Je crois, cette fois, que ma grippe a émigré. Ou seulement migré ? En tout cas, hier midi, je suis bel et bien sorti de ma tanière pour aller manger avec les deux Munier, père et fils. Il est possible, au fond probable, que vous ne connaissiez pas Vincent et son père Michel.
Je vous les présente, de mon exclusif point de vue. Il y a six ou sept ans, je suis allé faire un reportage dans les Vosges, accompagné par ces deux aventuriers. Michel, qui fut prof, aura surtout fréquenté la nuit, la forêt, le Grand tétras, le grand dehors, la nature sauvage. C’est lui qui a initié son fils à l’art délicat de la photographie, en lui offrant un appareil lorsque Vincent hésitait encore entre l’enfance et l’adolescence.
Belle idée : Vincent est devenu, à mon sentiment, l’un des meilleurs photographes de nature au monde. Je n’insiste pas, car le compliment le met instantanément mal à l’aise. Le mieux est de vous faire une idée personnelle (http://www.vincentmunier.com). Quand nous avons arpenté les Vosges ensemble, tous trois, la vieille montagne avait décidé de nous combler. Sur les crêtes, par exemple, la neige avait enveloppé le pays, le changeant en divinité. Je n’invente pas. Je dispose même de photos où l’on me voit enfoncer le pied dans ce territoire neuf, au milieu des sapins pectinés et de nuages violine. Hélas, je n’arrive pas à les installer ici, pour des raisons qui me dépassent, et de loin.
Pendant ces quelques jours là-bas, j’ai connu des moments de grâce. J’ai vu de mes yeux des gouilles, c’est-à-dire des trous meurtriers dans des tapis flottants de tourbe. J’ai vu, dans le minuscule défilé de Kichompré – une vallée glaciaire étroite, aux parois de granite – un jardin japonais qui n’était rien d’autre qu’une tourbière de poche, dite condensarogène. L’air froid est aspiré par dépression en haut de la falaise, circule dans un éboulis de roches avant d’alimenter en eau, par condensation, la tourbière du bas. J’ai vu bien d’autres choses, dont la forêt vosgienne, qu’on a longtemps cru éternelle.
Michel est un homme de la forêt. Se promener avec lui sous les épicéas – un arbre prodigieux, quand il est spontané -, dans la mousse, est comme un voyage dans l’imaginaire le plus profond qui soit. Le sotré, c’est-à-dire le lutin local, n’est jamais bien loin. Puis, Michel entretient avec le Grand tétras, le grand coq de bruyère, une relation définitive. Si ce n’est de l’amour, c’est donc de la passion. Ou davantage, qui sait ?
Cet animal, lui aussi en voie de disparition chez nous, est ce qu’on appelle une espèce relique, vestige des dernières époques glaciaires. Michel, qui désigne l’oiseau comme un « grand témoin », de nos folies bien sûr, a passé 400 nuits sous les arbres, dans un sac de couchage, à guetter le moment unique, avant l’aube, où le mâle commence son chant de séduction. Selon son état d’excitation, il peut avancer ou reculer, se jeter dans les branches, montrer les plumes de sa queue rassemblées en roue, cabrioler. Et le spectacle peut durer des heures.
Michel Munier est évidemment à la tête d’un savoir sans égal. Quand je l’avais vu là-bas, il y a donc six ou sept ans, je l’avais incité à raconter le Grand tétras, à nous raconter ses « 400 nuits sous un épicéa », car je suis certain que nous avons tous besoin de tels récits. J’avais cru un moment qu’il se lancerait, et puis le temps a fracassé l’idée. Mais hier midi, à table – quels hôtes délicieux, soit dit en passant -, la conversation a roulé de nouveau sur le sujet. Et j’ai dit à Michel qu’il fallait, qu’il fallait absolument.
Le drame tout relatif, c’est qu’il m’a proposé d’écrire ce livre avec lui. Plus exactement, de mettre en forme ses nombreuses notes de terrain. Et nous en sommes là. Trouverai-je le temps ? Telle est ma seule inquiétude. Car je suis convaincu à l’avance par le projet et les photos des deux, qui l’accompagneraient. Les deux, oui. Je ne vous ai pas encore dit que Vincent et Michel signent ensemble des ouvrages, comme ce très beau Clair de brume (éditons Hesse), consacré à leurs chers Vosges. Je n’ai pas le souvenir d’avoir observé un amour aussi vivant que celui qui unit ce père et ce fils, Vincent et Michel. Pour un peu, ils nous feraient croire au bonheur sur la terre.
Un autre jour, je vous raconterai Vincent. Vincent et les boeufs musqués. Vincent et le blanc. Vincent et l’ours mâle du Kamchatka. Cela vaut la peine.
merci, que c’est beau ! J’aime énormément les vosges, ses crêtes eneigées sur lesquelles on glisse en silence entre les grands sapins, ses myrtilles sauvages l’été que l’on déguste sur des tapis de mousse à l’ombre des forêts à la terre rouge …l’hiver dernier j’y ai vu de nouvelles entreprises locales : fabrication d’huiles essentielles bio à partir de fleurs et de plantes de montagne, pourvu que ça dure…
Je ne peux m’empêcher un petit témoignage perso pour dire aussi combien ces deux personnes et le pays des Vosges sont incomparables. J’ai connu Michel et son cousin Jean-Jacques(Vincent était enfant) lors de mes 7 années de vie dans les Vosges. Je me souviens avoir été très marquées par les affuts de ces 2 fous de nature et de faune sauvage. Leurs photos étaient extraordinaires et leur savoir une drogue !Et j’ai passé pas mal de temps récemment sur le site de Vincent, sublime. Quelle belle nouvelle ce livre à venir… J’avais justement envie d’aller faire un tour dans l’hiver Vosgien prochainement, et je parlais d’eux encore hier… Il y a de jolis signes, réconfortants.
Cela fait quelques années déjà que je suis de près le travail de Vincent Munier. Et j’ai déjà eu la chance de visiter plusieurs de ses expos (au festival de Montier en Der notamment). Photographe surdoué effectivement, qui sait magnifiquement transmettre aux autres ses émotions.
Quand aux Vosges, on y attend la neige. Si elle tombe cet hiver, les investisseurs de tout poil sont prêts à poursuivre leurs destructions de la nature pour construire stations et pistes de ski. Les canons à neige y fleurissent d’ailleurs depuis quelques années. Tous savent pourtant que les Vosges, massif de moyenne montagne, connaitra de plus en plus d’hivers sans neige. Peu importe, il faut « développer le tourisme », coûte que coûte. Et le grand tétras ne pèse pas lourd face à leur logique économique. J’espère que la neige se fera rare cet hiver …
oui Philippe ! j’ai vu ça cet hiver, les canons à neige !Quelle absurdité, les investisseurs n’ont rien compris à la nature même de la région ! Ce sont des forêts où l’on écoute, on regarde, on se tait.
Tous mes voeux de réussite pour la concrétisation de ce projet d’ouvrage, que je suis déjà impatient de savourer.
Signé : un pyrénéen fasciné lui aussi par le Coq et qui plus est bibliophile !