Archives mensuelles : mars 2012

Adresse à ceux qui croient si fort (en Mélenchon)

Nul ne sortira de là. Les hommes préfèrent croire que comprendre. C’est une loi sociale, si impérieuse qu’elle s’impose à tous. Et à moi aussi, cela va de soi. C’est pourquoi j’arrêterai ici mes diatribes contre Jean-Luc Mélenchon, personnage à qui je pensais consacrer encore deux articles au moins. C’est sans doute absurde. C’était absurde dès le départ, mais on fait beaucoup de choses absurdes. Pas vous ?

Mélenchon est un illusionniste de la politique, il est le joueur de flûte de Hamelin, Der Rattenfänger von Hameln, qui conduit son monde vers le grand néant. Seulement, il ne faut pas le dire. Pour éviter un surcroît de malentendus, je me propose de préciser quelques points qui plairont, je l’espère, à certains de mes critiques.

En défense de Mélenchon

1/ Mélenchon  fait, de loin, la meilleure campagne de cette élection présidentielle.

2/ Il est sincère, aussi sincère qu’un politicien bourré d’adrénaline par des salles archicombles, aussi sincère que l’était Mitterrand annonçant qu’il voulait rompre avec le capitalisme, aussi sincère que Marchais exigeant de Jean-Pierre Elkabbach qu’il la ferme.

3/ Je ne conteste pas qu’il a appris à parler « écologiste ». Je ne conteste pas davantage qu’il parle, avec d’autres mots aussi bien choisis, aux socialistes déçus du socialisme; aux communistes en perdition depuis plus de vingt-cinq ans; aux chevénementistes déboussolés; probablement à bien d’autres encore. Tel est le propre du médium. Il exprime ce qui serait inexprimable sans lui. Il transmute une matière inerte en masse vivante et colorée. Mélenchon est un médium.

4/ On peut être écologiste et vouloir ardemment le renversement de l’ordre des choses. C’est un peu ridicule de le rappeler, mais j’ai écrit sur Planète sans visa des dizaines d’articles qui montrent ce que je pense des sociétés de classe. Et Dieu sait que la nôtre l’est. Je suis pour la subversion complète de la forme sociale et politique qui règne sur le Nord, et partant, sur le monde. Et je le suis depuis toujours, y compris quand Mélenchon était secrétaire d’État de son cher Lionel Jospin il y a dix ans, à l’époque où la gauche au pouvoir privatisait davantage que notre Balladur national, et se foutait si royalement du sort des pauvres et des ouvriers. J’ajoute sans aucun risque de me tromper que jamais un Mélenchon ne rêvera des changements auxquels je pense. Mais cela est sans doute de trop, car je ne peux évidemment rien prouver.

5/ Je suis à jamais du côté des pauvres, des opprimés, et du coup, des ouvriers. Ne me croyez pas plus insensible que je ne suis. Mon vieux à moi, avant qu’il ne meure quand j’étais gosse, était un ouvrier parisien qui travaillait 60 heures par semaine, six jours sur sept,  dix heures par jour donc. Il était communiste, ce qui voulait dire stalinien. Mais c’était surtout un être unique, car bon. Je sais par lui, depuis mes huit ans, que la vie est compliquée, entortillée, contradictoire.

6/ J’ai été en conséquence heureux, moi, d’entendre Mélenchon parler aux ouvriers comme on ne l’avait pas fait depuis tant de lustres dans ce pays pourtant bâti par eux. Parler de « fierté de classe » aux prolos si constamment méprisés est une bonne action, et pour cela, il sera beaucoup pardonné à Mélenchon. Enfin, un peu.

7/ Comme je ne suis pas sourd, j’ai aussi entendu parler de « planification écologique ». Ah quelle jolie expression ! Un peu de pédanterie détendra l’atmosphère : elle est polysémique. Ce qui veut dire, pour être très poli, qu’elle a d’évidence plusieurs sens. Si l’on veut être aussi mal élevé que je le suis, on écrira qu’elle est en soi un joli foutoir. Le mot planification fera en effet plaisir au public des anciens communistes si longtemps amoureux de l’industrie lourde stalinienne. Et chantera la mélopée à ceux des électeurs écolos qui sont tentés par le vote Mélenchon.

Comment décortiquer deux programmes qui n’en font qu’un

Et c’est là que tout commence. Je suis allé consulter, et nous ne sommes certainement pas nombreux à l’avoir fait, les si fameux programmes. D’abord, et c’est tout de même fondamental, chers amis mélenchonistes, le Front est un Front. Le Parti de Gauche de Mélenchon est un groupuscule en face des restes conséquents du parti communiste, qui revendique 130 000 adhérents et des milliers d’élus locaux, parfois nationaux. Cet Apparat pèse bon poids. Du coup, et je me répète, deux programmes.

A/ Le programme du Front de Gauche – ne serait-pas aussi celui de Mélenchon ? –  est partagé entre le parti communiste et le parti de gauche. C’est un texte aussi roué que des milliers d’autres rédigés au fil des décennies par les bureaucrates du parti de Thorez, Duclos et Marchais. Vous pouvez le télécharger (ici). La fameuse « planification écologique » y commence page 18 et s’y termine page 21. Au moins, on aura le temps de regarder TF1. Je cite in extenso, ci-après, les mesures que prendrait immédiatement un gouvernement Front de Gauche :

– Moratoire sur toutes les politiques de déréglementation de l’énergie, abrogation de la loi NOME

– Mise en place d’un plan de transition écologique réintroduisant la maîtrise publique de l’énergie et promouvant des investissements publics conditionnés à des critères écologiques, sociaux et démocratiques

– Mise en place d’un plan de financement pour la sobriété et l’efficacité énergétiques et pour la diversification des sources d’énergie.

Fin de la citation. Le doute n’est plus autorisé : c’est la révolution. Tremblez, ennemis de la vie ! Sans rire, cela ne fait pas rigoler. Le reste est de la même eau, certifiée potable par Veolia, grand ami des municipalités communistes. Les belles expressions vides fleurissent : contrôle citoyen, nouvelle politique des transports, contre la marchandisation des biens communs, blablabla. On jurerait du Chirac dans le texte, quand il proclamait du haut des tribunes : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ».  Alors – en 2002 -, comme il était agréable à la gauche qui soutient aujourd’hui Mélenchon de dauber le pauvre Chirac ! Eh bien, il n’y avait pas de quoi. Le plus étrange est que rien n’aurait empêché ces gens d’en faire des tonnes. Un programme est si vite oublié, pas ? Mais leur inculture écologique et leur indifférence à la nature sont telles que même sur ce bout de papier, il fallait donc ne rien dire.

Encore un petit mot sur ce beau programme. Surtout ne pas parler d’agriculture biologique ! Pardi ! Le texte évoque tantôt une « agriculture paysanne », tantôt une « agriculture responsable ». Bio ? Horresco referens !

2/Le programme du Parti de Gauche, le groupe de Mélenchon, a lui toutes les libertés. Il peut écrire exactement ce qu’il pense. Et que dit-il de cette si fameuse « transition écologique » ? Je vous invite à vous faire votre propre opinion (ici). À ma grande surprise, et je proclame ici être sérieux, il n’existe apparemment que cette ébauche, élaborée en septembre 2010 et laissée depuis en déshérence. Ce n’est pas très rassurant, non. En tout cas, j’ai lu ce qui ne sont que des propositions susceptibles d’être modifiées je ne sais trop comment. Elles sont formulées sous la forme de fiches. Nous sommes dans à la galerie J’Farfouille, dans une somptueuse fête à Neu-Neu où tout le monde repartira avec un lot sous le bras.

J’ai compté 51 fiches, sans aucune cohérence ni hiérarchie. On ne sait pas ce que le parti pense de l’état écologique détaillé de la planète, des responsabilités du Nord, de l’effondrement accéléré des écosystèmes. On ne sait pas. En revanche, des déclarations d’intention par dizaines, dont certaines sont fatalement sympathiques. On va ainsi « mettre en place un débat écologique national ». Certes – je ne compte pas me refaire -, on a le droit de ricaner de l’adjectif national accolé à celui d’écologie. Mais enfin, voyons tout de même de plus près. Cette proposition 127 est une distrayante bouffonnerie dont j’extrais ceci : « Pour l’eau, un tel système de planification existe déjà depuis 1992. En revanche les citoyens sont exclus des décisions dans les autres domaines liés à la planification écologique : ils ne participent pas à l’élaboration des plans départementaux d’élimination des déchets ni aux choix stratégiques de l’Etat en matière d’énergie, de transport, de logements quand d’autres domaines ne font l’objet d’aucune planification (biodiversité, agriculture…) ». Logique et imparable : on va organiser un débat.

Suis-je injuste ? Vous jugerez, après tout. Moi, j’estime être bien en-deçà de la réalité. Je me contenterai d’un point, qui est une clé : le dérèglement climatique. Je rappelle que toutes les civilisations dont nous sommes issus – L’Égypte ancienne, la Phénicie, la Grèce, Rome, la Chine paysanne, les royaumes africains, l’Empire inca, celui des Aztèques, etc. – n’ont pu prospérer que par la grâce d’un climat stable. Relativement, mais certainement stable. Or, il est sur le point de basculer, ce qui pose bien davantage de problèmes angoissants que je ne suis capable d’en imaginer.

On pourrait croire que, sous le fier étendard d’un Parti de Gauche libre de sa parole, écologiste de combat, cette question dominerait toutes les autres, notamment dans le centre de cette si prestigieuse « planification écologique ». Eh bien, macache bono, nib. On trouve bien mention de vagues intentions, mais dans une formulation résolument baroque, avec une palme et un accessit pour la fiche 108, dont le titre est à lui seul un vaste programme : « Développer les énergies renouvelables et sortir des énergies fossiles ». On s’attend à un festival de proclamations, au lieu de quoi on lit : « On peut en revanche faire bien plus [ au sujet des énergies renouvelables ] à échéance 2030 puis 2050 (sans atteindre cependant 100% avant de nombreuses décennies) sans miser sur des technologies incertaines ni ruiner l’économie ».

C’est très clair : il ne faut surtout pas ruiner l’économie. Ni affoler le peuple de gauche à propos du dérèglement climatique en cours. Dans cette fiche à propos de la sortie des énergies fossiles, pas un mot, je dis bien PAS UN MOT, sur le climat. Faut oser. Je laisse tout le reste à votre appréciation, ne doutant pas que des mélenchonistes méritants viendront dire ici combien je suis de mauvaise foi, combien je ne sais pas lire la prose de leur Grand Méritant de Chef. Bah ! j’assume. Et j’en rajoute aussitôt. Une fiche parle de moratoire immédiat sur les biocarburants, mais sans évoquer le drame planétaire qu’ils provoquent dès aujourd’hui. Et parie – pauvres fous – sur les biocarburants de deuxième génération. Mais une autre fiche écrit ceci, qui est infâme : « Moratoire sur le développement des agrocarburants tant que leur bilan environnemental, social et économique global n’est pas convaincant ». Par Dieu, changer une plante en carburant serait donc envisageable dans un monde qui compte un milliard d’affamés ? Et ce serait aux experts que l’on sait de trancher au sujet de leur bilan, lequel est déjà totalement documenté ? Pouah ! Le programme du Front de Gauche, évoqué supra, préfère ne pas aborder le sujet. Noblesse oblige.

Enfin, pas un mot sur les animaux dans le programme du Front de Gauche. Chez nos humanistes déchaînés, l’homme est tout, et l’animal n’est pas même nommé. Le programme du Parti de Gauche fait à peine mieux. Deux ou trois mots (fiches 110 et 115) paraissent avoir été jetés au dernier moment sur des propositions on ne peut plus générales sur l’agriculture. Bien sûr, des êtres comme l’ours, le loup, le lynx, le blaireau pourchassé par les cons, le vautour fauve « effarouché » par les cons, ne sont pas évoqués. Ces grands écologistes ne savent pas qu’il existe d’autres habitants qu’eux-mêmes sur Terre.

Un interminable commentaire général

Je dois ajouter un commentaire général. C’est long, je le vois bien, mais je vous rappelle que j’ai promis de NE PAS ÉCRIRE d’autres articles pourtant prévus. Laissez-moi donc finir. L’absence grotesque et un tantinet criminelle de toute réflexion sur la crise climatique chez les mélenchonistes les discrédite totalement comme écologistes. Peu me chaut que, du haut des tribunes, El Jefe Adoré se laisse aller à des parlotes sur la « règle verte » ou je ne sais quelle autre niaiserie. Ayant trouvé le moyen de parler et d’être entendu par une partie importante du peuple français, Mélenchon a donc choisi la voie du silence. Sur l’essentiel, il préfère se taire, et faire croire que la situation actuelle pourrait se maintenir. C’est ainsi qu’il sera jugé. Sauf qu’il ne sera jamais jugé par quiconque.

Pas de mobilisation nationale autour de la crise climatique – pourtant, quelle belle leçon universelle ce serait, façon 1789, façon 1871 – mais plutôt la reprise de couplets patriotiques et productivistes. Je sais bien que je hérisse le poil en écrivant ces mots, mais qu’importe ? Patriotique ? Mélenchon ne voit le monde que depuis Paris-sur-Seine, qui ne s’en rend compte ? Qui n’entend ses hymnes continuels à la Nation et à son génie singulier ? Je connais par cœur, ad nauseam, ces socialistes toujours prêts à défendre la patrie et à envoyer un « salut fraternel » à la police nationale, comme le fit Mélenchon après les crimes de Mohamed Merah (ici). Quant au mot productiviste, il sent encore davantage le soufre.

Pour la clarté de mon propos, je me contenterai de la formule phare de Mélenchon, soit l’augmentation du smic à hauteur de 1700 euros bruts mensuels, sur la base de 35 heures. Est-ce du productivisme ? Ben oui. Mais avant de hurler, accordez-moi une minute authentique. Je sais qu’il y a des pauvres en France, et j’ai des raisons personnelles de le savoir. Épargnez-moi tout propos sur mon égoïsme et mon indifférence au sort des plus malheureux d’entre nous, car il s’agit de tout autre chose. Pour ce qui me concerne personnellement, je me souviens de discussions enragées lorsque j’avais seize ans, vers 1971. Je luttais alors pour la révolution sociale, et je disais avec virulence que j’étais pour une sorte d’égalité générale des salaires. J’ajoutais que les petits connards – oui, il m’arrivait de parler ainsi – qui étudiaient jusqu’à 25 ans et plus, exigeant pour cette raison des salaires incomparablement supérieurs à ceux des prolos entrés à l’usine à 14 ans, étaient en plus des petits salauds. Car étudier si tardivement était à l’évidence, disais-je alors, un considérable privilège. Qui ne saurait être augmenté de nouveaux privilèges.

Bref, je pensais qu’une égalité générale des salaires se justifiait. Le drôle, c’est que je pense encore la même chose, quarante ans plus tard. Je ne vois pas pourquoi tant de petites et grandes fripouilles gagnent tant et plus, tout en vivant des années plus vieux que « ceux qui soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ». À ma manière, je suis un archaïque. Mais pour en revenir à notre Idole Suprême, je maintiens que la revendication d’un smic à 1700 euros bruts par mois est productiviste.

Et ce smic à 1700 euros ?

1/ Une augmentation sensible du smic se répercuterait de salaire en salaire supérieur jusqu’à un niveau que j’ignore, mais probablement élevé. Ceux qui gagnent 1700 euros en réclameraient 2000, ceux qui touchent 2000 voudraient 2300, etc. J’espère que nous sommes au moins d’accord là-dessus. Un tel mouvement ascendant dans le pouvoir d’achat des Français aurait inévitablement des effets, et parmi eux, j’en retiens deux. Davantage d’objets devraient être produits. Et d’un. Davantage d’objets devraient être consommés. Et de deux. Comme est organisée la société française d’aujourd’hui, avec ses publicités omniprésentes, sa télé répugnante à la botte de la marchandise, ses hypermarchés à tous les coins de rue, il ne fait aucun doute qu’une partie importante des objets nouvellement produits et consommés seraient de pures merdes. Venues des centres d’esclavage chinois, sous la forme d’écrans plats et de téléphones portables, notamment. J’appelle cela une poussée supplémentaire de productivisme.

2/ Contestez cette évidence si cela vous chante, je poursuis. La crise écologique est d’autant plus pénible pour les traditions de gauche qu’elle dynamite toutes les mythologies. Par exemple, et je sais bien ce que j’écris, un pauvre de chez nous est un riche du monde. Tournicotez cela dans votre tête cent fois, cela n’y fera rien, car c’est vrai. Les gueux du monde réel, qui se comptent par milliards (sur)vivent avec au plus deux euros par jour, soit 60 par mois. Il ne s’agit évidemment pas de culpabiliser quiconque – je mange bio et bois mon content -, mais de dire une vérité élémentaire, et de rebâtir un discours politique et moral enfin cohérent, et réellement mobilisateur.

Oui, partons des faits, tels que reconnus par Sa Seigneurie Ineffable elle-même, Jean-Luc Mélenchon. Il n’y a pas trois planètes disponibles, ce qui serait pourtant nécessaire pour aligner le niveau matériel de vie des 7 milliards d’humains sur le nôtre. Ni cinq, si l’on prenait en compte non notre gabegie nationale, mais celle des États-Unis d’Amérique. Autrement expliqué, le projet universel d’égalité entre les êtres humains doit condamner avec une extrême fermeté toute mesure qui vise à accroître, si peu que ce soit, la distance abyssale qui sépare le Nord du Sud. Je me dois d’insister : la gauche, et Mélenchon le patriotard ne fait pas exception, a totalement renié l’universalisme dont elle se réclame pourtant. L’universalisme consiste en la circonstance à démontrer qu’un homme vaut un homme. Et que nous, ceux du Nord, vivons d’une manière qui interdit de seulement approcher ce rêve proprement révolutionnaire.

3/Je radote, non dans l’espoir de convaincre ceux qui croient en Mélenchon, mais pour avoir la conscience tranquille : il faut évidemment changer le sort des pauvres de notre monde. Mais non en leur vantant l’augmentation d’un gaspillage de ressources matérielles qui sera toujours plus criminel à mesure que la crise écologique s’aggravera. Et elle ne cesse de s’aggraver. Il faut oser dire la vérité à tous et à chacun : c’est fini. The Game is Over. L’avenir, s’il existe, passe par la garantie pour tous d’un toit, d’un droit à la santé et d’une nourriture saine, laquelle commande une lutte à mort contre l’industrie. Tout le reste doit revenir aux communautés, sous la forme d’une mutualisation de services aussi gratuits que possible. Ce qui signifie stopper au plus vite, par tous les moyens humains disponibles, l’immense machine de destruction de la vie que ne remet nullement en cause Mélenchon.

Il faut enfin affirmer que l’aliénation de masse par les objets inutiles précipite le désastre commun. À bas la bagnole individuelle ! À bas la télé ! À bas le téléphone portable ! La liste a un début, mais elle n’a pas de fin. La critique sociale, dans son ingénuité, a oublié de dire que les objets façonnent l’esprit, qu’ils le transforment.  Si l’individualisme se hisse à des sommets qui n’ont peut-être jamais été atteints, c’est parce que l’industrie nous a transformés par stratagème en unités de base de l’hyperconsommation.

Il ne s’agit pas de répandre le malheur chez les consommateurs de masse qui font tourner la roue. Il s’agit d’augmenter sans limite concevable les relations vraies entre personnes. Le soin donné aux nourrissons et aux vieillards. L’amour et l’amitié. La gratuité. La solidarité. Il s’agit de préférer la lenteur. D’admirer sans posséder. De redécouvrir ce qu’est la beauté d’un songe, d’une plante, d’un regard, d’une perspective. De rechercher en tous événements l’harmonie, ce que les Indiens navajos, certes de sinistres sauvages, appellent hozro. De construire, seul ou avec d’autres, maisons et refuges. D’apprendre à mourir dans son lit. D’exiger d’être enterré dans un lieu qu’on aime, comme ce cher vieil Ed Abbey, loin de la morosité des cimetières. De vivre, quoi, vous m’avez compris.

4/À tous ceux qui pensent que, oui mais merde, Mélenchon dit tout de même des choses nouvelles, comme Thibault ici, dans un commentaire précédent, ou mon ami Hervé Kempf dans un récent article publié dans Le Monde,  je leur dis qu’il se trompent. Vous vous trompez, gravement, et vous contribuez à obscurcir l’horizon. Car tout cela est du déjà vu. D’abord, je vous rappelle qu’une autre vague écologiste a balayé l’Occident et la France voici quarante ans. Dumont, Gorz, Illich, Le Sauvage, La Gueule Ouverte, le Larzac, le mouvement antinucléaire : regardez donc dans le rétroviseur.

Comme l’écrivait au reste Hervé Kempf à propos des quarante ans du rapport Meadows (Halte à la croissance ?), le diagnostic a été posé en clarté. Vingt ans plus tard, au moment du Sommet de la terre de Rio (1992), tout a été répété. À cette époque, un Laurent Fabius misait – mais oui, mais oui ! – sur l’écologie et ne jurait que par Lester Brown avant que de trucider une fois au gouvernement – en 1999 – la frileuse écotaxe pourtant prévue par la gauche de messieurs Jospin et… Mélenchon. Le cirque de ce dernier n’est donc qu’un exercice de plus dans l’infernale liste des gesticulations politiciennes dans ce domaine.

J’ajouterai qu’en quarante ans, la situation du monde s’est tant aggravée que nous n’avons plus le droit de suivre une fois encore des mirages. Avec un peu de chance, Mélenchon se représentera en 2017 – pourquoi pas en 2022 : il n’aura que 70 ans, après tout -, et sans que rien n’ait bougé d’un millimètre d’un côté, nous serons encore bien plus près du gouffre de l’autre. Il se trouve qu’à la différence de bien d’autres, je crois au risque d’effondrement d’écosystèmes entiers sur une planète où la surface réellement habitable ne cesse de décroître. Le jeu dérisoire et désormais mortifère du système électoral français n’est simplement pas compatible avec la recherche de solutions humaines et démocratiques à cette fulgurante crise du vivant dont nous sommes les contemporains. Mélenchon n’est pas un ami de la Terre.

PS : J’ai vu passer comme une contrefaçon intitulée : « Appel des gauches antiproductivistes et objectrices de croissance à voter pour Jean-Luc Mélenchon ». Vous en trouverez le texte ici. Ses deux signataires de départ, Paul Ariès et Jacques Testart, ont bien le droit d’écrire ce qu’ils veulent, même si je désapprouve en profondeur leur démarche. Seulement, avaient-ils le droit de faire signer au second rang des gens comme les pontes du parti mélenchoniste, Bernard Genin, maire communiste de Vaulx-en-Velin, Ambroize Mazal, responsable lui aussi communiste de la commission Agriculture de son parti, ou Aurélien Bernier, du sémillant et si funny Mpep ? J’y vois un abus condamnable, dont la seule visée me paraît électoraliste. L’instrumentalisation d’un courant – auquel je n’appartiens aucunement – au service d’un candidat qui ne représente pas ses idées. J’avoue me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais qu’en pensent ceux qui sont directement concernés ?

Et si c’était lui, sans blague ? (Mélenchon le Messie)

Bon, inutile de m’abreuver d’insultes. Ce sera encore sur lui. Mais je jure solennellement que c’est pour la bonne cause. Tant de gens estimables s’apprêtent à voter Mélenchon que je ne peux me désintéresser d’un homme qui clame à tous les vents que sa « planification écologique » annonce une vraie révolution. Et si c’était vrai ? Je plaisante, sérieusement je plaisante. En tout cas, j’entends consacrer, sans trop d’invectives (ce sera dur), plusieurs articles de suite au chef du Front de gauche. Ce premier se termine sur une question. Si vous êtes saoulé par mes critiques, vous pouvez aller y jeter un regard tout de suite. Et sinon, bienvenue pour une nouvelle virée.

Outre ce papier, j’essaierai de détailler ce que je pense de la « planification écologique », ce que je pense du smic à 1700 euros, ce que je pense d’Hervé Kempf adoubant Mélenchon dans Le Monde. Si je compte bien, cela ferait quatre articles en tout. Je vous en préviens, il n’est pas sûr que je les écrive, car j’ai une vie, faut pas croire.

Pour commencer, je dois reconnaître cette évidence : il plaît. À gauche et visiblement dans une part croissante de l’opinion écologiste. Du coup, c’est intéressant, car je n’oublie pas, malgré certaine apparence, que Planète sans visa, qui entend rendre compte à sa place de l’extraordinaire crise écologique en cours, souhaite ardemment qu’émergent des perspectives. Mais qu’est donc la crise écologique ? Une simple continuation de l’éternelle crise du capitalisme décrite par tant d’auteurs de gauche ? Depuis Marx, depuis même Fourier à son hallucinante manière, depuis Blanqui et ses rêveries guerilleristas, la gauche théorique et parfois pratique ne cesse d’annoncer la crise finale du capital.

Je crois pouvoir dire que cela n’a pas marché. Quand les bolcheviques ont eu pris le pouvoir dans ce qui allait devenir l’Union soviétique, ils imaginèrent certes une société nouvelle, mais c’est parce qu’elle était totalitaire. Pour le reste, ils ne firent qu’adapter pour le malheur commun des méthodes industrielles utilisées auparavant en Occident. En plaquant le tout sur cette stratification sociale qui donnait tout le pouvoir à une classe naissante de bureaucrates. Quand je dis « adapter », je veux dire qu’ils prirent le pire – la puissance des machines -, sans nullement s’intéresser aux rares contrepouvoirs ayant permis aux prolétaires de chez nous de seulement survivre. Je veux parler des syndicats, des Bourses, des mutuelles, in fine des partis ouvriers.

Il n’est qu’une matrice à toutes les formes sociales apparues depuis deux siècles, et cette matrice est biface. Sur le plan de l’économie, il s’agit de la machine et de l’organisation rationalisée de la production. Cela donne, jusqu’à la nausée, cette apparence de profusion matérielle, qui n’est jamais qu’appauvrissement continuel. Et sur le plan culturel, au sens anthropologique, une foi démentielle et complète dans l’idée d’un progrès linéaire, menant d’un point A à un point B, forcément plus haut et plus beau. Je me répète, car je veux être compris : une alliance entre une production de biens de plus en plus colossale et une croyance dans l’idée que tout cela mène au mieux.

Ce qu’on a coutume d’appeler la droite, ce qu’il faut appeler les gauches, qui incluent celles qui se disent révolutionnaires, se disputent depuis 1790. Mais sur quoi ? Est-ce à propos du fond, que j’appellerai révolution machinique ? À l’évidence, non. Le mouvement ouvrier quand il était vivant – avant donc son atroce assassinat par le stalinisme -, les divers courants socialistes ou communistes ensuite, n’ont jamais prétendu s’attaquer au principe de la société industrielle. Tous, bien qu’à des degrés divers, ont toujours contesté aux droites – elles ont droit, elles aussi, au pluriel – le mode de répartition des richesses produites. En affirmant qu’elles feraient bien mieux une fois parvenues au pouvoir. Qu’elles distribueraient et répartiraient mieux les richesses produites, qu’il fallait pourtant continuer à augmenter sans fin prévisible. Je le rappelle : l’horizon du communisme, pour ne prendre que ce seul exemple, c’est l’abondance universelle. Le vieux Marx résumait ainsi le jeu dans sa Critique du programme de Gotha, livre paru en 1875 : « Jeder nach seinen Fähigkeiten, jedem nach seinen Bedürfnissen ! ». Ce qui veut dire imprudemment : « De chacun selon ses capacités à chacun selon ses besoins ».

Vous pensez bien que je n’ai rien contre la satisfaction des besoins de chacun. Seulement, qu’est-ce que le besoin ? Jusqu’à quels excès démesurés ne risque-t-il pas de conduire ? Dans la société de Marx, la perspective était alléchante. Nul ne voyait la limite, les limites. La crise écologique n’existait pas. Les plus cultivés pensaient avec une touchante naïveté que jamais les mers ne pourraient se dépeupler, tant les poissons étaient nombreux. Alexandre Dumas, dans son somptueux Grand dictionnaire de cuisine (1873, deux ans avant le texte de Marx) écrivait : « On a calculé que si aucun accident ne perturbait la ponte des œufs, et si chaque œuf atteignait sa maturité, cela ne prendrait que trois ans pour remplir la mer à tel point qu’on pourrait traverser l’Atlantique à pied sec sur le dos des morues ».

À gauche, vu des gauches, le programme était alors simple. On utiliserait la science et la technique pour augmenter la puissance commune, guérir les maladies et peut-être la condition humaine, rendre heureux l’humanité par la possession de biens jusqu’ici réservés aux bourgeois. Le rêve a perduré, intact, jusqu’aux immondes tranchées de 1915-1918, avant de se transformer, sans jamais disparaître. Question sans malice : Jean-Luc Mélenchon est-il, oui ou non, l’héritier de cette culture politique-là ? Comme il le crie à chaque intervention ou presque, je vois qu’il n’y a pas de doute : c’est oui.

Mélenchon est héritier en ligne directe de la social-démocratie, à laquelle il a adhéré, excusez du peu, trente-et-un ans. Et par choix et proximité, également du stalinisme, que tant de gens de bonne comme de mauvaise foi, ont intérêt à faire disparaître dans un éclair de magnésium. Non, le stalinisme n’est pas mort. Madame Buffet est entrée au parti communiste en 1969, quand Brejnev régnait sur l’Union Soviétique et les îles de son archipel concentrationnaire. Elle avalisa, jusqu’à la fin du système, d’infâmes événements, comme par exemple la normalisation en Tchécoslovaquie, les tueries de Gdansk et Gdynia et les bouffées délirantes antisémites du Poup, les bouffonneries de Ceaucescu, l’invasion de l’Afghanistan, etc. Et dans cet et cætera, il faut imaginer le reste. Tous ces peuples réveillés à l’heure du laitier par les flics de la dictature. Et remarquez que je ne parle pas de ce que les staliniens ont infligé à la nature. C’est impossible à mesurer.

Je sais que cela emmerde les mélenchonistes, mais les faits ne sont-ils pas têtus ? Leur héros se réclame de Mitterrand, un homme de droite pour qui le pouvoir était le principal euphorisant, et qui ouvrit la voie triomphale à la finance-reine. De Mitterrand et de Marchais, une canaille stalinienne qui insultait « l’anarchiste allemand » Cohn-Bendit dans un court éditorial de son torchon appelé pourtant L’Humanité,  le 3 mai 1968. Et qui, le 11 janvier 1980, applaudissait à l’entrée de l’Armée rouge à Kaboul, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1979 (regarder la vidéo ici). J’ajoute que Mélenchon soutient aujourd’hui, de différentes manières il est vrai, la Chine, Cuba et ce merveilleux Venezuela où le non moins merveilleux Chávez applique le merveilleux triptyque : « El jefe, el ejército, el pueblo ». Ce qui veut dire : « Le chef, l’armée, le peuple », vision cauchemardesque, caudilliste et verticaliste du fameux et pseudo socialisme bolivarien

Vous me direz que vous connaissez ma chanson, et c’est sans doute vrai. Mais je veux y ajouter un couplet inédit. Sous la forme d’une série de propositions. D’abord et selon vous, est-il évident que la crise écologique, parce qu’elle est planétaire et qu’elle s’attaque au fondement de la vie, est sans aucun précédent connu ? Pour moi, c’est une évidence. Quelle qu’en soit la raison, il est flagrant qu’une menace globale, effroyable, pèse sur les équilibres écosystémiques les plus élémentaires. Mais vous ? Deuxième proposition : cette menace est-elle – ou non – liée à la manière dont les humains, y compris dans le défunt paradis des travailleurs que fut l’Union soviétique, ont conçu la production et la consommation de biens matériels ? Troisième proposition : Jean-Luc Mélenchon incarne-t-il – ou non – ces traditions de gauche qui n’ont jamais contesté la nécessité de produire et consommer toujours plus ?

Si vous répondez oui à tout, ce que je vous souhaite, il faudra m’expliquer comment vous sortirez de ce guêpier.  Car Mélenchon se noie lui-même dans les promesses de production et de consommation matérielles. Est-il réaliste, est-il sensé d’espérer de quiconque être à la fois le problème (pour une petite part) et l’éventuelle solution ? Je note, tout comme vous, que Mélenchon ne s’attaque absolument pas à l’histoire des idées qui ont conduit au désastre, car sa campagne repose à 80 % sur ce qui reste de l’appareil communiste. Le voudrait-il qu’il ne le pourrait pas. Mais il ne le veut pas, car sa langue maternelle est celle du productivisme et de la croissance sans but ni frein. Lorsqu’il parle écologiste, ne voyez-vous pas qu’il le fait comme Mitterrand parlait socialiste et même marxiste quand il le fallait ?

En 1979, quand les chars soviétiques se préparaient à l’invasion de l’Afghanistan, le congrès du parti socialiste se tenait à Metz. Mitterrand, qui entendait flinguer toute velléité de la part de Rocard, entré en 1974 seulement au parti socialiste, y avait envoyé en première ligne un chevau-léger du nom de Laurent Fabius. Lequel, déjà sans nul doute social-libéral, avait déclaré du haut de la tribune, pour son suzerain : « Camarades, entre le Plan et le marché, il y a le socialisme ».  Ne riez pas, c’était censé laminer les rocardiens.

Ce cas de molletisme chimiquement pur traverse toutes les aventures politiciennes de Mitterrand, grand héros de Jean-Luc Mélenchon. Et je gage que ce dernier aura retenu la leçon. Dans le rôle de sa vie qu’est devenue la campagne électorale, qu’aurait-il à perdre, dites-moi ? Je ne l’accuse même pas de malhonnêteté. Je crois qu’à ce stade, il faut parler de dédoublement et de vapeurs nées de trop hautes altitudes. Disons qu’il y croit. Mais où seraient sa culture et son engagement réels, qui garantiraient au moins en partie l’avenir ? Nulle part, bien entendu. Sur la crise écologique, au-delà de quelques slogans, il est aussi ignare que le reste de la classe politique. Ses quarante ans de politique active parlent pour lui.

Question : qui lui souffle, d’après vous, les paragraphes sur l’écologie que l’on trouve ici ou là ? Comme un Sarkozy, ânonnant sans rien y comprendre un Discours de Dakar écrit par Henri Guaino, Mélenchon répète des phrases qui ne sont pas les siennes. Demain est un autre jour, et les cocus d’aujourd’hui, cocufiés d’hier et réclamant de l’être encore, découvriront, mais un peu tard, ce qu’est une tirade politicienne. Ce qu’est un programme politicien. À en croire les illusionnistes de service,  un homme qui a passé sa vie à tambouiller la politique dans ce qu’elle a de plus vil – la prise du pouvoir, à Besançon, à Massy, dans l’Essonne, au PS -, avec de tout petits groupes d’apparatchiks, pourrait donc représenter l’espoir d’un peuple. Je n’ai pas très envie de me marrer, même si le spectacle a des aspects follement hilarants. Mélenchon, ou comment sauver le monde avec trois moulinets et un drapeau rouge.

Éva Joly reine du pompon (sur les tueries de Toulouse et Montauban)

Il y aurait certes beaucoup à dire sur les manières dont notre vieux pays s’est comporté face au tueur des gosses de Toulouse et des militaires. Je confirme qu’à l’occasion, on peut détester la France et ses mensonges, et ses calculs, et ses faux-semblants, et ses truqueurs, et ses profiteurs, et ses abjects profiteurs. Mais tel n’est pas l’objet de Planète sans visa. Je m’arrête donc ici, non sans décerner à la candidate écologiste, madame Éva Joly, la médaille de la phrase la plus conne – à mes yeux comme à mes oreilles – de l’année 2012, qui n’en est encore qu’à ses débuts, il est vrai.

Descendue avec ses petits camarades à Montauban, où l’on enterrait certaines victimes des massacres de ces derniers jours, madame Joly a osé ces mots : « Je suis ici pour manifester ma solidarité avec l’armée, les familles et toutes les victimes ». Vous avez bien lu : solidarité avec l’armée. C’est le pompon, c’est à cette échelle picrocholine insurpassable.  La définition de la notion de solidarité, tirée de Wikipédia, qui en vaut une autre : « La solidarité est un lien d’engagement et de dépendance réciproques entre des personnes ainsi tenues à l’endroit des autres, généralement des membres d’un même groupe liés par une communauté de destin ».

Aragon, avant de devenir la crapule stalinienne qu’il demeura le restant de sa vie, fut surréaliste. Qui le croirait ? Moi. Dans Traité du style, écrit en 1927, voici ce qu’il écrit, que j’adresse avec mes forces dérisoires à madame Joly et aux embedded qui mènent sa campagne :

« Je tiens pour un immonde abus ce droit que le gouvernement et la justice s’arrogent en France de nos jours d’interdire à ceux qui détestent l’armée le droit d’exprimer par écrit, avec les commentaires qui leur plaisent, le dégoût qu’ils ont d’une institution révoltante (…)  je dis ici que je ne porterai plus jamais l’uniforme français, la livrée qu’on m’a jetée  il y a onze ans sur les épaules, je ne serai plus le larbin des officiers, je refuse de saluer ces brutes et leurs insignes, leurs chapeaux de Gessler tricolores. Il paraît que (…) n’importe quel officier ou sous-officier, n’importe quel crétin payé pour marcher au pas, a désormais le droit de m’arrêter dans la rue. Ce n’était pas assez des agents. Et comme eux ils sont désormais assermentés. Ils ont, ces matières fécales, une parole qui fait loi. Ah l’agriculture ne manquera pas de vaches. Eh bien (…) j’ai bien l’honneur, chez moi, dans ce livre, à cette place, de dire que, très consciemment, je conchie l’armée française dans sa totalité. »

Cette tragédie grecque dont personne ne parle

Ce papier sur la Grèce, davantage que d’autres, nécessite un préambule. Autrement, on me tirerait dessus sans préavis, et je préfère, à tout prendre, être prévenu. Comme on verra si l’on me lit, cette précaution ne sera pas suffisante, mais tant pis, assez tergiversé. Mon préambule est que je suis d’accord pour accuser les banques et les banquiers, Goldman Sachs, les bureaucrates européens complices des politiciens véreux, le Pasok, la Nouvelle Démocratie, le pape de Rome, et j’en oublie par force. Oui, je suis d’accord.

Seulement, j’aimerais aussi me poser quelques questions que la bonne conscience de gauche – et d’extrême-gauche – oublie généreusement. Commençons par un chiffre épouvantable, celui des recettes touristiques de la Grèce. Elles représentent aujourd’hui entre 15 et 18 % du PIB. Oui, cette façon de calculer est ridicule, mais il n’y en a pas d’autre pour le moment. Le tourisme de masse est assurément le moteur principal de l’économie locale, et il se porte, figurez-vous, de mieux en mieux (lire ici). En 2011, année tragique pour le pays, les recettes du tourisme ont augmenté de 9,5 %.

Est-ce une bonne nouvelle ? Ben non, je ne crois pas. Un pays jadis fabuleux a vendu son cul et son soleil au reste de l’Europe, trucidant ses lieux les plus grandioses, ses plages les plus belles, ses îles les plus enchanteresses pour que des hordes de couillons souvent braillards viennent siroter sur place quelques verres d’un ouzo de basse qualité. On applaudit bien fort la patrie de Socrate et Platon, mais aussi de Diogène, d’Aristote et d’Épicure. Le progrès est évident au premier regard. Encore faut-il ajouter au tourisme de masse ce corollaire qu’est l’explosion immobilière, laquelle ne se conçoit pas sans des centaines de milliers – voire des millions – de participants.

La fièvre immobilière, autre nom du fric, a « augmenté » la richesse de la Grèce et de nombreux Grecs, au détriment sûr et certain de la nature, en particulier ces forêts méditerranéennes qui impressionnaient si fortement les hommes de l’Antiquité. Je me dois de rappeler que la Grèce n’a pas toujours été un vaste caillou blanc plongeant dans la mer. Il fut un temps, et ce temps a duré, où des forêts climaciques – l’état le plus stable, sans intervention humaine – formaient des ensembles biologiques d’une richesse que je ne reverrai plus. La spéculation immobilière, en association avec ce tourisme qui rapporte tant, a tout ravagé.

Autour d’Athènes, chaque année, chaque été, des incendies épouvantables réduisent chaque fois un peu plus les espaces naturels, déjà modifiés tant de fois par les activités humaines (lire ici). Des milliers d’hectares brûlent et rebrûlent, des dizaines de milliers d’habitants hagards s’enfuient, et le béton avance inexorablement. Dites, a-t-on le droit de dire aux Grecs qu’on ne les a pas beaucoup vus défendre leurs écosystèmes en flammes ? Le « développement », massivement soutenu par toutes les forces politiques grecques, du Laos – Laïkos Orthodoxos Synagermo, un parti fasciste – aux nombreuses formes communistes plus ou moins remaniées, a détruit le profond, et même l’essentiel.

C’est étrange, autant que révélateur. Tous ont accepté l’extrême démolition des équilibres de base de leur propre pays, et voilà donc qu’ils se lèvent contre une poignée de profiteurs. Lesquels existent, je l’ai écrit plus haut, et je n’y reviens pas. Au-delà, j’aimerais ajouter quelques lignes désagréables. Sur le papier, la crise grecque m’apparaît comme une chance fabuleuse, qui sera je le crains gâchée. Certes oui, il faut compter avec les 50 % de chômeurs chez les jeunes, ce qui est d’évidence un crime social. Mais au total, ce que je lis me porte à réfléchir. On parle de 20 % de baisse du niveau de vie. Un niveau de vie artificiellement augmenté par le tourisme, l’immobilier et toutes ces impudentes dépenses publiques que sont par exemple les autoroutes.

Tiens, les autoroutes. L’Europe envisage de refiler encore 12 milliards d’euros de fonds structurels non encore dépensés par la Grèce, qui iraient en priorité à la construction de nouvelles infrastructures autoroutières. Faut-il vraiment préciser ce que j’en pense ? Les centaines de milliards déjà accordés n’iront-ils pas, en priorité eux aussi, à des dépenses aliénées le jour où elles permettront aux Grecs de s’endetter de nouveau ? À des bagnoles, des téléphones portables, des télés d’un mètre de large, des MacDo, des jouets et de la bimbeloterie chinoise, etc ? Et en ce cas, de quoi donc les Grecs se plaignent-ils ? De ne plus se goinfrer autant qu’ils le souhaiteraient ?

20 % de baisse du niveau de vie : voilà l’illustration de ce qu’il FAUT obtenir dans toute l’Europe, au plus vite. Pas pour châtier de supposés dépensiers, mais bien pour enfin oser le vrai débat. De quoi avons-nous réellement besoin ? De quelle santé publique ? De quels logements, consommant quel type et quelle quantité d’énergie ? De quel système d’éducation pour nos enfants ? Le reste, pour l’essentiel, nous mène tous au gouffre. L’épisode grec, involontaire exemple de décroissance, serait un formidable étendard pour une révolution complète de nos manières de vivre et de consommer. Fabuleux, même ! Que l’on consacre enfin l’argent public à la restauration des écosystèmes ! Que l’on trouve le moyen – les moyens – de ne plus polluer du tout ces eaux qui sont notre vrai grand trésor ! Et je dis bien : ne plus polluer du tout. Le voilà, le changement de paradigme. Non plus épurer à grands frais, mais ne plus avoir à le faire serait un authentique progrès. Le  « bon progrès », que j’oppose après un mien ami, vieux paysan breton, au « mauvais progrès ». Ne serait-il pas temps d’offrir aux Grecs une authentique perspective, qui consisterait à rétablir partout des écosystèmes aussi fonctionnels qu’au temps de Périclès ?

L’argent est là, dans les poches de ces foutus banquiers et de leurs compères. Mais la volonté ? Je conclus : il est évident à beaucoup, dont je suis, que la France peut très bien connaître demain le sort de la Grèce. Alors les masques tomberont. Car qui donc – que chacun s’exprime sans détour -, défend chez nous des thèses réellement écologistes ? Exceptionnellement, je ne citerai pas de noms. Mais qui ?

In memoriam (recuerda siempre Fukushima)

Jour de deuil. Journée de mémoire. De vaine mémoire tant que nous n’aurons pas abattu le monstre. Car il n’y a pas d’autre objectif possible que de détruire à la racine l’industrie nucléaire. Et de remettre à leur place – aussi petite et respectable que la nôtre – les Innommables qui ont créé dans notre dos cette machine de guerre totale contre l’idée même d’humanité. Je pleure les terres lointaines de Fukushima. Et de Tchernobyl. Et d’Hiroshima. Et de Nagasaki. Et des îles Bikini. Et de Reggane. Et de Moruroa. Et de Semipalatinsk. Et de Bikini. Et d’Amchitka. Et de Monte Bello. Et d’Emu Field. Et de Maralinga. Vienne le temps de notre victoire, car ce sera celle de tous.

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Je me souviens, pour en avoir parlé avec des témoins directs, que des salauds bien payés parcouraient au début des années soixante du siècle écoulé la lande du Haut-Cotentin. Ils réalisaient des mesures, enfonçaient des piquets, prenaient des photos, préparaient d’évidence le terrain. Mais à quoi ? Lorsque des habitants de ce lieu si beau leur demandaient la raison de leur présence, ces fonctionnaires du malheur répondaient invariablement : « Une usine de casseroles va bientôt s’installer ici. Et il y aura du travail pour tous ». Ce fut La Hague. Le nucléaire n’a pu exister et se maintenir que par le mensonge définitif.