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Baignade(s) au milieu des pesticides

Publié en mai 2021

Tout le monde s’en contrefout. (Presque) tout le monde. À peine si des travaux isolés, sans envergure et sans allant ont été menés sur la présence des pesticides dans l’eau de mer (1). On sait ainsi que des cocktails de pesticides peuvent s’attaquer à des espèces de plancton marin, jusqu’à modifier des équilibres écosystémiques fragiles. On a appris également qu’en mer Baltique, en mer de Norvège, en mer du Nord, on pouvait retrouver des traces dans l’eau de médicaments, de pesticides, d’additifs alimentaires.

On ne savait pas, jusqu’ici, que la France est touchée de même, et que la situation y est grave. Sans pour autant souffler dans le clairon, l’institut français IFREMER vient de rendre publics des résultats qu’on qualifiera de flippants (2). 10 lagunes françaises de Méditerranée ont été explorées. Ce qu’est une lagune ? Un étang, une pièce d’eau séparée de la mer par un cordon sableux ou rocheux, où se mêlent à des concentrations variables eau salée et eau douce.

Sur les dix, au moins un est connu de toute la France : l’étang de Thau est en effet un haut-lieu de production d’huiles et de moules – 600 établissements, 12 000 tonnes d’huîtres par an – qui emploie environ 2000 personnes. Pas touche au grisbi ! On comprend dans ces conditions la prudence de Sioux de l’IFREMER, qui prend soin de dire et répéter que Thau est l’un des moins pollués aux pesticides des dix étudiés. Et pourtant ! On peut lire par exemple : « Le risque chronique lié à la présence de pesticides y est néanmoins jugé fort », ou encore – à propos des pesticides irgarol et métolachlor – que des études « rapportent des effets d’embryotoxicité chez les larves d’huîtres à des concentrations chroniques proches de celles retrouvées dans notre étude ». Traduction : les larves d’huîtres dégustent. Mais pas nous, bien sûr.

Cela ne serait rien encore si ce n’était un sinistre commencement. L’étude IFREMER note ainsi : « Sur les 72 pesticides recherchés, 49 substances différentes ont été quantifiées au moins une fois au cours de l’étude (dont 6 substances prioritaires sur les 9 recherchées). Parmi celles-ci,on retrouve en moyenne 29 substances différentes simultanément lors de chaque prélèvement ». Bien que ce jargon rebute, retenons que l’on trouve beaucoup des pesticides recherchés.

Mais c’est le détail qui fait le plus mal, car l’étude constate « un risque jugé “fort” pour la santé des écosystèmes de 8 lagunes sur 10 », car « entre 15 et 39 pesticides [ont été] retrouvés dans chaque lagune ». Pas si grave ? Si. Car « le cumul des pesticides constitue une problématique à part entière ». Même si l’on réussissait à réduire la présence de chaque substance, « l’effet du cumul des pesticides entraînerait encore un risque chronique pour 84 % des prélèvements réalisés dans le cadre de cette étude ». Commentaire désabusé de la chercheuse Karine Bonacina, qui a participé au travail : « Avant cette étude, l’état chimique de ces lagunes était considéré comme “bon” ».

Bien entendu, nulle autorité n’a le moindre intérêt à considérer de tels résultats. Ni les préfets, ni le ministère de l’Écologie, ni même et peut-être surtout les conchyliculteurs, qui ont tant à perdre à reconnaître l’étendue de la contamination des huîtres et des moules. Question : dans une France qui se jette à corps perdu dans la consommation de produits bio, est-il durablement possible que l’on continue à boulotter des fruits de mer farcis au métalochlore ou au glyphosate ?

Annexe mais redoutable : dans quelle tambouille chimique se baignent les gentils estivants de juillet et d’août ? Fait-on des analyses chimiques des eaux de baignade, notamment au débouché de nos grands fleuves, surchargés de chimie de synthèse et de cocktails médicamenteux ? Le fait-on à Trouville, qu’arrose si gentiment la Seine, après avoir drainé tant de régions agro-industrielles ? Le fait-on à la Baule, où la Loire dépose sans jamais s’arrêter ce qu’elle trimballe au long de son cours ? Euh, non. Combien de pesticides en bouche quand bébé boit la tasse ?

(1) Il faut citer le décevant Planction marin et pesticides : quels liens ? De Geneviève Azul et Françoise Quiniou (éditions Quae). Et quelques notations issues du programme européen Jericonext/

(2) https://wwz.ifremer.fr/Espace-Presse/Communiques-de-presse/Pesticides-dans-les-lagunes-de-Mediterranee-un-nouvel-indicateur-permet-de-mieux-evaluer-le-risque-ecologique

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Jean Lassalle dans le rôle du pyromane

C’est sûr, le niveau est très relevé, mais enfin, Lassalle est bien placé. Dans le concours de la phrase la plus conne de l’année, et même de la décennie. Précisons pour commencer qui est Lassalle. Grand zozo devant l’Éternel, maire de Lourdos, dans la vallée d’Aspe, pendant vingt ans, député depuis 2002, candidat à la présidentielle, Jean Lassalle est aussi un pote historique de François Bayrou. Sa spécialité : la plainte. Les Pyrénées sont menacées par les élites parisiennes, qui préfèrent l’ours au berger, et le glorieux Béarn fera face comme il le fait depuis au moins Henri IV.

Comment ? C’est là que ça devient drôle. Au Pays basque – il fait partie comme le Béarn des Pyrénées-Atlantiques – le feu court les crêtes, et il est volontaire. Personne n’est pressé de faire les comptes, mais les attentifs locaux savent que la montagne basque est en grand danger. Genofa Cuisset, présidente de l’association Su Aski (suaski.wordpress.com)- « halte aux feux – n’est pas seulement en colère, elle en pleure : « Je reviens d’un pèlerinage en montagne. C’est abominable, j’ai vu un arbre de 20 mètres calciné, et la terre à nu, à cause de ces fameux écobuages ».

Technique contrôlée, et limitée en surface pendant des siècles , l’écobuage consiste à brûler un terrain jusqu’à ses souches pour laisser place à des cultures ou des pâturages. Mais les paysans et bergers sont rares tandis que se déchaînent des chasseurs de primes – la PAC européenne – qui reçoivent du fric pour « nettoyer » les pentes au lance-flammes. Lassalle les soutient d’une manière qui serait effarante si elle n’était surtout délirante : selon lui, sans les écobuages, « ça en serait fini du pastoralisme, mais aussi d’une certaine idée d’un tourisme qui va être de plus en plus amené à se développer à travers nos montagnes. Il faut qu’elles restent verdoyantes, au lieu d’être des ronces, des futaies ou même des forêts (1)».

En somme, notre grandiose entend sacrifier la forêt en la cramant. Pour faire venir des Parisiens par ailleurs honnis. Lassalle, champion du monde.

(1) francebleu.fr/infos/agriculture-peche/incendies-au-pays-basque-les-ecobuages-legitimes-malgre-la-polemique-1614373146

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Le désert espagnol à nos portes

Un livre inattendu (Les Quichottes, par Paco Cerdà, éditions La Contre Allée, 20 euros). Un journaliste espagnol décide de visiter une région immense, moins peuplée au km2 que la Laponie des Samis. Mais nous sommes 4000 km plus au sud, dans une Espagne que nul ne connaît. Cette Serranía Celtibérica court sur 65000 km2, 1355 communes, 10 provinces et ne compte en moyenne que 7,34 habitants au km2. En moyenne, car très souvent, on peut avoir du mal à dépasser deux, ou même un. Grossièrement entre Madrid, Valence et Saragosse, le travail est parti, et les hommes aussi.

Dans une sorte de road movie, Cerdà nous emmène là où plus personne ne va. Là où, comme à Guadalajara ou Teruel, la République s’est battue jadis contre Franco. Ici, José Luis, qui quitte tout après des années de chômage, et devient gardien d’un village fantôme pour 400 euros par mois. Là, le magnifique Marcos – 72 ans – qui a quitté la ville pour un village qui n’a jamais connu l’électricité, remuant ciel et terre pour faire revenir au moins un service public essentiel. Les personnages sont beaux et suffiraient à recommander le livre. Mais au-delà, il plonge dans des abîmes de réflexion. Jusqu’où se féliciter du recul de l’homme et du retour de la nature ? Faut-il vraiment aider ces quelques valeureux qui s’acharnent contre l’évidence d’un désert qui avance ?

On ne peut manquer davantage de penser à cette France qui disparaît, elle aussi. Combien d’habitants en Creuse, en Lozère, dans l’Aveyron, en Haute-Loire, dans la Loire profonde ?

Mais d’où vient ce salopard de virus ?

Tout le monde en a marre, non ? Des milliers d’heures sur les radios et télés, des kilomètres de signes dans les gazettes auront été consacrés au coronavirus. Pour dire et répéter les mêmes choses dans un sens puis dans l’autre, et retour. Non ?

En mars 2020, quand nous n’en étions qu’au début, l’infectiologue Didier Sicard, pas plus con que tant d’experts de TF1 ou de France-Inter, s’interrogeait (1). Très au fait du sujet, il réclamait un examen en urgence des causes animales de la pandémie. Et comme il connaissait fort bien une partie de l’Asie, il ajoutait : « Ce qui m’a frappé au Laos, où je vais souvent, c’est que la forêt primaire est en train de régresser parce que les Chinois y construisent des gares et des trains. Ces trains, qui traversent la jungle sans aucune précaution sanitaire, peuvent devenir le vecteur de maladies parasitaires ou virales et les transporter à travers la Chine, le Laos, la Thaïlande, la Malaisie et même Singapour. La route de la soie, que les Chinois sont en train d’achever, deviendra peut-être aussi la route de propagation de graves maladies ». 

La nouvelle Route de la soie, qui fait se pâmer tant d’économistes et autres crétins, reliera à terme la Chine – on y achève une quatre-voies de 5000 km –, l’Asie centrale et même l’Europe où un Viktor Orbán, clone hongrois de Trump, est en train de vendre son pays à Pékin. Précisons à l’attention des grincheux que je ne suis spécialiste de rien. Je vois, car je lis, qu’une affaire mondiale comme celle-là recèle d’innombrables mystères. En fera-t-on le tour ?

Mais cela ne doit pas empêcher de parler de ce que l’on sait avec une raisonnable certitude. Et nul doute que la crise écologique planétaire est le responsable principal de l’émergence de tant de virus menaçants. La logique en est dans l’ensemble connue : les activités humaines remettent en circulation des organismes vivants neutralisés par des relations biologiques stables depuis des millénaires, parfois des centaines de millénaires.

L’incursion des humains – braconniers suivant la piste des bûcherons – dans les forêts tropicales les plus intouchées ne pouvait manquer d’avoir des conséquences. Et ce n’est qu’un petit exemple. Quantité de virus dits émergents sont en effet des zoonoses, des maladies ou infections qui passent de l’animal à l’homme. Tel est le cas d’Ebola, des hantavirus, du SRAS, de la fièvre du Nil occidental, probablement du sida. Ce n’est qu’un aperçu, car l’on compte environ 200 zoonoses, dont beaucoup sont bactériennes.

Dès le 17 avril 2020 – il y aura bientôt un an -, 16 responsables d’autant d’organismes scientifiques différents écrivaient (2) : « La pandémie de Covid-19 est étroitement liée à la question de l’environnement : c’est bien, encore une fois, une perturbation humaine de l’environnement, et de l’interface homme-nature, souvent amplifiée par la globalisation des échanges et des modes de vie, qui accélère l’émergence de virus dangereux pour les populations humaines ».

Et les mêmes posaient une question qui devrait pétrifier nos responsables : « À la lumière de la crise sanitaire que nous traversons, il est paradoxal de constater que les études de médecine et de pharmacie continuent d’ignorer largement la biologie de l’évolution, et que celle-ci est récemment devenue facultative pour les deux tiers d’un parcours scolaire de lycéen ».

En clair, tout le monde s’en tape. Pourquoi ? Parmi les nombreuses raisons en cause, j’en retiens deux. Un, nos chefaillons actuels, qui incluent les écologistes officiels, sont d’une inculture monumentale. Ils ne savent pas, obsédés que sont la plupart par leur sort personnel et leur place dans l’appareil d’État. Deux, les rares qui entrevoient une lueur n’ont pas le courage de remettre en question le monde qui est le leur, son organisation, ses buts.

Il y faudrait la force d’un Gandhi et nous n’avons à notre disposition qu’une classe politique et administrative plus bas-de-plafond que le dernier des nains de jardin. Voilà pourquoi votre fille est muette.

(1)franceculture.fr/sciences/didier-sicard-il-est-urgent-denqueter-sur-lorigine-animale-de-lepidemie-de-covid-19

(2) lemonde.fr/idees/article/2020/04/17/la-pandemie-de-covid-19-est-etroitement-liee-a-la-question-de-l-environnement_6036929_3232.html

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Jean-Louis Beffa, héros méconnu de l’amiante

Le coût de l’amiante est tel qu’il ne sera jamais calculé vraiment. L’industrie en a longuement profité, et maintenant la société paie les dégâts, les milliers de morts chaque année, les vies disloquées. Des braves se battent depuis 25 ans devant les tribunaux, et parfois gagnent, et souvent perdent, et continuent pourtant.

En 2017, une expertise judiciaire estimait qu’on ne pouvait pas connaître la date précise d’une contamination par l’amiante, menant droit à un non-lieu en 2018. Les magistrats jugeaient alors impossible de retenir la responsabilité pénale de tel ou tel dirigeant d’une entreprise. En l’occurrence, il s’agissait de l’usine Everite située à Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne. Gros soupir de soulagement patronal.

Mais la cour d’appel de Paris vient d’infirmer ce non-lieu, et renvoie le dossier à des juges d’instruction. Selon eux, en effet, et il s’agit de citations tirées de son arrêt, « c’est toute la période d’exposition qui contribue à la maladie et/ou au décès ». Du même coup, « chaque dirigeant successif peut avoir participé, à son échelle de responsabilité, à l’exposition des salariés aux fibres d’amiante ».

C’est déjà beaucoup moins drôle pour certains, car Everite était une filiale de Saint-Gobain, ce qui nous rapproche fatalement d’un certain Jean-Louis Beffa. Ce personnage central du capitalisme français est entré à Saint-Gobain en 1974, dont il a été le P-DG dès 1986, quand il était encore légal d’empoisonner le prolo avec l’amiante.

Le cas est d’autant plus intéressant qu’un Beffa, dans notre sainte république, semble intouchable. Ingénieur des Mines, un temps membre du club Le Siècle, il a été aussi des conseils d’administration ou de surveillance de GF Suez, de Siemens, de la Caisse des dépôts, de BNP-Paribas, etc.

Cerise amiantée sur le gâteau, Beffa fait partie dès 1994 du conseil de surveillance du journal Le Monde, qu’il préside depuis 2017. En Italie, travaillant des années sur des milliers de pièces, un tribunal d’appel à condamné en 2013 l’industriel de l’amiante Stephan Schmidheiny à 18 ans de taule. Beffa, quelle chance.

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Les Tartarin veulent la peau du Loup

Comment va le Loup en France ? Pas bien. Je rappelle qu’il est revenu naturellement d’Italie il y a une trentaine d’années, après avoir été totalement exterminé. Pas bien, donc, et c’est l’Office français de la biodiversité (OFB) qui le détaille dans un rapport, avec le CNRS (1). Attention, l’OFB, c’est pas les Naturalistes en lutte : les chasseurs, pour s’en tenir à eux, siègent à son conseil d’administration.

Il n’empêche que le texte est limpide. S’appuyant diplomatiquement sur des « points de vigilance », ses auteurs constatent qu’entre 2014 et 2019, la mortalité atteint 42%, toutes classes d’âge confondues, contre 26% avant 2014. Ce qui rapproche l’espèce du point au-delà duquel la population commence à décliner.

En ajoutant d’autres signes préoccupants, les rédacteurs de la note sortent un peu plus du bois, et ils écrivent : « Plusieurs signaux vont dans le sens d’une dégradation de la dynamique de la population ». Et appellent entre les lignes, mais sans détour, à une révision de la politique actuelle, qui vise, ça c’est Charlie qui le dit, à contenir les oppositions et satisfaire quelques clientèles électorales.

Il n’y a aucun mystère : depuis 2014, des centaines de loups ont été butés « légalement », malgré leur statut de protection. Ils seraient 580 et en cette année qui commence, l’État donne le droit d’en abattre 121. Courons donner des leçons aux paysans africains sur la cohabitation avec les éléphants. Et aux gueux de l’Inde sur la sauvegarde des tigres, si mignons à la télé.

(1) https://www.loupfrance.fr/mise-a-jour-des-effectifs-et-parametres-demographiques-de-la-population-de-loups-en-france-consequences-sur-la-viabilite-de-la-population-a-long-terme/

Tuyaux crevés, dégueulis assuré

Presque rien, vraiment. Nous sommes à nouveau à Quimper, dans le Finistère. Le 31 octobre, une canalisation d’eaux usées casse d’un coup, obligeant à rejeter dans l’Odet, un petit fleuve côtier de 62 kilomètres de long, des centaines de m3 de dégueulasseries diverses.

On mobilise gaillardement des équipes, des techniciens, du matos lourd et l’on entreprend de creuser un trou à l’endroit du désastre, puis d’en évacuer l’eau par pompage avant de commencer à réparer. En urgence, on pose sur 36 mètres une nouvelle canalisation en fonte, et avant même d’avoir terminé, une autre canalisation majeure pète. C’est la merde, et des dizaines de milliers de m3 – qui saura jamais la vérité ? – partent peu à peu à l’Odet, puis à la mer proche.

Les autorités bricolent, en quoi elles excellent, et préviennent gentiment les industries en amont qu’il est désormais impossible d’envoyer les eaux usées dans la station d’épuration du Comiguel, et qu’il serait hautement civique de garder ses ordures sur place, en attendant que tout rentre dans l’ordre. Le font-ils ? On n’en sait rien.

Là-dessus, les braves d’Eau et Rivières de Bretagne décident de porter plainte, au moins pour connaître les conditions de l’accident (1). Car en effet, de nombreuses questions se posent. La tuyauterie en fonte avait semble-t-il été installée vers 1970. Était-elle de bonne qualité ? Était-il entendu que ces matériaux vieillissent et dureraient aux alentours de cinquante ans ? Et si oui, que n’a-t-on entrepris des travaux de rénovation plus tôt ? En somme et comme si souvent, a-t-on attendu le merdier avant de réagir ? L’addition sera de toute façon payée par le peuple de Quimper, car on ne connaît aucune autre règle.

La pollution de l’Odet est grave pour des milliers, des dizaines de milliers de vies non humaines, végétaux compris. Quant aux conchyliculteurs de l’Atlantique, à 20 km de Quimper, c’est à se flinguer, à un mois de Noël et du Nouvel an. Le préfet a en effet pris un arrêté qui interdit la pêche, et même l’utilisation de l’eau de mer depuis Quimper, sur l’Odet, jusqu’à un rayon de deux km en mer.

Les crevettes, les casiers, les huîtres, c’est râpé. Après la crise du norovirus, qui a ravagé moules et huîtres, après le premier confinement, qui a fermé des marchés entiers, cette pollution majeure risque d’entraîner la fin de nombreuses entreprises. Avis de Kevin Way, président du Syndicat des conchyliculteurs du Sud Finistère, interrogé par Le Télégramme : « Des réseaux vieillissants comme celui-là, il en existe partout ». Et en effet, partout.

Pour rester une seconde dans le turbide domaine de l’eau, on apprenait au même moment qu’en Guadeloupe, des milliers de foyers sont privés à tour de rôle d’eau au robinet, pour cause de conduites d’adduction percées de tout côté. À la rentrée, quarante écoles, deux lycées et un collège n’ont pu ouvrir, faute d’eau.

On peut multiplier les exemples par cent ou mille. Le réseau routier, dédié au culte de la bagnole, dépasse au total 1 million 103 000 km. Combien de temps encore faudra-t-il pour admettre que ce n’est pas tenable ? Que les ressources nécessaires à l’entretien d’une telle folie n’existent pas ?

La France est pleine d’un legs que personne n’entend accepter, comme si ce « confort » imbécile fait de portables, d’ordinateurs, d’écrans plasma, de facebook, de twitter avait été apporté dans la hotte du Père Noël. Nul n’entend payer le prix de nos vomissures dans l’eau que nous buvons ensuite. Ni celui des milliers de décharges, des centaines d’incinérateurs géants, pas davantage celui des centaines de milliers de toits et de lieux farcis à l’amiante. Arrêtons ici cette liste sans fin, et regardons au moins une seconde ce qui nous arrive : tout ce qui a été lancé dans l’euphorie psychopathologique des Trente Glorieuses réclame désormais la note, et elle est en vérité impayable.

Elle sera donc délayée, camouflée, et pour finir ignorée, car elle est la vérité quand tout nous pousse à (nous) mentir. Les craquements de Quimper annoncent bien d’autres déversements, capables de recouvrir le monde.

(1) eau-et-rivieres.org/pollution-odet-nov.2020

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La clé énergétique, c’est de ne pas consommer

Dans l’ensemble, tout le monde se fout du dérèglement climatique. Tout le monde, sauf quelques pékins, soutenus par une poignée de clampins. Et justement. Ceux de l’association Negawatt, créée – mazette – en 2001, cherchent des solutions. Attention, ce sont des chercheurs, des « spécialistes », des « experts ». Je ne suis pas forcément d’accord sur le fond, mais leurs calculs m’ont toujours apporté du réconfort. Voici donc.

D’abord, qu’est-ce qu’un negawatt ? Grossièrement, le watt qu’on ne produit ni ne consomme. L’équipe – Thierry Salomon, salut ! – produit régulièrement des scénarios énergétiques, et le petit dernier éblouit (1), car il déclare possible une réduction des gaz à effet de serre, en France, de 55% d’ici 2030. Dans dix petites années.

Comment fait-on ? C’est presque simple si l’on s’appuie sur le trépied sobriété/efficacité/renouvelables. Le levier principal, sans surprise, est la réduction de la consommation d’énergie. Qui pourrait réserver pour une fois de bonnes surprises, notamment dans les transports et le bâtiment. On l’oublie trois fois sur trois, mais 30% des émissions de gaz à effet de serre viennent du transport, et toutes les mesures proposées par Negawatt relèvent du simple bon sens.

Et de même pour l’habitat et le bâtiment, le secteur industriel, l’agriculture. Un point critique tout de même à propos de cette dernière : le choix de ne pas intégrer sa consommation d’énergie au bilan général fausse la perspective. Car le modèle de l’agriculture industrielle est l’une des clés de toute bagarre contre la crise climatique.

À part cela, un excellent boulot. Ne manque plus qu’un détail : la volonté politique, totalement absente. La France s’est engagée à une réduction de 40% d’ici 2030 – par rapport à 1990 -, mais d’évidence, elle n’y arrivera pas. D’autant que les émissions importées via le commerce mondial explosent : + 78% depuis 1995. Ici, insulte fortement intériorisée contre le président de la République. Et ses ministres. Et la droite. Et la gauche.

(1) negawatt.org/IMG/pdf/201130_objectif-55pourcent-de-reduction-de-ges-en-2030.pdf

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Nanoparticules, maxicrapules

C’est tellement délirant qu’on est bien obligé de le croire, tant cela ressemble à ce si beau monde. Présentons. D’abord l’Agence française de sécurité sanitaire (Anses), notre grande agence publique en charge de notre sécurité, maintes fois essorée ici pour ses liens avec l’industrie des pesticides. Ensuite le registre R-Nano, que cette agence publie chaque année, sur la base des déclarations obligatoires des industriels.

R-Nano (1) analyse la consommation de nanomatériaux, dont on rappelle la taille : si le diamètre d’une bille était d’un nanomètre, alors celui de la Terre serait d’un mètre. Précisions qu’à cette échelle, la matière se comporte d’une autre manière, et qu’elle peut aisément franchir les frontières des organes et même des cellules. Or on en fout partout. Par exemple dans les sauces, sous la forme de nanoparticules de silice. Ou dans les cosmétiques. Ou dans les chaussettes. Ou dans les pesticides. Compter chaque année 400 000 tonnes, dont une partie importée.

Voyons maintenant le résultat, avec l’Anses, qui s’est fendu d’une analyse portant sur 52 000 déclarations enregistrées entre 2013 et 2017 (2). Ce qui suit est tiré du texte original, qui contient du gras. Attention les yeux : « 90 % des données de caractérisation des nanomatériaux telles que la taille, la surface spécifique, la charge de surface ne sont pas exploitables et 10 % seulement renseignent correctement leur usage. L’absence de données ou la mauvaise qualité de celles-ci impacte significativement les possibilités d’exploitation, notamment en matière d’évaluation des risques sanitaires potentiels ». Vu ?

(1) ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Rapport%20R-nano%202019.pdf

(2) anses.fr/fr/content/nanomat%C3%A9riaux-evaluation-du-dispositif-national-de-d%C3%A9claration-r-nano

Retiens la nuit jusqu’à la fin du monde

Définition : une méta-analyse, c’est une étude qui recense et ordonne une vaste série de travaux scientifiques portant sur une question donnée. Des chercheurs de l’université d’Exeter (Grande-Bretagne) viennent d’en publier une belle dans la revue Nature, ecology and evolution (1). Elle porte sur 126 études publiées, et ce n’est pas aujourd’hui que je ferai rire aux éclats.

En effet, elle révèle que la pollution lumineuse a des effets à peu près insoupçonnés. Son auteur principal, Kevin Gaston : « The effects were found everywhere – microbes, invertebrates, animals and plants ». Or donc, microbes, animaux, plantes seraient touchés. Et le même d’ajouter qu’il serait temps de considérer la pollution lumineuse comme le grand désordre systémique qu’il est. À côté, tout à côté mais oui, du dérèglement climatique.

Mais de quoi parle-t-on ? De la fin de la nuit, très simplement. L’éclairage des villes, des ports, des rues, des autoroutes, des fermes même fait reculer partout le vital repos nocturne. De nuit, les êtres vivants fabriquent une hormone, la mélatonine, qui régule les cycles du sommeil. Eh bien, toutes les espèces animales étudiées en ont un taux de production diminué à cause de la lumière, ce qui bouleverse tous leurs rythmes.

Des exemples ? Les insectes pollinisent moins. Les arbres sont en feuilles plus tôt au printemps. Les oiseaux de mer se tuent en heurtant les phares. Les oiseaux de terre chantent plus tôt, confondant l’aube et la gabegie lumineuse. Les rongeurs, qui se nourrissent la nuit, mangent moins à cause des illuminations. Les tortues de mer, attirées par les halos fous des hôtels, se perdent à terre, croyant avoir trouvé le jour.

Sommes-nous concernés ? Ce n’est pas impossible. Nous avons ainsi laissé déferler les lampes LED, ce douteux miracle qui nous a été vendu comme un « progrès ». Elles durent plus longtemps, mais profitant de cette « économie », les autorités de tout niveau en ont augmenté le nombre et la puissance. Or leur luminescence a un spectre plus large, comme le soleil.

Les images satellite montrent sans surprise une planète qui repousse sans cesse plus loin la nuit : l’augmentation des lumières extérieures serait d’au moins 2% par an. Mais il serait injuste d’accuser d’inaction nos gouvernants. Un pompeux Arrêté (3) « relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses » a bien paru au Journal officiel du 27 décembre 2018. Grotesque et impuissant, il affirme que « les émissions de lumière artificielle des installations d’éclairage extérieur et des éclairages intérieurs émis vers l’extérieur sont conçues de manière à prévenir, limiter et réduire les nuisances lumineuses ». Je dirais même plus : il faut « prévenir, limiter et réduire ».

Pendant ce temps d’inaction radicale, les astronomes gueulent dans le vide. Ceux de l’Union astronomique internationale ont publié il y a quelque temps un document qui raconte la folie des satellites, cette autre menace (3), hélas en anglais. J’en extrais cette phrase : « Outre leur visibilité à l’œil nu, on estime que les traînées des satellites seront suffisamment lumineuses pour saturer les détecteurs des grands télescopes. Les observations astronomiques scientifiques à large champ seront donc gravement affectées ».

Rappelons que le crétin intersidéral Elon Musk, qui tient le président américain – après Trump, Biden ? – by the balls, programme d’envoyer au total 42 000 nouveaux satellites dans l’espace. Il vient de proposer de les équiper de pare-soleils. Authentique.

Il y aurait bien une solution, qui consisterait à éteindre la lumière dans des millions de points terrestres où elle n’est qu’un gaspillage évident. Et de la limiter ailleurs. Mais ainsi que le note Kevin Gaston, « notre aptitude à changer la nuit en quelque chose qui ressemble au jour va bien au-delà de la nécessité de le faire ». Mehr Licht – plus de lumière -, aurait murmuré Goethe sur son lit de mort. Sommes-nous assez cons pour ne plus supporter le noir, en plus du reste ?

(1) Le plus simple, désolé, est de taper sur un moteur de recherche : A meta-analysis of biological impacts of artificial light at night

(2) theguardian.com/environment/2020/nov/02/treat-artificial-light-form-pollution-environment

(3) legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037864346/

(4) iau.org/news/pressreleases/detail/iau2001/

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Mélenchon et Montebourg s’embrassent sur la bouche

Mélenchon, poil au menton. Lectrice énamourée, toi qui aimes le Grand Jean-Luc, lecteur envapé par le chef de la France insoumise, épargne-toi ce qui suit. Donc, le voilà candidat. Et l’un de ses amis, le député Adrien Quatennens, souhaite gentiment que Mélenchon fasse « équipe » avec Arnaud Montebourg. On voit l’intérêt : rassembler plus largement au premier tour, de façon à atteindre le second. Comme ces gens sont malins.

On le sait, la France Insoumise ne veut plus des accords politiciens d’antan, qui provoquent abstention ou, pire encore, le vote Le Pen. La clarté passe avant l’unité. Avec elle, on ne reverra pas de sitôt les accords pourraves qui décourageaient les meilleures volontés. Sauf que.

Sauf que Mélenchon se veut plus écologiste que René Dumont, Ivan Illich et André Gorz réunis. Montebourg colle-t-il avec le programme ? Ce petit monsieur, à peine nommé par Hollande ministre du Redressement productif – on ne rit pas -, s’empresse de déclarer en août 2012 que « le nucléaire est une énergie d’avenir », précisant pour les sourds que « la France a un atout extraordinaire entre ses mains [avec le nucléaire] qui lui a permis de bâtir son industrie ». L’année d’avant, il avait eu cette pensée visionnaire : le nucléaire « est le moyen d’avancer sur le chemin de la réindustrialisation ».

Six mois plus tard, il donne à la société Rexma un permis d’exploitation d’une mine d’or en Guyane. Dans un secteur du Parc National interdit à l’activité minière. Mais c’est cohérent, car Montebourg veut aussi rouvrir la criminelle mine de Salsigne, dans l’Aude. Tout pour la production !

Ajoutons enfin que Montebourg était jusqu’en 2016 un chaud partisan de l’exploitation des gaz de schiste en France, rêvassant de créer une industrie prospère, et bien entendu « propre ». Il s’appuyait sur un rapport secret, finalement publié par Le Figaro, qui vantait des « bonnes pratiques et des réglementations contraignantes, sous le contrôle de l’administration ». Ah ! charmant garçon. 1981, le retour.

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Les SDHI en veulent aussi au poisson zèbre

Résumons ce qui ne peut pas l’être. L’agrochimie – Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta – a ouvert un nouveau marché avec les fongicides SDHI, l’un des chevaux de bataille du mouvement des Coquelicots. Une procédure judiciaire lancée par les Coquelicots – soutenue par Générations Futures et FNE – réclame l’interdiction de trois de ces molécules. Pour commencer.

Pourquoi ? J’ai longuement raconté dans un livre (Le crime est presque parfait, LLL) comment une équipe scientifique a été violentée par l’administration française, en l’occurrence l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Pierre Rustin et Paule Bénit, de l’INSERM, et quelques autres chercheurs avaient dès avril 2018 alerté sur le danger de ces nouveautés. Rustin, spécialiste mondial des maladies mitochondriales, et Bénit avaient pu montrer avec clarté que les SDHI s’attaquent au cœur de la respiration des cellules humaines et de quantité d’autres êtres vivants.

L’ANSES les a ridiculisés avant de faire (un tout petit peu) machine arrière devant l’accumulation des preuves. Et voilà que deux études récentes renforcent les pires inquiétudes. La première (1) montre que le bixafen, l’un des SDHI, provoque de graves anomalies in vivo du système nerveux chez le poisson zèbre, modèle de nombreuses études de toxicologie. Et la seconde (2) décrit la toxicité du fluxapyroxad, un autre SDHI, sur le développement de ce même poisson. L’ANSES, grande amie des hommes et des écosystèmes.

(1) https://insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-bixafen-un-sdhi-fongicide-provoque-des-anomalies-du-systeme-nerveux-chez-le-poisson

(2) sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0045653520312303

Ces cancers d’ouvriers qu’on ne veut pas voir

Il y a deux textes à lire. D’abord une présentation, signée par moi, Fabrice Nicolino. Puis un entretien avec Annie Thébaud-Mony, directrice de recherche honoraire à l’INSERM, que je juge vertigineux.

Pressés jusqu’à la dernière goutte

Je ne vais pas jouer la comédie : j’ai grandi et vécu en Seine-Saint-Denis, où j’ai habité aux Bosquets de Montfermeil, mais aussi à Villemomble, Clichy-sous-Bois, Drancy, Bondy, Noisy-le-Sec, Pantin, Aulnay-sous-Bois, Montreuil, entre autres.

Je ne connais aucun territoire mieux que ce désastre zébré par la nationale 3 et l’autoroute A3. Mon vieux, mort à 49 ans, y fut ouvrier. J’y ai été, autour de l’âge de 17 ans, apprenti-chaudronnier, travaillant dans un atelier de Montreuil où l’on fabriquait exclusivement des comptoirs de bistrot. Le soir, chaque soir, je me lavais les cheveux dans le lavabo de la minuscule cuisine, et ils étaient noirs de poussière métallique et de graisses diverses. Chaque soir.

Le récit savant qu’Annie nous livre ci-contre, je crois que je le connaissais avant qu’elle ne me le livre. Les prolos peuvent crever la gueule ouverte. Pendant des décennies, le parti communiste stalinien, les syndicats, les groupes de gauche ou d’extrême-gauche ont fait de la classe ouvrière le sel de la terre. Groupe à vocation universelle, elle était la clé d’une société neuve, qui abolirait le malheur et fracasserait l’injustice, toutes les injustices.

Et puis tout a été englouti. Le parti socialiste a fini par se boucher le nez et se tourner vers les fameuses couches moyennes, urbaines, dont il espérait obtenir un vote éternel. Le parti communiste s’est dissous dans l’éther. Le discours et le verbe ont abdiqué.

Ne restaient plus en place que les prolos. Avec des gueules de prolos. Avec des gestes et des mots de prolos. Avec des clopes au bec, et quelquefois un verre dans le nez. L’espérance de vie des 5% d’hommes les plus friqués est de 84,4 ans, contre 71,7 ans pour les 5% les plus pauvres.  Un peu moins chez les femmes. Non seulement les prolos crachent plus vite leurs poumons, mais dès cinquante ou soixante ans, ils ont mal partout. Et pas les autres, tenus au chaud loin des chantiers et des ateliers.

Plus personne ne se souvient que les prolos ont redressé l’économie de ce pays après 1945, quand il s’agissait de tirer du charbon et du fer des mines du Nord et de la Lorraine. Et visiblement, aucun des bureaucrates, statisticiens, épidémiologistes de mes deux n’a envie de reconnaître notre dette à tous. Aucun ne veut faire le bilan réel de la reconstruction, des Trente Glorieuses si Affreuses, de l’amiante, du benzène, des poussières de bois ou de ciment, des journées passées au cul des bagnoles à réparer, de la silice, des fumées de soudage, du goudron brûlant épandu sur les routes.

Les prolos auront tout fait, et en échange, partent à la benne. Pendant le premier confinement, il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir comment fonctionne une société de classe. Dans les trams venus de Bondy, Bobigny, Saint-Denis, à 5 heures, à 6 heures, à 7 heures, les mêmes que toujours se serraient de près, malgré le coronavirus, pour faire tourner la machine. Les autres, qui se lèveraient plus tard et resteraient devant leur écran un café à la main, n’en auraient pas été capables.

Ainsi va la vie, qui est à dégueuler. Ce pays richissime ne parvient pas même à trouver un million d’euros pour en savoir un peu plus sur le sort réservé à ses esclaves en bleu. Faut-il encore s’étonner que des centaines de milliers d’entre eux se soient tournés vers ces canailles du Rassemblement national ?

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Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches honoraire à L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), mène un travail sans précédent sur les cancers professionnels. Un grand nombre d’ouvriers, exposés à des produits cancérogènes, tombent malades. Sans être reconnus en maladie professionnelle. Sans obtenir la moindre réparation.

Annie Thébaud-Mony, directrice de recherches honoraire à L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), mène un travail sans précédent sur les cancers professionnels. Un grand nombre d’ouvriers, exposés à des produits cancérogènes, tombent malades. Sans être reconnus en maladie professionnelle. Sans obtenir la moindre réparation.

Il faut éclairer notre lanterne. Un GISCOP, qu’est-ce que c’est ?

Annie : Bon, ça veut dire Groupement d’intérêt scientifique sur les cancers d’origine professionnelle. Il en existe deux en France. Le premier en Seine-Saint-Denis, le second dans la basse vallée du Rhône, notamment le Vaucluse. Ils ont été créés pour en finir avec l’invisibilité des cancers professionnels. Vous le savez, la France connaît une explosions du nombre de cancers, dont l’incidence dépasse désormais 400 000 cas par an en France, un chiffre qui a doublé en trente ans. Les autorités officielles de la santé refusent d’appeler un chat un chat, et d’employer le seul mot qui vaille, celui d’épidémie. Pour les cancers professionnels, c’est encore pire : l’enquête nationale SUMER (Surveillance Médicale des Risques)  a révélé qu’en 2017, 11 % des travailleurs salariés, soit près de 2,7 millions de personnes, étaient exposés à des substances ou procédés cancérogènes, et ce sans protection pour une grande majorité d’entre eux.

Mais sont-ils reconnus ?

Annie : Les cancers professionnels reconnus et indemnisés ne représentent que 0,5 % des nouveaux cas de cancer, ce qui est dérisoire par rapport aux estimations, même les plus basses, de la proportion de cancers liés au travail.

Plus que toute autre maladie professionnelle, le cancer est une maladie inégalitaire, souvent mortelle, irréparable et pourtant évitable. Contrairement à l’idéologie dominante qui veut que le cancer résulte de comportements à risque, la genèse de chaque cancer s’inscrit dans une histoire, celle de la rencontre entre les organismes humains et les substance toxiques. Où celles-ci sont-elles particulièrement présentes? Dans les usines, dans les garages, sur les chantiers du BTP et de la construction, dans les hôpitaux, dans la manutention et le stockage de produits chimiques et pétrochimiques, etc.

Cette sous-estimation du nombre de cancers professionnels paraît presque incroyable.

C’est pourtant une certitude. En France, il n’existe aujourd’hui aucun recensement des expositions aux cancérogènes, de leur présence sur les lieux de travail et dans la carrière des travailleurs exposés. Il n’existe pas non plus de registres de cancer donnant des informations sur les expositions professionnelles aux cancérogènes. Les registres existant (qui couvrent environ 20% de la population) ne sont là que pour compter les malades et les morts, en faisant croire que chacun est responsable par ses comportements (tabac, alcool) de son cancer.

Les GISCOP s’attaquent donc à un Himalaya. Comment ?

Au point de départ, il y a vingt ans, un groupe de travail constitué de sociologues, toxicologues [Henri Pézerat, l’homme qui a révélé le scandale de l’amiante, en était], médecins du travail, cliniciens hospitaliers, médecins de santé publique, syndicalistes a réussi à intéresser le conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et le Ministère du travail pour la création d’une enquête permanente. Dans cette démarche, chacun fait ce qu’il sait faire : les médecins établissent le diagnostic, les sociologues reconstituent les parcours professionnels des patients, des experts des conditions de travail et des risques toxiques identifient les cancérogènes auxquels ces patients ont pu être exposés, puis l’équipe accompagne le parcours du combattant de la reconnaissance en maladie professionnelle.

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Les quelques 1300 vies de travail reconstituées sont en grande majorité celles d’ouvriers, et 85% d’entre eux ont été lourdement exposés des décennies durant, à des cocktails de cancérogènes reconnus. Sur ce nombre, grâce à ce travail, plus de 300 victimes de cancers professionnels ont été reconnues et indemnisées. Le système de réparation des maladies professionnelles est tellement restrictif que nous n’avons pu aller plus loin. Les tableaux des cancers professionnels ne retiennent qu’une vingtaine de substances susceptibles de provoquer un cancer, alors qu’il en existe au moins des centaines, sinon des milliers.

Et qu’en est-il du GISCOP Vaucluse ?

C’est aussi l’histoire d’une rencontre. En 2015, avec le sociologue du CNRS Moritz Hunsmann, nous avons eu une longue discussion avec Borhane Slama, chef de service d’oncologie hématologique au Centre Hospitalier d’Avignon. Il était très préoccupé par l’augmentation des cas de cancers hématologiques dans son service. En créant un nouveau GISCOP, nous avons formé une équipe et celle-ci a montré que ces cancers touchaient des ouvriers – dont beaucoup passés par l’agriculture intensive -, dont 90% d’entre eux étaient fortement poly-exposés pendant des décennies. Les pesticides participent grandement aux cocktails de cancérogènes en contact avec ces travailleurs.

Vous pourriez évoquer un cas concret ?

Bien sûr. Par exemple Mohamed N. En 2003, l’hôpital Avicenne de Bobigny diagnostique chez cet homme de 51 ans un cancer des sinus. Le GISCOP reconstitue son parcours professionnel. De 1973 à 1985, il a été OS chez Citroën, dont des postes de soudeur et de fondeur. Licencié, il alterne des périodes de chômage et d’activité dans le BTP ou le gardiennage avant de travailler de 1993 à 2003 pour un sous-traitant d’Air France. Il s’agit dans ce dernier cas de nettoyer l’extérieur des avions avec des produits décapants et… toxiques. Les cancérogènes que nous avons identifiés sont les fumées de soudage, la silice, l’amiante. Et les chromates dont l’exposition est reconnue pouvoir provoquer les cancers des sinus associés à l’exposition. Mohammed N… décède en 2008, laissant une famille avec plusieurs enfants mineurs et une situation économique catastrophique. Mais son dossier de reconnaissance va durer…12 ans, accompagné par le GISCOP 93. Les juges ont tranché en faveur de la reconnaissance, en dépit des avis négatifs des médecins de trois commissions. Nous avons été plus têtus qu’eux.

En somme, et c’est atroce, votre démarche paie, et fait surgir une vérité que personne ne veut voir. Mais jusqu’à quel point êtes-vous soutenus ?

Actuellement, le budget de chacun des GISCOP est de l’ordre de 120 à 150 000 euros par an. Petit élément de comparaison :  l’assurance-maladie rembourse désormais les thérapies géniques (pour les lymphomes notamment) dont le coût avoisine les 500 000 euros par patient – soit plus de trois fois l’actuel budget d’une année de fonctionnement d’un GISCOP. Il faudrait justement un budget pérenne d’environ 500 000 euros par an pour chaque structure, et les menaces s’accumulent. Les institutions telles l’Agence régionale de santé (ARS) Ile de France et le ministère du travail regardent ailleurs, malgré de très nombreuses relances, et pourraient ne pas renouveler leurs subventions en 2021. Quant au Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis, le plus fidèle des financeurs du GISCOP 93, il risque de voir disparaître son budget propre et devrait alors renoncer à nous accorder son soutien financier.

Les deux équipes – celle du 93 et celle du 84 – ont répondu à des appels à projet, que les exigences bureaucratiques transforment en un exercice extrêmement chronophage.  Les réponses négatives – 14 sur 16 pour le GISCOP 84 depuis 5 ans – sont autant de claques données à des chercheurs dont le temps de travail déborde en permanence les limites du raisonnable.

Mais enfin, pourquoi ne veulent-ils pas financer des travaux aussi limpides que bon marché ?

Notre approche est manifestement en décalage avec le type de recherches que souhaitent financer les institutions. Pour une partie des évaluateurs de nos projets, le travail exposé à des cancérogènes n’est pas un objet de recherche légitime, pas plus que les processus de non-recours aux droits, ou la production des inégalités sociales de santé. Une illustration de ce décalage se trouve dans l’évaluation de notre projet par la Fondation de France en 2018, dont le résumé se termine ainsi :

« Le comité vous encourage à inclure au sein de votre équipe un épidémiologiste méthodologiste afin de garantir que les hausses de malades constatées sont significatives et que les clusters de malades repérés par les dossiers hospitaliers ont aussi une significativité robuste qui atteste de l’intérêt scientifique des repérages de facteurs de risque ».

Selon ce raisonnement, il faudrait donc prouver une fois encore, chez des patients atteints de cancer, que des cancérogènes avérés sont réellement cancérogènes ! Et non pas en étudiant la réalité empirique de l’exposition professionnelle aux cancérogènes de patients atteints de cancer mais en recherchant la significativité statistique d’un « sur-risque » pour cette population. Cette idée, très souvent exprimée par nos évaluateurs et interlocuteurs institutionnels, se fonde implicitement sur le postulat erroné de l’existence d’un niveau normal et donc « acceptable » de survenue de cas de cancer dans la population, et traduit une incompréhension profonde de la démarche GISCOP.

Dans une perspective pluridisciplinaire de recherche en santé publique, nous considérons que tout patient atteint de cancer ayant potentiellement subi des expositions professionnelles à des cancérogènes est digne d’intérêt – et ce pour des raisons scientifiques, de justice sociale et de santé publique. La démarche GISCOP considère la survenue d’un cancer comme un événement-sentinelle, à partir duquel il devient possible de rendre visible les expositions subies par les patients dans leur travail – et d’agir en prévention.