Archives mensuelles : septembre 2007

Méfiez-vous du Danois (et des autres)

Je vous enverrai tout à l’heure un autre texte. Mais je voulais avant cela attirer votre attention sur un calamiteux dossier de l’hebdomadaire Courrier International. Cela m’embête bien, car je le lis avec plaisir, mais qu’y faire ?

Ce dossier de couverture (n° 881) concerne la crise climatique, et il est titré : Le réchauffement n’existe pas*, avec, en plus petit, à la suite d’un deuxième astérisque, Du moins pour ceux qui n’y croient pas. J’ai ouvert le journal avec curiosité et intérêt. Je pensais qu’il se penchait sur ceux – les lobbyistes de tout poil – qui nient le phénomène. Et il y a bien un article sur le sujet, en effet.

Mais pour le reste, l’équipe a fait un mauvais travail, collationnant nombre de « curiosités », inévitables pour qui sait trois bricoles sur la psychologie humaine. Et les non moins inévitables erreurs de détail qui accompagnent toute recherche, quelle qu’elle soit. À fortiori quand il s’agit de travaux d’Hercule qui confrontent l’humanité à son destin, de manière inédite.

Hélas, Courrier joue avec le feu, omettant l’essentiel, c’est-à-dire le consensus mondial croissant, utilisant le point de vue de personnes isolées et de journaux aussi indiscutables que The Wall Street Journal, qui ne peut, ontologiquement parlant, admettre la gravité de la situation. Ajoutons à cela l’accent mis sur des intellectuels, seuls ou en bande, qui entonnent tous le refrain de l’héroïsme en chambre. Ces braves protestent contre le sort fait aux minoritaires, ces réprouvés qui n’auraient pas le droit d’exprimer leur scepticisme sur le réchauffement climatique. Tartuffes, va !

Le pire est sans doute cet extrait d’un papier du Danois Bjorn Lomborg, cet homme dont je vous ai déjà parlé. Le monsieur récidive, et sort un livre, Cool it, qui ravira mon grand camarade Claude Allègre (voir http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=50 ). Lomborg, convaincu de malhonnêteté scientifique par une commission danoise officielle (1), tient table ouverte chez les médias du monde entier. Et désormais à Courrier International. Sans que cet hebdo daigne rappeler les faits. Je dois dire que c’est un mauvais signe. Allez voir, si vous lisez convenablement l’anglais, une critique sur le nouvel opus de Lomborg (2). C’est éclairant. Et décourageant. Les médias sont incorrigibles.

(1) http://fist.dk

(2) http://www.salon.com

Aimez-vous les crachats ?

Encore LUI ? Pas de ma faute. Sarkozy est un cas. Vous savez aussi bien que moi ce qu’il vient de déclarer à New-York, depuis la tribune de l’ONU. Il est prêt en notre nom à vendre du nucléaire à qui aura assez de dollars pour l’obtenir. Tout le monde en aura. Tout le monde, du moins, pourra faire gonfler le chiffre d’affaires d’Areva, dirigée – tiens – par une ancienne collaboratrice de Mitterrand.

Tout le monde. Charles Taylor, s’il était encore au pouvoir au Liberia, y aurait droit. Dans ce pays radieux, du temps où cet excellent Charles régnait sur les ruines, on arrêtait les gens sur les routes, et on les tuait sans autre forme de procès. Pour rire, quoi. Dans la Sierra Leone voisine, chez le grand ami de Taylor Sam Bockarie, on avait inventé un jeu original : « manches longues » ou « manches courtes » ? Il ne fallait pas se tromper. Celui qui disait « manches courtes » se voyait couper le bras à hauteur de l’épaule. Celui qui préférait les manches longues conservait un moignon, jusqu’au coude.

Bien entendu, il serait resté un problème. Comment ces gens-là auraient-ils payé notre bel atome « civil » ? Eh bien pas d’inquiétude pour Areva : Taylor et Bockarie avaient des diamants plein les poches. Et Sarkozy est assez pragmatique pour comprendre qu’on prend ce qu’on trouve. La France éternelle aurait troqué. Et voilà.

Tout le monde. Les satrapes. Les cinglés. Les assassins. Les monstres de Bosch. Les Inquisiteurs. Les ayatollahs. Les djihadistes. Les staliniens. Les hyènes et les chacals. Tout le monde, doté par Son Altesse Sérénissime Sarkozy de réacteurs made in France. Lisez, si vous n’êtes pas en train e vomir, les propos de notre président. Cet homme ignorant et inculte croit ce qu’il dit, cela ne fait aucun doute.

Or donc, pour lui, le nucléaire pour tous, c’est de la croissance « propre », et un moyen sûr de lutter contre le réchauffement climatique. Si. Il le croit. Cet homme crache au visage des martyrs de Tchernobyl. Et au-delà, de tous ceux qui, en France et dans le monde, croient encore pouvoir sauver ce qui reste de vie sur terre. Lui, il s’en fout, car il est heureux. D’être là, à la tribune. Sur la photo. Avec Christian Clavier ou Johnny. Eh, les gars du Grenelle de l’Environnement, pas de regrets ?

Par ailleurs, ce matin, je suis en deuil. André Gorz, et Dorine son épouse chérie, se sont donné la mort. Je les comprends sans peine. Gorz ne pouvait vivre sans elle. Elle était malade. Ils sont donc partis ensemble. Comme je comprends ! Mais Gorz était par ailleurs un puissant intellectuel. Raffiné, pénétrant, écologiste de surcroît. Je reparlerai de lui. En attendant, je le pleure.

Les dents cassées de la mer

Je crois pouvoir l’écrire : j’aime la mer. Elle me fait venir des frissons, surtout l’Atlantique dément qui cogne entre Audierne et Ouessant. Là-bas, le roi n’est pas mon cousin. Là-bas, j’éprouve des joies saisissantes, pures dirait-on. Et nager ! Sentir au-dessous cette masse ! Imaginer le lieu jaune, le bar, le maquereau, l’araignée, les forêts immergées, les prairies habitées, penser à tout ce monde inconnu autant qu’ignoré. Des frissons. Des frissons qui ne me lâchent plus.

Ce lundi matin, une invitation pour un colloque qui se tient à Paris le 3 octobre. Un journaliste en reçoit chaque jour, via les réseaux électroniques, une quantité. Ce colloque parlera de requins. De requins, oui. Yves Cochet, l’ancien ministre vert, sera là. Hubert Reeves aussi. Et la toute nouvelle députée socialiste Aurélie Filippetti. Ainsi que Rémi Parmentier, un ancien de Greenpeace, et Bernard Séret, un chercheur comme on dit éminent.

Le sujet est bien connu. On discutera ce jour-là de la situation tragique des requins et des responsabilités de la France. Et moi, qui suis un mauvais sujet, je n’irai pas. Je n’irai pas, et si j’en avais encore la force, je me moquerais sans hésitation des participants. Car franchement, et malgré la réelle estime que j’ai pour certains d’entre eux, ne sont-ils pas de vulgaires radoteurs ?

Est-ce bien le temps des colloques ? Et des mots vains qui volent avant que de se noyer ? Je rouvre pour la forme mon dossier « Requins ». En 2003 – voyez que je ne remonte pas à Mathusalem -, une équipe américaine menée par le professeur Ransom Myers publiait une étude dans la revue Science (1). En résumé, elle montrait que les populations de requins avaient diminué de moitié, en moyenne, dans l’Atlantique Nord. En seulement quinze ans. Et en moyenne, j’insiste, car certaines espèces étaient jugées au bord extrême de l’extinction.

Moitié moins de requins en quinze ans. Qui peut croire un chiffre pareil ? Personne, apparemment. Mais est-ce bien une raison pour pérorer une nouvelle fois avant d’avaler quelques petits fours ? Le temps des bouffonneries est derrière nous. Devrait être derrière nous. Devrait.
(1) Baum, J.K., Myers, R.A., Kehler, D.G., Worm, B., Harley, S.J. and Doherty, P.A. 2003. Collapse and conservation of shark populations in the Northwest Atlantic. Science 299: 389–392.

Es lebe Deutschland (Vive l’Allemagne) !

Un deuxième petit papier ce dimanche. Notre excellent ami Sarkozy est allé en Allemagne, il y a quelques jours, pour convaincre Angela Merkel de ne pas renoncer au nucléaire à l’horizon 2020, comme c’est entendu là-bas. Je l’ai écrit ici, quel pied de nez insolent au Grenelle de l’environnement ! Je n’y reviens pas.

En revanche, cet ajout concernant la politique allemande réelle, qui ne semble pas consommer autant de colifichets que la nôtre. Lisez, si vous avez un peu de temps, ce document (en français) passionnant (1). Cela date de quelques mois, mais il n’y a aucun doute : nous sommes loin des miasmes élyséens. Il s’agit d’un résumé de la politique énergétique menée en Allemagne. Que d’idées, que d’audace (relative) !

Deuxième info, récente elle, car elle date de fin juillet (2). L’ambassade allemande à Paris annonce que Merkel travaille sur un vaste plan, qui sera annoncé cet automne. Il concerne également l’énergie et vise, de manière cohérente, à diminuer la consommation et à multiplier l’offre d’énergies renouvelables. Là-encore, c’est diablement intéressant.

Je peux me tromper, ce ne serait pas la première fois, mais je crois que Son Altesse Sérénissime Nicolas Sarkozy risque d’avoir fait chou blanc à Berlin. Et tandis qu’il amuse (mal) la galerie avec ses moulinets, d’autres, avec qui je partage pourtant si peu, agissent. Et dans le bon sens. Misère, où vais-je ainsi ?

(1) http://eole.over-blog.net

(2) http://www.lessourcesdelinfo.info

Un pape nous est né

Pour le cas où ce ne serait pas évident, cette précision : je ne suis pas catholique. J’ai pourtant passé la journée de samedi dans un monastère avec des gens qui, dans leur majorité, le sont. Et j’en ai tiré de la joie, et même ce que je dois appeler du bonheur. Il est trop tôt pour en parler publiquement, et je ne le ferai donc pas. Sachez qu’un petit groupe a décidé d’avancer. Avec les catholiques, et parfois malgré eux. Autour de ces questions qui m’obsèdent : la crise écologique, la destruction de tant d’équilibres essentiels, l’anéantissement de milliers de formes de vie uniques. Mes interlocuteurs catholiques rassemblent leurs inquiétudes dans une formule qui ne me gêne pas : défense de la Créature, défense de la Création.

Je ne vais pas ici refaire l’éternel procès du catholicisme et de ses institutions. Cela serait facile, mais parfaitement vain. Mon point de vue est simple, mais je ne le crois pas simpliste : si nous ne nous unissons pas, si nous ne rassemblons pas des forces qui aujourd’hui s’ignorent ou s’affrontent, nous avons perdu. Disant cela, je ne délivre aucun blanc-seing à qui que ce soit. Je constate une sorte d’évidence. En face d’un danger majeur, il faut défendre le coeur, il faut sauver la vie.

Et je vais tenter un rapprochement, qui n’est en aucune manière une comparaison, j’y insiste. Un simple rapprochement. Le parti communiste allemand de la fin des années 20 du siècle passé était un parti ignoble. Stalinien jusqu’à l’os. Ses chefs étaient des imbéciles, soumis à l’autorité du Komintern et donc de Staline. Ce qui les rendait aveugles à tout. Ils refusèrent obstinément, dans les années décisives qui menaient droit à Hitler, le moindre rapprochement avec les sociaux-démocrates de l’époque. Pour les staliniens, ces derniers étaient pire qu’Hitler, oui. Des « sociaux-fascistes » qui contestaient l’influence communiste auprès des ouvriers, et les trompaient sur leurs véritables intérêts.

Tous finirent dans les camps. Préférant l’absurdité des slogans à la seule voie susceptible d’arrêter le grand malheur. Et dans les camps nazis que, souvent, ils inauguraient – Dachau, par exemple, dès 1934 -, ces désolants personnages trouvèrent encore la force d’assassiner certains de leurs adversaires politiques, prisonniers comme eux. Hélas oui, des communistes allemands prisonniers d’Hitler assassinèrent sans état d’âme d’autres prisonniers politiques, qui ne convenaient pas à leur folie.

Que veux-je dire ? L’Église catholique est une grande puissance de ce monde. Du jour où elle utiliserait son influence pour aider à mieux comprendre la crise écologique et à la combattre, nous aurions fait collectivement un pas. Et je suis pour ma part d’accord pour être l’un des soutiers de cette audacieuce entreprise.

Je lis ce dimanche, dans le journal britannique The Independent on Sunday, un article très intéressant (1). Vraiment. Le pape – oui, ce pape-là, qu’on n’est pas obligé d’aimer – s’apprêterait à faire un discours historique depuis la tribune de l’ONU. Selon James Macintyre, Benoît XVI dira bientôt que la lutte contre lé dérèglement climatique est une « obligation morale » pour tous les catholiques de la planète.

Cela n’efface pas d’autres discours ? Cela n’enlève rien au reste, qui reste, justement ? Sans doute, oui. Mais je veux tenter ce qui peut l’être. Et je continuerai donc.

(1) http://news.independent.co.uk