Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 24 décembre 2014, sous un autre titre
Pour faire plaisir à un lobby patronal – dont notre Medef national -, l’Europe de Juncker et de la fraude fiscale vient de sacrifier la lutte contre la pollution de l’air, qui tue chaque année des dizaines de milliers de personnes.
Ces gens de l’Europe se foutent ouvertement de nos gueules. Le dernier exemple vient d’en être apporté par la « nouvelle » Commission européenne présidée par le Luxembourgeois Juncker, déjà empêtré dans le tentaculaire et retentissant scandale financier Luxleaks (1).
De quoi s’agit-il ? Le 20 novembre – mais l’affaire durait depuis des semaines dans les coulisses -, le lobby BusinessEurope adresse une lettre à ses servants de la Commission. BusinessEurope regroupe 39 associations patronales de 33 pays, dont notre merveilleux Medef, et à ce titre, on peut le qualifier de grande puissance. Donc, une lettre, qui passe en revue cinq projets de directives – des lois – qui sont depuis longtemps dans les tiroirs. Et qu’il faut désormais sortir, et appliquer. Lesquels ? Pour noyer le poisson, BusinessEurope mélange fretin et gros morceaux. Dans la première catégorie, l’égalité des genres dans les conseils d’administration. Et dans l’autre, la protection de la santé et l’écologie.
Sans trop se gêner, et ainsi que le rapporte le site en ligne Euractiv.fr, les patrons font valoir que ces projets déjà en négociation « vont à l’encontre de la compétitivité des entreprises européennes » et « devraient être supprimés ». La suite, même pour des gens blindés comme les chroniqueurs de Charlie, est stupéfiante. Car Juncker et son homme-lige Frans Timmermans, vice-président de la Commission, acceptent de se coucher dans les beaux draps de soie de BusinessEurope.
Le 16 décembre, les deux compères annoncent comme s’ils venaient de prendre la décision en toute liberté qu’il faut faire des choix (2). Constatant après tant d’autres Sarkozy et Hollande que « les grandes priorités sont la croissance et l’emploi », ces braves employés de maison entendent se concentrer en 2015 sur 23 initiatives. Ce qui implique de jeter dans la cuvette des chiottes deux « paquets », ainsi que les appelle la novlangue : celui concernant la pollution de l’air et celui de « l’économie circulaire », concept en vogue qui consiste à utiliser peu de carbone et à massivement recycler.
Ce que voyant, les cocus habituels – les associations comme France Nature Environnement, Les Amis de la Terre, la fondation Hulot – pondent un communiqué épouvanté. Extrait : « Concernant la qualité de l’air, cette décision incompréhensible annule ainsi la révision de la directive « Plafonds d’émissions nationales » qui aurait pu sauver 58 000 vies par an. Pour l’économie circulaire, cette suppression retire les objectifs de recyclage de 70% pour les déchets municipaux et de 80% pour les emballages, tout comme l’interdiction de mettre en décharge tout déchet recyclable ou biodégradable. Ces objectifs auraient pu créer des centaines de milliers d’emplois ».
Un mot sur le chiffre de 58 000. Il s’agit d’une estimation d’experts, et comme telle, n’est jamais qu’une indication. D’autres estiment par exemple que les particules fines de pollution, au premier rang celles du diesel, pourraient tuer avant l’heure 42 000 personnes par an en France. Et sept millions d’humains de même, chaque année, selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Dans tous les cas, il s’agit d’un crime de masse prémédité, et si un brin de justice régnait sur le monde, Juncker et Timmermans iraient droit en prison sans passer par la case Banques luxembourgeoises. Mais à ce compte-là, on pourrait poser des questions à la droite française – bien sûr -, mais aussi à la gauche.
Jacques Calvet, ci-devant patron de Peugeot, a conduit pendant quinze ans, de 1983 environ jusqu’en 1997, un lobbying forcené en faveur du Diesel. Et a gagné la partie, car les deux tiers des bagnoles neuves, chez nous, sont Diesel. 1983-1997 : gauche au pouvoir, puis droite, puis gauche, puis droite, puis gauche. Calvet, devant les députés le 3 septembre 1997, alors que Jospin est à Matignon : « Le problème est d’une simplicité biblique (…) : nous sommes les meilleurs dans le monde en matière de Diesel ».
(1) 28 000 pages d’accords fiscaux secrets entre le Luxembourg et une flopée de transnationales. Révélé par une quarante de journaux, Luxleaks montre comment les banques locales organisent la fraude fiscale au détriment des politiques communautaires.
(2) http://ec.europa.eu/priorities/work-programme/index_en.htm