Bouffons, puisque c’est un ordre

Un coup de chapeau confraternel ne devrait pas nuire à ma (mauvaise) réputation. Permettez-moi de saluer Joelle Stolz, correspondante à Mexico du journal Le Monde. Dans un article du 1er novembre 2007 (http://www.lemonde.fr), elle raconte comment les Mexicains sont devenus obèses. Et pourquoi. Vous me direz que l’explication générale vous est connue, et j’en tomberai aisément d’accord. Mais il y a la manière, et cette manière-là, concrète, reste assez hallucinante.

À la base de tout, il y a ce que les Mexicains appellent la comida chatarra. On pourrait traduire cela d’une manière assez violente, mais restons-en aux bonnes manières, et parlons de malbouffe. Comme chez Bové ? Comme chez Petrini et son fabuleux mouvement en faveur de la slow food ? Admettons, mais nous parlons là d’une véritable épidémie qui frappe en priorité absolue les pauvres d’un pays pauvre, ce qui change la perspective.

Ayant lu le papier de Stolz, j’ai eu l’envie d’aller lire ce que les Mexicains eux-mêmes disaient de la chose. Et je suis vite tombé sur un article du bon quotidien La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), en espagnol, certes. Il date du printemps 2007, mais les choses n’ont pu que s’aggraver depuis. À cette date le Mexique entier était atteint d’une maladie sociale gravissime appelée obésité. Attention, le chiffre qui suit fait mal, car nous parlons bel et bien d’un pays du Sud, émergent peut-être selon les critères du FMI de DSK, mais décidément du Sud. Où les Indiens restent des Indiens. Où le Chiapas reste le Chiapas. Où le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) a pu conserver le pouvoir plus de 70 ans grâce à ses pistoleros. Où le Parti d’action nationale (PAN) a pu empêcher le Parti révolutionnaire démocratique (PRD), de gagner les élections par la fraude massive.

Eh bien, dans ce pays merveilleux à plus d’un titre, écrit La Jornada, davantage que la moitié des adultes sont désormais en surpoids ou carrément obèses. Je vous fais grâce des conséquences sanitaires, c’est-à-dire de l’explosion inévitable de diabètes, de gastrites, d’hypertension artérielle. Ce n’est pas un désastre, c’est un changement d’état civil. Un peuple était ce qu’il était, et il est devenu un autre en l’espace d’une génération. Car telle est peut-être l’information principale : tout s’est passé le temps d’un clignement d’yeux.

Il y a vingt-cinq ans, les Mexicains buvaient encore du jus d’agave dans les pulquerias, ces bars des rues où la propreté n’était pas, il s’en faut, la préoccupation première. Et puis les pulquerias ont été interdits, officiellement pour des raisons d’hygiène. Je dis officiellement, car je dois confesser comme un doute. Leur interdiction a coïncidé avec l’installation au Mexique d’une gigantesque merde appelée refrescos. Des boissons gazeuses. Du Coca. Du Pepsi, et tout ce qui s’ensuit. Je n’ai pas l’ombre d’une preuve, mais je ne serais pas étonné d’apprendre que des services spécialisés ont su frapper aux bonnes portes en usant des bons arguments.

Le fait est que le jus fermenté d’agave, si mauvais pour quelques très rares intestins, a largement disparu. Et que les sodas, si bons pour le coeur, l’âme, et les pompes funèbres, ont déferlé d’un bout à l’autre du pays. Aujourd’hui, selon la Banque du Mexique, les Mexicains dépensent autant d’argent pour les refrescos que pour la tortilla de maïs et les frijoles, les haricots. Autant pour boire ce qui tue que pour manger ce qui fait vivre.

Nous en sommes donc là. Kellogg’s, Nestlé, Coca-Cola, PepsiCola – Danone ne doit pas être bien loin – ont changé les règles de base de la vie en société d’un pays de 108 millions d’habitants, sans provoquer la moindre révolte collective. Cela laisse fatalement songeur. On pourrait se rassurer une seconde en rappelant que Vicente Fox, l’un des grands chefs du PAN au pouvoir, a longtemps été le directeur de Coca-Cola Mexique. Serait-ce l’explication, au moins partielle, de ce triomphe de la bouffetance industrielle ?

J’aimerais presque le croire. Mais ce phénomène est mondial, et touche aussi des nations comme la nôtre, livrée pieds et poings liés à l’industrie agroalimentaire. Vous souvenez-vous du scandale du sel, révélé en 2001 par Le Point ? Alerté par le chercheur Pierre Meneton, l’hebdo écrivait textuellement ceci (n°1483 en date du 16 février 2001) : « Il est arrivé à notre rendez-vous avec un gros dossier sous le bras. Ce jour-là, Pierre Meneton, chercheur à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), mondialement reconnu pour ses travaux sur l’implication des facteurs génétiques dans le développement des maladies cardio-vasculaires, avait décidé de briser le silence : “Les Français sont empoisonnés de façon chronique par le sel que rajoute en excès l’industrie agroalimentaire au moment de la fabrication de ses produits !” ». Et Le Point ajoutait que 75 000 accidents cardiovasculaires sont provoqués en France par un excès de sel, chaque année.

Nous sommes à la fin de 2007, et je lis cet entretien avec Meneton, qui date de septembre et annonce un procès de l’industrie du sel contre le chercheur en janvier 2008 (http://www.lanutrition.fr). Notez en attendant cet extrait saisissant : « Le lobby du sel s’appuie depuis 15 ans sur les déclarations d’un tout petit nombre de scientifiques en ignorant les quelques 40 expertises collectives nationales ou internationales qui depuis 40 ans disent toutes la même chose, à savoir que le sel en excès est un facteur de risque de l’hypertension et des maladies cardiovasculaires. L’objectif est de maintenir l’illusion qu’il existe un débat scientifique et qu’il n’y a pas de consensus sur le sujet ».

Désespérant ? Un peu, mais pas totalement. Nous avançons, je crois, dans la perception globale de ce qui nous menace. Au premier rang de ce savoir (relativement) neuf, une idée essentielle : l’industrie a échappé à tout contrôle social, et dans sa forme actuelle, elle ne doit pas seulement être combattue, mais repensée depuis les fondations. Cela commande une attitude. Cela implique une façon nouvelle de parler et d’agir. Non ?

3 réflexions sur « Bouffons, puisque c’est un ordre »

  1. Bonjour Monsieur,
    Je viens de lire votre article et je partage complètement votre point de vue.
    Je prépare en ce moment une chanson concernant l’alimentation poison…
    Je viens de commencer mon combats face à tant d’injustices et tant de désordres dans ce monde avec ma première chanson que j’ai dédicacé aux médecins, aux labos, aux clients (patients), à la sécu et sutout au chef d’orchestre l’Etat SARL…
    http://www.cyril-llorens.com/news/monmedecin/monmedecin.php
    Bien à vous et à votre engagement…

  2. Bonsoir Fabrice.

    Ton allusion à Slow Food m’a donnée envie d’écrire ça d’un seul jet (ça fait des semaines que je le rumine) :

    UN ACCROC DANS LE BEL OUVRAGE DE SLOW FOOD

    « Slow Food », est un mouvement à priori bien sous tous rapports et
    proche des valeurs écologistes.
    Leur site :
    http://www.slowfood .fr/france/ bio_fr.html

    Il y a pourtant un accroc dans le bel ouvrage que tisse cette
    association qui, je le répète, a toute ma sympathie. Mais un bon
    caillou dans la chaussure, ça finit toujours par faire mal…

    En effet, parmi les produits qu’elle promeut en tant que « sentinelles
    du goût » (seulement 8 pour la France), figure le mouton AOC Barèges
    Gavarnie.

    Oh, je n’ai rien contre ce mouton, bien au contraire, à priori
    encore… mais en grattant davantage, je me rends compte que les
    producteurs de cette AOC sont les éleveurs pyrénéens parmi les plus
    virulents et violents contre la présence de l’ours dans ces
    montagnes…

    Alors ? Et bien … je trouve vraiment dommage que Slow Food qui
    attache beaucoup d’importance à la préservation de la biodiversité
    (agricole, certes) n’ait pas fait preuve de davantage de
    discernement.
    Il est dommage de légitimer, à cause de ce mouton AOC
    devenu « sentinelle » , l’opposition déplorable entre la biodiversité
    agricole et la biodiversité naturelle (opposition que les éleveurs de
    cette AOC revendiquent sans trop rougir…).

    Je vous assure pour les connaître et les subir depuis plusieurs
    années, que les éleveurs du Barèges Gavarnie (dit éleveurs « Toys ») et
    leurs amis anti-ours n’y vont pas avec le dos de la cuiller dans les
    violences contre l’ours et ses défenseurs.
    Voilà à quoi leur opposition frontale à l’ours a pu mener et voilà
    les méthodes d’intimidation qu’ils cautionnent :
    http://www.paysdelo urs.com/fr/ menu-bas- principal/ photos.html?
    g2_itemId=10& ng2

    Ou encore :
    http://ours- loup-lynx. info/spip. php?article1061

    Et tout ceci n’est hélas qu’un échantillon de leur « savoir-faire » en
    la matière, la liste étant hélas bien longue des menaces et
    malfaisances commises.
    Ils sont réellement pour l’éradication totale de l’ours dans les
    Pyrénées (sauf à le confiner dans des réserves forcemment clôturées).

    Pire : à travers le décret de leur AOC, ils ont réussi à « vérouiller »
    la non présence de l’ours sur les montagnes de cet élevage en
    OBLIGEANT les producteurs à laisser vaquer les moutons « en liberté
    totale de jour comme de nuit » (1) (sans berger permanent l’été !) …
    donc sans possibilité de mise en place du dispositif efficace de
    lutte contre les attaques d’ours (présence effective du berger,
    chiens patous de protection, regroupement nocturne du troupeau).

    Ce que le ministère de l’écologie tricote d’un côté, le ministère de
    l’agriculture le détricote de l’autre : un grand classique.

    Ainsi est « décrétée » (au sens littéral du terme), par un texte de …
    2003 (et non par la « tradition ») , une zone d’exclusion de l’ours et
    de cohabitation impossible au coeur des Pyrénées…

    L’AOC Barèges Gavarnie, sous couvert de « biodiversité  » affichée,c’est
    une réelle entourloupe en matière d’écologie : « les animaux
    sauvages, derrière les barreaux, les animaux domestiques en liberté
    et sans bergers » …

    Pendant ce temps, d’autres éleveurs, d’agneau cette fois, et dans
    les Pyrénées, toujours, en silence, avec obstination et sous les
    menaces, s’efforcent d’accepter l’ours et la montagne telle qu’elle
    est depuis les origines du pastoralisme : ils cohabitent
    favorablement avec l’ours et produisent un excellent agneau (version
    bio ou pas) : le Broutard de l’estive du Pays de l’ours.
    Voilà leur site :
    http://www.agneaubr outard.com/ web/4-la- charte-qualite. php

    Et voilà assurément les courageux éleveurs que Slow Food aurait
    mieux fait d’encourager et de sélectionner comme « sentinelle » en
    place et lieu des producteurs de l’AOC Barèges Gavarnie. S’il reste
    encore du sens au terme « biodiversité « .

    Patrick PAPPOLA

    (1) Articles 3 et 4 du décret du 15 septembre 2003 relatif à
    l’appellation d’origine contrôlée  » Barèges-Gavarnie  »
    JO n° 218 du 20 septembre 2003 page 16137
    NOR: AGRP0301483D >>

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