Rêveries d’un dimanche de printemps (par Frédéric Wolff)

Un dimanche d’avril, allongé dans l’herbe, à regarder passer les nuages. Pas d’autre compagnie que celle des arbres et du ciel. Les semailles ? Elles attendront plus tard. Tout comme les nouvelles du monde. Il y a mieux à faire aujourd’hui. Hier, demain, le jour, la nuit, tout se mélange. J’embarque dans les errances. Le vent est le chemin.

Il y aurait un grand chaos, une tempête comme jamais. La foule envahirait les rues, les parlements.

Partout sur le territoire, les raffineries seraient bloquées. Respirer ! Le mot serait sur toutes les lèvres, sur les banderoles, sur les pages des journaux. Les voitures, les camions, les avions, adieu. Place à la lenteur, aux transports partagés. Au nom des vies empoisonnées ici, ailleurs. Au nom des morts de faim par les agro-carburants. Au nom des irradiés par les voitures « propres ».

On lancerait la grève générale des achats superflus et toxiques. Des files d’attente ininterrompues se formeraient aux entrées des supermarchés. On rapporterait ce qui prend la place du silence, de l’eau pure à la source, de l’air que l’on peut respirer sans être malade, de l’attention au monde, aux autres et à soi-même.

Les casseurs de bocages, de zones humides et d’équilibres de la vie sur terre seraient déférés aux tribunaux. Mise en danger de la vie d’autrui, empoisonnement, homicide, biocide… Les mêmes, hier, qui dictaient la marche du monde et des affaires devraient enfin répondre de leurs actes.

L’état d’urgence écologique serait décrété, les champs nécro-industriels réquisitionnés avant qu’ils ne deviennent des déserts. A la place, on planterait des arbres. Entre les arbres, il y aurait des jardins et des immensités rendues à la vie sauvage.

Par centaines, par milliers, on démissionnerait des emplois inutiles et nuisibles. On retrouverait le temps de penser, de faire par soi-même.

Quelque chose dans l’air se mettrait à vibrer. Chacun, chacune lèverait les yeux. Une évidence gagnerait les uns et les autres, agrandis par une présence au monde pleine et entière. Nous en aurions fini de n’être que des ombres errantes suspendues à nos boitiers tactiles dont nous sommes les fantômes comateux, puisant notre semblant de vie dans les fréquences de nos interfaces morbides.

Le réel serait-il devenu si lent, si ennuyeux qu’il n’y aurait d’autre issue que de le congédier, et nous avec, à plus ou moins brève échéance ? De quoi nous privent les commodités de la vie moderne ? Qu’avons-nous gagné à aller plus vite d’un endroit à un autre, des questions aux réponses, de l’absence à la présence ? Qu’avons-nous perdu ? De quoi sommes-nous diminués à force d’être augmentés de mémoire ambulante, de force de calcul sans pareil ? De quoi sommes-nous plus pauvres ? De qui ? Qui rendons-nous plus pauvres pour assouvir nos caprices et nos droits d’égo-citoyens sans limites ? A quelles précarités participe l’usage de nos futilités fabriquées par des esclaves sous-payés, maltraités, empoisonnés ?

Ces questions et bien d’autres seraient dans les pensées, dans les conversations. Elles imprègneraient les actes de tous les jours. Tout ne serait pas perdu. Il suffirait de le décider. Tout pourrait être différent.

Retour parmi les herbes et les belles heures du printemps. Le ciel est plein d’oiseaux. J’ai bien envie de prolonger ce temps de la rêverie. Il reste des territoires à habiter. hogan outlet hogan outlet

Notre maison brûle… (par Frédéric Wolff)

Les raisons de désespérer ne manquent pas. Celles d’espérer sont-elles perdues ? Je veux croire que non. Des brèches s’ouvrent par où la marge humaine pourrait faire tomber des murs de notre vieux monde. Entre le pire et le possible, mon balancier hésite. L’équilibre viendrait-il de n’occulter ni l’un ni l’autre ?
« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » C’était il y a 13 ans. L’avenir de la vie sur terre vacillait et pouvait se réduire à des cendres si nous ne changions rien au cours du monde.

Qu’en est-il aujourd’hui ? L’incendie est-il endigué ? Avons-nous épargné des flammes les bases de la maison commune ? Où se portent nos regards ? Quelle formule faudrait-il employer pour saisir les temps où nous sommes ?

Une phrase s’est imposée à moi, alors que ces questions me tourmentaient : « La maison brûle et nous soufflons sur le feu. »

Le feu… Nous n’avons d’yeux que pour lui. Nous n’avons Dieu que lui. Toute notre intelligence, tous nos moyens techniques sont mis à son service. Des pyromanes, c’est ce que nous sommes, nous les sociétés de l’âge industriel. Nous laissons derrière nous une terre incendiée, un monde suffocant, une eau qui porte le contraire de la vie.

Le feu, il n’y a plus que lui. Les autres éléments, tant pis. Ils ne font pas le poids. La terre, l’eau, l’air, adieu. Adieu à tout ce qui les peuple. Ce n’est qu’une question de temps. Place à la reproduction artificielle de la vie. Nos chercheurs y travaillent. Nos politiques y voient des gisements de croissance et d’emploi. L’âge des mutants approche. Il a déjà commencé. Soyons sans crainte.

Tous les feux sont au rouge et nous accélérons. L’ivresse nous gagne. Tête baissée, nous courrons vers notre mise à mort. Les piques, les banderilles, nous ne les voyons pas. Nous ne voulons pas les voir. Seule importe la cape agitée devant nous.

Le climat, l’agonie des sols et des océans, l’empoisonnement et l’irradiation qui gagnent où que l’on soit… Tous les indicateurs sont au rouge. Il serait fastidieux et déprimant de les énumérer, tant ils abondent.

Qu’importe que nous les connaissions, que nous les déplorions. Nous accélérons. Mais comme nous sommes des sociétés soucieuses du bien commun, n’est-ce pas, nous couvrons de vert les feux de signalisation. Le temps doit se plier à nos humeurs. Nous n’avons plus la patience d’attendre. Quelques minutes de nos élites sont plus précieuses qu’une montagne à éventrer pour faire passer un TGV ; des terres vivantes ne pèsent rien, en regard d’un aéroport, d’un centre de loisirs, d’une zone d’activités, de galeries marchandes…

Le temps réel a congédié le réel, chaque seconde de nos vies doit être connectée, c’est-à-dire asservie, mais il faut parler la langue de son temps, on ne peut être contre son temps, alors réjouissons-nous, restons connectés pour le meilleur et le pour meilleur.

Innover, croître, le mot d’ordre est sans appel. Le mal est devenu le remède. Nous n’avons foi qu’en ce qui nous dévore, nous les Prométhée brûlant de tous les feux, qu’ils soient nucléaires, chimiques, électromagnétiques, génétiques, nanotechnologiques… Une nuisance s’ajoute à une autre et nous place dans une situation de non-retour. Le totalitarisme du système technique, c’est aussi cela : s’imposer sans débat et perpétuer ses nuisances pendant des millénaires. Comme il faut aller de l’avant, comme il faut prendre de vitesse l’offre et la demande, la conscience et la contestation du désastre, il est inconcevable d’évaluer quoi que ce soit et d’en tirer les conséquences.

Ce que fabrique notre âge technologique ? Des monstres. Et comme tous les monstres dignes de ce nom, ils nous échappent. Les conséquences possibles de nos innovations sont telles qu’elles deviennent impensables, imprévisibles. Tout se conjugue pour nous rendre hyper-insensibles à la banqueroute générale : la complexité, l’étendue des dévastations dans le temps et dans l’espace, le déni qui est le nôtre…

Comment se représenter l’irreprésentable ? Qui contrôle encore quoi que ce soit, de la réaction en chaine, chaotique comme jamais ?

La profusion des biens et des services nous rend-elle plus heureux, plus riches ?

Qui est riche, qui est pauvre, dans ce monde où l’on fait commerce de tout ? Dans « Les origines de la pensée grecque », Jean-Pierre Vernant écrit ceci : « La richesse remplace toutes les valeurs […]. Elle ne comporte aucune limite […]. L’essence de la richesse, c’est la démesure […]. » A sa racine, on trouve « la pléonexie : le désir d’avoir plus que les autres, plus que sa part, toute la part. »

C’est contre cette convoitise que s’est construite la philosophie. « Celui qui s’accommode avec la pauvreté est riche, en effet, et on doit estimer pauvre non celui qui a peu de choses, mais celui qui en désire davantage », énonçait Sénèque. Quant à Aristote, il notait déjà que « les plus grands crimes » étaient perpétués « pour se procurer le superflu et non le nécessaire. »

Quelle inversion des valeurs, quelle régression. Ces crimes, dont parlait Aristote, sont devenus nos commandements :

– Se goinfrer de futilités et qu’importe si d’autres sont privés du nécessaire.

– Avaler du bitume et tant pis si les agro-carburants font mourir de faim des misérables par millions. Tant pis si l’or noir du Nigéria empoisonne l’air, la terre et les cours d’eau, tant pis s’il repose sur la guerre et sur la famine. Tant pis si le nucléaire détruit le monde, nos voitures atomiques valent bien ça.

– Rester connecté quitte à ce que des esclaves fabriquent nos smartphones. Quitte à ce que des êtres humains soient empoisonnés par nos déchets électroniques et par les mines de métaux rares. Quitte à ce que tout le reste du vivant soit irradié.

– Etendre la société marchande à toutes les sphères de l’existence, fabriquer des jamais assouvis, des frustrés perpétuels, des êtres de pacotille et, un jour ou l’autre, des invendus, des incendiés.

Et voilà que, dans le brasier, des individus tentent de sauver ce qui peut l’être. Ils se réapproprient leur alimentation, leur énergie, leur habitat, leur santé, leur pensée, leur humanité. Ils tentent de s’affranchir des tutelles où s’étiolent leurs jours. Ils incarnent leurs valeurs, ils habitent le monde autour d’eux et le rendent habitable pour d’autres qu’eux. Ils prennent la défense des zones où foisonne la vie. La vie dans une poignée de terre, dans une mare, dans des arbres mémorables, la vie dans nos lambeaux d’humanité, ils la préservent. Ils mettent en actes leurs idées.

Serait-ce le début d’un grand chambardement ? Le ferment du monde à venir serait-il dans ce flot d’initiatives ? Ces gouttes vertueuses, ô combien nécessaires, suffiront-elles à vaincre la fournaise ? Que faudrait-il en plus pour peser vraiment ?

Je ne me risquerai pas à jouer les devins. Le sursaut à opérer me semble si colossal que ses formes et ses contours dépassent l’imagination, en tout cas la mienne. A quatre pattes dans ma pépinière d’oignons et de poireaux, je laisse venir les pensées, sans volonté d’aucune sorte.

Ce qui surgit d’abord, ce sont des questions, des doutes…

– Cultiver son jardin, bien sûr, mais les nuages chimiques et radioactifs, les terres qui deviennent des déserts ? Refuser les téléphones et les compteurs intelligents, fort bien, mais leurs nuisances et l’emprise de la planète intelligente ?

– Comment faire nombre ? Comment franchir le seuil critique au-delà duquel un basculement est possible ?

– Où commencent, où s’arrêtent les alliances possibles ?

– La fin est-elle dans les moyens ? Devons-nous prendre les armes de nos adversaires ? Les armes sont-elles neutres, selon l’usage que l’on en fait ? Quel horizon, à ce jeu-là, sinon devenir de parfaits techniciens ou des guerriers perpétuels ?

– Tous les arguments sont-ils bons à prendre ? Doivent-ils être jugés prioritairement à l’aune de leur efficacité ? Comment imaginer que nous gagnions quoi que ce soit à cette aune-là, terrain de prédilection de la Machine, justement ? Devons-nous taire nos valeurs morales, au motif qu’elles sont inaudibles ? Faut-il leur préférer des arguments pragmatiques, économiques et financiers ? Qu’avons-nous à attendre vraiment d’une victoire remportée pour de mauvaises raisons ?

– Faut-il souscrire à l’accord tacite, passé entre les pouvoirs et les organisations citoyennistes, ne remettant nullement en cause les fondamentaux, mais restant dans le cadre dicté par l’oligarchie : la gestion des nuisances, le marchandage de simulacres, la concertation – le mot fétiche pour ne pas dire l’acceptation –, l’oubli des causes premières au profit du fonctionnement, de la communication, de la reconnaissance ?

A mesure que la pépinière s’éclaircit, les questions laissent place aux rêveries. Les chants d’oiseaux portent en eux des refrains qui se cherchent…

Ça serait un jour du printemps, un jour quand on serait plus mort. Partout, ça ferait comme un chant jusque dans l’âme et dans le corps. L’ivresse et les écrans plasma avec facilités d’paiement, on pourrait vivre sans tout ça et s’offrir enfin du bon temps. On démissionn’rait des usines et des ministèr’s à croqu’-mort qui font turbiner les turbines et les supermarchés d’la mort. Jusque dans les tréfonds d’nos vies, partout ça sonn’rait l’angélus. On serait plus des engloutis. Un jour, on serait tant et plus, que dans les vill’s et les faubourgs, dans les campagn’s et les prairies, y aurait partout, jour après jour, inflation sur le goût d’la vie…

Allongé dans l’herbe, les yeux rêvant dans les nuages, je me laisse emporter par le chant. J’imagine un mouvement qui grandit, des appels à la prise du pouvoir, à commencer par le pouvoir de non-achat ! Quelle force nous avons là si, collectivement, nous savions en faire usage. Commencer par se mettre en grève des achats superflus et nuisibles…

– Ne plus être des compulsifs, des consommateurs qu’on somme de consumer le monde, en finir d’être des têtes de gondoles que d’autres se payent à moitié prix, en avoir soupé des vieilles lunes de la croissance, de la relance, du gagner plus…

– Ne pas prendre plus que notre part, parce qu’il y va de la vie des autres, parce que nous ne serons jamais ni repu(e)s, ni épanoui(e)s à vouloir toujours plus.

– Pourvoir à nos besoins essentiels par nous-mêmes, à l’échelle locale, faire une œuvre commune de nos paroles, retrouver la mémoire de nos mains, devenir artisans et, pourquoi pas, artistes de nos vies.

– Cesser de travailler à notre asservissement et à celui des autres.

– Refuser d’être des cibles, des données exploitées par les algorithmes. Ne plus se laisser réduire à des chiffres, à des comportements prévisibles et obéissants.

– Remplacer les détecteurs électroniques de fumée, de présence humaine, de bactéries dentaires indésirables, de frigo intelligent à remplir… par des détecteurs d’enfumage et de mensonges proférés par les marchands, les décideurs et les valets.

– Proclamer la nuit debout du 4 août avec, autour de la table, les oubliés de toujours, je veux parler des misérables que notre mode de vie décime, je veux ne pas oublier les animaux au supplice dans les bagnes industriels et tous ceux, toutes celles qu’on empoisonne, les vies humaines et non-humaines qui n’ont plus leur place sur la terre…

– Promulguer la Déclaration de nos droits et de nos devoirs.

Sans un coup de canon, des empires, que l’on croyait indestructibles, s’écrouleraient. Ce ne seraient plus seulement des gouttes d’eau que l’on verserait sur l’incendie. La fable tant de fois citée proposerait une autre version. C’est aux pyromanes en chef que l’on s’attaquerait. Leurs forfaits seraient très clairement dénoncés et des sanctions tomberaient. Ils cesseraient d’être des mécènes, des demi-dieux adulés. Nous nous passerions d’eux, enfin. Pour prendre une autre métaphore, nous fermerions le robinet au lieu d’éponger sans fin l’eau qui déborde de partout.

Le souffle serait tel qu’au lieu de relancer les flammes, il les éteindrait une à une.

Pris dans mes folles spéculations, je m’enflamme… Les questions de méthode se dissipent et une évidence s’impose : le mouvement se trouvera en marchant.

Retour sur la terre sacrée. Qui l’emportera de l’incendie ou du grand souffle de la vie ?

De jour en jour, ma pépinière n’en finit pas de grandir. Partout, la végétation s’épaissit, partout les arbres deviennent plus foisonnants. Ce matin, une nouvelle exhortation me vient, avec la renaissance du soleil…

Dès à présent, s’accroupir dans un arpent de jardin sauvage, regarder les millions de brins d’herbe et de gouttes de rosée qui font comme des soleils multipliés. S’imprégner de cette beauté-là et se découvrir millionnaire. Millionnaire en brins d’herbe et en constellations.

La beauté, l’étonnement, la gratuité, les racines de la vie… Gardons-les serrés sur notre cœur. Mais je sais que ces fortunes vous sont précieuses, ami(e)s des causes communes que je salue, dans les beaux jours du printemps.

Franchement, ça va trop loin (le cas Baupin)

À l’heure qu’il est ce lundi 9 mai 2016, je ne sais vraiment pas grand-chose. Denis Baupin est vilainement accusé de harcèlement sexuel – peut-être plus – par différentes militantes d’Europe-Écologie-Les-Verts. À ce stade, et sans entrer dans des détails qui concerneront peut-être la justice, il est déjà une évidence : elles n’ont pas menti, elles les dénonciatrices. Elles peuvent s’être donné le beau rôle, elles peuvent avoir oublié des détails qui comptent, elles peuvent éventuellement – cela s’est vu – charger la barque. Mais sauf à imaginer un complot étendu sur des mois et mobilisant nombre de menteuses en vue de s’attaquer à une personne dont tout le monde se fout – Denis Baupin -, il est clair, à mes yeux en tout cas, que Baupin a franchi une ligne.

Au-delà de l’histoire, qui ne fait que commencer, je souhaitais dire à quel point monsieur David Cormand, pauvre apparatchik de banlieue et néanmoins « patron » des Verts, me donne envie de dégueuler (voir, dans un autre genre, mon article précédent). Voici ce qu’il ose déclarer : « Il [Baupin] ne peut plus occuper cette fonction et doit en démissionner. Pour moi, c’est une évidence ». Ce qui est surtout évident, c’est que Cormand et sa clique, au premier rang de laquelle la reine Cécile Duflot, ont choisi de se comporter comme les voyous du Parti socialiste avec DSK. Silence, on tourne. Silence, on vend l’image d’un parti honnête, seul capable de « faire de la politique autrement ». Pour en coulisses se taire, et passer au point suivant de l’ordre du jour. J’exagère ? Je délire ? Voyons ensemble.

Il y a en ligne un article signé Vanessa Jérome, dans le cadre du congrès de l’Association française de science politique (AFSP) tenu en 2013, il y a trois siècles. Et voici ce qu’on y lit page 11 (ici) « Les limites entre l’acceptable et l’inacceptable des violences ne semblent, chez Les Verts, pas plus claires ou plus simples qu’ailleurs. Elles disent souvent la difficulté à dénoncer les violences, les doutes et les ambiguïtés dans lesquels se trouvent celles et ceux qui se font pour devoir de garantir la préservation des intégrités et des statuts. La charge de la preuve incombe, ici encore, aux victimes. Et elle ne peut être convoquée qu’après décision de justice. C’est ce qui ressort, selon nous, de la comparaison de deux « affaires » chez Les Verts : celle, connue, médiatisée, jugée et finalement pardonnée de Stéphane Pocrain, et celle, citée par la rumeur mais jamais dénoncée, du harcèlement sexuel auquel se livrerait un élu depuis plusieurs années, et qui aurait même suscité l’intervention d’une dirigeante, proposant d’importantes sommes d’argent aux salariées du siège harcelées afin qu’elles ne déposent pas plainte.
Un journaliste du Canard enchaîné enquête, dit-on dans le parti… Sorte de « DSK des Verts », cet élu semble bénéficier d’une forme de bienveillance, qui n’est pas sans rappeler celle dont bénéficie Dominique Strauss ».

Veut-elle parler de Baupin ? Je ne sais pas, même si tout l’indique. En revanche, ce qui est certain, c’est que de multiples signaux ont été adressés au fil des ans aux fiers chevaliers blancs qui tenaient de leurs mains immaculées le mouvement : Placé, Rugy, Cosse, Cormand et bien entendu Duflot, qui n’a strictement rien fait. Pourquoi donc, ami de la justice ? Mais parce que la politique – leur politique, à vrai dire -, c’est comme cela. La préparation hasardeuse d’une assemblée générale – ce qu’on appelle ailleurs un congrès – oblige à compter ses alliés. S’attaquer à un Baupin, qui a si longtemps incarné le centre – ou ventre mou, selon – aurait obligé à se poser d’autres questions. Aurait contraint à être quelqu’un(e) d’autre qu’un(e) pauvre arriviste parmi tant d’autres. Ce qui n’était en aucun cas prévu au programme. D’où cette désastreuse poltronnerie. D’où cet affligeant grand-guignol où l’art suprême consiste à ne pas prendre un coup de bâton dans l’arène médiatique où ces bouffons finiront bien par disparaître.

Les sociétés humaines se disloquent, ces grands personnages montrent leur beau visage.

Avis à ceux qui soutiennent encore les Verts (et Cormand)

Quand on aime, on ne compte pas. Aussi bien, je refuse de faire le tri parmi les lecteurs de Planète sans visa. Il s’en trouve nécessairement qui ont leur carte à Europe-Écologie-Les Verts, et je suis ravi de leurs visites ici. Ce qui suit ne leur fera pas forcément plaisir, mais on commence à me connaître, n’est-ce pas ?

Alors voilà. Une ribambelle de gentilles dames et de charmants damoiseaux se sont vendus à piètre prix au pouvoir en place : Placé bien sûr – qui n’aurait-il sacrifié en riant ? -, Emmanuelle Cosse – elle vante désormais dans les gazettes un impossible « Hollande écologiste » -, Barbara Pompili, qui ne s’arrêtera pas de sitôt sur la piste de sa dégringolade. Et puis, il y a tous les autres admirables, qui espéraient tant une récompense de la part des socialos : François de Rugy, François-Michel Lambert, Jean-Luc Bennahmias. Je dois dire sérieusement à tous merci. Le spectacle de leur reptation m’aura amené aux lèvres, et plus d’une fois, un rire que je dois qualifier de gargantuesque. On prétend sauver le monde et l’humanité, et puis on tend la sébile pour y récupérer un centime d’euro. C’est vraiment du bon théâtre.

Mais ce n’est pas de cela que je souhaitais vous parler. Je viens de lire un article du Nouvel Obs sur la destinée de plusieurs chefaillons des Verts depuis vingt-cinq ans, et bien qu’il soit médiocre, il m’a intéressé. Figurez-vous qu’on y parle du petit nouveau, David Cormand, promu secrétaire national d’EELV après le départ précipité de madame Cosse vers les ors ministériels. De vous à moi, je savais déjà Cormand apparatchik. Il fut l’homme de Placé – total respect -, puis celui de Duflot, ce qui suppose de grandes, fortes, belles et sincères convictions. En 2004, Cormand était déjà porte-flingue et il a joué un rôle intéressant dans le flingage politique de Gilles Lemaire, qui était en cette année-là le secrétaire national des Verts, et l’un des moins baroques. Que dit donc de lui l’Obs (n°2685, page 66) ? Je vous recopie mot pour mot la citation :

« Plus de dix ans après, Gilles Lemaire ne s’est pas remis de la “fraude massive” lors du vote interne au “pôle écolo”. Un graphologue avait même été convoqué pour constater la manœuvre. Dans son mail de démission, il la raconte par le menu et accuse David Cormand, le nouveau secrétaire national, de “crime contre la démocratie”. Rien que ça ». C’est entre les douces mains de David Cormand que ce parti indéfendable poursuit sa noble route. Les sacs vomitoires ne sont pas fournis.

DE NOS ENVOYÉS SPÉCIAUX AU CŒUR DE L’IMPOSSIBLE

Ce qui suit est ma contribution farcesque au trentième anniversaire de Tchernobyl. La doctrine nucléaire française est en train d’exploser. Traditionnellement, les menteurs qui tiennent cette industrie niaient bêtement le risque d’accident grave en France. C’est fini. Certes, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) tente d’imposer une ligne épouvantable, en clamant contre l’évidence que l’on peut vivre en zone contaminée. Ce qui pourrait servir un jour chez nous. Mais ceux de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), pourtant issus du même moule nucléocratique, admettent désormais qu’une tragédie est possible sur notre sol.

Encore deux choses. La première : pourquoi le mouvement antinucléaire est-il si faible, si inaudible alors que se profile une occasion historique de mettre en cause la puissance de cette mort désormais promise ? Écrivant cela, je ne mets évidemment pas en cause les quelques braves – Didier Anger, Stéphane Lhomme, Mycle Schneider, ceux de Bure – qui sont sur la brèche. Mais je ressens un immense malaise, constatant qu’il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de la contestation antinucléaire. Et depuis avant Malville – 1977 – en fait.

La seconde : ce qui suit n’est que blague, ce sera vite compris du lecteur. Je n’ai pas vu d’autre manière de clamer mon rejet total d’un monde assez fou pour supporter pareille menace. On n’est pas obligé d’applaudir. On n’est pas obligé de m’engueuler. On n’est surtout pas obligé de lire

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FLAMANVILLE (26 avril 9h30)

Notre courageux confrère de Paris Normandie, aujourd’hui porté disparu, a juste eu le temps d’envoyer par Internet son ultime article. Il est 9 heures 30 à Flamanville (Manche) ce funeste 26 avril : en avance sur la saison, les chèvrefeuilles, lilas, clématites et skimmias du Japon plantés au pied des énormes dômes des réacteurs nucléaires 1 et 2 resplendissent. Citation de Paris Normandie pour un journal jamais publié : « Pour cette première visite de sécurité de l’année, le sous-préfet de l’arrondissement, M. Bouché, est d’humeur badine, et en fait profiter ses hôtes, déclarant notamment : “Je ne dirai rien, en cette belle journée de printemps, sur les si piteux contempteurs de notre puissante énergie nucléaire. À quoi bon les moquer, face à ces montagnes de béton immaculé qui leur permettent d’écrire au chaud balivernes et catastrophistes fictions ?” ».

À 10h30, les discours achevés, le petit cortège officiel se retrouve dans la vaste cafétéria. On boit le café, on grignote de délicieuses falues normandes, mais pas trop. M.Bouché est un homme pressé, et il doit impérativement repartir pour Rouen à 10h45 au plus tard. Il n’y parviendra pas.

 

L’INCOMPRÉHENSIBLE ÉVÉNEMENT DE 10H42

En dix-huit secondes, deux explosions successives foudroient et brisent en mille morceaux contaminés les dômes surmontant les réacteurs 1 et 2 de la centrale. Que s’est-il passé ? Une centrale, rappelle notre spécialiste maison, n’est jamais qu’une cocotte-minute Seb®. La chaleur accumulée par la réaction nucléaire doit être constamment régulée par l’eau de  cuisson, et laisser échapper un beau panache blanc qui vient tutoyer les étoiles quand c’est la nuit. Mais si par malheur il n’y a plus d’eau, ça chauffe. Trop. Et on ne peut pas ouvrir la fenêtre.

Les tubes qui contiennent le combustible fondent comme du chocolat sous la langue de l’enfant le dimanche de Pâques. C’est alors que le zirconium devient fou et s’empare de l’oxygène caché dans le peu de vapeur d’eau qui reste. C’est l’emballement. L’hydrogène se libère, fait explosion avec l’oxygène, les produits de fission surchauffés, du moins ceux qui ne sont pas gazeux, se mêlent au combustible pour former une pâte à tartiner qu’on appelle le corium. Laquelle coule au fond de la cuve. À ce stade, tout va encore bien, car nos cuves, de qualité française, sont garanties dix ans.

Hélas, le plan mille fois revu par les spécialistes a cette fois échoué. L’un des meilleurs experts du nucléaire, interrogé sur la route de Palavas-les-Flots, est formel : « Si la pluie avait cessé comme prévu après 30 minutes, rien ne serait arrivé. Je m’explique : le calcul de probabilité prouve que le 26 avril, à Flamanville, les averses ne dépassent jamais 24 minutes et 38 secondes. Et c’est bien pourquoi, par souci de sécurité, les organismes de contrôle avaient exigé ce paramétrage de trente minutes qui, soit dit en passant, avait bien embêté à l’époque notre fabricant national de centrales. Seulement, pour une raison qui devra être analysée, cette funeste pluie de Flamanville a duré au total 37 minutes et 18 secondes. Clairement, et n’ayons pas peur de la franchise face à une telle catastrophe, il y a eu sous-dimensionnement ».

Le grand mot est désormais sur toutes les lèvres. Sous-dimensionnement ! Le corium vient contre toute attente de percer le fond de la cuve et se retrouve étalé sur le radier, une couche de béton impénétrable. La réaction en chaîne est bloquée, car il n’y a plus d’eau pour ralentir les neutrons. Il ne devrait plus y en avoir. Mais la pluie drue de Flamanville, qui n’en finit pas de fouetter les dômes écartelés de la centrale, finit par atteindre – comment, on ne le sait pas encore – le corium. Cette fois, aucun courage humain ne peut plus rien. Les deux explosions de 10h42 ne s’expliquent pas autrement. En partance pour Vanuatu, via l’aéroport de Montpellier, notre grand expert du nucléaire se veut serein, et même moqueur : « Je parie que certains ne vont pas tarder à remettre en cause l’énergie nucléaire ! Quel pays, franchement ! Le soleil n’est-il pas lui-même une immense réaction nucléaire ? Laissons retomber les passions, et vous verrez que la raison l’emportera une nouvelle fois ».

FESSENHEM, 26 avril, 14H12

Les explosions de Flamanville ont aussitôt rempli les studios de télé et de radio d’émissions spéciales. Et les invités sont innombrables : parmi eux, Luc Ferry – « il n’y a pas lieu de paniquer » -, Pascal Bruckner – « Et en avant pour de nouveaux sanglots » -, Jacques Attali – « Il n’est pas trop tôt pour penser à la reconstruction » -, Régis Debray – « Le vieux pays n’avait sans doute pas besoin de cela » -, Michel Onfray – « La grande erreur serait de confondre nucléaire, psychanalyse et islamophobie ». Mais à peine a-t-on eu le temps d’enregistrer l’événement qu’une nouvelle horreur secoue la France entière.

Fessenheim ! Notre plus vieille centrale commerciale, encore pleine de sève après près de quarante ans de bons et loyaux services, n’est plus. Comme on le sait, la polémique a aussitôt flambé sur les causes de l’accident, entraînant la publication d’un communiqué virulent de la fédération CGT de l’Énergie, dont nous extrayons les phrases qui suivent : « La direction d’EDF, incapable depuis des décennies de prendre en compte et de satisfaire enfin les revendications du personnel de notre entreprise, tente aujourd’hui une manœuvre de diversion. Eh bien non ! Non, il n’est pas vrai que le barbecue organisé dans la cour de la centrale de Fessenheim pour le départ en retraite de notre camarade Anita Thomes soit la cause du désastre. Imaginer un lien entre le petit incendie, vite maîtrisé, causé par le charbon de bois et la destruction de notre outil de travail, c’est faire la preuve d’un grand mépris pour le savoir technique de nos ingénieurs ».

Nos experts, de leur côté, avancent, sans que cela soit contradictoire, l’obturation inopinée d’un tuyau, entraînant un débordement dans le système de refroidissement. L’eau – encore elle – aurait alors atteint des armoires techniques et affecté le système électrique. Le préposé aux barres – équipées d’un matériau absorbant, type Sopalin, elles permettent en théorie de réguler la puissance du réacteur – n’aurait pu les manœuvrer. Pourquoi ? Nul ne sait, mais une source proche d’EDF affirme que l’employé en question était en train de manger des saucisses dans la cour. Quoi qu’il en soit, le jet de seaux de bore à la main, in extremis, semble avoir dopé, au contraire des espérances, le réacteur Fessenheim-1, devenu en quelques minutes hors de contrôle. Une heure plus tard, ainsi que le montrent les images du courageux caméraman de France 3-Arschloch aussitôt accouru sur place – une pensée pour sa famille  -, les deux réacteurs de Fessenheim, en feu, commençaient à cracher dans les cieux leurs empoisonnantes moissons.

LES MYSTÈRES DE LA ROSE DES VENTS (26 avril, 11 heures-16 heures)

Si l’on ose l’écrire, ce n’était encore rien. Dans les premières minutes du drame, tous les regards se tournent bien entendu vers Éole, dieu des vents et des tempêtes. Et si ? N’écoutant que son devoir – elle était à La Ferté-sous-Jouarre, pour une animation chez Auchan « LaVieQueJaime » -, la présentatrice météo Fanny Agostini regagne les studios et en moins de deux minutes, livre une impeccable synthèse.

En résumé, les vents dominants, en France, sont d’Ouest, et poussent donc en direction de l’Est. Une très mauvaise nouvelle pour Flamanville, car en ce cas, le panache radioactif peut être à Paris en 6 à 12 heures. Fort heureusement, un concours de circonstances idéal va modifier le tableau. Primo, un fort courant d’air arctique continental venu du nord-est de l’Europe vient buter contre un vent local du Pas-de-Calais, l’Escorche-River. A priori, les vents d’Ouest continueront – hélas – à s’approcher des 12 millions d’habitants de l’Île-de-France. Mais, secundo, le vent arctique est bientôt libéré par un vent breton appelé Père Banard, dont la queue pénètre et désagrège l’Escorche-River. À cet instant, la France est sauvée, car la puissance des vents polaires n’aura aucun mal à chasser vers les îles britanniques le nuage de Flamanville, déjà considérable. La France propose à Londres l’envoi d’équipes de décontamination et du couple Chevallier-Laspalès pour détendre l’atmosphère.

Idem à Fessenheim, où le traditionnel vent alsacien Betchawind pousse gentiment le nuage radioactif de l’autre côté du Rhin. EDF propose à Berlin d’envoyer une Kangoo tout équipée et deux techniciens, spécialistes de la réanimation. On peut dire qu’à 16h30, toute menace de contamination a disparu du ciel français. Mais c’est alors que le Baslerwind, un mauvais vent allemand, impérial et dominateur, repousse sur notre territoire des milliards de milliards de radionucléides tourbillonnants.   À l’Ouest, côté Flamanville, se produit un coup du sort comme il en est peu dans notre histoire millénaire. Sans prévenir quiconque, un vent régional venu du nord, tombé comme une pierre de la vallée de la Seine, assomme pour de bon le front arctique. Les vents marins, porteurs de toutes les misères du monde, sont définitivement libérés. La France et Paris sont abominablement prises en tenaille. On se souviendra longtemps de cette grande inscription à la peinture laissée sur un mur déjà contaminé de Rouen : « HEY CONNARD, OÙ AS-TU PLANQUÉ LES PASTILLES D’IODE ? ».

À la frontière du Rhin, l’affolement gagne. Dès les premiers flashs radio, une partie de la population de Mulhouse se jette sur l’autoroute A35. Qui vers le Nord, espérant peut-être rejoindre l’A4, puis Paris. Qui vers le Sud, la Suisse et ses sommets immaculés. Mais la saute de vent déjà évoquée – le Baslerwind remplaçant traîtreusement le Betchawind – provoque un retournement complet de la situation. Tout le monde semble vouloir aller en Allemagne. Non seulement l’A35 se thrombose au milieu des hurlements, mais la D39, qui traverse la forêt de la Hardt, devient le théâtre de scènes dignes de The Walking Dead. Joint sur son téléphone portable juste avant que les réseaux ne s’éteignent, le maire de Panzerheim lâche : « Kopfertami, mais ils ne respectent même plus l’écharpe tricolore, ou bien ? J’en ai vu un, mon bon monsieur, qui me visait avec une arbalète !  ».

 

PARIS OUTRAGÉ, PARIS CONTAMINÉ, PARIS PARALYSÉ (tout l’après-midi du 26 avril)

 

Dès 15h30, le 26 avril, les balises permettant de mesurer la radioactivité dans l’air se mettent à sonner sans discontinuer. Les premières à mugir sont celles de Chevreuse, de Saclay, Bruyère-le-Chatel, les plus à l’ouest de Paris. Mais la Seine est enfoncée en quelques minutes, car un vent désormais puissant pousse de plus en plus vite des nuages jaune canari en direction de la capitale. Pourquoi jaune ? Personne n’est plus capable de répondre. Plus au nord, le château de Versailles est dépassé, Meudon, Clamart, Boulogne, Neuilly sont atteints. Et, plus vite encore que les neutrons, le téléphone portable transporte d’un bout à l’autre de la mégapole l’affolante nouvelle.

Dès 16 heures, il est impossible de sortir de la nasse, sauf à pied, sauf par les airs. 500 mètres autour du périphérique, tout est désespérément bloqué, et la tension est à son comble. On se secoue, on s’écharpe, on se mord au sang sous l’œil apparemment indifférent des pigeons de Paris, en pleine parade nuptiale au pied des arbres. Les armes, dont certaines lourdes, sont rapidement de sortie, et trois témoins dignes de foi jurent avoir vu un automobiliste coincé rue de Bagnolet sortir un engin antédiluvien et faire feu sur un petit ULM se dirigeant apparemment vers le sud. L’ULM s’abat sur l’École d’architecture des jardins et paysages.

 

UNE FEUILLE DE PAPIER NE SAURAIT SUFFIRE (LE 26 avril, entre 14 et 24 heures)

Non loin de là, le cimetière du Père-Lachaise – mais également ceux du Montparnasse, de Montmartre, des Batignolles, de Passy, de Vaugirard – est le théâtre d’une sorte de guerre des tranchées. Des grappes humaines ont commencé à ouvrir des fossés entre les tombes, dont certains dépassent un mètre de profondeur. Et l’on voit même certains acharnés se coucher au fond du trou qu’ils viennent de creuser, avant de se recouvrir sommairement de parpaings récupérés dans quelque Monsieur Bricolage. La folie est-elle déjà là ?

L’explication est plus simple : de nombreux Parisiens se sont jetés sur les sites Internet de L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), et une lecture rapide a fait le reste. Et en effet, que lit-on concernant les mesures de protection contre les radiations ? En résumé, il existe des rayons alpha, des rayons bêta et des rayons gamma (et X). Pour ce qui concerne les Alpha, rien de plus simple : leurs noyaux d’hélium sont stoppés par une simple feuille de papier, Mais attention à cacher ses doigts ! Les bêta sont plus embêtants, car il faut trouver soit une feuille d’aluminium de plusieurs millimètres d’épaisseur, soit un verre Plexiglas d’au moins un centimètre. Le mieux est de s’enfermer dans un cube d’un, voire deux ou cinq mètres cubes soigneusement refermé, et d’attendre les secours. Mais qui dispose à Paris de telles quantités de Plexiglas ?

Reste les rayons gamma (et X). Les gamma, de loin les plus dangereux, ne sont bloqués que par le plomb, le béton ou la terre. Pour stopper 30 % des radiations, compter 6 cm de plomb et 30 cm de béton. Pour en arrêter la totalité, espérer 120 m de plomb ou 1,9 km de béton, ce qui n’est pas si simple que cela à trouver. Outre les cimetières, transformés en un système qui rappelle étrangement le front de Somme en 1916, on peut voir sur quantité de terrasses des espèces de voiles étincelantes qui ploient sous le vent, faites de couvertures en aluminium. Ailleurs, notamment sur les Grands Boulevards, des brouettes charrient quantité de matériaux hétéroclites que des maçons improvisés transforment à toute allure en des sortes d’igloos.

LE  LOULOU DU TUNNEL DE SAINT-CLOUD (26 avril vers 18 heures 30)

À Paris, parmi les pionniers de la fuite, il faut compter les 4500 participants de la traditionnelle course des 10 Km à pied dans le Bois de Boulogne. Partis à 10 heures, les coureurs ont comme à l’accoutumée longé l’hippodrome d’Auteuil et les lacs avant que les nouvelles en provenance de Flamanville n’aiguillonnent la cinquantaine de dossards en tête de la course. Qui a donné le la ? Il était midi passé quand, comme aspirés, les milliers de sportifs franchissent le périphérique avant d’atteindre à une allure surprenante la préfecture de police, puis l’Hôtel de Ville, entraînant dans leur sillage quelques belles de nuits – hommes, femmes, femmes-hommes, hommes-femmes – encore présentes sous les frondaisons printanières.

L’image d’Anne Hidalgo, traquée jusque dans son bureau par une transsexuelle en pleurs, poitrine dénudée et sexe apparent, a fait le tour du monde. Le cri de la maire de Paris – « Madame, recouvrez donc vos esprits ! Et aussi votre polla, por favor. » – résonnera encore longtemps dans les mémoires. On ne sait toujours pas, à l’heure actuelle, où sont passés coureurs, policiers, prostitué(e)s et personnel municipal. En moins de deux heures, la totalité des rues et ruelles de Paris sont obstruées par des voitures individuelles bien sûr, mais aussi par des cars de pompiers – ces derniers en uniforme rutilant – et de policiers, des ambulances, des camions de cirque, des autocars de la RATP. Impossible de tout retenir au milieu des monocycles – E roues, monowheels -, skateboards, trottinettes, vélos, scooters pliables, tricycles, échasses, catapultes, charrettes à foin, landaus, tracteurs tirant des vaches et des cochons, pintades retenues par de pauvres ficelles, poules et canards entassés dans des brouettes. Sans compter ces milliers de matelas confortables, dont bon nombre sont tombés sur la chaussée, refermant un peu plus encore le passage. On voit des enragés, sabre au clair, éventrer ces baudruches, dont certaines contiennent encore de la plume d’oie.

Sous le tunnel de Saint-Cloud, la situation dégénère brusquement. Une bande ultramobile « des quartiers », venue à pied d’une cité voisine, saute de voiture en voiture par leur toit, s’attirant en retour des tirs nourris venus d’au moins trois véhicules. Il y a des blessés, peut-être des morts. Plus loin, au beau milieu du tunnel, des heurts très violents opposent pendant près d’une heure l’équipe de foot de Bagnolet, en visite au Vésinet, et le club de boxe du Plessis-Robinson. Là encore, il y aurait plusieurs morts par énucléation, lacération, désarticulation, dévoration. Autre drame : un loulou de Poméranie est longuement filmé, pendu à un semblant de réverbère, poussant des cris de bébé phoque. Brigitte Bardot, depuis son refuge de Saint-Tropez, lance un appel à dénonciation qui commence par ces mots : « Qui dénoncera l’auteur de ce crime abject ? ».

 

CANTIQUES À NOTRE DAME, PROCESSION AU SACRÉ-CŒUR (26 avril, de 17 heures à 20h30)

De toute façon, les jeux sont faits. Le nuage de Fessenheim, couleur framboise, qui s’était attardé au-dessus des vignes de champagne, arrive à son tour par le fort de Romainville et le bois de Vincennes. La seule voie qui serait praticable, encore épargnée par les radiations, est au sud, par l’autoroute du Soleil ou la nationale 20. Hélas, mille fois hélas, Montparnasse, Denfert, Alésia, Mouton-Duvernet sont figés dans une sorte de méchante graisse, qui colle les voitures les unes aux autres. Rien ne bouge, rien ne pourra bouger avant…Avant quoi ? La ville est devenue une immense clameur, entrecoupée de cris de rage et d’une immense colère qui pousse les plus énervés à la violence. Paris, ville désarmée ? À chaque carrefour, des hommes augmentés d’un masque à gaz montent la garde et font des tourniquets que personne ne remarque. Sur le parvis de Notre Dame, l’archevêque André Vingt-Trois, curieusement accompagné par le cardinal Barbarin de Lyon – torse nu, il se flagelle avec ostentation -, commence une homélie pour les trois centaines de fidèles demeurés alentour. Le Grand Rabbin de France et le Recteur de la Grande mosquée de Paris sont annoncés, mais la foule qui encombre les rues les empêchent visiblement d’arriver à Notre Dame. En revanche, rien n’arrête les cloches de la cathédrale, dont le bruit se répercute jusqu’à la gare de l’Est au nord, et vers le périphérique au sud.

On annonce au pied du Sacré-Cœur une procession traditionaliste conduite par l’abbé Laguérie, ancien de Saint Nicolas du Chardonnet, qu’on croyait exilé à Bordeaux. Ils ne sont guère nombreux – peut-être trois douzaines -, mais ils ont réussi à entraîner dans leur marche à genoux un couple de touristes chinois qui filment la scène. Ces derniers ont-ils bien compris ce qui se passe ? On entend l’abbé hurler au ciel des grandes envolées en latin suivies du jadis célèbre mais désormais délaissé : « Vade retro, Satanas ». Un couple d’homosexuels, mariés dès 9 heures ce matin-là dans la mairie du quartier, est pris à partie par Laguérie, qui lui lance sans ménagement : « Allez tous vous faire enculer ! »

L’HÉLICOPTÈRE RUSSE ÉTAIT AU RENDEZ-VOUS (26 avril, en fin d’après-midi)

Un malheur d’une telle ampleur ne choisit pas ses victimes. Toutes les catégories de la société sont évidemment frappées, et les people comme les autres. Pour un Florent Pagny, à l’abri dans sa propriété de Patagonie – il a aussitôt proposé un concert de soutien à Ushuaïa, capitale de la Terre de Feu -, combien de Mimi Mathy, qui court à petits pas rejoindre Gérard Depardieu ?

Car Depardieu est là, qui a aussitôt mobilisé son hélicoptère Mil Mi-26, généralement remisé dans le parc de sa villa de Néchin (Belgique). En une grosse heure, l’appareil quitte la Belgique et se pose lourdement sur le terre-plein des Invalides, où commencent à arriver, avertis par un mystérieux bouche-à-oreille, vedettes de la télé et du cinéma.

Le Mil Mi-26, Russe comme chacun sait, est capable de transporter 20 tonnes de charge utile jusqu’à 2000 mètres d’altitude. Le calcul est vite fait : 20 tonnes divisées par 75 (kilos) égale 266,666667. En théorie, donc, un formidable sauvetage en perspective. Sombre ironie des circonstances : le Mil Mi-26 a massivement servi au-dessus de Tchernobyl, où il a permis de jeter dans la fournaise radioactive des centaines de tonnes de plomb et de sable. Fera-t-il aussi bien aux Invalides ? Une question agite pendant douze secondes ce qui reste de nos réseaux sociaux : Depardieu aurait-il dû monter lui-même à bord, empêchant ainsi 15 personnes d’échapper à une mort certaine ?

Parmi les premiers arrivants, on aperçoit Mireille Mathieu et ses 13 frères et sœurs. « Je ne monterai pas dans l’hélicoptère sans eux ! », jure-t-elle au milieu des pleurs. Et en effet, elle restera à terre. Michel Onfray a plus de chance. Malgré les insultes proférées à Depardieu : « Gros tas islamophobe ! Poussah sarkozyste ! », il parvient à monter à bord, aidé par un Charles Aznavour rigolard, qui le prend pour Lino Ventura.

La mêlée devient peu à peu générale. Il y a bien 10 000 personnes autour du Mil Mi-26. Visiblement indisposé – certains témoins accusent la vodka -, Depardieu part en expédition dans la carlingue, d’où il revient avec une Browning M2, chambrant de très perforantes munitions de 12,7 mm. Il s’agit d’une mitrailleuse lourde, capable de tirer 500 coups à la minute à la vitesse initiale de 930 mètres par seconde. Les spectateurs les plus proches pensent à une farce, mais déposant trois lourdes bandes de munitions sur son ventre, Depardieu pointe la mitrailleuse en direction de la foule depuis l’intérieur de l’hélicoptère. L’arme a peut-être échappé à son contrôle, car la détente part brusquement et hache horriblement tout ce qui bouge au-delà du dixième rang. En moins de cinq minutes, il ne reste plus autour de l’hélico que les plus acharnés à partir, parmi lesquels Françoise Hardy, Chantal Goya, Hélène (et les garçons) Rollès, Dorothée.

Cette fois, l’hélico est prêt à partir, et les pales commencent à tournoyer dans un fracas démentiel. Depardieu est à la manœuvre et n’hésite pas à refermer sur les doigts de Line Renaud la lourde porte métallique de l’appareil. Dans un sursaut désespéré, PPDA, venu en voisin, tente de s’accrocher aux grosses roues de l’hélico, qui décolle tout de même. Va-t-il tenir bon ? On le croit quelques secondes, avant qu’un téléphone portable anonyme ne capture pour l’éternité l’horrible chute libre de l’ancien présentateur de TF1.

 

EN SIDE-CAR, EN RER ET EN AVION (26 avril, 18h-21 heures)

Pendant ce temps, le gouvernement n’est pas resté inactif. Alors que certains ministres refusent de quitter Paris, préférant le confort spartiate de l’abri anti-atomique de l’Élysée, la plupart des autres décident de suivre une petite foule compacte emmenée par François Hollande en personne, Manuel Valls et Jean-Yves Le Drian, coiffé d’une casquette Bigeard ramenée de son dernier voyage protocolaire en Algérie.

Mais où aller, alors que la boussole de l’État semble prise de folie ? C’est Jean-Vincent Placé, transfiguré par la gravité de la situation, qui prend l’affaire en main. Il réquisitionne d’autorité, juste devant le palais présidentiel, un Saviem SM8 à quatre roues motrices, dans lequel il installe tant bien que mal une grosse vingtaine de ministres. Lui-même saute dans un side-car – il y en a fort heureusement 6 prépositionnés à l’entrée de la rue du Cirque – ainsi que les plus agiles des ministres. Michel Sapin jure l’avoir entendu s’écrier : « ¡ Viva la muerte ! ». Placé sait en tout cas où il conduit les autres : à la gare du Nord.

Là, survolté aux dires de tous, il embarque son monde à bord d’un RER B, lui-même prenant place dans la cabine, à la droite d’un conducteur terrorisé. Pratiquement sous la menace d’un couteau Opinel numéro 8, le chauffeur grille en appuyant de toutes ses forces sur l’avertisseur sonore les arrêts Stade de France et La Courneuve-Aubervilliers. Le train s’arrête au Bourget, permettant en moins de cinq minutes à l’équipe ministérielle de monter à bord d’un antique bus TN4 – mis en service en 1931, abandonné en 1959 -, doté de 50 places, dont 33 assises. Une nouvelle fois, Placé est à la manœuvre, et au sens premier. Car faute de conducteur disponible, c’est lui qui se met au volant, chantant à plein volume un chant plutôt inattendu dans sa bouche, celui de la Légion étrangère : « Au Tonkin, la Légion immortelle/A Tuyen-Quang illustra notre Drapeau./Héros de Camerone et frères modèles/Dormez en paix dans vos tombeaux ».

Un quart d’heure plus tard, sur le tarmac de l’aéroport du Bourget, François Hollande et ses hommes disent adieu au sol parisien et s’envolent à bord d’un Airbus A400M Atlas. Secret d’État pendant quelques minutes, la destination est très vite éventée : le gouvernement se dirige vers l’aéroport de Clermont-Ferrand-Aulnat – « Ni trop loin, ni trop près de Paris », a tranché François Hollande – mais ne peut s’y poser à cause de vents carabatiques capricieux. Ce sera donc Vichy-Charmeil.

LES CRISES CARDIAQUES DE SAINT-ANTOINE (26 avril, nuit du 27)

Pendant ce temps, Paris devient une tombe. L’hôpital n’est déjà plus qu’un souvenir, car les urgentistes, comme les autres Parisiens, sont en fuite, cherchant sans grand espoir le moyen de quitter la fournaise atomique qui s’annonce. Mais à Saint-Antoine – souvenir des miracles d’Antoine de Padoue ? -, une petite équipe – un médecin bangladais, un infirmier soudanais – est restée en place. Dès 17 heures, des centaines de malades serpentent jusque sur la rue du Faubourg Saint-Antoine. On a même installé un campement de fortune place du marché d’Aligre, tout proche.

À l’hôpital, il faut faire face. À cette heure, les radionucléides n’ont pas encore déformé les traits, dévoré les peaux, arraché les poils, mordu la glotte, écrasé le larynx, dispersé le cœur, explosé la rate, distendu les intestins, dévoré le foie, déconstruit les reins, asphyxié le sang, émasculé les rognons, recraché les poumons, éparpillé façon puzzle l’estomac et le diaphragme. Non, mais la terreur a déjà fait de terribles dégâts. Ceux qui arrivent sont atteints de crises cardiaques à répétition, de ruptures d’anévrisme, d’AVC qui ne laissent guère de doute sur leur origine. Que va-t-il se passer quand les mortels rayonnements auront transformé les assiégés de Paris en autant de Quasimodo ricanant sur les poutrelles de la Tour Eiffel ?

Jacques Cheminade n’en est pas encore là. Quoique. Où a-t-il pu trouver ses techniciens ? Et qui lui a ouvert la porte des studios ? Il semble bien devenu, dans cette nuit de toutes les tragédies, le maître de la tour TF1, aidé il est vrai par 8 des 19 membres de son parti Solidarité et Progrès. À 2h20 le 27 avril, interrompant sans façon une rediffusion de « La chasse au gluau dans les pinèdes de Mimizan », apparaît devant les (rares) téléspectateurs encore devant leur écran l’ancien candidat à l’élection présidentielle Jacques Cheminade. Encore y a-t-il un léger doute, car l’individu est tout engoncé dans un scaphandre derrière la vitre duquel il est difficile de distinguer un homme d’une bête. Ou d’une plante. Par la grâce d’un micro, on entend distinctement ces mots : « C’est sur Mars qu’il faudra continuer notre combat. En avant vers le grand espace, peuple de France ! ».

LA GRANDE MANIFESTATION DE LA FNSEA (27 avril, 10h-23 heures)

Était-ce une erreur ? Peut-être. Le fait est que rien ne se passe comme prévu. Il faut dire qu’on avait un peu oublié l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (ADMP), constituée en novembre 1951, quelques mois après la mort du chef de Vichy. Certes, ils n’étaient pas très nombreux, entre 11 et 17 selon les sources, mais leur présence devant l’hôtel du Parc – l’association est copropriétaire de ce lieu où Pétain avait sa chambre entre 1940 et 1944 – a paraît-il marqué Emmanuelle Cosse, ministre du Logement. Elle en profite pour déclarer que le programme de rénovation énergétique des vieux logements continuera.

Parmi les manifestants, on pouvait voir les calicots un peu passés de Lorraine royaliste et des Blogueurs rivaroliens, dont chaque militant présent porte par-devers lui un immense portrait de personnalités parfois controversées : les inspecteurs Pierre Bonny et Henri Lafont, de la rue Lauriston, Jacques Doriot, Marcel Bucard, Philippe Henriot, Marcel Déat, et même quelques Européens moins connus comme Reinhard Tristan Eugen Heydrich, Ernst Kaltenbrunner, ou encore Heinrich Luitpold Himmler.

Mais ce n’était encore que hors d’œuvre. Force est de constater que la FNSEA a réussi, au lendemain des terribles événements de Flamanville et de Fessenheim, un tour de force. Rassembler 7000 participants – dont il est vrai 1200 truies et verrats, 8 baudets du Poitou, 125 vaches Salers, 3200 poulets fermiers, 502 oies et jars, 92 lapins, 22 hamsters et 176 tracteurs John Deere, New Holland, Claas, Massey Ferguson et Case IH n’était pas à la portée de n’importe qui. La FNSEA, qui entendait demeurer dans le strict cadre syndical, a refusé tout commentaire sur le cataclysme nucléaire de la veille. Arrivé en renfort en tout début d’après-midi, l’ancien président de la FNSEA Luc Guyau ne mâchait pas ses mots : « Ce qui se passe en France, ainsi que le répéteront tout cet après-midi mes amis présents, est intolérable. Les prix de la luzerne, du sainfoin et du dindon s’effondrent ensemble, comme par hasard, et que fait le gouvernement ? Rien. ».

La soirée donne lieu, dans les rues d’habitude si thermales de Vichy, à des scènes d’émeute. Tandis que les manifestants tentent, mais en vain, d’atteindre l’hôtel des Ambassadeurs, où le gouvernement essaie de prendre quelques heures de repos (aux cris de « Hollande, déchet, on t’collera au gibet ! »), des centaines d’animaux désentravés parcourent en tout sens la petite cité autrefois paisible. La répression est brutale. Le 27 avril au matin, 69 bovins, 117 poulets, deux baudets, 93 lapins sont retrouvés morts dans le caniveau.

À 9 heures le 25 avril au matin, Vichy attend dans l’impatience l’arrivée d’un car couchettes bloqué pour l’heure sur le viaduc de Port-Aubry, à Cosne-Cours-sur-Loire. La Loire scintille de ses mille feux printaniers, et ferait presque douter de l’immense chaos qui s’est abattu sur les Français. À bord du car, l’essentiel des ténors de l’opposition : Alain Juppé, Jean-François Copé, François Fillon, NKM, Xavier Bertrand, Christian Estrosi, Valérie Pécresse, Laurent Wauquiez, etc. Le président de l’UMP, Nicolas Sarkozy, arrivera-t-il avant l’autobus spécial ? Selon Nadine Morano, jointe au téléphone, qui tente, elle, de rallier Vichy par les Alpes, Nicolas Sarkozy a quitté le convoi à Orléans, et cherche un ULM ou peut-être un aérostat pour arriver plus vite que ses concurrents de la primaire.

TENTER UN PREMIER BILAN (17 mai midi)

Près d’un mois après le début du Grand Séisme Français, il reste impossible de dresser un premier bilan. Qui croire ? L’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN), qui parle de deux millions de morts et sept millions de blessés ? Le réseau Sortir du nucléaire, qui avance le chiffre de 17 millions de décès ? Stéphane Lhomme, qui affirme, crayon en main, que l’on en sera bientôt à 71 millions de victimes ? Une chose est probable : on risque de se souvenir longtemps de ce 26 avril 2016. La sécurité, dans le monde instable et dangereux qui est le nôtre, doit rester la priorité numéro 1 de l’industrie nucléaire. EDF n’a pas le choix : si notre grand Électricien national entend garder la confiance et l’affection des Français, il doit commencer par balayer devant sa porte, et ne pas se laisser tenter par une augmentation massive du prix de détail de l’électricité, laquelle pourrait faire douter de l’excellence des choix faits il y a quarante années. La confiance est chose trop précieuse pour être gaspillée. Pour que dure le pacte noué en 1946, à la naissance d’EDF, un seul mot s’impose : modération. C’est à ce prix que les consommateurs accepteront de regarder l’avenir comme ils le font du passé. On connaît la devise de l’entreprise : « EDF, Changer l’énergie ensemble ». Ensemble, tel est bien le mot décisif.