Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 11 juin 2014
La blague est féroce : depuis deux ans, les socialos promettent une loi de « transition énergétique », repoussée trois fois et désormais renvoyée aux calendes grecques. L’explication est simple : le nucléaire et le pétrole sont cent fois plus puissants que le gouvernement.
Le gouvernement est tombé si bas qu’il vient une nouvelle fois d’envoyer aux pelotes la loi de transition énergétique, pourtant annoncée comme un phare du quinquennat Hollande. En deux mots, il s’agit de s’entendre sur l’avenir énergétique en fixant des objectifs pour le nucléaire, le gaz, le pétrole, les énergies renouvelables. D’ici 2030. Tous les lobbyistes, tous les grands patrons, à commencer par ceux de Total – Christophe de Margerie – et d’EDF – Henri Proglio – passent la moitié de leur temps à saboter les mesures susceptibles de gêner leurs belles affaires.
En janvier 2013, notre splendide président annonce un « grand débat ouvert et citoyen » sur le sujet au cours du printemps. Doit suivre une synthèse, puis une loi, au plus tard en octobre. Rien n’arrive d’autre que la réunion d’une Commission Tartempion. Y aurait-il blocage ? Les amis, cela n’a rien d’impossible.
Entre-temps, Philippe Martin a été nommé ministre de l’Écologie, et il se ramasse veste sur veste dans les arbitrages. Lui, c’est lui, c’est-à-dire une crotte de nez. Eux, c’est eux, les gros lourds du gouvernement d’avant le remaniement : Montebourg, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande bien sûr. Montebourg veut ouvrir des mines partout en France, Moscovici lèche le fion de l’industrie, Ayrault ne rêve que croissance et aéroport dans le bocage, Cazeneuve a gagné à Cherbourg le surnom de député-Cogema (nucléaire), Hollande lit longuement L’Équipe avant de commencer ses journées. Bref. Martin est humilié, et perdu pour perdu, il décide de bluffer. Le 14 février 2014, il annonce contre l’évidence : « Les travaux sur la loi de transition énergétique avancent bien et les délais seront tenus ».
À ce stade bouffon, une loi est annoncée pour juin, au pire septembre 2014. Ségolène Royal, qui a hérité de l’abominable avorton après sa nomination au ministère de l’Écologie, sait qu’elle risque de planter ses séances photo en acceptant les diktats de l’Élysée. On en arrive ainsi, fort logiquement, à l’annonce de ces derniers jours : on repousse à la Saint Glin-Glin la loi, tout en jurant qu’elle sera discutée au printemps 2015, si. Si Hollande trouve du fric, ce qui fait déjà rigoler les plus lucides. Royal réclame en tout cas une grande rallonge pour associer son nom à un plan sérieux de rénovation thermique des logements.
On en reparlera, pour sûr, mais en attendant, une courte visite chez nos amis du Medef est nécessaire. Dès juin 2013, Gattaz et ses potes de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), de l’Union professionnelle artisanale et de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) – oui, tous ces gens couchent ensemble – envoyaient chier le gouvernement. Et depuis, leur position n’a cessé de se renforcer. Ils clament haut et fort qu’ils ont besoin d’une énergie abondante et bon marché, de gaz de schiste made in France, de nucléaire, de bâtiments neufs, de routes nouvelles. Le 3 juin 2014, pour bien enfoncer le clou, le Medef Rhône-Alpes, cornaqué par Pierre Gattaz, a présenté ses propres propositions. Le début : « La première proposition consiste à faire de la compétitivité des entreprises l’objectif de la transition énergétique (Lyon Capitale, 4 juin) ».
Y a-t-il une issue ? Apparemment, non. Le gouvernement socialo – 6% des inscrits aux élections européennes – mise tout ce qui lui reste sur le pacte de responsabilité et ses 50 milliards d’économies. Faut-il le préciser ? Le patronat tient papa Hollande par les couilles, et il n’est donc pas question pour lui d’accepter une loi qui freinerait pour de bon la gabegie énergétique.
Y a-t-il une issue ? Peut-être, quoique non. Il faudrait monter en six mois une coalition sans précédent, regroupant tous ceux qui pensent au-delà de l’année prochaine. Capable d’ouvrir les yeux sur le désastre écologique planétaire, la crise climatique, le risque désormais évident de dislocation des sociétés humaines. On voit qu’il ne faut pas compter sur la politique classique pour avancer. Une seule solution, la révolution. C’est pas gagné.
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 11 juin 2014
Il y aurait 232 millions de migrants dans le monde, et leur nombre explose. Mais l’Organisation mondiale du travail, un machin de l’ONU où siègent de curieux syndicalistes, juge l’exil forcé excellent « pour la croissance et le développement ». Demain, des esclaves au coin de la rue ?
« Nous sommes tous d’accord que les migrations peuvent contribuer dans une très large mesure à la croissance et au développement ». Qui a dit cette sombre connerie ? Un syndicaliste, Dieu du ciel éternel. Le Britannique Guy Rider a fait carrière dans les trade-unions d’outre-Manche avant de devenir directeur du bastringue mondial appelé Organisation mondiale du travail, ou OIT. Créée en 1919, devenue agence de l’ONU en 1946, l’OIT réunit 185 États membres, des patrons, et de grands syndicalistes mais oui. Bernard Thibault, l’ancien ponte de la CGT, vient d’entrer à son conseil d’administration, très prisé. Officiellement, il s’agit du bien à ces pauvres prolos. Officiellement.
En réalité, la 103e conférence internationale de l’OIT, qui vient de se terminer, a permis à ce Ryder de sortir ce qu’un négrier n’oserait jamais dire à propos des « migrations internationales » (1). La thèse de Ryder, énoncée dans son discours d’ouverture, est limpide : c’est génial. 232 millions d’humains – le nombre est de lui – vivent loin de chez eux en 2013, mais c’est génial. Des millions de peigne-culs se font dépouiller, tabasser, surexploiter, emprisonner, mais c’est génial.
Attention, ne pas prendre Ryder pour plus salaud qu’il n’est : notre syndicaliste de combat note au passage que le discours raciste et les mauvaises conditions de travail – notamment – sont une bien mauvaise action. L’OIT va s’en occuper, exactement comme elle le fait depuis bientôt 100 ans. Lentement. D’ailleurs, le rapport qui accompagne le discours du chef précise : « Selon une estimation, une augmentation de 3 % du nombre de travailleurs migrants des pays en développement vers les pays à revenu élevé se traduirait en 2025 par des gains de 356 milliards de dollars [262 milliards d’euros] pour l’économie mondiale, soit une progression de 0,6 % du revenu mondial ».
C’est dit : l’envoi de jeunes mecs et de jeunes nanas pour vider le pot de chambre de nos mémés ou embarquer nos sacs d’ordures est une excellente nouvelle pour la crapule du Nord abonnée à Canal Plus et à Bouygues Telecom. Du reste, l’OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques -, un grand machin ultralibéral, est d’accord avec l’OIT. Dans une étude parue ces derniers jours (Migration Policy Debates, mai 2014), elle note après beaucoup d’autres que « dans la plupart des pays, les immigrés contribuent bien plus par l’impôt et les contributions sociales qu’ils ne reçoivent d’avantages ».
Ce n’est pas seulement répugnant, c’est aussi instructif. Voilà comment les patrons et les syndicalistes qui leur ressemblent voient l’avenir. De plus en plus de pauvres quitteraient leur masure pour aller vers le bonheur d’un monde plein de wifi et de téléviseurs à écran plasma. Ne surtout pas leur parler, en plus, de la crise écologique. Un rapport publié en 2007 (2) chiffrait déjà à 163 millions le nombre de pégreleux chassés de chez eux par les changements climatiques, les beaux projets de « développement » comme les barrages, les mines, les biocarburants, ou encore les guerres. Demain 500 millions, demain un milliard ?
Deux ans avant, en 2005, un autre truc de l’ONU – l’Institut pour la sécurité environnementale et humaine – assurait : « Il y a des craintes bien fondées selon lesquelles les populations fuyant des conditions environnementales invivables pourraient croître de façon exponentielle au cours des prochaines années, alors que la planète subit des effets du changement climatique et d’autres phénomènes comme la désertification ».
Question à la con : que deviendront le Bangladesh et ses 150 millions d’habitants en cas de submersion ? Pour cause de dérèglement climatique, la mer monte partout et ce pays plat comme la main risque à terme l’engloutissement. Où iront les pedzouilles ? Madame Royal – authentique – prépare pour 2015 un statut de « déplacé environnemental ». L’OIT n’est donc pas seule dans son grand combat.
Je suis triste. Il y a des tristesses comme heureuses, et d’autres qui font pleurer. Je pleure la mort d’un homme que je n’ai vu qu’une seule fois, Jean-Paul Brodier. Il m’avait invité chez lui à Metz, au soir d’une conférence que j’avais donnée pour l’Association des amis du Monde Diplomatique, et j’avais découvert alors un type charmant.
Je ne savais pas qu’il était épatant. Je l’ai compris peu à peu, grâce à Planète sans visa, dont Jean-Paul était un habitué. Il suggérait des améliorations, il traduisait pour moi, pour vous, des textes anglais. J’ai commencé d’apprécier sa vive culture technique, sa vraie culture tout court. J’ai le sentiment d’avoir perdu un ami lointain. Il avait 66 ans et bien sûr, je pense très fort à lui, et à son épouse, que j’ai eu le temps de croiser, ce soir d’il y a plusieurs années, à Metz.
Vous trouverez ci-dessous un hommage que le blogueur SuperNo lui a rendu, et qui précise tout ce que je serais bien incapable de dire.
PS : merci à Viviane, qui m’a transmis cette affreuse nouvelle
In memoriam Touchatout
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Je n’arrive pas à croire ce que je suis en train d’écrire. Vous l’auriez vu, il y a ne serait-ce que deux mois : grand, svelte, déconnant, lisant le Canard, faisant du vélo tous les jours, mangeant bio. J’ignorais qu’il avait déjà des ennuis de santé, ça ne se voyait pas, et il n’en parlait pas.
Et ce putain de cancer, qui devait le ronger de l’intérieur depuis de nombreuses années, en silence, avant de faire une apparition brutale.
J’étais allé le voir une première fois à l’hôpital de Mercy avec Madame Turandot. C’était il y a trois semaines, il venait d’être opéré en urgence, après avoir maigri de 10 kg en un mois. Déjà allongé, même s’il faisait quelques pas dans les couloirs. Moi qui déteste les hôpitaux, abasourdi de le voir dans cet état. On ne savait pas encore précisément ce qu’il avait, même si on s’en doutait. Mais jamais on n’aurait pensé que ça irait aussi vite. Il s’exprimait encore normalement, je me souviens qu’on avait parlé politique, comme d’habitude, des élections européennes. Pour occuper les longs mois de convalescence qu’on lui supposait, on s’était cotisés pour lui acheter une liseuse, que je lui avais remplie à ras la gueule. Après tout, quand on passe ses journées allongé, on n’a que ça à faire, de lire.
Quelques jours plus tard, il a été transféré dans une maison de repos. Turandot et moi sommes retournés le voir, la liseuse déconnait, je lui ai réparé le truc. Il bougeait de moins en moins, parlait de plus en plus mal, on avait un peu de mal à le comprendre. Et la liseuse, il ne s’en est quasiment pas servi, il était déjà trop fatigué pour lire.
Je l’ai revu une dernière fois dimanche dernier, toujous avec Turandot et avec Raoul, un autre fidèle du blog, qui était en Lorraine ce week-end là. Et il nous a vraiment fait peur, tant son état s’était dégradé en quelques jours. Sa parole était faible et inintelligible, il avait encore maigri, il s’est endormi plusieurs fois pendant que nous discutions… En sortant, on s’est demandé si on le reverrait. Même si j’étais encore loin d’imaginer que 4 jours plus tard ce serait fini.
Je viens donc d’apprendre que Touchatout est mort ce matin.
Je le connaissais depuis quelques années seulement. On habitait à moins de 10 km l’un de l’autre, mais c’est par l’intermédiaire d’un forum photo sur Internet qu’il m’a contacté. Ah oui, il portait bien son surnom de Touchatout : curieux et passionné de tout un tas de trucs, de préférence originaux. Il collectionnait les appareils photo. Il avait le projet de bidouiller un logiciel pour faire la mise au point de l’image transmise par sa dernière acquisition à partir d’un écran de PC. Il avait dégoté un code source, il voulait le compiler et le modifier en Linux, il m’avait demandé de l’aider. Je lui avais dit que je n’avais pas le temps, qu’on reverrait ça quand je serai au chômage. Je suis maintenant au chômage, mais lui il est mort…
Du forum photo, je suis passé au blog, et il m’a bientôt proposé son aide pour relire et corriger mes billets. Pas le contenu, hein, jamais il ne s’est permis de me changer un mot. De toute façon, si on s’entendait si bien, c’est d’abord parce qu’il pensait à peu près comme moi. Ou l’inverse. Mais il changeait tout le reste. L’orthographe (enfin, pas trop j’espère), la syntaxe, la ponctuation, la typographie. C’était “Monsieur espace-non-sécable”. A chaque fois que j’écrivais un billet (et à une époque c’était souvent !) il repassait derrière, rajoutait des espaces non-sécables, enlevait ou rajoutait des tirets, corrigeait mes fôtes. Il m’avait fait changer la police du blog pour une “sérif”. “Tu comprends, quand le texte est long à lire, il faut que la police soit sérif”. Bien monsieur.
Nombreux sont ceux qui se sont fait allumer après un commentaire, non pas forcément pour la teneur du commentaire lui-même, mais simplement parce qu’ils avaient oublié un tiret, une virgule, ou ajouté un “s” superfétatoire. Ben ouais, il était comme ça.
Nous étions allés ensemble à Paris, invités par le journal Marianne, à l’époque où ils avaient besoin de nous. On avait rencontré l’équipe de l’époque (notamment le patron, Philippe Cohen, autre victime du cancer disparu récemment et prématurément), et un paquet de blogueurs vedettes. Certains avaient même cru que SuperNo, c’était lui !
Touchatout travaillait à son compte. Il s’occupait de la version française d’un magazine d’électronique néerlandais. Ca tombe bien, il avait habité aux Pays-Bas, et il était électronicien. C’était aussi le roi du gadget. Tout le monde se souvient de l’un de ses favoris, un émetteur qui arrivait à brouiller le réseau téléphonique sur une bonne distance, et qu’il utilisait discrètement dans le train dès qu’une conversation déplaisante arrivait à ses oreilles, se délectant de l’incompréhension et des mimiques du casse-couilles coupé dans son élan blablatique et ainsi rappelé de force à la bienséance.
Parmi ses particularités, il possédait un taxi anglais. Ca lui allait bien. Il lisait des tas de bouquins en anglais, et et a été membre de la “dream team” qui a monté le site banksters.fr (un peu en sommeil en ce moment, ça va peut-être revenir…). Et au caricatures planplan de Plantu, Il préférait celles du Sud-Africain Zapiro.
A Metz, c’était un militant assidu. De Gauche, écolo, décroissant. Il était aussi un fidèle du blog de Fabrice Nicolino. Il ne ratait aucune conférence, aucune projection de film militant. Il fréquentait le Café-Repaire et les Amis du Diplo. Discret, d’une culture exceptionnelle, il possédait un humour pince sans rire très apprécié. Et il était fana de contrepèteries et de pataphysique. Avez-vous entendu quelqu’un d’autre employer les mots “luthomiction” ou “coproclaque” ?
Sa dernière blague, il l’avait faite il y a deux semaines à l’hôpital, alors qu’il était déjà cloué sur son lit, incapable de se déplacer seul. En voulant attraper quelque chose, il s’était tordu l’épaule et était tombé du lit, se retrouvant par terre sans pouvoir bouger, dans l’obscurité. Il a donc attendu que quelqu’un vienne lui porter secours. Mais personne n’est venu, à part une envie de pisser de plus en plus pressante. Farfouillant avec sa main, il est tombé sur la télécommande de la télé. Lui qui ne la regardait jamais, il l’a donc allumée, et a monté le son au maximum. Une télé qui braille dans une maison de repos, en principe ça aurait dû attirer du monde. Ben là, non. Fouillant encore, il trouve le téléphone portable que sa famille lui a confié. Il déteste ce genre de gadget, mais, là, pas le choix. Et il compose… le 18, et appelle les pompiers ! Et là, après avoir eu toutes les peines du monde à convaincre le planton qu’il ne s’agissait pas d’une plaisanterie de sale môme, il a donné son nom, l’adresse de l’hôpital, son numéro de chambre, et a attendu que le personnel, prévenu immédiatement, accoure affolé le délivrer de sa fâcheuse posture. Il nous racontait ça en se marrant.
Moi je n’ai plus envie de me marrer. Il n’avait que 66 ans. Son vrai nom, c’était Jean-Paul. Le gouvernement, le MEDEF et les banksters se réjouissent, en voilà un qui n’aura pas coûté un centime aux caisses de retraite puisqu’il travaillait encore tout récemment.
On l’a déjà vu avec Reiser ou Desproges (pour ne prendre que deux exemples parmi des millions d’autres), le cancer manque singulièrement de goût pour choisir ses proies. Faites-vous dépister, bordel ! Et surtout profitez de la vie, ça peut manifestement être court.
Condoléances à Mireille, sa femme que je connais à peine, à sa famille. Et que ceux qui lisent ce billet fassent circuler le triste message…
[PS : oui, Touchatout, je sais, à peine t’es parti que c’est déjà le bordel, “In memoriam”, c’est une locution latine, donc en italique… En même temps va mettre de l’Italique au milieu d’un titre de WordPress, toi...]
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 4 juin 2014
Les pesticides tuent, mais au pays des Bouygues, Rothschild, Pinault, rien ne va plus. Une prolo de la vigne mène un combat au couteau contre la chimie de synthèse, en souvenir de son frère, mort d’un cancer rare en 2009.
Fallait pas emmerder cette fille, c’est clair. Aurait pas fallu que son frangin Denis meure d’un cancer en 2009. Aurait pas fallu qu’elle lise autre chose que Le Journal de Mickey. Aurait pas fallu que Marie-Lys Bibeyran soit une combattante. Dommage pour les grands crus du Médoc, dommage pour les châteaux du Médoc, dommage pour le margaux, le saint-estèphe, le moulis.
Mais reprenons dans l’ordre. La fille a 36 ans et elle a grandi dans les vignes de Listrac-Médoc comme d’autres à la mine de Loos-en-Gohelle. Son père est maître de chai – il élève et chouchoute le vin –, elle a commencé à travailler dans les vignes dès l’âge de 13 ans, entre deux cours. Quand son frère Denis meurt à 47 ans, elle ne supporte pas. Son cancer des voies biliaires est rare – un cholangiocarcinome -, et il bossait comme elles dans les vignes, depuis plus de trente ans, pissant le sang à répétition pendant les épandages de pesticides.
Marie-Lys, qui ne croit pas à la coïncidence, réclame dès 2011 une reconnaissance en maladie professionnelle, qui lui est refusée. En 2012, elle tombe sur un article du magazine Lyon Capitale qui raconte l’aventure du petit labo Kudzu Science. En gros, il devient possible, grâce à un test, de tracer la présence d’une quarantaine de pesticides en analysant une simple mèche de cheveux.
La grande bagarre peut commencer. Aidée par l’association Générations Futures (http://www.generations-futures.fr), Marie-Lys organise entre octobre et novembre 2012 une collecte de cheveux. Elle a réussi à convaincre des prolos agricoles de son coin, et le résultat, connu en février 2013, est sans appel. Il y a 11 fois plus de pesticides dans les tifs de ces derniers que chez les riverains qui habitent loin des vignes.
On retrouve jusqu’à dix pesticides différents chez une seule mèche, et les malheureux qui vivent près vignes sans y travailler ont encore cinq fois plus de résidus de pesticides dans le cheveu que les veinards qui vivent à des kilomètres de là. Plus de 45 % des « molécules retrouvées sont classées cancérigènes possibles en Europe et aux USA », et « plus de 36 % sont suspectées d’être des perturbateurs endocriniens ».
La suite est sans fin. Marie-Lys, qui a une gosse de 9 ans, continue à travailler dans les vignes, et à traiter. Mais elles gueule comme jamais, semant un souk invraisemblable dans le village de Listrac-Médoc (Gironde), où elle habite, entourée de 600 hectares de vignes. Or le Médoc est devenu le pays des Bouygues, Pinault et Rothschild, qui se battent contre des boîtes comme Axa ou Allianz pour acheter vignes, caves et châteaux.
Autant dire que l’action de Marie-Lys Bibeyran n’est pas populaire, surtout chez les puissants. Elle vient d’obtenir à la mairie une copie du registre des décès entre 2002 et 2011, qui pourrait lui permettre de comparer le taux de cancer à Listrac et dans le reste de la France. Et presque tous les jours, sur sa page Facebook, elle monte à l’assaut comme en 14. Extrait du 25 mai : « Ça traite sur Listrac malgré le vent, côté Donissan, Moulin de Laborde, le Tris… ».
Extrait du lendemain : « Courrier à l’attention de Mr le Maire de Listrac remis en mairie hier matin, courrier comportant ma requête sur l’affichage de la mention “Traitements insecticides contre la flavescence dorée du 02 au 22 juin” ». Avant de pointer des infractions liées à la vitesse du vent au moment des épandages, et de rappeler des textes dont tout le monde s’est toujours contrefoutu.
Mais quelque chose est en train de basculer, et elle n’y est pas pour rien. Fin avril, un proprio de vignes – en Dordogne – a été reconnu définitivement coupable de « faute inexcusable « pour n’avoir pas suffisamment protégé ses salariés. L’une d’entre eux avait été gravement intoxiquée en 2007 par des pesticides au cours d’un énième épandage. Le 8 novembre prochain, l’avocat François Lafforgue, grand spécialiste du désastre de l’amiante, tentera d’arracher une reconnaissance de maladie professionnelle pour Denis, le frère zigouillé de Marie-Lys Bibeyran. On vous tient au courant.
Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 28 mai 2014
Notre transnationale du pétrole bousille une réserve naturelle à la recherche de gaz de schiste, fracturation hydraulique en prime. Pendant que Margerie fait ici des risettes télévisées, ses engins s’en prennent là bas aux Indiens et aux pumas.
Avant de dire tout le mal nécessaire de Christophe de Margerie et de Total, sa pauvre chose, deux mots sur le génial Guillermo Enrique Hudson, appelé en anglais William Henry Hudson. Né en 1841, Hudson a décrit la pampa d’Argentine, jusqu’à la Patagonie, comme aucun autre (1). Avis autorisé de Joseph Conrad : « Il écrit comme l’herbe pousse ».
La Patagonie reste un lieu à part. Une immensité de steppes, de pampas, de montagnes, de glaciers, d’archipels. Une beauté insupportable pour la transnationale conjuration du gaz de schiste. Car voilà où nous en sommes : tandis que l’entreprise Total joue ici le fabliau du « développement durable » et de la « responsabilité environnementale », elle est en train de dévaster là-bas la Patagonie argentine.
Voyons l’insupportable détail. Total est présent en Argentine depuis 1978, au travers de sa filiale Total Austral S.A, et produisait entre 2009 et 2012 30 % du gaz argentin. Mais il s’agissait encore de gaz conventionnel alors que les réserves estimées de gaz de schiste désignent le pays comme un des principaux producteurs mondiaux de demain, juste derrière les États-Unis et la Chine.
On se souvient sans doute qu’une loi votée en quelques semaines, à l’été 2011, interdit en France l’usage de la fracturation hydraulique, qui oblige à injecter dans le sous-sol de grosses quantités d’eau sous pression, surchargée de dizaines, voire de centaines de produits chimiques toxiques. Sans ce cocktail de la mort, pas de « fracking », pas d’explosion de la roche, pas de libération du gaz.
Total a mis la main sur une zone longtemps oubliée de tous, dans la province de Neuquén, au nord-ouest de la Patagonie, tout contre la cordillère des Andes. Les Indiens y ont été gaiement massacrés au cours de la « Conquête du désert » de 1879, et il ne reste sur place que des Mapuche, dont tout le monde se contrefout.
Parmi les concessions accordées à Total, une attire fatalement l’œil, car elle est située dans une réserve naturelle en théorie protégée, Auca Mahuida. Un premier puits, Pampa las Yeguas X1, a déjà été percé. La zone est pourtant un territoire mapuche très riche en mammifères sauvages, au point que des biologistes la considèrent représentative de la « steppe patagonienne ». On y on trouve des guanacos – sortes de lamas -, des pumas, des maras – des rongeurs -, des grands tatous velus, des furets de Patagonie, et même des condors. Mais que comptent ces crétins en face des grandioses perspectives d’extraction ?
Tout autour de la réserve, 11 permis ont été accordés à Total, et le bal tragique des foreuses et des camions a déjà commencé autour de certains puits. Exemplaire, l’association Les Amis de la Terre vient de pondre un rapport très documenté (http://www.amisdelaterre.org/rapportargentine.html) qui ne laisse place à aucun doute sur le scrupuleux respect, par Total, de ses hautes valeurs morales. Carolina Garcia, ingénieure et militante locale, y raconte par ailleurs : « Le puits Pampa las Yeguas et les infrastructures qui y sont liées menacent [une] réserve de biodiversité, notamment des espèces telles que le nandou choique [ressemblant à une autruche], le condor, le guanaco ou le chat andin… Au-delà de cette aire, nous sommes mobilisés avec de nombreux habitants et communautés de la province, mais l’unique réponse des autorités est la répression et le déploiement d’une campagne de propagande pour soutenir l’industrie pétrolière ».
Comme il se doit, Total jure que tout est en règle, et que toutes les autorisations ont été données. Qui ignore encore les paroles de cette chanson du business ? Margerie, le patron à moustache, est au mieux chez nous avec Hollande, qu’il rencontre quand il veut grâce à son cousin par alliance Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire général de l’Élysée. Interdite chez nous à cause des désastres écologiques qu’elle provoque, la fracturation hydraulique est employée en Argentine contre les Mapuche, les condors, les pumas. Total, entreprise citoyenne.
(1) Voir par exemple Un flâneur en Patagonie et Sous le vent de la pampa (Petite bibliothèque Payot)