Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 9 avril 2014
Mission impossible pour Ségolène Royal, qui doit se coltiner au ministère les ingénieurs des Ponts et des Eaux et forêts. Derrière les rideaux de fumée, la « noblesse d’État » décrite par Bourdieu réclame la seule chose qu’elle connaît : des coulées de béton.
Pas la peine de mentir : on ne voyait pas Ségolène Royal revenir au ministère de l’Écologie, 20 ans après avoir occupé le poste. Ben oui. Royal a été ministre de ce qu’on appelait l’Environnement entre avril 1992 et mars 1993, juste avant la branlée monumentale des législatives, qui a dû rappeler des souvenirs au père Hollande. Député sortant de Corrèze – déjà -, il avait en effet été sèchement battu par le candidat UDF-RPR de l’époque.
Donc, Royal. Ne jamais oublier qu’elle n’a pas réussi grand-chose. À l’Environnement, en 1992, elle a lamentablement foiré une Loi sur les déchets, qui devait interdire les décharges dès 2002, sauf pour les déchets dits ultimes. 22 ans plus tard, il existe encore des centaines de décharges en France, et rien n’indique le moindre mouvement en sens contraire. Certes, toute la société a merdé. Mais Royal encore plus.
Deuxième raté : le Marais poitevin. Élue du coin comme députée, puis présidente de la Région, elle connaît le dossier par cœur. L’une des plus splendides zones humides de France a été drainée en bonne part, et transformée en une immensité de maïs dopé aux pesticides. Elle a blablaté, ferraillé à l’occasion avec Raffarin, l’autre ponte local, côté droite, mais elle a laissé faire. Elle y pouvait rien ? En tout cas, elle n’a rien foutu.
Que vient-elle traîner dans la galère gouvernementale ? Le ministère de l’Écologie appartient de longue date aux grands ingénieurs, cette « noblesse d’État » décrite avec bonheur par Bourdieu dans un livre de 1989. En la circonstance, au corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts (IPEF). On ne peut que survoler : les ingénieurs des Ponts ont absorbé par fusion ceux des Eaux et Forêts (Igref), et forment l’ossature administrative du ministère de l’Écologie. Or les Ponts, qui existent depuis avant la révolution de 1789, auront tout fait : les routes et ronds-points, les autoroutes, les villes nouvelles comme l’atroce Marne-la-Vallée, les ZUP pouraves de banlieue. Les Igref, de leur côté, ont assaisonné les restes : remembrement des campagnes, destructions des haies, « rectification » ou canalisation des voies d’eau, plantations massives de résineux. L’anti-écologie.
Royal sait à quoi s’en tenir, et elle ne va certainement pas mener des combats perdus d’avance. Elle a en ligne de mire deux dates clés : la loi de transition énergétique d’une part ; le sommet mondial sur le climat qui doit se tenir en 2015 à Paris. Charlie a déjà parlé de la prochaine loi Énergie, prévue avant l’été. Pour l’heure, les grands lobbies industriels – Total et de Margerie, EDF et Proglio – mènent le bal, en plein accord avec Hollande, qui a un besoin crucial de ces poids lourds pour fourguer son Pacte de responsabilité.
Margerie comme Proglio refusent à l’avance qu’on leur fasse payer une transition vers des énergies vraiment renouvelables. Business as usual. Total guigne une hypothétique exploitation des gaz et pétroles de schiste en France et EDF exige qu’on lui foute la paix avec le nucléaire. Que peut espérer Royal contre son ancien jules, Valls, Montebourg et Cazeneuve, appelé jadis le « député Cogema » à cause de son militantisme pronucléaire ? Elle a intérêt à trouver avant les grandes vacances.
Quant à la réunion sur le climat, l’affaire s’annonce là aussi délicate pour Royal. Car jusqu’ici, tous les rendez-vous depuis la conférence de Kyoto, en 1997, ont échoué, faute d’accord sérieux entre le Nord et le Sud. Ajoutons un mot sur l’Agriculture, secteur décisif pour qui se préoccupe des écosystèmes. Le Foll maintenu, c’est l’assurance que les liens noués en profondeur avec la FNSEA de Xavier Beulin seront maintenus.
Or Beulin, chantre de l’agriculture industrielle, ne rêve que d’une chose : installer des fermes des 1000 vaches et des usines à biocarburants. Il est donc raccord avec Proglio et Margerie, mais aussi avec les ingénieurs anciennement des Eaux et Forêts qui tiennent le ministère de l’Agriculture. Lesquels ne rêvent que d’une chose : industrialiser ce qui ne l’a pas encore été. Les surprises ne sont pas terminées.
Hervé Kempf a publié un livre sur la grande affaire de Notre-dame-des-Landes (Le Seuil, 160 pages et 10 euros seulement). Hervé est un ami, et je collabore au site qu’il a créé, Reporterre. Ceci posé, c’est la première fois que le gros des infos est rassemblé, et d’une manière très agréable. Hervé raconte fort bien le début, le milieu et la fin toute provisoire de cette bagarre qui unit tant. N’hésitez donc pas ! Ce livre est fait pour circuler, et servir.
La vignette est toute petite, mais il s’agit d’un livre d’entretiens avec Noam Chomsky, menés par l’Américaine Laray Polk (Guerre nucléaire et catastrophe écologique, Agone, 190 pages, 15 euros). Le propos de Chomsky est comme à l’habitude intéressant, et le livre vaut à coup certain le détour. Simplement, j’ai réalisé combien était grand, malgré tout, le fossé qui existe entre un type comme lui et un gars comme moi. Sa vision de l’écologie s’inscrit dans un cadre – pour aller vite, le « progressisme » – qui n’est pas le mien.
Pierre Athanaze ! S’il n’y en avait qu’un, j’aimerais que cela soit celui-là. Athanaze est le président de la très belle Association pour la Protection des Animaux Sauvages (Aspas). C’est un naturaliste de qualité, c’est un humain de grande qualité – oui, je le connais -, et son livre sur le lynx en France mérite amplement l’arrêt (Qui veut la peau du lynx, éditions Libre et Solidaire, 250 pages, 19,90 euros). Des Vosges au Jura, de la disparition de l’animal à son retour – naturel ou par réintroduction -, Athanaze nous restitue une histoire qu’une poignée seulement de passionnés connaissait. Je crois pouvoir dire qu’il aime l’animal.
Jared Diamond, vous voyez ? C’est l’auteur de l’impressionnant Effondrement, paru en 2006. Dans Le monde jusqu’à hier (Gallimard, 570 pages, 24 euros), ce grand biologiste et ornithologue s’interroge sur ce que les sociétés anciennes peuvent nous apprendre sur la manière d’habiter la Terre. La naïveté n’est pas au programme de Diamond – pas de « bons » sauvages à l’horizon -, mais l’intelligence et le questionnement, oui. Que nous disent-ils sur l’éducation, la vieillesse, la nourriture, la santé, le danger ? C’est passionnant.
Je reprends rapidos ce qui figure sur la couverture du livre de Marc Giraud : De la grenouille poilue à la vache volante, les animaux extraordinaires de la Terre. J’ai lu Super Bestiaire (Robert Laffont, 320 pages, 22,90 euros) à sa sortie fin 2013. C’est rempli d’histoires de bêtes, réellement inouïes la plupart du temps, racontées d’une manière heureuse et drôle par Giraud, qui est un naturaliste de terrain du tonnerre de Dieu. Franchement, faut y aller.
Ah la belle idée ! Je suis en train de lire Un an dans la vie d’une forêt (David Haskell, Flammarion, 356 pages, 21,90 euros). Haskell est un biologiste américain qui a décidé de rendre visite à 1 mètre carré d’une forêt des Appalaches, pendant une année entière. Il s’agit donc d’un éphéméride, qui nous permet, en une quarantaine de saynètes, de découvrir ce qui change, ce qui bouge, ce qui naît, ce qui meurt sur cette minuscule surface. Cette dernière est appelée le mandala, mot sanscrit qui signifie cercle. L’expérience est prodigieuse, mystique, très belle aussi. Je n’ai pas fini, mais je suis assez d’accord avec l’avis de Jean-Marie Pelt : un 