut et il convient de parler del presidente.

En 2006, surprenant le monde, Rafael Correa devient président, à la tête d’une coalition mêlant gauche et extrême gauche, chrétiens et cathos proches de la « théologie de la libération », écologistes et mouvement indigéniste. Il est depuis au pouvoir après une troisième élection confortable en 2013. Il est aussi le héros nouveau de Jean-Luc Mélenchon, notre jefe à nous. Hugo Rafael Chávez Frías, le Vénézuélien, a cassé sa pipe en 2013 et sa pâle copie Maduro a aussitôt plongé le pays dans une crise historique. D’où Correa, un mec impeccable, qui ne cesse de parler de « révolution citoyenne », expression que Mélenchon reprend partout où il passe.

Correa est également, et tout comme Mélenchon, un écologiste virulent. La preuve par les Yasuni, mais il va falloir résumer, accrochez-vous au bastingage. En 2007, Correa propose de ne pas exploiter le pétrole planqué sous le parc national Yasuni – où vivent notamment des Indiens Huaorani -. en échange d’une contribution mondiale équivalant à la moitié de ce que le pétrole pourrait rapporter. Soit 3,6 milliards de dollars. Mais seulement 13 millions sont vraiment trouvés, et 116 millions promis. C’était loin d’être con : si le Nord cousu d’or souhaite lutter contre le dérèglement climatique, il peut et doit payer la note de la non-exploitation. Mais c’est ensuite que tout s’est gâté.

Le fric n’arrivant pas, Correa trépigne. En 2013, il déclare : « Le monde nous a lâchés », et obtient de son Parlement un vote autorisant les forages dans le parc Yasuni, réserve de biosphère de l’Unesco. Que crèvent donc les 696 espèces d’oiseaux, les 2 274 d’arbres, les 382 de poissons, les 169 de mammifères. Et voilà qu’on apprend ces derniers jours que les travaux ont finalement commencé. Commentaire avisé du crétin vice-président de l’Équateur, Jorge Glas, présent sur place : « Ici se trouve la nouvelle richesse du pays, nous battrons le record national de production pétrolière ».

Tête des Indiens Huaorani, dont une partie continue de refuser le contact avec notre monde et ses verroteries et maintient des traditions de nomadisme, de chasse et de cueillette. Au total, le peuple Huaorani ne compterait plus que 2 400 membres, mais il s’est toujours battu pour ses droits et son territoire, obtenant in extremis en 1990 la propriété collective de 6 125,6 km² de forêt primaire. Cette dernière est pour eux un foyer, lieu de tous les commencements, Grand Protecteur par excellence. Les Huaorani, profondément attachés à leur cosmogonie, se voient comme des fils du jaguar (1) : comment pourraient-ils admettre les engins, les machines, les routes, la destruction de leur monde ?

Ailleurs en Équateur, les Indiens kichwa du village de Sarayaku savent ce qui attend les Huaorani, car les transnationales du pétrole sont à l’œuvre chez eux depuis près de trente ans. Ainsi qu’on se doute, c’est la désolation, faite de routes et de déforestation, de puits de pompage dont s’échappent chaque jour des millions de litres de déchets toxiques non traités.

Ce que révèle une fois de plus l’affaire de Yasuni, c’est l’incapacité de la gauche dite radicale à respecter ceux qui ne veulent pas monter à bord, en route vers le progrès radieux. Quant à la crise climatique, rions plutôt. Le Venezuela chaviste entend bien exploiter les sables bitumineux de l’Orénoque, et Correa détruire à jamais l’Amazonie équatorienne à l’aide désintéressée des transnationales du pétrole. On attend d’une seconde à l’autre un appel de Mélenchon en faveur des Huaorani.

Ces « écologistes » qui flinguent les peuples

Paru dans Charlie y a pas longtemps

Le WWF et deux autres structures du même genre sont accusés par l’ONU de préférer la « protection » des réserves à la protection des humains. Patron du WWF en France ? Un ancien ministre de Hollande, Pascal Canfin.

Franchement, les boules. Je ne savais pas qu’il existe un Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des populations autochtones. En l’occurrence, une : Victoria Tauli-Corpuz. Cette fille appartient à un peuple des Philippines qu’on appelle Igorot, et c’est une combattante. Elle a notamment aidé des paysans pauvres, du temps de ce salaud de Ferdinand Marcos, à bagarrer contre un projet de barrage sur la rivière Chico, finalement abandonné en 1980.

Si je parle de cela, c’est que Tauli-Corpuz est une véritable écologiste, ce qui donne tout son sens à ce qui suit. Un congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) vient de s’achever à Hawaï et la dame en a profité pour lâcher une bombe : d’importantes associations de protection de la nature violent allègrement les droits des peuples autochtones et soutiennent divers projets qui aboutissent à chasser de leurs terres ancestrales des populations pauvres. Qui finissent – c’est moi qui le précise – au bordel ou dans les bidonvilles. Tout cela, bien entendu, au nom de la protection des écosystèmes.

Tauli-Corpuz n’a cité aucun nom au cours de son intervention, mais a confié en marge qu’elle visait dans son rapport à l’ONU, non encore publié, trois grandes boutiques : Wildlife Conservation Society (WCS), Conservation International (CI) et le WWF. L’affaire n’est pas exactement nouvelle, et j’en ai déjà parlé ici, mais il faut y revenir. En 2004, la prestigieuse revue américaine WorldWatch publiait un article renversant (1), sous le titre : « Un défi pour les conservationnistes ».

L’auteur, Mac Chapin, y montrait ce que sont devenues les grands business de la protection de la nature, dont le WWF et Conservation International. Si le mot business s’impose, c’est que ces transnationales brassent des centaines de millions d’euros par an, et qu’elles sont cul et chemise avec la grande industrie et les États les plus corrompus de la planète. Leurs pontes, payés dans les 400 à 500 000 euros par an, vivent d’ailleurs comme des PD-G.

Chapin rappelle au passage que la presse mexicaine, il y a près de quinze ans, a accusé les bonnes gens de Conservation International de vouloir faire expulser par les flics locaux des Indiens vivant dans la forêt Lacandone. Dans le Chiapas, dans l’épicentre de la révolte zapatiste contre Mexico ! Le texte de Chapin a fait à l’époque grand bruit, et puis a été oublié.

Plus près de nous, si j’ose écrire, l’association Survival attaque depuis des années le WWF, documents à l’appui, et l’accuse de financer au Cameroun des brigades qui s’en prennent aux Pygmées baka. Survival : « Les Baka n’ont ni consenti à la création de zones protégées sur leur territoire, ni accepté les lois qui les criminalisent et les assimilent à des braconniers parce qu’ils chassent pour se nourrir. Ils subissent harcèlement, coups et torture et nombreux sont ceux qui dénoncent des morts parmi eux ».

C’est d’autant plus dingue et rageant que de nombreux travaux démontrent que les peuples autochtones sont les mieux placés pour protéger les territoires dont ils tirent leur subsistance. Ceux qui détruisent à coup de bull et de tronçonneuses sont justement les copains des « conservationnistes ». Lesquels ont visiblement pris des cours de com, car le patron du WWF, Marc Lambertini a aussitôt déclamé : « Le rapport de madame Tauli-Corpuz est un importante contribution à l’avancée des bonnes pratiques en matière de droits des autochtones ». Et tous d’affirmer la main sur le cœur que les cas dénoncés sont « de la vieille histoire ». Tauli-Corpuz, qui n’est pas née de la dernière pluie, assure de son côté que tout continue comme avant sur le terrain.

Le directeur du WWF en France est l’ancien sous-ministre Pascal Canfin, en charge du « développement » entre 2012 et 2014. Je lui rappelle que l’Agence française de développement (AFD), dont il avait la tutelle, a financé en Éthiopie l’un des barrages sur l’Omo, qui a détruit la vie de milliers de Daasanach et de Muguji. On peut donc parler de continuité.

(1) worldwatch.org/system/files/EP176A.pdf

Les tueurs (de loups) sont-ils des gens comme les autres ?

Sandrine Andrieux-Rolland, de l’association Ferus, m’envoie cette photo. Elle date du 20 octobre et montre des louvetiers posant après avoir flingué deux loups dans la Drôme. Que vous dire ? Ils sont heureux. Et moi, je me demande parfois si ce que j’ai toujours cru – l’existence d’une seule et même humanité – n’est pas simple billevesée. Peut-être que je suis, peut-être que nous sommes des extra-terrestres, après tout. Cela expliquerait mieux ce sentiment de radicale étrangeté qui m’étreint quand je regarde ces visages qui me sont odieux.

 

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Attention ! Derrière Hollande, Valls (sur Notre-Dame-des-Landes)

Amis lecteurs, et même si vous ne me voyez pas comme un ami, cette confidence : je commence à avoir de vraies craintes au sujet de Notre-Dame-des-Landes. Depuis neuf années – je crois bien avoir été le premier journaliste « national » à évoquer le retour de ce spectre – que j’écris sur le sujet, j’ai souvent manifesté de l’optimisme. Cette bagarre a fait surgir de magnifiques combattants et pour des milliers d’êtres, elle a un caractère sacré. Ce qui en fait la puissance. Ce qui en fait redouter l’issue.

J’ai été optimiste, je ne le suis plus. Je vois Hollande, ce triste personnage, très près de ne pouvoir se représenter pour cause de stupidité chronique. Son attaque contre la « lâcheté » des juges – venant d’un président en exercice ! – pourrait être la boulette de trop. D’un côté, bon débarras, mais de l’autre, qui le remplacera ? Eh bien, dans ce cas désormais très plausible, Valls pourrait bien se lancer dans la course. Or un président affaibli au point où se trouve Hollande ne serait plus capable d’imposer quelque chose que ce soit à un Valls lancé dans l’arène électorale. Et Valls, on le sait, veut que ça saigne. Il veut un affrontement dur à Notre-Dame-des-Landes pour bien montrer, ainsi que son héros politique Clemenceau, qu’il a des collons. Ce mot catalan – Valls l’est lui aussi – traduit le mot castillan cojones. Des couilles, pardonnez-moi.

Oui, le schéma tient. Hollande n’est plus en état de se présenter, Valls prend la main, et lance sa campagne électorale en expulsant par la violence les zadistes. Il va falloir suivre à la loupe binoculaire les événements courants. Et se tenir prêt à tout mouvement d’aide concrète à la si belle Zone à défendre du bocage nantais. Bas les pattes !