Une nouvelle recrue d’Europe Écologie, membre du parti communiste jusqu’à sa brutale conversion, vient d’être chopé à fabriquer des fausses cartes d’adhérents. 400, dont beaucoup de Tamouls de la Seine-Saint-Denis, probablement touchés par la grâce écologiste au cours d’une belle nuit d’octobre. Bienvenue chez les adeptes de la « politique autrement ».
Stéphane Gatignon a décidé d’être gentil avec moi, et de m’offrir en cadeau une énième démonstration de mon obsession adorée : le stalinisme. Car il a été pris la main dans le sac, ou plutôt dans l’urne. Ce qui fait désordre pour ce valeureux, bien que nouveau, militant « écologiste ». Vous qui entrez ici pour la première fois, rassurez-vous si vous pouvez : le rendez-vous que j’ai créé, Planète sans visa, est consacré à la crise écologique, et le restera. Mais pour affronter cette crise, il faut aussi détruire quantité de formes anciennes de la politique, dont l’héritage stalinien fait partie, ô combien. Les plus fidèles lecteurs connaissent cette chanson par cœur, j’en ai bien conscience. Mais je suis un multirécidiviste, je ne sais pas m’arrêter.
Alors, et ce Gatignon ? C’est un maître, je vous en préviens. Né en 1969, il est le rejeton d’une famille d’apparatchiks de la Seine-Saint-Denis. Qu’est-ce qu’un apparatchik ? Un bureaucrate ayant fait toute sa carrière dans l’Apparat, ignoble mot soviétique qui désigne l’univers de l’Appareil, cette structure opaque créée sur le dos du peuple pour mieux s’emparer de son travail. Je vous le dis sans trémolos, il ne reste pas beaucoup de gens capables de vous dire ce que fut le stalinisme triomphant de la défunte « banlieue rouge », quand 27 maires de Seine-Saint-Denis sur 40 appartenaient au PCF, ainsi que 9 députés sur 9. Moi, j’ai connu. Je n’ai aucun mérite : la roulette sociale m’avait projeté dans ce territoire spectaculaire. Au fil des ans, j’ai notamment habité Aulnay, Drancy, Noisy-le-Sec, Livry-Gargan, Tremblay, Les Pavillons-sous-Bois, Bondy, Noisy-le-Grand, Villemomble, Gagny, Clichy-sous-Bois, Montfermeil. Dans cette dernière cité riante, j’ai posé mon sac au 5 rue Picasso, dans la cité des Bosquets, considérée comme l’une des pires de France. Je crois connaître la banlieue.
Et je crois connaître les staliniens. Pour la raison que je les ai affrontés – avec d’autres, bien sûr -, y compris sur le plan physique. Je ne regrette rien. Rien d’autre que d’avoir raté quelques bourre-pifs. Je sais, figurez-vous. J’ai conscience de nuire à mon image de marque. Le bourre-pifs est mal vu. Mais je dis, et le reste m’indiffère. J’ai défendu pendant des années, dans cette zone dévastée, un point de vue démocratique et révolutionnaire sur l’avenir de la société. J’avais peut-être tort, mais les staliniens étaient à coup sûr de purs salauds. Qui n’hésitaient jamais à envoyer leurs sbires – souvent des employés municipaux à la botte des maires – cogner des petits jeunes dans mon genre. Je me souviens de quantité d’événements, vous ne pouvez pas même imaginer. Je me souviens de l’épouvantable campagne que les staliniens avaient montée en 1980/1981 contre les Gitans, autour de Rosny-sous-Bois. Non, ce n’était pas les Roms de 2010, mais les Gitans de 1980. Qui s’en souviendra jamais ?
Gatignon, maire de Sevran, est l’héritier de cette histoire maudite, que je conchie sans l’ombre d’une hésitation. Après au moins 20 ans au service du parti communiste, tel une fleur du jour, Gatignon a décidé de rejoindre Europe Écologie, en novembre 2009, puis de représenter ce parti aux régionales de 2010 en Seine-Saint-Denis. Comme tout cela est crédible. Comme cela sent la rose des prés. Il faut aller voir ce que le monsieur écrit sur son blog depuis qu’il est devenu « écologiste ». Par Dieu, on jurerait du Verlaine (ici) : « Pour conduire cette révolution démocratique dont la gauche et l’ensemble des démocrates et progressistes ont la charge, il est indispensable que la gauche rompe avec ses égoïsmes partidaires étriqués. Pour engager la transformation démocratique, écologique, sociale et civilisationnelle de notre pays, il faut déborder la tendance au retour en arrière, déborder le régime actuel par une véritable dynamique de toute la société ». Je ne sais pas si vous appréciez comme moi le ton général. Moi, j’en redemande. Interrogé par le journal Marianne (ici) en avril 2010, Gatignon tente d’expliquer ce qu’il faudrait garder, selon lui, de l’idée communiste. Et cela donne cela, qui ouvre sur un gouffre sans fond : « Il y a certaines valeurs du communisme dont nous avons besoin pour construire la société de demain. On pourrait citer la question du cosmopolitisme, de la culture commune par exemple ». Oh, mais cet homme ne serait-il pas un penseur ?
Venons-en au sujet du jour, il n’est que temps. Vous lirez à l’entrée des commentaires la copie d’un article publié par Le Monde le 5 octobre, sous la signature de Sylvia Zappi. Gatignon a jeté sur la table, comme au poker (menteur) 400 cartes de nouveaux adhérents. Tous de son fief de Seine-Saint-Denis, bien sûr. Et toutes payées en liquide. Et dont bon nombre, sur le papier en tout cas, appartiennent à des Tamouls. Je rappelle qu’un congrès de fusion entre les Verts et Europe Écologie doit avoir lieu en novembre. Et que les bureaucrates qui visent des postes doivent se montrer, bomber le torse, annoncer la couleur. Laquelle est verte, n’est-il pas?
J’ajoute et je termine : Gatignon fait partie depuis des années de ce que la presse appelle les « rénovateurs » du PCF. Ne me demandez pas ce que cela veut dire. Plutôt, je peux répondre : rien. En faisaient partie jusqu’à ces dernières semaines Patrick Braouezec, le chéri des couillons, et François Asensi, qui mena en 1980 une odieuse campagne à propos des immigrés de la Seine-Saint-Denis. On s’en fout ? Pas moi. Quant à Europe Écologie, comme dirait l’ami Arthur, « Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage…». Ces gens font entrer n’importe qui chez eux, tout en prétendant incarner la morale – important, la morale -, et quand le scandale leur explose au visage, tout ce qu’ils trouvent à dire, c’est : damned. Il sera instructif de voir ce que feront nos moralistes associés du cas Gatignon. Bien entendu, il ne mérite qu’une chose : retourner à Sevran s’occuper de la cité des Baudottes. Mais rien n’est moins sûr, car les choses ne sont pas si simples. Un débat de titans de prépare en effet. À main droite, le chef autoproclamé des Verts, Jean-Vincent Placé. À main gauche, Eva Joly et Daniel Cohn-Bendit, qui voudraient tant nous convaincre qu’ils incarnent l’avenir. Ne pas se gourer : en la circonstance, Gatignon et ses Tamouls sont embedded with Eva Joly. C’est du propre.