Je me répète : tous sur le pont contre l’aéroport

Amis, lecteurs, simples curieux, je vous rappelle que samedi 8 octobre, des dizaines de milliers de braves se retrouvent à Notre-Dame-des-Landes, pour un énième rassemblement contre le projet d’aéroport. Je gage que celui-ci aura une importance considérable.

Moi, je suis heureux d’avoir évoqué cette abominable affaire il y a bientôt…neuf ans. Ici même. Oui, alors que je commençais Planète sans visa, et que personne en France ne s’intéressait encore au sujet, j’ai publié un article dont je dois dire que je n’ai rien à retrancher. Je crois que j’avais vu clair. Voici la reproduction exacte.


Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus)

Publié le 26 décembre 2007

Voler ne mène nulle part. Et je ne veux pas parler ici de l’art du voleur, qui conduit parfois – voyez le cas Darien, et son inoubliable roman – au chef-d’œuvre. Non, je pense plutôt aux avions et au bien nommé trafic aérien. Selon les chiffres réfrigérants de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), ce dernier devrait doubler, au plan mondial, dans les vingt ans à venir. Encore faut-il préciser, à l’aide d’un texte quasi officiel, et en français, du gouvernement américain (http://usinfo.state.gov).

Les mouvements d’avion ont quadruplé dans le monde entre 1960 et 1970. Ils ont triplé entre 1970 et 1980, doublé entre 1980 et 1990, doublé entre 1990 et 2 000. Si l’on prend en compte le nombre de passagers transportés chaque année, le trafic aérien mondial devrait encore doubler entre 2000 et 2010 et probablement doubler une nouvelle fois entre 2010 et 2020. N’est-ce pas directement fou ?

Les deux estimations, la française et l’américaine, semblent divergentes, mais pour une raison simple : les chifres changent selon qu’on considère le trafic brut – le nombre d’avions – ou le trafic réel, basé sur le nombre de passagers. Or, comme vous le savez sans doute, la taille des avions augmente sans cesse. Notre joyau à nous, l’A380, pourra emporter, selon les configurations, entre 555 et 853 voyageurs. Sa seule (dé)raison d’être, c’est l’augmentation sans fin des rotations d’avions.

Ces derniers n’emportent plus seulement les vieillards cacochymes de New York vers la Floride. Ou nos splendides seniors à nous vers les Antilles, la Thaïlande et la Tunisie. Non pas. Le progrès est pour tout le monde. Les nouveaux riches chinois débarquent désormais à Orly et Roissy, comme tous autres clampins, en compagnie des ingénieurs high tech de Delhi et Bombay. La mondialisation heureuse, chère au coeur d’Alain Minc, donc au quotidien de référence Le Monde lui-même – Minc préside toujours son conseil de surveillance -, cette mondialisation triomphe.

Où sont les limites ? Mais vous divaguez ! Mais vous êtes un anarchiste, pis, un nihiliste ! Vade retro, Satanas ! Bon, tout ça pour vous parler du projet de nouvel aéroport appelé Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je ne vous embêterai pas avec des détails techniques ou des chiffres. Sachez que pour les édiles, de droite comme de gauche, sachez que pour la glorieuse Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, c’est une question de vie ou de mort. Ou Nantes fait le choix de ce maxi-aéroport, ou elle sombre dans le déclin, à jamais probablement.

Aïe ! Quel drame ! Selon la CCI justement, l’aéroport de Nantes pourrait devoir accueillir 9 millions de personnes par an à l’horizon 2050. Contre probablement 2,7 millions en 2007. Dans ces conditions, il n’y a pas à hésiter, il faut foncer, et détruire. Des terres agricoles, du bien-être humain, du climat, des combustibles fossiles, que sais-je au juste ? Il faut détruire.

La chose infiniment plaisante, et qui résume notre monde davantage qu’aucun autre événement, c’est que l’union sacrée est déjà une réalité. l’Union sacrée, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le son du canon et de La Marseillaise unis à jamais. C’est la gauche appelant en septembre 1914 à bouter le Boche hors de France après avoir clamé l’unité des prolétaires d’Europe. L’Union sacrée, c’est le dégoût universel.

L’avion a reconstitué cette ligue jamais tout à fait dissoute. Dans un article du journal Le Monde précité (http://www.lemonde.fr), on apprend dans un éclat de rire morose que le maire socialiste de Nantes, le grand, l’inaltérable Jean-Marc Ayrault, flippe. Il flippe, ou plutôt flippait, car il craignait que le Grenelle de l’Environnement – ohé, valeureux de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Hulot, de FNE – n’empêche la construction d’un nouvel aéroport à Nantes. Il est vrai que l’esprit du Grenelle, sinon tout à fait sa lettre, condamne désormais ce genre de calembredaine.

Il est vrai. Mais il est surtout faux. Notre immense ami Ayrault se sera inquiété pour rien. Un, croisant le Premier ministre François Fillon, le maire de Nantes s’est entendu répondre : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Ce projet, on y tient, on le fera ». Deux, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, a confirmé tout l’intérêt que la France officielle portait au projet, assurant au passage qu’il serait réalisé.

Et nous en sommes là, précisément là. À un point de passage, qui est aussi un point de rupture. Derrière les guirlandes de Noël, le noyau dur du développement sans rivages. Certes, c’est plus ennuyeux pour les écologistes à cocardes et médailles, maintenant majoritaires, que les coupes de champagne en compagnie de madame Kosciusko-Morizet et monsieur Borloo. Je n’en disconviens pas, c’est moins plaisant.

Mais. Mais. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, en matière d’aviation, contraignent notre avenir commun pour des décennies. Et la moindre de nos lâchetés d’aujourd’hui se paiera au prix le plus fort demain, après-demain, et jusqu’à la Saint-Glin-Glin. Cette affaire ouvre la plaie, purulente à n’en pas douter, des relations entre notre mouvement et l’État. Pour être sur la photo aujourd’hui, certains renoncent d’ores et déjà à changer le cadre dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas une anecdote, c’est un total renoncement. Je dois dire que la question de l’avion – j’y reviendrai par force – pose de façon tragique le problème de la liberté individuelle sur une planète minuscule;

Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels. Quand la question de la mobilité des personnes sera devenue une question politique essentielle, vous verrez qu’ils auront tous disparu. Moi, je plaide pour l’ouverture du débat. Car il est (peut-être) encore temps d’agir. Ensemble, à visage découvert, dans la lumière de la liberté et de la démocratie. Peut-être.

Publié dans Développement

Une pétition, car tout arrive

Je ne signe jamais une pétition, car toutes me font rire. Je ne signe jamais, sauf quand un ami me le demande. Et je n’aurais pu refuser cela à François de Beaulieu, de Bretagne Vivante. Mais l’ayant signé, je ne pouvais pas quand même pas me planquer. Vous la trouverez donc ci-dessous, et je vous invite à faire comme moi. Pour deux raisons : Notre-Dame-des-Landes, et Notre-Dame-des-Landes.

Un, respecter la loi que les gougnafiers au pouvoir – hier, demain, après-demain – ont eux-mêmes votée me semble un minimum. Deux, vous n’ignorez pas que samedi prochain 8 octobre aura lieu un immense rassemblement contre le si funeste aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Sur place bien sûr. Je ne doute pas que vous serez tous là, physiquement ou en pensée. Il est impérieux de rappeler à tous les Valls du paysage que cette affaire est progressivement devenue sacrée. Leur monde ou le nôtre. Pour ma part, je suis prêt au combat. On sort du simulacre.

Ci-dessous, la pétition. Son texte est ici en ligne : https://www.change.org/p/monsieur-le-pr%C3%A9fet-de-loire-atlantique-respect-des-esp%C3%A8ces-prot%C3%A9g%C3%A9es-%C3%A0-notre-dame-des-landes


Rappel à la Loi : Respect des espèces protégées à Notre-Dame-des-Landes

À partir de janvier 2013, le collectif des Naturalistes en lutte a réalisé un inventaire méthodique de la biodiversité de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Composé d’experts naturalistes de toutes les disciplines il a montré de manière incontestable et incontestée les insuffisances des études officielles. Il a, en particulier, permis de découvrir quatre espèces animales et végétales protégées qui n’avaient pas été observées par les bureaux d’études missionnés par les promoteurs du projet. En lien avec toutes les grandes associations de protection de la nature, le collectif a transmis au Préfet de Loire-Atlantique l’ensemble des éléments permettant de vérifier la présence de ces quatre espèces protégées qui, comme les autres, doivent réglementairement faire l’objet d’une étude écologique et d’une procédure administrative complète préalable à d’éventuels travaux d’aménagement.

Les promoteurs du projet et particulièrement les élus qui le commanditent et qui font sans cesse référence à la loi et à la chose jugée pour le justifier ne peuvent passer outre ces découvertes qui ne font que souligner l’insuffisance des études qu’ils ont menées et qui sont pourtant censées valider la destruction des espaces naturels de la ZAD.

Avec Fabrice Nicolino, Nicolas Hulot, Allain Bougrain-Dubourg et les Naturalistes en lutte, les soussignés demandent simplement le respect de la loi sur la protection de la nature et que monsieur le Premier ministre, madame la Ministre de l’Écologie, monsieur le Préfet de Loire-Atlantique, monsieur le Directeur général de Vinci mettent en place toutes les procédures légalement prévues. Si l’État ne fait pas respecter cette loi, qui le fera ?

Cette pétition sera remise à:

  • Monsieur le Préfet de Loire-Atlantique

 

Ouessant, furieuse, heureuse et délicieuse

Je viens de me rendre compte que je n’ai guère parlé d’Ouessant, cette île de notre petit Far West à nous. C’est absurde, ce serait presque criminel, mais heureusement, c’est fini. Ouessant, à 12 mille marins de Brest seulement, mais protégée par le passage du Fromveur – punaise, quel courant ! – et les dauphins de la mer d’Iroise. Ouessant, huit kilomètres au mieux dans sa longueur, quatre kilomètres au mieux dans son épaisseur. C’est un lieu fou, l’un des plus beaux de ma mémoire.

Un jour de vent calme, car cela arrive, j’ai pris le sentier côtier depuis Lampaul, et j’ai marché en direction de Pern. La pointe de Pern. Les coqs chantaient, les cloches de l’église dansaient, c’était juin, avant que les fous furieux du véritable été ne débarquent. En une poignée de minutes, j’étais face à Youc’h Korz, un îlot de granite rose – porphyroïde et cataclastique, puisque vous voulez tout savoir – encerclé de bouchons blancs flottant au rythme de la vague. Des goélands, bien sûr. Des argentés, bien sûr, et deux ou trois goélands marins, bec géant et casaque noire.

Plus loin sur la pelouse rase au-dessus des falaises, il y avait des craves à bec rouge – l’apparence lointaine de corbeaux freux -, piochant inlassablement leur pitance de vers de terre. Je les ai fait fuir, idiot que je suis. À Loqueltas, un hameau qui ferait aisément penser aux îles d’Aran ou aux Blasket de Tomas O’Crohan – par pitié, lisez L’Homme des îles (Payot et Rivages) -, je suis descendu à la mer par l’escalier de pierre, et j’ai admiré un homme en ciré, tout affairé autour d’un canot nommé Goustadik. Il y avait sur place un treuil, pour remonter au sec les frêles embarcations, des casiers à crabes et homards, comme abandonnés, un filet qui séchait sur le ciment. Le roi n’était pas mon cousin, les amis.

Il y avait plus de brebis égarées et dodues que d’êtres humains. Les maisons de granite et leurs enclos de pierre paraissaient être le paysage de toujours. Tout comme les géants de pierres levées de Pern, où j’arrivai vingt minutes plus tard. La pointe de Pern, c’est un peu l’île de Pâques. L’érosion – le vent, l’eau, le sel – a taillé et légué des personnages de trois mètres de haut, face à l’océan, qui sont d’une rare fantaisie. Tel est un chien alangui, son mufle tout étiré. Tel autre un Huron dont la crête est poudrée de lichens. On y croise des rhinocéros, des monstres nés du vent, qui rient aux éclats.

Je me suis recueilli dans le bâtiment ruiné de l’ancienne corne de brume à vapeur. C’est là que le romancier allemand Bernhard Kellerman a placé la formidable Villa des tempêtes de son roman, La Mer. Je l’avais lu peu de temps avant, et je dois avouer que des phrases comme “La fureur de la marée déchirait l’eau entre les brisants, en une mousse sale que le vent emportait par blocs entier” restaient prisonnières en moi. Le jour dont je parle, la mer était comme éteinte, et les cormorans séchaient tranquillement leurs ailes noires en haut de petites crêtes rocheuses. Mais j’ai connu Pern délirant de fièvre, explosant le monde sous la pression de mille bras d’eau fanatiques. Et croyez-moi, il faut le voir pour se convaincre qu’une telle force inlassable existe.

J’ai vu plus loin encore des plages fossiles, datant du temps où la mer était plus haute qu’aujourd’hui. J’ai vu le phare du Créac’h, l’invraisemblable gardien des mers, et sa toute petite cabine plantée 30 mètres au-dessus des flots. Non ce jour mais un autre, j’ai vu les embruns passer au-dessus de lui, et la vague cogner comme un antique bûcheron contre ses flancs. Et puis Yusin et ses bécasseaux, et ses tourne-pierres. Et puis l’îlot Keller, et son énigmatique maison du haut de la falaise. Et puis Penn ar Ru Meur, où la mer enflait, poussée par un vent de nord-est.

Plus tard, j’ai rencontré un grand ornithologue, Yvon Guermeur, qui vivait alors sur l’île, où il dirigeait le Centre ornithologique d’Ouessant. À l’automne, les oiseaux en migration débarquent par milliers et se posent au petit bonheur la chance, jusque dans le moindre buisson. C’est la fête ! Outre les habituels visiteurs, on voit parfois des raretés comme des martins des pagodes, des pouillots à grand sourcil, des gobe-mouches nains, des sizerins flammés.

Yvon me raconta tout cela, forçant sa nature de taiseux. Cet homme assez stupéfiant ne passait pas toute sa vie – presque, pas toute – à regarder les ciels. Il marchait aussi, les yeux baissés, obsédé par le passé humain de Ouessant. C’est ainsi qu’en prodigieux archéologue amateur, il a découvert un ancien port romain, à Porz Arlan. Et de même, il a permis la mise au jour des restes d’un fabuleux village de 400 habitants – il y a 3000 ans -, soit la moitié de la population actuelle de l’île. Le chantier, connu de tous les archéologues d’Europe,  s’appelle Mez-Notariou. Le champ du notaire.

Je pourrais continuer, mais j’arrête ici, ce 23 septembre 2016, à bientôt midi, car je compte profiter des rayons du soleil, qui m’ont l’air bien prometteurs. Ouessant ? J’ai eu beaucoup de chance.

Macron, Royal, Sarkozy et Trump

Notations en courant sur l’état de notre classe politique. Un, Macron est un [bip], et ça rime, mais il ne faut surtout pas dire cela, car c’est une injure publique, et bon, non. On recommence : Macron est un personnage complexe. En avril 2015, il donne l’autorisation à des gougnafiers d’extraire 250 000 tonnes de sable en mer, au large de Lannion (Côtes d’Armor). Et déclare dans la foulée ce que des conseillers qui s’en cognent lui ont soufflé : « Les études concluent avec suffisamment de certitude à l’absence d’impact significatif sur l’environnement ».

C’est une énorme sottise, qui repose sur un axiome débile entre tous : toute activité économique est utile, car elle contribue à augmenter le PIB, et donc son oriflamme, la croissance. L’extraction causera évidemment un désastre à quelques encablures de la réserve naturelle des 7 îles, et modifiera à jamais les zones de pêche. Mais le tout se passe sous l’eau, et restera donc invisible.

Le même Macron en septembre 2016, tout occupé à vanter les mérites de sa si petite personne, rétropédale et assure cette fois : « Il n’est résolument pas acceptable de commencer l’exploitation à la sauvette ». Car en effet, les « extracteurs », craignant des réactions, ont commencé leur travail en pleine nuit. Macron en campagne électorale ? Probable, mais c’est aussi le cas de Ségolène Royal, en mission commandée par Hollande. La dame est discrètement chargée de rabattre vers Hollande des voix écolos qui pourraient être décisives si Hollande se présente à l’élection. Après une grosse manif à Lannion – 5000 personnes -, la ministre de l’Environnement a fait savoir qu’elle soutenait les opposants. Elle ne l’avait pas fait quand Macron était pour, mais faut comprendre. À cette époque, elle n’était pas en précampagne électorale.

Enfin, Sarkozy, qui se hisse à la hauteur de Trump. Devant un auditoire de l’Institut de l’Entreprise, il vient de déclarer : « Cela fait 4 milliards d’années que le climat change. Le Sahara est devenu un désert, ce n’est pas à cause de l’industrie. Il faut être arrogant comme l’Homme pour penser que c’est nous qui avons changé le climat ». Reportez-vous à tous ces articles écrits ici à propos du Grenelle de l’Environnement, cet épisode burlesque d’il y a neuf ans. Et riez avec moi, car l’heure n’est pas aux jérémiades, mais au combat.

Tiens, Trump, justement. Il vient de déclarer une nouvelle fois son climato-scepticisme, et n’entend pas consacrer des ressources, dans le cas où il serait élu, à une question aussi incertaine que celle du Grand Dérèglement.

Henri Guaino, héros de Crimée, vainqueur du Kilimandjaro

J’ai écrit des portraits de grands sagouins militaires pour Charlie cet été, et le dernier, imaginaire lui, était consacré au spécialiste du bazooka Henri Guaino. Le voici. J’espère que cela vous fera sourire.

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Pendant deux mois, Charlie propose des portraits de chefs militaires. C’est notre concours de l’été : qui est le plus grand assassin ? Que volent les têtes et que s’empilent les cadavres ! Dans cette uchronie, on rendra hommage au président Henri Guaino, ci-devant ministre de la Défense et de l’Attaque. Après avoir maté les Barbaresques au loin, il a su comme personne rétablir l’ordre dans la bagatelle de 1321 quartiers jadis appelés « difficiles ».

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Henri Guaino est né malheureux en 1957, car la Garde Républicaine avait refusé tout net de descendre en Arles pour l’occasion. Très vite il mordit sa mère, très vite il se mordit les doigts. Maman Guaino fut obligé, pour le sauver, de l’emmailloter comme on faisait en Afrique bien avant que la race blanche ne vienne y proposer les couches Pampers. Traumatisme.

Enfant, il fut triste et solitaire, s’amusant à tirer des fléchettes empoisonnées sur le globe terrestre que tonton Raymond lui avait acheté à la place du père Noël, empêché. Il acquit une telle dextérité que jamais la France ne fut touchée par les pointes de fer. Mais le Mali, le Sénégal, le Tchad, la Mauritanie et le Congo, pardon, un vrai gruyère. Jeune garçon sage, il essaya trois fois d’entrer à l’ENA, mais il échoua, sans bien comprendre ce qui lui arrivait. Ou le comprenant trop bien. Il nota scrupuleusement le nom de tous les reçus et y découvrit celui de Abdoulaye Baldé (Sénégal), Joseph Charles Doumba (Cameroun), David Houdeingar (Tchad) et Patrick Katsuva (Congo). Pour l’occasion, il ressortit le jeu de fléchettes de son enfance.

Comme il ne savait plus où il habitait, il alla partout. Chez les gaullistes de gauche – Séguin -, chez les gaullistes de droite – Pasqua -, chez les autres, comme Chirac. Mais son envol commença avec Sarkozy, quand il écrivit pour lui le Discours de Dakar. Extrait : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, (…) ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles ». Vengeance.

Serait-il oublié sans sa glorieuse réplique, au moment de l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016 ? En deux mots, un djihadiste tue ce jour-là 85 personnes au volant de son 19 tonnes, et Guaino trouve alors une parade radicale : « Il suffit de mettre à l’entrée de la promenade des Anglais un militaire avec un lance-roquette et puis il arrêtera le camion, voilà c’est tout ! ». On s’en souvient, cette sortie valut à Guaino le poste de ministre de la Défense dans le premier gouvernement Robert Ménard, après le triomphe de Sarkozy à la présidentielle de mai 2017. Mais pas à n’importe quel prix. Sur TF1, il revendiqua de la sorte sa nomination : « Vous avez vu comme moi que l’intitulé du poste a changé, à ma demande. Je suis à partir de ce soir ministre de la Défense et de l’Attaque ».

Trois semaines plus tard, il était devant la Jungle de Calais, assis dans la tourelle d’un char Leclerc de 57 tonnes. Certes, ses tirs d’obus de 120 mm coulèrent au passage un ferry rempli de 680 vacanciers britanniques. Mais le concassage par les lourdes chenilles aura bel et bien fait disparaître pour deux mois dans la boue le campement de romanichels afghans qui déshonorait la France. Le reste est dans toutes les mémoires.

Le 25 octobre 2017, la ville d’Alger fut copieusement arrosée de missiles tirés depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle, à bord duquel se trouvait M. Guaino. Ridicule d’exagération, la Fédération internationale des droits de l’homme prétendit que l’attaque avait fait 3200 morts et 8000 blessés. Mais pourquoi Alger ? S’il est vrai que la cible de départ semble avoir été Rakka, en Syrie, était-il pour autant acceptable d’accuser le ministre de s’être trompé de bouton ? Indigné comme rarement, M. Guaino lâcha au cours des séances de questions à l’Assemblée : « Mais que ce monsieur Mélenchon prenne ma place ! Il verra alors que toutes les villes barbaresques se ressemblent comme deux gouttes d’eau ».

Les premières années du quinquennat, qui devait devenir un décennat, démontrèrent la puissance des armes françaises sur le champ de bataille. Guerre de Crimée – 702 000 morts -, conquête du Pôle Nord, du Kilimandjaro – au-dessus des 5800 mètres -, et de l’île Saint-Christophe-et-Niévès (en riposte à la fourberie anglaise dans le dossier européen). Un bilan étonnamment positif puisque la France, au total, n’aura eu à déplorer que 317 000 morts, contre plus d’un million dans le camp de nos ennemis. Répondant aux grotesques accusations de torture systématique – un rapport évoque sans preuve l’énucléation de 28 000 prisonniers birmans -, M. Guaino préféra la légèreté, notant : « De toute façon, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ». À quoi l’antinational Besancenot, juste avant d’être arrêté, osa répliquer : « Moi, je vois bien les œufs cassés, mais où est l’omelette ? »

Pouvait-on défier les grands de ce monde et composer éternellement avec les djihadistes français ? Quand il annonça le 2 janvier 2018 la fusion immédiate de son vaste ministère avec celui de l’Intérieur, mais aussi l’interconnexion avec les fichiers de la sécurité sociale, de Pôle Emploi, des Allocations familiales, des gagnants au Loto et au PMU, du RSA, d’Air France et de la SNCF, du Club Méditerranée et des clubs Mickey, chacun comprit que l’histoire était en marche.

Dans la foulée, on retira la nationalité française aux harkis et à leurs descendants, avant d’en remettre un premier contingent aux autorités comoriennes, très conscientes du cadeau fait par la France. Et bien sûr, on embastilla. Au total, au 1er mars 2022, 1 million 633 258 Arabes et assimilés étaient en détention administrative illimitée. Qui dans des prisons nouvelles. Qui sur des paquebots réquisitionnés. Qui sur le Larzac. Qui sous la tente dans les Alpes. Qui aux îles Kerguelen. Qui sur la Lune. Qui en orbite géostationnaire.

On n’oubliera pas, dans ce tableau de la Renaissance nationale l’arasement total de 1 321 de ces quartiers qu’on disait « difficiles », et leur remplacement in situ par un gigantesque concours national de Roses nouvelles, gagné deux années de suite par la merveilleuse Maman Guaino, nom délicatement donné à une grande fleur jaune très odorante.

Où sont partis les habitants anciens ? Telle est la vaine polémique qu’a tentée une opposition incapable d’énoncer la moindre idée constructive. Le président Guaino, puisqu’il est désormais notre chef suprême, a coutume de répondre à la manière d’un coup de fouet sur la croupe d’un baudet : « Où sont-ils allés ? Mais qu’est-ce que j’en sais, moi ? La France est-elle un pays de liberté, oui ou non ? ».