Daniel Schneidermann est-il un imbécile ?

La réponse à la question du titre est oui, mais elle mérite quelques explications. Schneidermann est un ancien journaliste du quotidien Le Monde. Avant même son licenciement en 2003, très contestable, il avait créé en 1995 sur France 5 une émission sur l’univers médiatique – Arrêt sur images – que j’ai regardée avec plaisir pendant quelques années. J’ai ensuite été occupé à bien d’autres choses, et je l’ai oubliée. L’émission. Et lui. Après avoir été chassé – de nouveau, dans des conditions contestables – de la télé, Schneidermann a poursuivi son travail sur le Net, dont je n’ai à peu près rien su.

Néanmoins, j’ai participé deux ou trois fois, à l’occasion de la sortie d’un de mes livres – Bidoche, par exemple – à des débats qu’il organisait dans le cadre de ses émissions. Le contact était cordial. Il m’a proposé un jour de faire une chronique en ligne, et comme je n’avais encore jamais fait d’articles en images, j’ai volontiers accepté au printemps 2017. En novembre, à la suite d’une attaque que j’ai jugée sans honneur de Schneidermann contre moi, j’ai stoppé net toute collaboration. Pour les archéologues, il y a ma version ici.

Et voici qu’il réapparaît à l’occasion d’un livre qu’il a publié le 7 janvier dernier, soit 10 ans exactement après l’assassinat de mes amis au siège de Charlie. Disons de suite que je ne l’ai ni lu ni acheté, et que je ne compte pas le faire. Pour quelle raison ? Mais parce que Schneidermann s’y livre à des calomnies indignes contre Charlie et les siens. Comment le saurais-je, puisque je ne l’ai pas lu ? Eh bien, l’auteur a donné quelques entretiens, et dans l’un d’entre eux, au Point, il estime que le « visuel » de Charlie le rapproche du journal Je suis partout. Rappelons que ce torchon était de 1940 à août 1944 un hebdomadaire pronazi, et violemment antisémite.

C’est bien entendu une infamie, dont bien peu semblent avoir pris la mesure, mais qui me dispense en tout cas de lire une telle insanité. Bien entendu, Schneidermann n’exprime qu’une rumeur qui court les siens milieux depuis des années. Le 16 octobre 2013, quinze mois avant le 7 janvier 2015, j’ai adressé un mail à Éric Hazan, éditeur de la même mouvance que lui. Je lui demandais, en compagnie de Bernard Maris, un entretien pour parler d’un livre qu’il venait d’écrire. Réponse le même jour : « Désolé, non, je n’ai rien à faire avec ce journal de gros racistes !!!! » Naïf, je lui ai demandé des excuses : «Je constate avec une véritable tristesse combien la calomnie, si chère à la tradition stalinienne, fleurit toujours, et sur des terres qu’on aurait aimées moins accueillantes. Comme je n’entends pas désespérer tout à fait, je vous demande sincèrement de vous reprendre. Chacun peut se tromper, déraper, déconner. » Pas de réponse.

Ces gens, et bien sûr Schneidermann plus tard, avaient trouvé un ennemi à détester, un ennemi soigneusement fabriqué. En atteste, parmi tant d’autres preuves cette analyse scrupuleuse des couvertures de Charlie entre 2005 et 2015. Au total, 1,3 % des « unes » du journal, sur 523 numéros, étaient consacrés à l’islam. Soit sept, contre 21 à propos du catholicisme ! Hazan s’en foutait bien, puisqu’il savait mieux que quiconque. Je rappelle qu’à ma connaissance, la totalité des membres de l’équipe que j’ai rejointe fin 2009, qui comptait des gens comme Tignous, Bernard Maris, Wolinski, Charb, Cabu, Honoré, se situaient entre la gauche et l’extrême-gauche, incluant sans surprise des écologistes de longue date, comme moi. Selon la légende noire de ses calomniateurs, le Charlie d’avant 2015 aurait été fait par des racistes qui se savaient tous antiracistes.

Revenons à Schneidermann. En 2017, Il ne lisait pas Charlie, et ne s’en cachait pas. Il me l’a dit à plusieurs reprises, et l’a même écrit. C’est un droit élémentaire, mais déjà donc, il savait à quoi s’en tenir. C’est cela, la prescience. L’a-t-il lu depuis ? Je jurerais, sans preuve il est vrai, que non. Non, car dans l’entretien au Point, il cite en tout et pour tout un seul exemple, celui d’un dessin de Riss en janvier 2016. Sur un gosse migrant découvert mort au bord de l’eau. Je ne veux pas commenter, car ce serait donner créance au propos de Schneidermann. Or, je ne le souhaite pas. Je note que le dessin date de 2016, un an avant qu’il ne me demande de collaborer avec lui. Je travaillais pour un journal digne de Je suis partout, et il souhaitait que je rejoigne son équipe.

Allons bien au-delà. Je défie Schneidermann d’établir une quelconque proximité avec quelque courant nauséabond que ce soit. La tâche est impossible, car Charlie est un journal profondément humaniste, écologiste, féministe. Et laïc ? En effet. Se revendiquant de l’athéisme, il s’autorise depuis toujours à critiquer les religions, toutes les religions. Ce n’est pas seulement un droit, c’est un devoir pour qui aime la liberté. L’islam comme les autres. Schneidermann se souvient-il seulement que la gauche dont il se réclame s’est forgée en bonne part grâce au refus de la domination séculière de l’église catholique ?

Lui, Le-Très-Grand-Vigilant, n’a pas besoin de prouver. Il lui suffit d’énoncer. De dire, et du même coup de disqualifier ceux que son verbe désigne aux ténèbres extérieures. S’il avait dû commencer par lire Charlie, il se serait passé de son livre ridicule. Car en effet, de la même manière qu’avant 2015, ce journal est fait par des gens qui ont un passé, un présent, et même un avenir.

Jean-Yves Camus, dont la réputation n’est plus à faire, dépiaute chaque semaine les stratégies perverses des extrêmes-droites. Le romancier Yannick Haenel y décortique avec humour, noirceur, délicatesse le monde tel qu’il va. Et éclaire les recoins de la scène culturelle, tout comme Philippe Lançon, notre grand blessé de 2015. Yann Diener, psychanalyste, chronique sans jamais se lasser la folle numérisation du monde, le rétrécissement de la liberté de penser et de dire, l’avancée si inquiétante d’une langue nouvelle, totalitaire. Gérard Biard, gardien du temple laïc, fut le cofondateur en 2011 du réseau Zéromacho, qui fait de la bagarre contre l’exploitation sexuelle des femmes sa raison d’être.

Laure Daussy est sur tous les fronts du féminisme et aura joué un rôle-clé dans la couverture assidue de l’horrible procès Pélicot, qui vient de déboucher sur un hors-série de haute tenue. Antonio Fischetti suit à la trace, en curieux infatigable, les questions que pose la science, quand il n’est pas en Colombie ou au Nigeria, débordant d’idées, et de nouveautés. Moi-même, je dispose d’une page chaque semaine consacrée à l’écologie. J’y traite les questions les plus essentielles, comme je le fais depuis des décennies, moi qui parle du dérèglement climatique depuis…35 ans. Il ne me faut pas oublier les petits jeunes, les nouveaux Jean-Loup Adénor, Lorraine Redaud, Coline Renault, Yovan Simovic, et quelques autres.

Bien sûr, il y a les dessinateurs. Coco est partie, mais de beaux talents demeurent, comme Foolz, Juin, Biche, Salch, Félix. Et Riss bien sûr. Aucun des acteurs de ce journal ne sort du cadre défini plus haut : humaniste, féministe, écologiste, laïc. Mais pas mélenchoniste, eh non ! C’est sans doute pour cette raison que nous attirons à ce point la haine. Je ne sais si Schneidermann est tout à fait mélenchoniste, mais il le mériterait.

Il discourt tout comme lui, surfant sur des sujets qu’il croit connaître et le dépassent pourtant de cent coudées. Lui, il est de gauche. Pas la gauche, mais la vraie, la seule, la sienne. Charlie serait selon lui « un réseau intellectuel, politique et médiatique refermé sur lui-même, obsessionnel, et intolérant à toute contradiction. Et aussi plus largement sur tous ces itinéraires qui commencent souvent dans la gauche radicale, et tournent réactionnaires. » Il ne le croira pas, mais il me fait rire.

A-t-il entendu parler du stalinisme ? Je n’en suis pas si sûr. Cette maladie de l’esprit a couru et empoisonné les esprits pendant des décennies, bien au-delà du mouvement communiste. Faut-il rappeler Henri Barbusse et Romain Rolland, le Gide d’avant 1936, puis Sartre et De Beauvoir, Yves Montand et Simone Signoret, Jorge Semprun, Louis Aragon, André Glucksmann, Serge July, Philippe Sollers, Alain Badiou, tant d’autres ?

Tous ont pratiqué le mensonge le plus total qui se puisse concevoir. Certes, la calomnie est de tout temps. Mais l’univers mental stalinien a érigé en système parfait la transformation du réel par le verbe. À la différence du fascisme, il n’a jamais rasé les murs, pour l’excellente raison qu’il n’a pas été extirpé de la scène publique. On peut aujourd’hui encore dire le contraire du vrai vérifiable, car comme les staliniens d’antan, on estime en avoir le droit. Mélenchon le fait chaque matin qui passe, Schneidermann aussi. Ce dernier se voit comme appartenant au camp du Bien et de l’intrépide courage, et il a donc le devoir de pourfendre un journal qu’il n’a jamais fait qu’ouvrir et refermer. Par l’ignominie.

Est-il un imbécile ? Ben oui. Pas seulement. Aussi.

Mais que veut vraiment M.Mélenchon ?

Avant toute chose, je souhaite préciser que le texte qui suit n’est en aucune manière une comparaison terme à terme, qui n’aurait pas le moindre sens. Non, je joue ici sur l’analogie, de manière à mieux illustrer mon propos général. Qui commence ainsi : que veut-il ? Que veut ce Mélenchon dont tant de commentateurs écrivent qu’il est obsédé par son sort personnel ? Il n’aurait qu’un rêve, affronter au second tour de l’élection présidentielle Marine Le Pen, qu’il se ferait fort de combattre, et de battre.

Que Mélenchon soit dans cette posture, je n’en doute guère. Tenu comme il est par le personnage qu’il a forgé et qu’il croit réel, Mélenchon clive, comme il dit. Il sépare le bon grain radical de l’ivraie sociale-démocrate, et fantasmant sur une période révolutionnaire qu’il est le seul à voir, il tonne. Et distribue récompenses et horions, trônant en compagnie d’une cour dont je dirai charitablement qu’elle n’est pas faite d’individus autonomes et critiques, mais de zélotes qui disparaîtraient en cas d’effacement de leur César. J’emploie ce dernier mot, car il renvoie à l’Internationale, ce chant que tant de crapules, de l’URSS à la Chine, du Vietnam à Cuba, ont pourtant encensé : « Ni Dieu, ni César, ni Tribun ». Où l’on voit que l’on aura tout oublié en route. Chez eux.

Je commence mes discutables rapprochements. Après la prise de pouvoir par Staline en URSS, disons 1926 ou 1927, les nouveaux partis communistes créés dans la foulée du coup d’État d’octobre 1917 furent purgés comme il fallait par l’Internationale communiste (le Komintern) qui, depuis Moscou, les finançait et les commandait. Au sixième congrès du Komintern, en 1928, le clan stalinien impose une ligne politique étrange qui n’a pas livré tous ses secrets. Ce qu’on a appelé la « stratégie classe contre classe ».

Il n’y avait plus qu’une classe, du moins celle estampillée par Moscou, c’est-à-dire une classe ouvrière totalement imaginaire. La vraie ne suivait les partis communistes qu’à la marge, mais Staline imposa tout de même un tournant spectaculaire. Les socialistes et sociaux démocrates devenaient des ennemis mortels, des social-fascistes. Pires en fait que les fascistes, car ils entraînaient dans leur piège les ouvriers qui se laissaient influencer par eux. À Paris, les Thorez, Duclos, Marty, Frachon suivirent bien entendu la ligne, qui ne serait rompue qu’au moment du Front Populaire, sur un nouvel ordre de Staline. Voilà que j’oublie Doriot, qui finirait Waffen SS, mais qui espérait encore prendre la direction du PCF. On peut penser qu’en ces circonstances changeantes, la crainte de la guerre, pour une Union soviétique isolée, aura joué un rôle important dans la politique internationale décidée par Staline. Ce qui ne change rien à mon propos.

Quoi qu’il en soit, la stratégie « classe contre classe » eut des effets catastrophiques en Allemagne, où le KPD (le parti communiste allemand) stalinien, aux ordres, refusa toute alliance pour contrer les succès du parti hitlérien. Peut-être ce dernier aurait-il conquis le pouvoir, mais en toute certitude, la politique du KPD aura été d’une grande aide.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, les trotskistes chers au cœur de Mélenchon refusèrent toute idée d’union avec ce qu’ils nommaient la bourgeoisie. De Gaulle était le cheval de Troie de cette dernière, tandis que les soldats allemands à Paris demeuraient à leurs yeux des « travailleurs sous l’uniforme ». Et par conséquent, pas question de les attaquer, de les blesser, de les tuer.

Je ne referai pas ici l’histoire à vrai dire fantastique de l’époque. Le certain, c’est que la Résistance antifasciste réunit dans la douleur des maurassiens épouvantables, comme le colonel Rémy, des maurassiens admirables, comme Daniel Cordier, des staliniens épouvantables, comme toute la direction du PCF, des staliniens admirables, comme le colonel Guingouin, des Espagnols échappés des geôles de Franco, des démocrates-chrétiens qui allaient fonder le MRP, droitier, des socialos, des syndicalistes, une foule de sans-parti qui n’accordaient plus aucun crédit à des formes politiques faillies.

Fallait-il ? Fallait-il unir tant de forces disparates ? Poser la question, c’est avoir une réponse limpide. C’était cela, ou accepter le joug. Je n’insiste pas plus sur Mitterrand, le grand homme de Mélenchon, que pour ma part je déteste. Mitterrand fit alliance, lui qui était foncièrement de droite, avec le PCF dès 1965 et n’eut de cesse d’embrasser jusqu’à les étouffer les staliniens, et beaucoup de forces – je pense au PSU de Rocard – qui n’avaient que peu de rapports avec lui et son ambition.


L’ambition. L’ambition et l’hubris de Mélenchon, qui fait passer sa toute petite personne avant les intérêts généraux de ce pays et de ce monde dévasté. La crise climatique commande. Elle est un impératif catégorique devant lequel tous les plans de carrière devraient s’effacer. Mais Mélenchon s’en contrefout. Il faudrait unir et réunir comme jamais dans notre histoire, et lui joue sa misérable carte, dans l’espoir chimérique d’égaler, voire dépasser son héros Mitterrand. Il est donc dans un contre-sens historique total, et ses suiveurs n’ont visiblement rien retenu de l’histoire. L’unité n’est pas la fusion. L’unité n’est pas toujours la confusion. L’unité est aujourd’hui vitale.

Mélenchon croit-il à sa stratégie « classe contre classe » revisitée ? Je n’ai certes pas de lumière sur ce qu’il pense, mais je gage pour ma part qu’il sait la partie perdue pour lui. Il ne peut espérer les voix de ceux qu’il aura insultés tant d’années de suite. Je pense même qu’il n’atteindra jamais un second tour de l’élection présidentielle. Je peux grandement me tromper. Cet homme médiocre me fait penser à Néron, pendant l’immense incendie de Rome, en l’an 64. Je sais qu’il s’agit très probablement d’une légende, mais beaucoup répètent depuis que l’empereur Néron en a été le responsable. Et qu’il en a joui.

Eh bien, je me demande si Mélenchon ne ressemble pas au Néron de cette noire légende. Il ne peut y parvenir ? Alors, ce sera personne.

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Post-scriptum : Le mélenchoniste Louis Boyard, qui fut le guignolo de Cyril Hanouna dans Touche pas à mon poste (TPMP), vient de perdre l’élection municipale de Villeneuve-Saint-George avec le brio qui est sa marque de fabrique. Je note sans surprise ses paroles : « Tout un système qui devant la révolution citoyenne préfère la fascisation de la France.»

Dieu du ciel, ce garçon est un grossier imbécile. Et il reprend sans même le savoir, car l’inculture lui est un métier, les mêmes termes que ceux de la Gauche Prolétarienne de Serge July, Alain Geismar et Pierre Victor-Benny Lévy au début des années 70. C’est-à-dire ces maoïstes qui bavaient d’admiration devant une Chine totalitaire qui tuait ses citoyens par millions. Il ne fait bon le rappeler, d’autant que tous ses dirigeants d’alors ont fait belle carrière.

Selon eux, la France était entrée dans un processus de fascisation. La CGT et le PCF, révisionnistes de la grande pensée marxiste, celle du camarade Mao, étaient des collabos, écrits souvent Kollabos pour mieux marquer une origine teutonne. En 1969, ces visionnaires – du moins Geismar et July signaient un livre délirant que j’ai dans ma bibliothèque, « Vers la guerre civile ». Plus con que cela, on ne trouvera pas.

Et puis, bulle de savon, disparition. July deviendrait chroniqueur de RTL. Geismar, directeur de cabinet de Claude Allègre, négateur de la crise climatique. Benny Lévy, talmudiste en Israël. Je serai d’accord avec Mélenchon sur un point : ¡ Que se vayan todos ! Qu’ils se barrent tous, Mélenchon et Boyard compris.

Jean-Marie Le Pen est mort

Deux morts à la suite. Allègre, puis Le Pen. Parmi les cofondateurs de son soi-disant Front National – un mouvement avait été créé sous ce nom pendant la résistance antifasciste -, on trouve entre autres l’ancien de la Milice François Brigneau et l’ancien Waffen SS Léon Gaultier. Que pourrais-je ajouter ? Que je me suis heurté physiquement dans ma jeunesse à ces sbires ? Oui, je l’ai fait, et bien sûr, je ne regrette rien. Tous ces gens étaient de la racaille de la pire espèce. Je les haïssais en profondeur.

Ceci posé, il n’est pas interdit de réfléchir ensemble. Il est même urgent de le faire. La vague actuelle en faveur des idées glauques n’est pas seulement européenne, mais presque mondiale. J’ai beaucoup écrit, ici d’ailleurs, sur les inévitables conséquences du grand dérèglement climatique. J’ai cité des études, parmi les plus sérieuses, qui montrent qu’une bande de terre courant du Maroc à l’Iran, englobant le Maghreb, le Machrek et au-delà, est en train de devenir inhabitable. Elle abrite de plus en plus mal 550 millions d’habitants.

L’époque est, et sera toujours plus, aux migrations historiques. Et je déplore que tant de gens, dont certains pourtant valeureux, se réfugient dans des postures qui deviennent pathétiques. Il est certain que les sociétés d’Europe, vieillissantes, et d’une certaine manière sous-peuplées, attireront des millions, suivis peut-être par des dizaines de millions de réfugiés climatiques. Certes, nous payons ainsi le prix de notre inaction. De notre terrible aveuglement collectif. De notre soumission aux objets de l’hyperconsommation, moteurs de la crise climatique. Mais après ?

Se complaire dans les vieilles complaintes, se vautrer au pied d’un vulgaire caudillo, comme le font les adorateurs de Mélenchon, nous rapproche du gouffre. Il apparaîtra sans doute qu’un Le Pen – et sa fille – ne sont qu’un avant-goût de ce qui nous attend réellement. La question est simple, même si aucune réponse n’existe encore. Comment trouver ensemble une réponse humaine aux chocs colossaux qui se profilent ? Il le faut. Mais pour commencer, rompre avec les pensées mortes.

Claude Allègre est mort

Ainsi donc, un grand faussaire est mort. Je pourrais jouer l’hypocrisie, mais je ne m’en sens pas le droit. Claude Allègre était un cas psychologique bien connu. Il se pensait supérieur à tous autres. Il méprisait en conséquence. Il était si sûr de son état que la notion de vérité lui paraissait seconde. Chez lui, qui se revendiquait de la science la plus dure. Il avait en effet obtenu de nombreuses récompenses, comme le prix Crafoord ou la médaille d’or du CNRS. Et pourtant, il a perverti et la science, et la morale, en désinformant sur l’amiante, puis sur la crise climatique

Les dégâts qu’il a faits sont immenses, en vérité incommensurables. Une pensée pour son vieil ami et complice Lionel Jospin, qui en fit un ministre. Tous les deux, élevés dans le culte du progrès perpétuel, étaient des climatosceptiques. La différence entre eux, c’est que Jospin le taisait, tandis que l’autre le beuglait. Le passage de la gauche au pouvoir en 1997 était la dernière occasion d’incarner une politique vraie de combat contre le grand dérèglement. Et je n’oublie pas que Dominique Voynet et Yves Cochet, ministres à tour de rôle n’auront pas bougé un cil, en bons écologistes de pacotille qu’ils sont. C’est cruel ? Et le sort de ces centaines de millions de gueux qui endurent 50 degrés sous leur toit de tôle, ce ne serait pas un peu sinistre ?

Une mention toute particulière pour l’hebdomadaire libéral Le Point, qui annonce en grandes pompes la mort de leu grand homme. Et nul doute qu’il fut un grand homme du Point, qui lui laissa une chronique hebdomadaire dans les années 90. En 1995, Allègre écrit un texte dégueulasse, titrée : « Effet de serre : fausse alerte ». Le danger aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ». Le Point rend hommage, ce 4 janvier 2015, trente ans après, en osant écrire que les positions d’Allègre sur le climat étaient “controversées”. Ces gens ne s’excusent ni ne s’excuseront jamais.

Je vous livre ci-dessous quelques occurrences de Planète sans visa sur l’homme au tombeau. Pas toutes, car il en est beaucoup. Elles seront suivies d’un texte drolatique, déjà publié, mais qui vaut je crois la peine.

https://fabrice-nicolino.com/?p=508

Et voici comment j’ai sauvé Claude Allègre de la mort. Grâce à Charlie. Un comble. Je précise que ce récit est authentique.

Comment j’ai sauvé Claude Allègre de la noyade

10 juillet 2015MoraleModifier

Je ne passe pas toute ma vie à serrer les dents et à avaler de la morphine. Dieu non. Dans l’hôpital où je rééduque mes guibolles transpercées, il arrive fatalement des événements qui me sortent de l’ordinaire des jours. Et l’autre midi, justement, je m’apprêtais à prendre l’ascenseur pour descendre à la piscine du lieu, où je fais des exercices subaquatiques. C’est à ce moment précis qu’est apparu un fauteuil roulant poussé par un kiné en sueur. Et dans ce fauteuil, Claude Allègre. Ce seul nom est déjà un sombre programme, mais je dois à ceux qui ne situent pas très bien quelques mises en perspective.

J’ai aidé à fonder en 1988 le journal Politis, qui a compté dès 1989 je crois une rubrique Écologie dont j’étais le responsable. Je l’ai quitté en 1990, puis j’ai collaboré, cette fois comme pigiste extérieur, à cet hebdomadaire, de 1994 à 2003, sous la forme d’une page chaque semaine. Je crois devoir dire que j’ai la dent dure depuis bien plus longtemps encore, ce qui explique que j’y ai mordu Claude Allègre plus souvent qu’à son tour. Ce socialo devenu sur le tard sarkozyste a été le ministre de l’Éducation – pleinement ridicule à mes yeux – de Lionel Jospin entre 1997 et 2000.

Mais ce qui m’a rendu plus d’une fois furieux contre lui, c’est sa négation grotesque du dérèglement climatique. Totalement incompétent dans ce domaine si complexe, s’appuyant jusqu’à l’insupportable sur une réputation médiatique, il n’a cessé de semer le trouble dans des milieux qui, sans doute, ne demandaient que cela. N’importe : il aura été néfaste comme bien peu de ses contemporains français. Et moi, depuis vingt ans, dans divers journaux, je n’ai cessé de croiser le fer avec lui (ici) (ici), (ici), (ici), (ici), (ici), (ici), (ici).

Le plus souvent, et croyez-moi ou non, mais Allègre s’est placé au niveau d’un Laurent Cabrol (ici). Et si vous avez envie de voir jusqu’où va mon exécration du personnage, je vous invite à rire avec moi, et de lire ce qui suit, bien que cela soit un peu long (ici). Bref, Claude Allègre, dans son fauteuil roulant. Il y a trois ans, ayant fait un accident vasculaire grave au Chili, il a été contraint de se taire, ce qui doit être une grande souffrance pour le polygraphe et discoureur qu’il est. Dans l’ascenseur, le regardant, plongeant mon regard dans ses yeux éteints, je ne voyais plus le pitre involontaire, mais le vieil homme à terre.

Ensuite, arrivé en bas, je me suis changé bien sûr, je me suis douché et j’ai descendu bravement, de guingois, les marches qui conduisent à l’eau. Quatre minutes plus tard, l’employé de la piscine actionnait un ingénieux siège électrique articulé qui permet de descendre dans la flotte ceux qui ne peuvent tenir debout. Et bien sûr, il s’agissait de déplacer Claude Allègre et de l’immerger progressivement. Moi, qui suis décidément bien méchant, je rigolais intérieurement. Comment ? Moi, à deux mètres du grand homme ? Cela me paraissait proprement impossible. Et c’est alors que tout a basculé, au sens propre.

En effet, la dépose de l’immense scientifique s’est mal passée. Claude Allègre, déséquilibré, s’apprêtait bel et bien à tomber à la renverse, et je n’ose pas penser à ce qui serait arrivé. Probablement aurait-il avalé la moitié de l’eau de la piscine. Mais je veillais au grain, moi le vilain, et je me suis jeté dans sa direction, lui attrapant le bras gauche au dernier moment en le passant aussitôt autour de mon cou. Quel instant historique que celui du sauvetage ! Je ne m’en serais pas cru capable. Rétabli dans un équilibre tout relatif, Allègre m’a lorgné un instant de ses yeux d’alien sans prononcer le moindre mot. A-t-il compris ce qui s’était passé ? Je n’en jurerais pas.

Dans la demi-heure qui a suivi, je l’ai entendu prononcer des sentences très laconiques, fort loin des envolées consacrées naguère à la négation du dérèglement climatique. Et parmi elles, répondant à une demande d’une kiné sur son état : « Moyen ». Puis, explicitant le puissant propos : « J’ai pas bien dormi ». Et pour finir, juste avant d’éternuer massivement : « J’suis enrhumé ».

Si à l’avenir quelqu’un ose me traiter d’antihumaniste – ça m’est arrivé, mais oui -, je ne manquerai pas de lui servir l’anecdote pour lui clouer le bec. Mon comportement n’a-t-il pas été admirable ? Il faut beaucoup d’amour de son prochain pour soutenir un Claude Allègre qu’on déteste dans une piscine parisienne. Beaucoup. Trop ? Peut-être bien.

Hugo Clément parle avec les chefs du Rassemblement national

Je dois commencer par le commencement : je connais très mal Hugo Clément, et ne le lis pas. On le dit écologiste, et comme ce mot est si dévalué qu’il ne veut plus rien dire, pourquoi pas ? Il défend la “cause animale” – une étrange expression, à la vérité -, et il est omniprésent sur des réseaux sociaux comme X, Instagram, Facebook. Ajoutons que le peu que je sais le désigne comme un journaliste n’ayant pas froid aux yeux.

Voilà. Je viens de lire la page que lui consacre Wikipédia, et pour être sincère, cela ne me le rend pas sympathique. Je ne peux me défaire d’une vilaine impression, celle de découvrir un homme amoureux de lui-même, qui papillonne au gré de fleurs multicolores pouvant servir son image.

Notons qu’il y a des éléments troublants. Profitant de l’image qu’il a construite, grâce à la télévision notamment, Clément entend refaire la carte politique de ce pays. L’ambition est grande, le personnage peut-être un peu moins. Au moment où il paraît découvrir, en 2018, l’écologie – qu’il appelle d’ailleurs, souvent, l’environnement (1) -, Clément travaille pour un site apprécié des djeunes, Konbini.

Ce qu’il ne dit pas, et qui n’intéresse personne, c’est que Konbini est la propriété de la multimilliardaire famille Perrodo. Laquelle fait entre autres dans le pétrole et possède des holdings immatriculés dans des paradis fiscaux comme les Bahamas, Guernesey, le Luxembourg. Il n’est pas responsable ? Il ne l’est pas. Mais on a le droit d’interroger un journaliste qui se présente constamment comme un preux à l’affût du scandale.

D’autant qu’il remet cela en 2022 en créant le journal en ligne Vakita. Il se garde bien de prévenir que se trouvent, parmi les investisseurs, des hommes comme les milliardaires François Pinault ou Xavier Niel. Cela commence à faire beaucoup, quand cela n’est encore rien. Car en avril 2023, Clément accepte de participer au “Grand débat des valeurs” – organisé par l’un des pires journaux de la place, Valeurs Actuelles. Clément accepte un débat avec le responsable du Rassemblement national, Jordan Bardella, qui en conclura qu’il faut « moins de Sandrine Rousseau et un peu plus d’Hugo Clément. »

Après les législatives, il appelle à l’union nationale. Avec le RN ? Avec : « Dans un tel contexte, la meilleure solution ne serait-elle pas un gouvernement d’union nationale, qui regrouperait toutes les sensibilités ? » Il y a quelques jours à peine, il remercie le maire RN de Fréjus, David Rachline, de son soutien à l’écologiste Paul Watson, emprisonné au Groenland. Je ne m’étends pas sur Rachline dont Clément, lui si bien informé, ne peut ignorer les turpitudes.

Je crois que cela suffit. Pourquoi fait-il cela ? Officiellement, parce que l’écologie serait l’affaire de tout le monde. Je n’entrerai pas dans trop de détails, mais il me faut encore aborder deux points. Un, bien sûr, le RN est l’héritier d’infâmes idéologies du passé. C’est un parti protofasciste, ce qui veut dire qu’il n’est pas encore, et ne sera peut-être jamais fasciste, du moins au sens historique. Mais évidemment, il est raciste, ce qui devrait disqualifier d’emblée ceux qui s’en approchent.

De cela, Clément se contrefout. On pourrait attendre qu’il prête davantage attention à ce qui suit : il est inculte. Il sait sans doute plein de choses, mais il ignore quantité de fondamentaux. Un parti politique a sa logique, son histoire, ses pesanteurs. Il obéit à des règles contraignantes dont, visiblement, Clément n’a aucune idée. Jamais, jamais, jamais, même s’il y consacrait mille ans, il ne parviendrait à influer sur le cours politique du RN.

C’est donc un peu gênant, car enfin, tel est le but proclamé : parler et convaincre. Au-delà, la contradiction est flagrante : Clément, qui se prétend obsédé par la crise écologique; Clément qui répète à l’envi que le temps est compté; Clément qui jure qu’il faut secouer d’urgence toutes les formes politiques; Clément s’adresse à un parti climatosceptique. C’est à dire à un parti d’infects négateurs de la crise diabolique dans laquelle nous sommes plongés. Parler avec de tels gens ? Mais pourquoi ?

Dans les conditions réelles du débat politique en France, cette posture ne sert que les intérêts du RN. Bien sûr ! Clément nous rejoue pour la millième fois le coup de “l’idiot utile”, dont l’origine se perd dans les nuées. L’expression renvoie à ces imbéciles qui servent sans forcément le comprendre une cause à laquelle ils se prétendent étrangers. L’archétype de l’idiot utile, c’est l’intellectuel de gauche visitant l’Union soviétique dans les années 30, et acceptant ensuite de défendre le totalitarisme au nom de la liberté et de la paix.

Clément est-il seulement un idiot utile ? Ce serait le réduire que d’affirmer cela. Certes, il sert de (petite) caution à un projet politique dévastateur, mais enfin, à mes yeux, il y a autre chose. Je crois pour ma part qu’il aime à se regarder dans la glace, et qu’au temps de l’hyperindividualisme, il a fort bien compris qu’il lui fallait se distinguer. Je l’ai dit, il papillonne, choisissant des sujets susceptibles de lui valoir admiration. Et détestation ? Et détestation, car pour ce type de caractère, il n’y a jamais qu’un but : apparaître et briller, fût-ce d’une lumière noire.

Je gage – on verra plus tard si j’ai raison – que Clément ne s’arrêtera pas là. Il y a, il y a toujours eu, il y aura toujours une place pour un histrion. L’avenir semble donc assuré. Mais comment tant de dupes tombent-elles dans un si misérable panneau ? J’aimerais comprendre mieux.

(1) J’espère que l’on me pardonnera. L’environnement, mot que je honnis, place bien sûr l’homme au milieu. Ce qui compte, c’est ce qui “environne” les humains.C’est une vision du monde. L’écologie n’a rien à voir. L’homme y est resitué dans un ensemble de liens, de relations, parfois de rets, d’une insurpassable complexité. Le débat est essentiel.