Archives de catégorie : Développement

Quand l’eau ne coule plus au parc de la Doñana

Il y a des années et des années, j’ai passé du temps dans l’un des lieux les plus beaux de ma vie : le parc national de la Doñana. 122 000 hectares au total, dont 54 000, moins protégés, appartiennent à ce qu’on nomme en Espagne un parque natural. Comment expliquer ? Le lieu est l’ancien delta du Guadalquivir, avec Séville au nord, Huelva à l’ouest, et Sanlúcar à l’est. En Andalousie comme ailleurs, la ville pousse de tous côtés.

J’y ai vu des flamants roses, bien sûr, qui passent ici par dizaines de milliers. J’y ai vu l’aigle impérial ibérique, une espèce endémique, qu’on ne trouve donc pas ailleurs. Je n’ai pas vu, mais j’a croisé grâce à un garde les traces du lynx ibérique, dans les dunes boisées au ras de l’Atlantique. Je crois que je pourrais écrire sans m’arrêter sur ces cuvettes sans limites apparentes, creusée de trous d’eau, de rigoles, de fossés, de petits étangs et dépressions. On les appelle selon les cas ojos, lucios, caños, qui forment la contrée des marismas, ces marais mélangeant eaux douces et saumâtres où la vie explose. Six millions d’oiseaux migrateurs y font une halte sur leur chemin aller ou retour.

Doñana a connu bien des attaques au cours des siècles, et connu quantité de menaces. Mais ce qui se passe désormais est d’un ordre différent, car cela s’appelle la mort. Il y a la sécheresse, bien sûr, qui transforme d’année en année l’Espagne en désert. En ce moment, au moins 30 000 hectares devraient être sous l’eau. À peine 300 le sont. Mais il y a aussi l’agriculture, qui pompe en Espagne 80% de l’eau chaque année. Et elle est surtout intensive en Andalousie, qui produit légumes et fruits pour toute l’Europe, dans un univers dantesque de serres plastiques entretenues par des semi-esclaves – surtout des femmes – venus du Maroc, de Pologne, de Roumanie, voire du lointain Équateur.

Les fraises surtout, celles qui arrivent en France dès février – parfois avant – volent à Doñana une grande part de l’eau qui lui manque tant. De nombreux « exploitants » – riches, au demeurant – sont aux limites du parc et pompent tant qu’ils peuvent dans une nappe qui ne se recharge plus. Par un phénomène connu de tous, il faut creuser de plus en plus profondément, pour en sortir toujours moins d’eau. Un reportage du quotidien El País montre ce que la situation a de désespérée (1). Le biologiste Eloy Revilla, directeur de la Station biologique de Doñana : « On est en train de perdre les lagunes, et la question est de savoir si on pourra les retrouver ». À côté du scientifique, un chêne-liège monumental de trois siècles, qui a traversé toutes les épreuves, et cette fois rend l’âme. Au moins 60% des lagunes ont déjà disparu.

Il y a les puits légaux, plus ou moins contrôlés, mais surtout les puits non déclarés, qui se comptent en centaines. Beaucoup ont été régularisés en 2014 – par la gauche -, mais bien sûr, cela n’a pas de fin. La cour européenne de justice à condamné l’Espagne en 2021 pour n’avoir pas su protéger le parc national, mais en Espagne, on pisse aussi bien dans un violon qu’ici. D’autant que la politique la plus vile s’en mêle. Des élections municipales ont lieu le 28 mai 2023, et en Andalousie, une coalition faite du Parti populaire – la droite – et de Vox, parti défendant l’héritage franquiste, dirige la région.

Les deux larrons, avec l’aval du gouvernement andalou, mitonnent une loi qui prévoit d’élargir la zone irrigable au nord de Doñana, malgré les menaces de lourdes amendes de l’Union européenne. Avec un peu de chance pour ces crapules, la loi devrait être votée à la moitié de ce mois. Et la plupart des puits illégaux du périmètre en seraient régularisés une nouvelle fois.
Je préfère me souvenir un instant de ce jour de bonheur passé en compagnie d’un gars appelé Juan Valladolid. Nous étions montés sur le point culminant du parc – 35 mètres de haut – appelé le Cerro de los Ánsares, la colline aux oies. Des milliers d’oies cendrées sont passées juste au-dessus de nos têtes. C’était un flot, une folie de plumes, ce que les Espagnols appellent algarabía. Une langue aussi somptueuse qu’incompréhensible.

(1)https://elpais.com/clima-y-medio-ambiente/2023-04-16/teresa-ribera-lo-de-donana-es-un-engano-no-va-a-haber-agua.html

Comment assassiner beaucoup d’araignées

C’est difficile à croire, mais les araignées aussi se font la malle. Ce monde n’est plus fait pour elles, ni pour nous. Une liste rouge – scientifique – montre que 170 espèces, sur 1622 recensées en France métropolitaine, sont menacées (1). Plus de 10%. 101 autres n’en sont pas loin. Et pour comble, il n’y a pas assez de données sur toutes. Une bien belle catastrophe.

Des exemples ? La Larinia de Jeskov est en « danger critique », selon le sinistre classement. Elle vit dans des milieux humides, tels certains marais ou les prairies inondées. Mais crotte, on draine tout, on assèche, on détourne de l’eau pour l’irrigation. La dolomède des roseaux a, elle aussi, besoin de zones humides et de marais, de tourbières et de queues d’étang. Sans eau, elle meurt en quelques jours. Et ce n’est pas dans les mégabassines qu’elle trouvera le moyen de survivre. La Coelotes catalane, sublime dondon noire à pattes rouges, habite les anciennes hêtraies de montagne, dans les Pyrénées orientales. Et quand les incendies ne crament pas ces dernières, l’exploitation forestière réduit en sciure le territoire de la coelotes. L’Érèse sandalion n’aime rien tant que les sols sableux, arides et secs. Difficile de louper le mâle, qui balade en avant un gros bide orangé ponctué de points noirs, façon coccinelle. Chez les Anglais, on appelle d’ailleurs l’espèce ladybug spider, c’est-à-dire l’araignée coccinelle. Pour l’érèse, cela sent la fin du monde. À cause des pesticides, de l’urbanisation et du surdéveloppement des parcs photovoltaïques, l’une des dernières trouvailles des partisans de la destruction.

Oui, les causes sont parfaitement identifiées. La fragmentation et la disparition des habitats. La disparition des vieux arbres sous l’action vigoureuse des tronçonneuses, la pollution chimique, le comblement des zones humides, et bien sûr le dérèglement climatique. Entre autres. Est-ce qu’on s’en fout ? Oui, on s’en tape royalement, et pour le prouver sans peine, allons faire un tour chez les exterminateurs. Une courte balade sur le net montre qu’il y a moyen de gagner sa vie en trucidant les araignées. Fantaisiste, la société ASD-Protect (2) présente d’emblée les « insectes nuisibles : les araignées ». Ces professionnels ne semblent pas au courant que l’araignée, qui dispose de huit pattes, n’est pas un insecte, qui lui n’en a que six. L’araignée est un arachnide, tout comme les scorpions, les acariens, les opilions.

Mais passons. Que faut-il faire contre ces bestioles ? Elles « possèdent des glandes qui sécrètent un venin. Le canal extérieur débouche près de l’extrémité du crochet. Le venin permet à l’araignée d’immobiliser sa proie ». Que faire ? Il faut « exterminer les araignées ». Mais seuls les spécialistes savent faire, car « l’araignée peut faire sa toile partout et peut se trouver là où on ne l’attend pas. En règle générale, l’araignée tisse sa toile dans les caves, les garages, les greniers, mais un endroit sombre (…) lui ira très bien ».

Une autre société, Logissain, présentée sur son site (2) comme « leader français depuis 90 ans », commence par un petit coup de flip bienvenu : « Vous avez forcément chez vous une araignée sur un plafond. En majorité, les araignées sont bénéfiques ou inoffensives, et seulement quelques-unes sont dangereuses ». Ça a l’air sérieux, mais c’est du pipeau. Car le texte laisse entendre que des araignées des maisons peuvent être dangereuses. Or c’est totalement faux, et dans le pire des cas – au dehors -, rougeurs et démangeaisons au programme. Pour Logissain, il n’est qu’une solution : l’insecticide OCCI 330 pour les araignées vivant au sol, et l’OCCI insectes duo pour celles du plafond. C’est pratique et surtout toxique.

Ce que ne veulent pas savoir les éradicateurs, c’est que les araignées débarrassent les maisons des acariens – ils piquent, eux – des mouches, moustiques et moucherons. Sans jamais attaquer qui que ce soit. D’ailleurs, leurs crochets ne sont pas assez puissants pour traverser notre peau. Mais qui veut noyer son chien l’accuse d’être une araignée.

(1)Un travail commun de l’UICN, de l’OFB et du Muséum : https://inpn.mnhn.fr/docs/LR_FCE/Liste_rouge_araignees_metropole_2023_fascicule.pdf

(2)https://www.asd-protect.fr/nuisibles/araignees/

(3)https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/les-araignees-ne-piquent-pas-elles-mordent-5788757

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

M.Macron, la sécheresse et la bataille de Marignan

Pour commencer, lisons ensemble ce communiqué de la Commission européenne, qui nous annonce – sans grande surprise – que la sécheresse de cette année est la pire que l’Europe ait connue depuis 500 ans. Bien sûr, les bureaucrates de Bruxelles ne savent pas vraiment ce qu’ils écrivent, car où seraient les sources précises et fiables d’il y a cinq siècles ? Peut-être aurait-il fallu parler de mille ans, ou de la naissance de Jésus-Christ ? N’importe, c’est tout de même fracassant.

Si l’on en reste au calcul strict, 500 ans en arrière, cela renvoie à l’an 1522. Que se passe-t-il alors sur notre Terre ? En mars naît au Japon l’un des grands samouraïs de l’Histoire, Miyoshi Nagayoshi. Mais aussi, en novembre, un certain Albèrto Gondi, dont l’un des descendants sera l’inoubliable cardinal de Retz, auteur de formidables Mémoires sur Louis XIV. Autre naissance, certainement en 1522, notre poète national Joachim du Bellay, ami de Ronsard. Sur un plan plus général, un certain Gil González Dávila est le premier Européen à « découvrir » le Nicaragua et le lac du même nom, merveille de toutes les merveilles. En juin, les Portugais installent leur premier comptoir commercial dans les îles de la Sonde, à Ternate, qui se situe à l’est de l’Indonésie. En septembre, Juan Sebastián Elcano est de retour à Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, après trois folles années passées dans l’expédition de Fernão de Magalhães, c’est-à-dire Magellan.

Je pourrais continuer, car il s’en passe, des choses, en 1522, et même une terrible crue de…l’Ardèche en septembre. Mais moi qui ai assez peu connu l’école, je préfère encore me souvenir de ce qu’on me racontait lorsque j’étais en cours moyen première année : Marignan. Cela ne tombe pas pile poil – à sept ans près -, mais de vous à moi, faut-il barguigner ? Marignan, 1515. Cela devait venir instantanément à la première question posée. Marignan, 1515. Comme chef-lieu du Cantal Aurillac. Ou chef-lieu du Finistère Quimper, et non Brest, abruti que j’ai pu être.

Donc, Marignano à une quinzaine de kilomètres de Milan, le 13 septembre. L’armée de notre roi bien-aimé François Ier – il vient d’avoir 21 ans – affronte avec ses supplétifs de Venise des mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Oui, il faut suivre. En 16 heures de combat, 16 000 hommes sont tués. Mille trucidés à l’heure, on a fait mieux depuis. L’important, c’est que François sort vainqueur de l’affrontement. Qu’a-t-il gagné ? Ou plutôt, qu’auront pour l’occasion gagné les peuples, au-delà de ce perpétuel devoir de creuser des tombes ? On ne sait plus.

Mais où veux-je en venir ? Eh oui, où ? Notre insignifiant Macron est confronté devant nous à une tâche qu’il n’accomplira pas, car il n’a pas, même lorsque ses petites ailes sont déployées, l’envergure qu’il faudrait. Et ne parlons pas des si faibles évanescences de son entourage direct. Toutes. Qui oserait prétendre qu’en 2522, si la vie des humains s’est poursuivie jusque là, on aura encore un mot pour eux ? Pour lui ? Ils sont encore là qu’ils sont déjà oubliés, ce qui ne présage rien de bien réjouissant pour eux. Pour cette armée d’ectoplasmes agitant au-dessus de leurs courtes têtes des épées en carton dont je n’aurais pas voulu à dix ans.

Non, Macron ne fera rien, et pour de multiples raisons. D’abord, bien sûr, il n’a strictement rien vécu, et cela se ne se remplace pas. Il est né dans une famille riche, a grandi dans l’ouate la plus onctueuse qui se peut trouver, a fait les études qu’on attendait de lui, lu les quelques livres barbants qui lui étaient nécessaires, rencontré les seules personnes qui méritaient de l’être, est devenu banquier d’affaires, s’est mis dans les pas d’un clone de lui-même, avec trente ans de plus que lui – Jacques Attali, roi des faussaires -, et ensuite a fait de la politique. Pas pour régler des problèmes. Plus sûrement pour éprouver ce sentiment de gloire personnelle et de pouvoir. Et à l’époque, cela s’appelait parti socialiste, dont il a été membre des années, même si tous l’ont oublié. Dans la suite, ainsi qu’on a vu, il a chantonné sous sa douche l’air de la rupture et des temps nouveaux, puis répété le même exaltant message devant des foules compactes et, soyons sincère, imbéciles, et il l’a emporté sur ce pauvre couillon nommé Hollande – le roi définitif des pommes -, avant de coiffer tout le monde sur le poteau.

La deuxième raison qui nous garantit son inaction est reliée à la première. Il n’a pas eu le temps. Quand on passe sa vie à rechercher les moyens de gagner sur les autres, on n’en a pas pour connaître ceux qui aideraient ces autres à vivre moins mal. Et dans ces autres, je considère avant tout les gueux de ce monde si malade, qu’aucun politicien vivant en France n’évoque jamais. Le paysan du Sénégal courbé sur sa houe. Le Penan du Sarawak qui clame sans que nous l’entendions qu’il n’est plus rien sans la forêt que nos lourdes machines assassinent. Les Adivasi de l’État indien du Chhattisgarh, dont les terres anciennes deviennent des mines d’or. Les dizaines de millions de mingong de Chine, ces oubliés de l’hypercroissance. Et dans ces autres, je mets au même plan – mais oui, car l’un ne va pas sans l’autre – la totalité de ces formes vivantes qui partent au tombeau.

Qui meurent parce que les Macron du monde entier ont fabriqué voici un peu plus de deux siècles – la révolution industrielle – une organisation économique barrant tout avenir désirable aux sociétés humaines. Macron, qu’on se le dise, n’a JAMAIS lu le moindre livre sur la crise écologique planétaire. Des notes de synthèse, écrites par quelque conseiller, sans doute. Mais son esprit ne saurait dévier du cadre dans lequel s’est formé son intelligence, si réduite au regard des questions réelles. Il ne peut pas. Il ne pourra pas. Ce serait se suicider intellectuellement et moralement.

Le rapprochement avec le De Gaulle de 1940 est éclairant. Cet homme est alors général de brigade – à titre provisoire -, et sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et comme il est à sa façon un géant, il va trouver la ressource inouïe de rompre. Avec tout ce qui a été sa vie. Il va avoir cinquante ans, et sa jeunesse a baigné dans une ambiance provinciale rance, faite de maurrassisme et de royalisme, d’antisémitisme même. En 1940, il est encore un homme d’ordre et d’une droite profonde, assumée. Et pourtant ! Il part à Londres entouré au départ par quelques dizaines de partisans dépenaillés. Pas mal de gens de droite. Quelques autres de gauche. Vichy le condamne à mort par contumace. Saisit ses biens. Il est seul, il n’a jamais été et ne sera jamais plus beau.

Alors, Macron, quoi ? De Gaulle, malgré sa grandiose entreprise, ne rompt pas vraiment. Il estime, avec quelque raison, que ce sont les autres qui ont abandonné la France éternelle en rase campagne, face aux chars d’assaut de Guderian. Car lui en tient pour cette grande mythologie nationale, qui convoque à elle Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc. Il représente à lui seul cette Grandeur, laissée sur le bord de la route par les infects Pétain et Laval. Il relève un gant tombé dans les ornières laissées par les envahisseurs. Mais cela lui est facile ! Oui, facile ! Écrivant cela, je sais que c’est faux, bien entendu. L’arrachement a dû être une torture mentale pour lui. Mais je veux signifier qu’il disposait d’un cadre dans lequel placer ses interrogations et sa bravoure. La France. Le grand récit national. L’éternité. Il n’avait pas besoin en lui d’une révolution morale. Il avait besoin d’une témérité sans égale. Et il en disposait.

Macron-le-petit n’a rien de cela. Il ne peut s’accrocher à une vision, à un avenir, à un passé, car rien de tout cela n’existe en son for. Il admire l’économie en benêt, la marche des affaires, les échanges commerciaux. Dans un présent perpétuel qui est exactement ce qui tue la moindre perspective. Il ne peut ni ne pourra. Il lui faudrait une force dont il ne dispose pas. Il lui faudrait tout revoir, tout réviser, tout exploser même. Il lui faudrait s’attaquer à des structures qu’il aura sa vie durant contribué à renforcer. Or, qui ne le voit ? Il n’a que peu de qualités profondes. Je mesure à quel point ces mots peuvent paraître durs. Mais franchement, quelle qualité essentielle attribuer à un homme comme lui ? La verriez-vous ? En ce cas, éclairez-moi.

Nous voici donc face à un événement que la Commission européenne définit comme historique. Moi, je ne dirai jamais cela, car c’est incomparablement plus vaste et plus complexe. Le mot Apocalypse me vient spontanément, qui ne signifie nullement fin du monde, mais bel et bien « Révélation ». Et oui, dans ce sens-là, la sécheresse de 2022 est la révélation de ce qui nous attend, et qui sera bien pire. Le grand malheur dans lequel nous sommes tous plongés, c’est qu’aucun politique de quelque parti que ce soit ne vaut davantage que Macron. Je sais que beaucoup placent leurs espoirs en Mélenchon, que j’ai tant de fois écartelé ici. Mais qu’y puis-je ? Nous avons besoin d’une nouvelle culture, de nouvelles formes politiques adaptées à des problèmes que les humains n’ont encore jamais rencontrés, en évitant de remplacer des politiciens par d’autres politiciens, car tous finissent toujours par se valoir.

Nous avons besoin d’un surgissement. Nous avons besoin de sociétés enfin éclairées, échappant enfin aux redoutables crocs des idées mortes – oui, la mort mord -, décidées à l’action immédiate, qui ne peut être basée que sur l’union massive, autour du seul mot qui ne nous trahira pas : vivant. Oui, nous devons nous battre ensemble pour le vivant. Et le vivant, en France, dans la Géhenne de cet été brûlant, est très souvent mort de soif. Ne pensez pas toujours à vous et à vos proches, bien que j’en fasse autant que vous. Pensez aux hérissons, fouines, renards, libellules, mantes, guêpes et abeilles, grenouilles et poissons, circaètes et moyens-ducs, aux chevreuils et cerfs, aux papillons, pensez aux arbres et à ces milliards de plantes qui ont brûlé au soleil ou au feu. Leur terrible destin nous oblige tous. Il nous oblige. Il faut lancer un seul et unique mouvement. Vivant. Le mouvement Vivant.

Ces lobbyistes qui adorent la guerre en Ukraine

Retenez ce nom : Erik Fyrwald, Américain. Si il y avait un concours mondial alliant stupidité et cupidité, nul doute qu’il serait dans les tout premiers. Il est par excellence l’homme de la chimie de synthèse, passé par plusieurs géants des pesticides comme DuPont, mais aussi le lobby en chef de l’agriculture industrielle, CropScience International. Il est aujourd’hui patron de Syngenta, leader mondial de l’agrochimie. Comme Syngenta est aux mains du Chinois ChemChina, on peut dire sans calomnie que Fyrwald bosse pour un pays totalitaire.

Dans un entretien au journal suisse de langue allemande Neue Zürcher Zeitung – son édition du dimanche -, il lance ce qui pourrait passer, en première analyse, pour une provocation (1) : « Les rendements de l’agriculture biologique peuvent être jusqu’à 50 % inférieurs, selon les produits. Nous ne pouvons pas simplement ignorer la production plus faible. Des gens en Afrique sont privés de nourriture parce que nous voulons des produits bio et que nos gouvernements soutiennent l’agriculture biologique ». Bien entendu, c’est un propos de lobbyiste, et je ne m’attarderai pas ici à répondre à tant de mensonges en si peu de mots. Disons que des études bien plus sérieuses que son pauvre couplet, y compris venus de colloques de la FAO, montrent que l’agriculture biologique peut nourrir le monde à un coût écologique incomparablement plus bas.

Le présent se résume à une alternative. Ou l’on continuera sur le chemin tracé par les assassins du vivant, ou l’on généralisera des systèmes alimentaires cohérents, locaux, sans poisons, économes en eau. Le dérèglement climatique en cours nous rapproche à très grande vitesse d’un choix fondamental. J’ignore si Fyrwald croit au moins un peu à ses conneries, mais il est la pointe avancée d’une stratégie mondiale.

Concentrons nos lorgnons sur la France. Pour la première fois en 2021, les ventes de produits bio ont baissé. De 3,1% en 2021 après une croissance folle à deux chiffres chaque année depuis près d’un quart de siècle. Néanmoins, la nouvelle a pris une place démesurée, et réveillé tous les soutiens de la structure paratotalitaire qui regroupe les administrations centrales du ministère de l’Agriculture, certains cadres de l’Inrae, institut public, l’industrie agrochimique bien sûr et, in fine, le syndic(at) de faillite de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Je précise pour les malentendants, que para signifie ici presque. Je sais établir des différences. Mais le vrai est que tous les points de la décision publique sont entre les mains de cette camarilla née en 1945 de la volonté de Fernand Willaume, premier lobbyiste connu de l’histoire des pesticides en France.

Que se passe-t-il ? La guerre en Ukraine est pour ces gens une aubaine. Dans un communiqué (2) intitulé « Conséquences de la Guerre en Ukraine : l’Union Européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue », la FNSEA vole cette notion de « souveraineté alimentaire », défendue par Via Campesina (3) depuis vingt ans et plus. Sous la plume des communicants, cette volonté de nourrir sans détruire devient une ode à leurs maîtres de l’industrie. Pour la FNSEA « La logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne “Farm to Fork” doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire ». La traduction est aisée : place à leur système fou. Partout. Deuxième extrait : « L’obligation dans la future PAC de consacrer 4% à des surfaces dites “non productives” doit immédiatement être remise en question ». Présents dans la nouvelle PAC, ces 4% sont une ridicule concession à la biodiversité. Mais même cela, la FNSEA n’en veut pas. Ses directions, via les coopératives et les chambres d’agriculture, ont trop à perdre, eux qui vivent en partie de la vente de pesticides.

Attention, lecteurs ! La propagande va s’emparer des gosses africains affamés. Des villes et fermes ukrainiennes dévastées, à l’abandon. C’est une guerre, mais pas celle qu’on dit.

(1) https://www.letemps.ch/economie/patron-syngenta-defend-labandon-lagriculture-biologique

(2)https://www.fnsea.fr/communiques-de-presse/consequences-de-la-guerre-en-ukraine-lunion-europeenne-doit-remettre-la-souverainete-alimentaire-en-priorite-absolue/

(3) https://viacampesina.org/fr/la-souverainetliementaire/