L’UICN défend-elle vraiment la nature ?

Vous ne connaissez pas nécessairement l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). C’est un énorme machin bureaucratisé, chargé, en théorie du moins, de défendre la biodiversité partout dans le monde, en promouvant notamment des inventaires et des Livres rouges des espèces menacées. Avant d’en venir aux nouvelles du jour – un article de Stéphane Foucart paru dans Le Monde daté d’aujourd’hui – , voici comment je présentais l’UICN dans mon livre Qui a tué l’écologie ? (LLL, 2011) :

UICN, la mère de tous les compromis

Après la guerre, la France accueille à Fontainebleau, en 1948, la conférence de fondation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui demeure la principale autorité mondiale en ce domaine. Présentée à tort comme une gigantesque ONG, l’UICN est dès l’origine un conglomérat où se mêlent États, organisations officielles, associations. Où se mêlent et se mélangent donc des intérêts souvent opposés, mais où règne, comme par enchantement, le consensus. Autour de quoi ? L’UICN regroupe aujourd’hui 83 États, 114 agences gouvernementales, plus de 1 000 ONG et plus de 11 000 experts et scientifiques de plus de 160 pays.

On ne sache pas que cette bonne dame ait jamais rué dans les brancards même si certains de ses membres montraient déjà une belle lucidité sur les événements. Ouvrons ensemble le livre très remarquable que Roger Heim, alors âme de l’UICN et directeur du Muséum national d’histoire naturelle, consacre en 1952 à la question sous le titre limpide : Destruction et protection de la nature. Heim, qui fut pourtant l’un des plus nobles coeurs de son temps, y déploie à la fois une lucidité exemplaire et une naïveté confondante. Il voit bien que la nature subit d’effroyables coups de boutoir, mais il rêve, sans s’autoriser la moindre analyse, d’une sorte d’alliance miraculeuse entre elle, la science, l’économie et l’art, jugés audacieusement compatibles.

Au fait, encore Fontainebleau ? C’est bien là, en effet, qu’est fondée l’UICN. Et c’est là, dix ans plus tard, que l’absence de mouvement écologiste en France provoque une défaite totale, aussi totale que symbolique. Dès 1934, nos beaux ingénieurs des Ponts et Chaussées ont tracé le plan de ce qui deviendra l’autoroute A6. Au milieu des années 1950, ils piaffent d’impatience. Du béton, de la vitesse, des autos à perte de vue : le bonheur. Mais il y a un obstacle de trois fois rien : la forêt de Fontainebleau. Ses 25 000 hectares d’un seul tenant en font un joyau. Un trésor biologique. Une immense forêt de plaine, à peu près sans égale en France, qui sert de réservoir à des milliers d’espèces animales et végétales. Mais qui oserait entraver le progrès en marche forcée ?

Les ingénieurs proposent un parcours qui coupe le massif et sépare Fontainebleau proprement dit de la forêt des Trois-Pignons. Une zone unique et silencieuse, qui abrite par exemple le splendide chaos gréseux de Villiers-sous-Grez, sera sacrifiée. De chaque côté, sur un kilomètre, on n’entendra plus que le flot des bagnoles. Va-t-on voir apparaître une révolte ? L’époque ne s’y prête
pas, il faut l’avouer. Qui s’intéresse, dix ans après la guerre atroce qui a failli tout détruire, à la nature ? Il demeure intéressant de voir ce que disent et font les protecteurs officiels des milieux naturels. Pour l’essentiel, et avec ce qu’il faut, soixante ans plus tard du moins, appeler de la niaiserie, ils saisissent les autorités « légitimes ». Les Académies des sciences, de la médecine, de l’agriculture. Le Muséum, la Sorbonne. Les vieilles barbes sont de retour, qui deviennent la risée des journaux et des promoteurs. Ne sont-ils pas de ridicules « amoureux des papillons » ? Allons ! La France aura donc l’autoroute, et pour le même prix une autre saignée : le raccordement de la nationale 7 à l’A6.

End of story, comme on dit maintenant dans les feuilletons américains. En cette fin des années 1950, le mouvement de protection de la nature, incapable de penser le monde où il habite, incapable de seulement concevoir ce qu’est un rapport de forces, mise tout sur les relations avec les puissants. Déjà, si l’on me permet cette pique. Ce qui est manifeste à distance, c’est son retard sur le mouvement souterrain, mais bien réel, de la société française. Alors que bouillonne déjà, dans les années suivantes, la critique concrète des objets et de la consommation, de l’aliénation, de la vitesse, de la bagnole, le mouvement officiel continue de pontifier et de fréquenter les salons du pouvoir.

Il se montre incapable de comprendre et encore moins d’anticiper quoi que ce soit. Disons-le sans détour : c’est un mouvement de vieux. Il l’est d’ailleurs resté.

Fin de l’extrait

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En cliquant dans le lien intitulé UICN et Syngenta, vous pourrez lire ci-dessous un article signé Stéphane Foucart. Et vous verrez donc la distance parcourue en 65 ans par cette structure selon moi faillie. L’UICN  des bureaux et des « spécialistes » fait l’inventaire des meubles quand la maison entière est dévorée par les flammes. Éteindre le feu, poursuivre les pyromanes ? Ce n’est pas au programme de la bureaucratie « conservationniste ».

Le 1er  juillet 2009, la directrice générale de l’UICN, madame Julia Marton Lefèvre, fait un joli discours en forme d’hommage à l’invité du jour. Nous sommes à Gland (Suisse), au siège mondial de l’UICN, et l’on fête ce jour-là les 80 ans d’un certain Maurice Strong, grand manipulateur s’il en est. Strong a été le patron de transnationales du pétrole, du nucléaire, du pire. Mais il a AUSSI été le premier directeur du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), Secrétaire général adjoint de l’ONU, et à ce titre, personnage central des Sommets de la Terre de 1972 (Stockholm) et de Rio (1992) mais aussi de la Conférence sur le climat de 1997, à Kyoto. Incroyable ? En effet. Strong a même été un grand responsable de l’UICN. Qui dit mieux ?.

Madame Marton Lefèvre : « Bien entendu, 2009 est aussi le 80ème anniversaire de Maurice Strong, qui a marqué tant de vies, toutes les nôtres dans cette salle, mais aussi des milliers d’autres, avec ce mélange de vision et de clairvoyance face aux défis qui nous font face et auxquels nous devons trouver une solution ».

Nous sommes dans de beaux draps.

UICN et Syngenta.pdf

Ce parti qui n’a pas de nom

Qu’est-ce qu’un parti ? J’avoue ne pas bien savoir. Dans mon esprit, les partis expriment – en les immobilisant – des idées durement charroyées par le mouvement de la pensée. De ce point de vue-là, je ne peux que donner raison à ceux qui, comme le Premier ministre actuel, aimeraient que le parti socialiste au pouvoir change de nom. Car en effet, l’appellation date d’un temps où existait un mouvement ouvrier et un désir plus ou moins sincère d’émancipation sociale.

Pour vous faire rire un peu, voici l’article premier de la déclaration de principes de la Section française de l’internationale ouvrière (SFIO) dont le parti socialiste a pris la suite. Nous sommes en 1905, et l’article dit : « Le parti socialiste est un parti de classe qui a pour but de socialiser les moyens de production et d’échange, c’est-à-dire de transformer la société capitaliste en une société collectiviste ou communiste, et pour moyen l’organisation économique et politique du prolétariat. Par son but, par son idéal, par les moyens qu’il emploie, le parti socialiste, tout en poursuivant la réalisation des réformes immédiates revendiquées par la classe ouvrière, n’est pas un parti de réforme, mais un parti de lutte de classe et de révolution. »

Bon, c’est terminé depuis très longtemps. Depuis bien avant la guerre. Depuis bien avant juin 1936. Pour être encore plus près de la réalité, cela n’a jamais été vrai. Et ne parlons pas de ce parti communiste, engagé officiellement dans le combat pour l’égalité universelle, mais qui soutint jusqu’à la dernière goutte de sang la dictature stalinienne sur les pauvres, les ouvriers, les paysans, les peuples. Ne parlons pas de l’incroyable crapulerie d’hommes comme Jacques Duclos ou Maurice Thorez, ni des pâles copies que furent les Marchais, Lajoinie, Hue, Buffet et aujourd’hui Pierre Laurent. Quoi qu’on pense, on aura du mal à affirmer que ces partis-là incarnent un quelconque avenir. Ils sont morts depuis longtemps, mais une règle sociale imperturbable veut qu’un organisme politique peut bouger bien après son trépas.

Et le parti dit écologiste ? Idem, bien sûr. Les conditions de sa naissance en disent long sur les limites indépassables de son être. Ce mouvement est une queue de comète des événements de mai 68. À mes yeux, du reste, pas de la manière la plus intéressante qui soit. Les Verts, puisqu’il faut les appeler par leur nom, ont hérité quelques-uns des pires travers de leur époque. Notamment cet individualisme hédoniste, si tragiquement petit-bourgeois, qui les fait encore se mouvoir aujourd’hui – la dépénalisation du cannabis, pour m’en tenir à ce point comique – quand ils ne bougent jamais un orteil contre les nécrocarburants ou les barrages financés par l’argent public français.

Je ne veux pas même insister. Les « écologistes » français sont ridicules pour tellement de raisons que je n’en retiens ici que deux. Un, ils ont accroché leur modeste char à celui des deux partis de gauche cités plus haut. C’est infiniment logique, mais grotesque compte tenu des enjeux de l’époque. C’est logique, car ils expriment ainsi leur proximité avec ces partis, dont ils ne sont jamais qu’un produit de décomposition.  Deux, leur bureaucratisation pathétique a donné naissance à une caste sans foi ni loi autre qu’électoraliste, dont Dominique Voynet, Cécile Duflot ou Jean-Vincent Placé sont les meilleurs représentants. Notez avec moi comme il est crédible de voter des textes annonçant l’Apocalypse sur Terre avant d’aller s’arsouiller à la buvette du Sénat ou de l’Assemblée nationale.

On aura compris que je ne mise pas un centime d’euro sur eux. Pour éviter un malentendu supplémentaire, je me fais un devoir de préciser que j’ai des amis chez Europe Écologie Les Verts, à commencer par mon si cher Jean-Paul Besset, député européen pour encore quelques semaines. J’ai de l’estime pour nombre d’adhérents et même de responsables que je ne cite pas pour ne pas les mettre dans l’embarras. Mais le parti lui-même ne mènera jamais nulle part, car sa nature le lui interdit. La première des priorités, c’est de sortir du cadre.

La vraie priorité, c’est d’interroger l’histoire, et de se mettre d’accord sur les grandes lignes d’une critique sans fard de la révolution industrielle. Je veux dire : la forme historique qu’a prise l’explosion des sociétés humaines depuis 250 ans. Un tel mouvement de l’esprit conduirait fatalement à une fondation, cette fois sur une base solide, de mouvements politiques adaptés à des temps radicalement neufs. Tout le reste n’est qu’insignifiance et perte de temps. Et dans ces conditions, je vois mal comment nous pourrons garder l’adjectif écologiste, tellement dévalué par ceux qui le portent en sautoir. Le mot est en lui-même très beau, et me conviendrait donc. Mais à ce compte-là, je reprendrais aussi, et volontiers, le sublime communiste s’il n’était à ce point taché d’un sang indélébile.

Où veux-je en venir ? Mon parti n’a pas de nom. Il n’a pas encore de nom. Mais il en trouvera un, car c’est une nécessité. Et nous en serons fiers.

Le moustique était changé de l’intérieur

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 23 avril 2014

C’est parti mon kiki. Au Brésil, on va lâcher dans les villes et les campagnes un moustique génétiquement modifié, OX513A. Officiellement, pour éradiquer la dengue. Mais en réalité, pour soutenir le chiffre d’affaires de Syngenta, le tireur de ficelles.

On n’a pas fini d’applaudir. Les rusés garçons qui tentent d’imposer partout des OGM ont remporté une belle victoire. Une commission officielle brésilienne, la CTNBio, vient d’approuver le lâcher et la commercialisation de moustiques génétiquement manipulés. À la différence de notre consultatif  Haut Conseil des biotechnologies (HCB), la CTNBio décide, et on voit mal ce qui pourrait encore arrêter l’aventure : OX513A devrait bientôt voler dans les airs des grandes villes, de Rio à Bahia, de São Paulo à Recife.

OX513A est un moustique mâle Aedes aegypti dans lequel on a  injecté deux gènes qui modifient son ADN. Relâché par millions, il devrait, selon le plan, s’accoupler à des femelles traditionnelles et peu à peu réduire drastiquement la descendance. Car il est réputé stérile, ou près de l’être, et transmettrait son incapacité à sa progéniture.

Avant de cogner comme un bûcheron sur cette énième aventure industrielle, précisons que tout repose sur la trouille inspirée par la dengue, une maladie infectieuse on ne peut plus réelle. Virale, elle est transmise dans les pays tropicaux par les moustiques Aedes, et provoque maux de tête, douleurs musculaires et articulaires, nausées, vomissements, etc. L’une des formes les plus sévères, la dengue hémorragique, s’étend à grande vitesse, et au total, plusieurs millions d’humains seraient infectés chaque année, dont 21 000 sont morts en 2011.

N’est-ce pas génial ? Le tableau ne saurait être plus favorable pour les expérimentateurs : une maladie lourde qui frapperait 120 000 Brésiliens chaque année, un « progrès » à portée de main, un coût dérisoire comparé aux dépenses de santé occasionnées par le virus. Mais comme à l’époque des villages Potemkine – des trompe-l’œil destinés à bercer Catherine II de Russie -, il faut passer de l’autre côté du décor pour comprendre ce qui se passe.

Un, le résultat des essais au Brésil – ils seraient époustouflants – n’a pas été publié. Gabriel Fernandes, responsable d’une association brésilienne pour l’agriculture familiale, AS-PTA (http://aspta.org.br) va droit au but : « Il n’existe aucune donnée montrant que ce moustique OGM réduit vraiment l’incidence de la dengue. Dans ce cas précis, la décision est bien davantage basée sur la propagande que sur des données concrètes venues d’études de terrain ».

Deux, nul ne sait ce que sera le suivi de l’affaire une fois les moustiques relâchés. Aucune autorité n’indique ce qui se passerait en cas d’effet malencontreux. On dissémine, et on compte les points. Trois, d’autres essais menés dans les îles Caïman – sur une surface évidemment restreinte – ont surtout montré les limites du projet. Pour éliminer une population ridiculement faible de 20 000 moustiques « normaux » – combien de millions pour le gigantesque Brésil ? -, il aurait fallu disposer de 7 millions de moustiques OGM par semaine.

Quatre, les conséquences sur la santé humaine et celle des écosystèmes ne sont simplement pas prises en compte. Ce n’est pas une criaillerie d’écologiste attardé. Une baisse temporaire du nombre de moustiques porteurs de la dengue pourrait avoir ce que les spécialistes appellent un effet rebond. L’immunité contre la maladie baisserait aussi, mettant en danger divers groupes en cas de retour massif du virus. Selon certaines sources, la réduction pour un temps de la contamination pourrait en outre entraîner une baisse de l’immunité croisée, qui protège contre les différents sérotypes de la dengue.

Dans tous les cas, on ne sait pas où on va, mais on y va. On ne sait pas, sauf peut-être la petite entreprise cachée dans les coulisses. Un tel scénario passe par des techniciens hautement spécialisés, en l’occurrence ceux d’Oxitec. Cette boîte britannique (www.oxitec.com) se présente évidemment comme philanthropique. Officiellement, elle est « un pionnier dans la lutte contre les insectes vecteur de maladies et ravageurs des récoltes ». Et les solutions proposées, « durables, rentables et respectueuses de l’environnement » peuvent « garder les gens en bonne santé et accroître la production alimentaire ». C’est très beau, c’est très faux.

Selon l’association anglaise GeneWatch (http://www.genewatch.org), Oxitec a « des liens étroits avec la transnationale de l’agrobusiness Syngenta ». Cette dernière a financé certains travaux d’Oxitec, et plusieurs de ses anciens dirigeants siègent au conseil d’administration d’Oxitec. Pourrait-il s’agir d’un faux-nez ? Syngenta, d’origine suisse, est un géant mondial des semences et des OGM, qui ne cesse de chercher des chevaux de Troie pour pénétrer de nouveaux marchés. Le moustique OX513A pourrait bien faire partie de la liste.

Dans cette hypothèse, on risque fort de parler tôt ou tard de moustiques transgéniques en France, car la dengue est très présente dans les Antilles françaises – Martinique et Guadeloupe -, où la grande épidémie de 2009/2010 a frappé plus de 80 000 personnes. Et les Aedes aegypti tripatouillés par Oxitec transmettent également le chikungunya, qui a dévasté la Réunion en 2005 et 2006 et se répand ces dernières semaines dans les Antilles.

Le Sud-Ouest lui-même, sur fond de dérèglement climatique, est menacé. Le 26 mai 2012, un habitant de Marmande (Lot-et-Garonne) envoie à l’administration une photo prise chez lui, en plein centre-ville, qui montre un moustique du genre Aedes, de l’espèce albopictus. Celui qu’on appelle le moustique tigre. C’est d’autant plus chiant que sa présence a été confirmée de nombreuses fois depuis, de Pessac à Talence, et qu’il transmet lui aussi la dengue et le chikungunya.

La France reste loin pour l’instant du Brésil, mais demain ? Rappelons en deux mots l’affaire du DDT, produit miracle qui n’est jamais venu à bout du paludisme, mais a niqué pour de bon d’innombrables écosystèmes. Quarante ans après les premières interdictions, on trouve la trace de ce produit cancérigène dans la plupart des analyses de sang aux Etats-Unis. Ce n’est pas la même chose, mais ça pourrait faire réfléchir les ramollos du bulbe. Peut-être.

Les éoliennes aux mains d’Areva et Total

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 16 avril 2014

Un nouvel Eldorado pour les transnationales françaises de l’énergie : les éoliennes en mer.  Un accord inédit lie le WWF, Greenpeace, les Amis de la Terre et les compères du nucléaire, du gaz et du pétrole réunis

Cherbourg, capitale de la propagande. La semaine passée – les 9 et 10 avril -, le syndicat des énergies renouvelables (SER) organisait dans le Cotentin les premières « Assises nationales des énergies marines renouvelables ». Formidable ? Dégueulasse. Pour bien comprendre ce qui se passe, il faut commencer par présenter la bête. Le SER (http://www.enr.fr) n’est pas un syndicat, c’est une vaste réunion de compères créée en 1993, où dominent quelques poids lourds comme EDF, Gdf-Suez, Total, Alstom, Areva. La fine fleur du nucléaire, des turbines industrielles qui lui sont souvent liées,  et des combustibles fossiles comme le gaz ou le pétrole. Peut-on trouver plus merdique ? Non.

À Cherbourg, on a discuté de l’avenir prévisible de deux très gros dossiers. Les éoliennes offshore et les hydroliennes. Pour les premières, c’est vraiment parti après des années de valse-hésitation. On peut voir le coup d’envoi dans une lettre un poil hallucinante datée du 18 septembre 2009. Toute la galaxie écolo officielle – celle qui a donné dans le Grenelle de l’Environnement de Sarkozy – a posé sa signature. Le WWF, Greenpeace, Les Amis de la Terre, entre autres.

Ces écolos bien-élevés hurlent à la mort, car « les adversaires de l’énergie éolienne s’apprêtent à une nouvelle campagne de dénigrement avec, pour point d’orgue, l’organisation de leur manifestation annuelle le 26 septembre ». Où ? Au Mont Saint-Michel, où ces crapules prétendent qu’il existe un projet d’éoliennes offshore. Et blababli et blablabla. Le texte est un hymne au progrès techno, et peste contre des projets de loi susceptibles de nuire à l’éolien et à son « rôle important dans la lutte contre le changement climatique et pour le développement économique ».

Non, ce n’est pas un dépliant du ministère de l’Industrie, quoique. On a oublié l’un des signataires, un certain André Antolini, alors président du SER évoqué plus haut. Antolini est une caricature, qui a été – entre autres – président de la Fédération nationale des promoteurs constructeurs (FNPC), du Conseil national de la construction (CNC), et directeur général délégué d’EDF-énergies nouvelles. Bref, un bon camarade. Comme les écolos estampillés se sont-ils embarqués à bord d’une telle galère ? Mystère des profondeurs. En tout cas, Sarkozy embraie aussitôt et débloque un dossier jusque là en panne. En janvier 2011, il annonce un appel à projets portant sur 10 milliards d’euros et cinq sites offshore : Dieppe-Le Tréport, Fécamp, Courseulles-Sur-Mer, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire. En moins de dix ans, 600 éoliennes doivent être construites en mer.

En avril 2012, le noble Éric Besson annonce les résultats de l’appel d’offre. EDF, alliée avec Alstom et un Danois, ramasse la mise pour Courseulles, Saint-Nazaire et Fécamp. Areva et un Espagnol s’emparent de Saint-Brieuc, et Le Tréport est repoussé. Besson sanglote et lâche au micro : « Cette décision va conduire au développement d’une nouvelle filière industrielle à vocation mondiale, avec 10.000 emplois industriels créés, et positionner la France parmi les leaders mondiaux de l’industrie éolienne offshore ».

Rebelote en novembre 2013 : le gouvernement lance un second appel d’offres pour deux champs d’éoliennes offshore au large du Tréport et de Noirmoutier. Cette fois, le SER d’Antolini et de Jean-Louis Bal, son remplaçant, ne se sent plus, et annonce carrément 30 000 emplois d’ici 2030 si on lui refile toutes nos côtes. Toutes ? Quand même pas. La carte établie pour l’occasion se concentre sur la mer du Nord et la Manche, l’Atlantique au sud de Saint-Nazaire, et quelques spots en Méditerranée. Pour l’instant. On en est là, au point de bascule d’un gigantesque projet d’industrialisation côtière. La France octroie la mer proche à ceux qui ont pourri la France et le monde – Total, c’est Elf, et les satrapes africains – à coup de centrales nucléaires, de barrages géants – celui des Trois Gorges, en Chine, c’est Alstom – et de derricks dans le cul des pauvres du Sud.

Est-ce bien raisonnable ? Gloire à l’association Robin des Bois (www.robindesbois.org), qui a décidé, bien seule, de relever le gant. Dans un communiqué cinglant publié le 8 avril, elle pose la seule question qui vaille : « Nous avons dégradé le littoral. Allons nous maintenant transformer la mer côtière en zone industrielle ? ». À ce stade, ça craint déjà beaucoup, car « aucune étude d’impact sérieuse et contradictoire n’est disponible ». Rien sur les oiseaux, les mammifères marins, les poissons, les effets de barrière, les risques de collision.

Sérieusement, faut-il faire confiance à Areva et EDF pour assurer la fameuse « transition énergétique » ?

Encadré
Le raz Blanchard changé en tuyauterie

Cela s’appelle la fuite en avant. Les monstres énergétiques ne sont pas programmés pour penser la sobriété, mais seulement le gaspillage et la surproduction. L’exemple des hydroliennes entre à la perfection dans ce schéma mental.

Qu’est-ce qu’une hydrolienne ? Une turbine immergée qui utilise la puissance des courants sous-marins comme le font les éoliennes avec le vent. La technologie existe, mais ses effets demeurent inconnus. Prenons des exemples, du plus simple au plus général. Pour empêcher l’encrassage des turbines par les algues et le plancton, il faudra balancer sans cesse des produits antifouiling, qui sont parmi les pires perturbateurs endocriniens. Bien au-delà, les hydroliennes modifient fatalement les courants marins, la sédimentation, les zones de pêche. Le risque de ce que les biologistes appellent des « zones mortes » est évident.

Le projet le plus fou de tous concerne le raz Blanchard, qui est l’une de nos vraies merveilles. Il s’agit d’une sorte de torrent sous-marin d’une puissance stupéfiante – la vitesse du courant peut dépasser 5m/seconde -, à l’ouest de Cherbourg. Nul ne sait comment ce trésor s’insère dans les écosystèmes locaux et régionaux, mais les ingénieurs ont décidé de le traiter comme une grosse canalisation. Un tuyau.

Où irait l’électricité ainsi produite ? Droit dans la ligne THT qui partirait du futur réacteur nucléaire EPR de Flamanville, en direction du réseau national d’EDF. La poursuite du même, encore et toujours. Reiser, Gébé, où sont passés l’an 01 et les petites éoliennes au-dessus des toits ?

Et si on achetait une auberge naturaliste ?

Jean-Marie Ouary est un rouge. Un vrai rouge comme je continuerai à les aimer jusqu’à la fin. Dur aux forts, tendre aux faibles. Un partageux, un partageux tel qu’il étend son sens de la justice au monde des animaux et des plantes. Rien à voir – faut-il le préciser ? – avec les pauvres copies qui font de la retape ici ou là, et qui me servent de cibles perpétuelles. Je ne cite personne. Jean-Marie est un rouge et un prolo dans l’âme, grandi à Noisy-le-Sec, tout près des lieux de mon enfance.

C’est un prolo devenu savant. Il n’aimera pas ce mot, mais je le maintiens. Il sait faire quantité de choses que la plupart ignorent. Sortir sous la mitraille, empoigner par le col les vilains, reconstruire une automobile, convoyer des expéditions jusqu’au Mali pour sauver les derniers éléphants de l’Ouest africain. Il aime puissamment les bêtes et les gens. Et j’ajoute qu’il est un naturaliste de terrain comme il en est peu. Sur le plateau du Vercors – l’un des lieux les plus beaux parmi ceux que je connais -, il surveille comme aucun autre la piste des loups. Car les loups sont là, répartis en trois meutes, et Jean-Marie, Véronique Thiery – des bises ! – et leurs potes de l’association Mille Traces (ici) veillent au grain. C’est-à-dire qu’ils empêchent les tirs des quelques fiérots locaux qui voudraient faire un carton sur le bel animal.

Il y a quelques soirs, j’ai dîné à Paris avec Jean-Marie et l’un des piliers de Mille Traces, François Morel. François, que je ne connaissais pas, m’a fait forte impression. Figurez-vous qu’il fabrique dans le Diois (Drôme), depuis près de 35 ans, des appeaux en bois magnifiques (ici). C’est un artiste, d’évidence, qui passe des mois à parfaire ses créations. Elles sont hallucinantes, et si je peux le dire ainsi, c’est parce que François m’a offert trois de ses œuvres : le coucou, la huppe fasciée, le rouge-gorge. Souffler dedans vous transporte au paradis.

Pourquoi vous parler d’eux ? Pour la raison simple qu’ils cherchent des sous pour un projet que je soutiens, et que je trouve exaltant. Il s’agit d’ouvrir au pied de l’immense Réserve naturelle des Hauts-Plateaux du Vercors – 17 000 hectares parcourus par des loups, des bouquetins, des tétras, des vautours fauves -, la toute première Auberge naturaliste de France. La maison est déjà la, avec ses chambres, ses espaces, ses hôtes. Aux alentours, les pentes du Grand Veymont, dont la beauté m’a fracassé un été d’il y a neuf ans.

On pourra aussi bien se reposer et dormir que boire, manger, rencontrer des amis, échanger sur la vie et les bêtes, glaner quelques idées heureuses sur la marche du monde. Un tel lieu ne se refuse pas, mais il coûte. Une SCI a été constituée, et vous trouverez quelques détails dans les docs ci-dessous appelés Auberge 1 et Auberge 2. Il manque environ 100 000 euros, répartis en parts de 100. Ce n’est rien, à peu près rien. Je ne vous oblige pas, mais pour ce qui me concerne, je vais souscrire, car on ne peut passer à vie à crier contre le monde, comme je le fais sans arrêt. Il faut aussi admirer ce qui reste debout.

Je vais donc acheter quelques parts, qui me permettront de penser que je n’ai pas tout perdu de mon argent gagné. Si vous avez trois sous, je vous jure que l’action le mérite, et bien au-delà. Si vous n’avez pas un rond, envoyez toujours un mot de soutien. Et retenez l’adresse, car cette auberge va ouvrir, sûr et même certain. Vous voulez en être ? On se croisera peut-être là-bas.

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