Archives de catégorie : Pouvoir et démocratie

La rivière ukrainienne qui a tout changé

L’Ukrainien Volodymyr Boreyko est un petit malin. Ce directeur du Centre écologique et culturel de Kiev a lancé l’idée de décorer la rivière Irpine. De la décréter « héroïque rivière ». De faire d’elle une personne. Déclarant pour l’occasion : « Je pense que la rivière Irpine devrait recevoir le titre de « rivière-héros » et bénéficier de protections environnementales solides, car cette année[2022], l’Irpine, en compagnie des forces armées ukrainiennes, a joué l’un des rôles les plus importants dans la défense de notre capitale depuis 1 000 ans ».

Ah. Un coup de projecteur s’impose. La rivière Irpine, longue de 162 km, est un affluent du Dniepr, sur sa rive droite. Qui rejoint le fleuve à hauteur du grand Réservoir de Kiev. Dans les années 60, sans se poser l’ombre d’une question, l’Union soviétique, alors chez elle en Ukraine, construit à la manière stalinienne un ensemble pour stocker de l’eau, incluant un barrage. Sur l’Irpine et le Dniepr.

Et c’en fut fini de la plaine inondable de l’Irpine, que les témoins, les yeux encore humides, décrivent comme une sorte d’Amazonie ukrainienne. Soit une immense zone humide faite de tourbières, de marécages et de marais, de roselières denses le long des berges, de dunes de sable fin . Les poissons-chats, les esturgeons et les castors étaient les rois de la fête, tandis que dans le ciel, guettant leurs proies, régnait le pygargue à queue blanche.

Et c’en fut fini, car les esthètes de Moscou, à la manière d’un Mussolini asséchant les marais Pontins en 1928, se mettent à drainer la zone. L’Irpine devient une (toute) petite rivière. Les maisons et constructions bancroches se multiplient, les moissonneuses arrivent. Ce qui arrive aussi, c’est la guerre. Le 24 février 2022, Poutine et ses sbires attaquent, pensant qu’une guerre-éclair leur permettra d’installer à Kiev un gouvernement fantoche. Dans les derniers jours de février, les Russes sont aux portes de la capitale. Le 25, puis le 27 février, les sapeurs de l’armée ukrainienne font sauter la partie du barrage qui tué l’Irpine. Et des ponts. L’eau se répand d’autant plus que le cours de l’Irpine est trois mètres au-dessous du niveau du Réservoir de Kiev. Le flot inonde le village de Demydiv et ses 4000 habitants, remontant ensuite jusqu’à Gorenka, à vingt kilomètres en amont.

Les chars lourds sont inutilisables, les troupes russes ne peuvent traverser, et doivent envisager un long détour. La destruction du barrage fait gagner de précieux jours à l’armée ukrainienne qui, on le sait, finira par se ressaisir. L’écologie et la stratégie militaire sont bouleversées d’un seul coup (2). Inutile de mentir : pour les habitants, c’est la cata : les champs autour des villages de Huta-Mezhyhirska, Chervone, Moshchun, Horenka, Hostomel, ne sont plus accessibles. Les témoignages recueillis montrent la fierté que l’eau ait arrêté l’assaut russe, mais aussi l’attente fébrile d’un retour à la situation d’avant. En attendant, un lac peu profond recouvre 2842 hectares – jusqu’à deux kilomètres de largeur -, qui contient quantité de toxiques auparavant stockés : des déchets venus de chantiers, de fosses septiques, de pesticides, de stations-service ou de décharges sauvages. Sans oublier les chars remplis de fuel et les matériels militaires laissés sur place. Impossible, dans le climat de guerre, de faire le moindre inventaire sérieux.

Certains écologistes, comme ce Volodymyr Boreyko cité plus haut, suggèrent aujourd’hui un compromis. Le départ de l’eau – en partie -, d’accord, mais associé à un grand plan de conservation, notamment sur les rives de l’Irpine, qui permettrait le maintien d’espèces végétales – et animales – rares. Alekseï Vassiliouk, biologiste et fondateur du Groupe ukrainien de protection de la nature (uncg.org.ua/en/), en mars dernier (3): «L’année écoulée, la végétation et une véritable faune sauvage sont revenues. La meilleure chose à faire serait de laisser la vallée aussi inondée que possible et la nature se rétablir. Et on serait sûrs que les chars ne reviendront pas.» Pas de doute, cela se défend.

(1)https://www.theguardian.com/environment/2022/may/11/ukraine-hero-irpin-river-helped-save-kyiv-but-what-now-for-its-newly-restored-wetlands-aoe

(2)https://uwecworkgroup.info/plans-to-rebuild-ukraine-shaped-by-solutions-for-irpin/

(3)https://www.blick.ch/fr/news/monde/symbole-de-la-guerre-en-ukraine-un-an-apres-le-village-de-demydiv-est-toujours-sous-leau-id18372819.html

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

Connaissez-vous l’agrivoltaïsme ?

Figurez-vous que je découvre l’ampleur de ce nouveau problème. Son nom est un défi à la langue, et même à la beauté, mais en tout cas, l’agrivoltaïsme – et même agri-photovoltaïsme – se répand partout en France. Sur le papier, c’est assez simple : il s’agit de produire de l’électricité solaire au-dessus d’une surface agricole qui continuera(it) d’être cultivée. Les panneaux sont en effet installés à quatre ou cinq mètres de hauteur.

Marginal ? Je crois qu’on ne peut plus dire cela. Le Japon a lancé les premières expérimentations dès 2004, l’Autriche dès 2007, l’Italie en 2009, etc. En France, le lobby – car il y a bien sûr lobby – affirme que des dizaines de milliers de projets existent, mais pour l’heure, seuls quelques dizaines sont aboutis ou en passe de l’être. Antoine Nogier, président de la fédération France Agrivoltaïsme affirme tranquillement que cette trouvaille pourrait représenter jusqu’à 60% de la promesse gouvernementale de produire en France 100 GW d’électricité solaire en 2050. Avec moins de 1 % de la surface agricole utile. Les optimistes font par ailleurs valoir que 500 000 hectares de systèmes “agrivoltaïques” en France représenteraient la totalité de la production d’électricité nucléaire. Sur 2% de la surface agricole utile. L’agriculteur reçoit aujourd’hui, en louant ainsi ses terres à l’industrie photovoltaïque, entre 1500 et 2000 euros par an. Parfois bien moins. Parfois bien plus.

Si je vous parle de ce sujet que je ne connais pas, c’est parce que je compte sur vous pour m’éclairer. Intuitivement, j’ai le sentiment que naît sous nos yeux un nouveau lobby industriel, comme il y a un peu plus de quinze ans celui des bionécrocarburants, détournant avec la complicité de la FNSEA une production alimentaire au profit de la sacrosainte bagnole. Mais j’avoue ne pas avoir assez creusé. Un indice cependant : la composition des membres de France Agrivoltaïsme, où l’on retrouve les chambres d’agriculture et les SAFER, la FNSEA, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) – terrible destructeur des écosystèmes -, Iberdrola – l’industrie multinationale.

Je ne vais pas plus loin ce jour. Sincèrement, éclairez-moi. Avec des bougies si nécessaire.

À quand un grand procès du nucléaire ?

Vraiment, c’est fou à lier. Et non, ce n’est pas une formule à l’emporte-pièces. C’est mon sentiment profond. Le nucléaire made in France est un scandale à côté duquel les autres pâlissent inévitablement. Mais résumons à très grands traits.

Le 6 mars 1974, Pierre Messmer, alors Premier ministre d’un Pompidou mourant, annonce un grand plan énergétique : la construction en 1974 et 1975 de 13 centrales nucléaires. D’octobre 1973 à mars 1974, le prix du pétrole a quadruplé. Panique à bord ! Comme il n’est pas question de ralentir la machine à détruire, mais au contraire d’accélérer, on décide un énorme investissement de 13 milliards de francs. Pour commencer !

Ce qu’on ne sait pas, ce qu’on ne veut pas savoir, c’est que Messmer n’est qu’un jouet entre les mains d’un lobby surpuissant : la commission dite PEON – pour « la production d’électricité d’origine nucléaire ». Elle existe depuis 1955, dans une opacité voulue, et regroupe tous ceux qui ont INTÉRÊT à développer le nucléaire. Outre des représentants de ministères, tous ingénieurs des Mines ou des Ponts, historiquement et définitivement défenseurs des aventures industrielles, on y trouve l’industrie – Saint-Gobain-Pont-à-Mousson, Péchiney-Ugine-Kuhlman, Alsthom, Empain-Schneider, EDF bien sûr – le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

C’est la fête au village atomique. EDF se propose d’imposer un chauffage électrique à trois millions de logements et habitations. Outre la première volée de réacteurs, Messmer promet la construction de quatre à six autres chaque année jusqu’en 1985. C’est là que naît le crime d’État, dont tous les coupables sont morts bien entendu. Ils sont tous morts dans leur lit, rosette de la Légion d’Honneur à la boutonnière.

Je ne peux bien sûr rapporter ici cette histoire profuse et indigne, car il me faudrait évoquer trop d’échecs, par exemple le si coûteux désastre de Superphénix à Creys-Malville, et les si grossiers délires de Giscard, président de la République, promettant aux dupes volontaires que la France deviendrait l’Arabie Saoudite de l’électricité.

La vérité ramassée de près de cinquante ans de mensonges, d’imbécillités diverses, d’erreurs conceptuelles et de si grandes faiblesses techniques, c’est que le nucléaire, dont le coût total est probablement inconnaissable, aura volé des centaines de milliards d’euros à l’avenir commun. Imaginons une seconde que ces sommes aient été investies dans le solaire et l’éolien. Bravo, les ingénieurs ! Bravo, les grands esprits techniques ! Et si je dis bravo, c’est qu’une telle banqueroute le mérite. Areva, croulant sous les dettes – la caisse publique y a englouti des milliards – est devenue Orano, sans de désendetter vraiment. EDF a une dette dont on camoufle une partie, qui doit dépasser les 50 milliards d’euros. Les vieilles centrales, dont on a rallongé la durée de vie sans l’ombre d’un débat, par simple signature, crèvent de vieillesse et de corrosions diverses. Et bien sûr, leur avenir flamboyant, appelé EPR, est probablement le pire fiasco de ces Pieds-Nickelés.

L’EPR finlandais d’Olkiluoto, vitrine commerciale d’EDF, a pris 13 ans de retard, et son coût est passé de 3,3 milliards d’euros à 12 au moins. Au moins, car il devait enfin démarrer dans quelques semaines, et il est de nouveau dans l’impossibilité de le faire. L’EPR de Flamanville, en Normandie, idem : douze ans de retard, un surcoût de 10 milliards d’euros, et un énième report d’ouverture annoncé par EDF il y a quelques jours. L’ancien président d’EDF Henri Proglio, vient de déclarer devant les députés, sans déclencher aucune réaction : « L’EPR est un engin trop compliqué, quasi inconstructible ». Ce qui n’a jamais empêché le même de venir parader sur le chantier de Flamanville – en 2013 par exemple – en compagnie de ses alliés et complices. Tout sourire, avec de sympathiques patrons comme Martin Bouygues.

Un dernier point et je vous quitte. EDF n’est pas même foutue de garantir à un pays auquel elle avait promis une corne d’abondance, qu’il n’y aura pas de coupures d’électricité cet hiver. Trop de ses vieilleries sont à l’arrêt, pour une maintenance qui s’éternise. S’il existait encore un souffle démocratique en France, ça se saurait. Ça se verrait, et l’on lancerait pour commencer un tribunal des peuples, qui au moins raconterait cette histoire et désignerait les coupables. Car coupables il y a. Et bien qu’à un niveau subalterne, il faudrait aussi y faire une place à l’inertie inqualifiable de l’opinion française. Est-ce trop tard ? Je ne le crois pas.

M.Macron, la sécheresse et la bataille de Marignan

Pour commencer, lisons ensemble ce communiqué de la Commission européenne, qui nous annonce – sans grande surprise – que la sécheresse de cette année est la pire que l’Europe ait connue depuis 500 ans. Bien sûr, les bureaucrates de Bruxelles ne savent pas vraiment ce qu’ils écrivent, car où seraient les sources précises et fiables d’il y a cinq siècles ? Peut-être aurait-il fallu parler de mille ans, ou de la naissance de Jésus-Christ ? N’importe, c’est tout de même fracassant.

Si l’on en reste au calcul strict, 500 ans en arrière, cela renvoie à l’an 1522. Que se passe-t-il alors sur notre Terre ? En mars naît au Japon l’un des grands samouraïs de l’Histoire, Miyoshi Nagayoshi. Mais aussi, en novembre, un certain Albèrto Gondi, dont l’un des descendants sera l’inoubliable cardinal de Retz, auteur de formidables Mémoires sur Louis XIV. Autre naissance, certainement en 1522, notre poète national Joachim du Bellay, ami de Ronsard. Sur un plan plus général, un certain Gil González Dávila est le premier Européen à « découvrir » le Nicaragua et le lac du même nom, merveille de toutes les merveilles. En juin, les Portugais installent leur premier comptoir commercial dans les îles de la Sonde, à Ternate, qui se situe à l’est de l’Indonésie. En septembre, Juan Sebastián Elcano est de retour à Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, après trois folles années passées dans l’expédition de Fernão de Magalhães, c’est-à-dire Magellan.

Je pourrais continuer, car il s’en passe, des choses, en 1522, et même une terrible crue de…l’Ardèche en septembre. Mais moi qui ai assez peu connu l’école, je préfère encore me souvenir de ce qu’on me racontait lorsque j’étais en cours moyen première année : Marignan. Cela ne tombe pas pile poil – à sept ans près -, mais de vous à moi, faut-il barguigner ? Marignan, 1515. Cela devait venir instantanément à la première question posée. Marignan, 1515. Comme chef-lieu du Cantal Aurillac. Ou chef-lieu du Finistère Quimper, et non Brest, abruti que j’ai pu être.

Donc, Marignano à une quinzaine de kilomètres de Milan, le 13 septembre. L’armée de notre roi bien-aimé François Ier – il vient d’avoir 21 ans – affronte avec ses supplétifs de Venise des mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Oui, il faut suivre. En 16 heures de combat, 16 000 hommes sont tués. Mille trucidés à l’heure, on a fait mieux depuis. L’important, c’est que François sort vainqueur de l’affrontement. Qu’a-t-il gagné ? Ou plutôt, qu’auront pour l’occasion gagné les peuples, au-delà de ce perpétuel devoir de creuser des tombes ? On ne sait plus.

Mais où veux-je en venir ? Eh oui, où ? Notre insignifiant Macron est confronté devant nous à une tâche qu’il n’accomplira pas, car il n’a pas, même lorsque ses petites ailes sont déployées, l’envergure qu’il faudrait. Et ne parlons pas des si faibles évanescences de son entourage direct. Toutes. Qui oserait prétendre qu’en 2522, si la vie des humains s’est poursuivie jusque là, on aura encore un mot pour eux ? Pour lui ? Ils sont encore là qu’ils sont déjà oubliés, ce qui ne présage rien de bien réjouissant pour eux. Pour cette armée d’ectoplasmes agitant au-dessus de leurs courtes têtes des épées en carton dont je n’aurais pas voulu à dix ans.

Non, Macron ne fera rien, et pour de multiples raisons. D’abord, bien sûr, il n’a strictement rien vécu, et cela se ne se remplace pas. Il est né dans une famille riche, a grandi dans l’ouate la plus onctueuse qui se peut trouver, a fait les études qu’on attendait de lui, lu les quelques livres barbants qui lui étaient nécessaires, rencontré les seules personnes qui méritaient de l’être, est devenu banquier d’affaires, s’est mis dans les pas d’un clone de lui-même, avec trente ans de plus que lui – Jacques Attali, roi des faussaires -, et ensuite a fait de la politique. Pas pour régler des problèmes. Plus sûrement pour éprouver ce sentiment de gloire personnelle et de pouvoir. Et à l’époque, cela s’appelait parti socialiste, dont il a été membre des années, même si tous l’ont oublié. Dans la suite, ainsi qu’on a vu, il a chantonné sous sa douche l’air de la rupture et des temps nouveaux, puis répété le même exaltant message devant des foules compactes et, soyons sincère, imbéciles, et il l’a emporté sur ce pauvre couillon nommé Hollande – le roi définitif des pommes -, avant de coiffer tout le monde sur le poteau.

La deuxième raison qui nous garantit son inaction est reliée à la première. Il n’a pas eu le temps. Quand on passe sa vie à rechercher les moyens de gagner sur les autres, on n’en a pas pour connaître ceux qui aideraient ces autres à vivre moins mal. Et dans ces autres, je considère avant tout les gueux de ce monde si malade, qu’aucun politicien vivant en France n’évoque jamais. Le paysan du Sénégal courbé sur sa houe. Le Penan du Sarawak qui clame sans que nous l’entendions qu’il n’est plus rien sans la forêt que nos lourdes machines assassinent. Les Adivasi de l’État indien du Chhattisgarh, dont les terres anciennes deviennent des mines d’or. Les dizaines de millions de mingong de Chine, ces oubliés de l’hypercroissance. Et dans ces autres, je mets au même plan – mais oui, car l’un ne va pas sans l’autre – la totalité de ces formes vivantes qui partent au tombeau.

Qui meurent parce que les Macron du monde entier ont fabriqué voici un peu plus de deux siècles – la révolution industrielle – une organisation économique barrant tout avenir désirable aux sociétés humaines. Macron, qu’on se le dise, n’a JAMAIS lu le moindre livre sur la crise écologique planétaire. Des notes de synthèse, écrites par quelque conseiller, sans doute. Mais son esprit ne saurait dévier du cadre dans lequel s’est formé son intelligence, si réduite au regard des questions réelles. Il ne peut pas. Il ne pourra pas. Ce serait se suicider intellectuellement et moralement.

Le rapprochement avec le De Gaulle de 1940 est éclairant. Cet homme est alors général de brigade – à titre provisoire -, et sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et comme il est à sa façon un géant, il va trouver la ressource inouïe de rompre. Avec tout ce qui a été sa vie. Il va avoir cinquante ans, et sa jeunesse a baigné dans une ambiance provinciale rance, faite de maurrassisme et de royalisme, d’antisémitisme même. En 1940, il est encore un homme d’ordre et d’une droite profonde, assumée. Et pourtant ! Il part à Londres entouré au départ par quelques dizaines de partisans dépenaillés. Pas mal de gens de droite. Quelques autres de gauche. Vichy le condamne à mort par contumace. Saisit ses biens. Il est seul, il n’a jamais été et ne sera jamais plus beau.

Alors, Macron, quoi ? De Gaulle, malgré sa grandiose entreprise, ne rompt pas vraiment. Il estime, avec quelque raison, que ce sont les autres qui ont abandonné la France éternelle en rase campagne, face aux chars d’assaut de Guderian. Car lui en tient pour cette grande mythologie nationale, qui convoque à elle Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc. Il représente à lui seul cette Grandeur, laissée sur le bord de la route par les infects Pétain et Laval. Il relève un gant tombé dans les ornières laissées par les envahisseurs. Mais cela lui est facile ! Oui, facile ! Écrivant cela, je sais que c’est faux, bien entendu. L’arrachement a dû être une torture mentale pour lui. Mais je veux signifier qu’il disposait d’un cadre dans lequel placer ses interrogations et sa bravoure. La France. Le grand récit national. L’éternité. Il n’avait pas besoin en lui d’une révolution morale. Il avait besoin d’une témérité sans égale. Et il en disposait.

Macron-le-petit n’a rien de cela. Il ne peut s’accrocher à une vision, à un avenir, à un passé, car rien de tout cela n’existe en son for. Il admire l’économie en benêt, la marche des affaires, les échanges commerciaux. Dans un présent perpétuel qui est exactement ce qui tue la moindre perspective. Il ne peut ni ne pourra. Il lui faudrait une force dont il ne dispose pas. Il lui faudrait tout revoir, tout réviser, tout exploser même. Il lui faudrait s’attaquer à des structures qu’il aura sa vie durant contribué à renforcer. Or, qui ne le voit ? Il n’a que peu de qualités profondes. Je mesure à quel point ces mots peuvent paraître durs. Mais franchement, quelle qualité essentielle attribuer à un homme comme lui ? La verriez-vous ? En ce cas, éclairez-moi.

Nous voici donc face à un événement que la Commission européenne définit comme historique. Moi, je ne dirai jamais cela, car c’est incomparablement plus vaste et plus complexe. Le mot Apocalypse me vient spontanément, qui ne signifie nullement fin du monde, mais bel et bien « Révélation ». Et oui, dans ce sens-là, la sécheresse de 2022 est la révélation de ce qui nous attend, et qui sera bien pire. Le grand malheur dans lequel nous sommes tous plongés, c’est qu’aucun politique de quelque parti que ce soit ne vaut davantage que Macron. Je sais que beaucoup placent leurs espoirs en Mélenchon, que j’ai tant de fois écartelé ici. Mais qu’y puis-je ? Nous avons besoin d’une nouvelle culture, de nouvelles formes politiques adaptées à des problèmes que les humains n’ont encore jamais rencontrés, en évitant de remplacer des politiciens par d’autres politiciens, car tous finissent toujours par se valoir.

Nous avons besoin d’un surgissement. Nous avons besoin de sociétés enfin éclairées, échappant enfin aux redoutables crocs des idées mortes – oui, la mort mord -, décidées à l’action immédiate, qui ne peut être basée que sur l’union massive, autour du seul mot qui ne nous trahira pas : vivant. Oui, nous devons nous battre ensemble pour le vivant. Et le vivant, en France, dans la Géhenne de cet été brûlant, est très souvent mort de soif. Ne pensez pas toujours à vous et à vos proches, bien que j’en fasse autant que vous. Pensez aux hérissons, fouines, renards, libellules, mantes, guêpes et abeilles, grenouilles et poissons, circaètes et moyens-ducs, aux chevreuils et cerfs, aux papillons, pensez aux arbres et à ces milliards de plantes qui ont brûlé au soleil ou au feu. Leur terrible destin nous oblige tous. Il nous oblige. Il faut lancer un seul et unique mouvement. Vivant. Le mouvement Vivant.