Lulu d’Autun, gardienne du monde

Attention, l’amitié peut conduire à Autun (Saône-et-Loire). Celle que j’éprouve pour Lulu, Lucienne Haese, m’a mené là-bas, hier vendredi. Et le moins que je puisse dire, c’est que je n’étais pas dans une forme olympique. Mais bon, Lulu est Lulu.

Et comme elle m’avait invité à parler de mon livre sur les biocarburants, à la suite de l’Assemblée générale de son association, Autun-Morvan-Écologie, j’y suis allé, bien sûr. Je n’ai pas regretté une seconde, car la salle était davantage qu’intéressée par mon propos, amicale en outre, sympathique au possible. J’ai donc pu parler librement, sans détour, de la tragédie planétaire en cours, qui affame, ravage les forêts tropicales et détruit un peu plus le climat. Le maire d’Autun, le socialiste Rémy Rebeyrotte, était là, et m’a même acheté un livre. Le monde réel est plein de surprises. Thierry Grosjean, mon cher Thierry Grosjean, d’Ouroux, avait fait le déplacement. Ceux qui connaissent ce brave, que je n’avais pas vu depuis des années, comprendront.

Autun, donc, par le TGV Paris-Montchanin puis le bus jusqu’à Autun. Où Lulu m’attendait, à l’arrêt Lycée militaire. J’ai connu Lulu il y a quelque chose comme huit ans – je crois -, un jour que j’étais allé la trouver dans son local de la rue de l’Arquebuse. Elle est exceptionnelle. C’est une femme du peuple, aujourd’hui retraitée, qui a vaillamment conquis des responsabilités dans les entreprises qui l’ont employée. Elle a terminé sa carrière comme chef comptable dans une fabrique de parapluies familiale, aujourd’hui morte et enterrée sous les coups de la mondialisation. Et elle aime la forêt. Attention : d’un amour pur et violent, sans détour, évident, quoi !

Hier, elle m’a confié qu’elle devait ce grand défaut, qui est une immense qualité, à son père, qui l’emmenait, au temps de l’enfance, dans les forêts des environs, très tôt souvent. Écoutez-la, plutôt : « Un arbre, c’est comme un animal, c’est un être vivant. Un arbre, on peut l’entendre, car il parle. Vous êtes en forêt, tout est calme, et soudain l’un d’eux se met à parler, aidé parfois par le vent ». Telle est Lucienne, hélas sans son accent morvandiau.

Le soir venu, devant l’assemblée réunie, elle m’a fait un cadeau si fabuleux que l’émotion m’a saisi. Heureusement, je sais me tenir. Elle m’a en effet offert une part de forêt, la 1953 ème part de forêt morvandelle détenue par le Groupement forestier pour la sauvegarde des feuillus du Morvan. Me voilà propriétaire, théorique mais réel, d’un carré de 25 mètres sur 25, là-bas. J’en suis fier, j’en suis infiniment heureux.

Je vous dois une explication : Lucienne ne lâche jamais. Son combat principal consiste à dénoncer le massacre de cette forêt primordiale et mythologique qui a couvert pendant des millénaires sa région. Car le Morvan n’a longtemps été qu’une forêt, trouée de loin en loin pour les besoins humains. Une forêt de chênes et de hêtres, associée à quelques charmes, bouleaux ou châtaigniers, depuis quelques siècles pour ces derniers.

Mais tout a changé, comme partout. Pour la raison folle qu’il faut gagner de l’argent au plus vite – Take the money and run, Prends l’oseille et tire-toi -, des propriétaires forestiers ont commencé à remplacer les feuillus par des résineux. Dès après la Seconde guerre mondiale. Ce qui n’était qu’épiphénomène est devenu épidémie. Le Fonds forestier national (FFN) a massivement distribué des subventions publiques à qui plantait des pins Douglas, et la machine s’est emballée. En 1970, les résineux représentaient déjà 23 % du peuplement forestier du Morvan. Et 40 % en 1988. Et plus de 50 % aujourd’hui.

Des grandes compagnies bancaires ou d’assurance – Axa, les Caisses d’épargne – paient des gens pour répérer les ventes de forêts, ou pour les susciter. Ainsi sont apparues des propriétés de centaines d’hectares d’un tenant, sur lesquelles passent d’infernales machines à déraciner les arbres tout en les découpant. Table rase ! Coupe à blanc ! Lulu m’a montré des photos : je ne croyais pas cela possible en France. Une déroute écologique. Les résineux sont vendus en bloc, d’autres machines passent derrière et plantent des théories de nouveaux résineux, qui seront à leur tour broyés dans trente ou quarante ans. Ces monocultures sont des déserts biologiques. Et une insulte au beau, à l’histoire, à la culture profonde des Morvandiaux.

Lulu est restée debout, envers et contre tout, et tous. « Un jour, raconte-t-elle, j’ai pensé : « Mes cocos, vous allez voir de quel bois je me chauffe ». Et j’ai commencé à apprendre ». Oui, Lulu a dû apprendre à parler la langue des seigneurs. Et ce fut dur. Car elle ne savait pas les codes. Car, dans les réunions, elle entendait des mots qu’elle ne comprenait pas. « Les premières fois, ajoute-t-elle, j’avais les mains paralysées. Mais j’ai pris de l’aplomb ». Tout Lulu est là.

Depuis, infatigable, elle traque députés et préfets, responsables en tous genres, qui la voient arriver de loin. Au cours des repas officiels où on l’invite parfois, c’est à peine si elle mange. Son obsession, c’est le dossier qu’elle a sous le bras, et qu’elle remettra, de gré ou de force, à l’Éminence du jour. D’où ce groupement forestier, dont je fais désormais partie.

En quelques années, Lulu et ses amis sont parvenus à racheter 100 hectares environ, les sauvant de la mort industrielle. Mieux : en s’associant avec le Conservatoire des sites naturels et la ville d’Autun – eh oui, hier soir, le maire n’était pas là par hasard -, la fine équipe a pu acquérir les 270 hectares de la somptueuse forêt de Montmain, au-dessus d’Autun. Dont des sources, un aqueduc, les restes d’une ancienne villa gallo-romaine. Où est la culture ? Qui sont les barbares ?

Je ne connais pas d’exemple, en France, de groupe qui se batte avec tant de vigueur pour nos forêts. Mais peut-être suis-je ignorant ? J’en serais ravi, en l’occurrence. Reste que Lulu, Autun-Morvan-Écologie, le Groupement forestier sont des exemples. De l’esprit de résistance, bien entendu, qui nous manque tant. Si vous avez des idées pour soutenir ces valeureux, debout ! Ils le méritent. Moi, je vais tenter ce que je peux pour faire connaître ce combat, pour qu’il devienne national, européen peut-être.

L’association de Lulu a un site sur le net (http://autun.morvan.ecolog), et une adresse postale : Autun-Morvan-Écologie, BP 22, 71401 Autun Cedex. Mais je vous conseille de téléphoner, car avec un peu de chance, vous tomberez sur Lulu, directement : 03 85 86 26 02. Et si c’est le cas, je vous le demande, embrassez-la de ma part. Elle est irremplaçable.

8 réflexions sur « Lulu d’Autun, gardienne du monde »

  1. salut tout le monde,
    merci encore Fabrice l’infatigable .J’ai appelé l’asso de lulu .Comme je pratique le parainnage dans d’autres secteurs, je leur ai proposé de créer des systèmes de parrainage de la forêt du Morvan . Et pourquoi pas française en générale ? (on pourrait peut-être travailler dans le sens d’une fédération , je sais j’ai tendance à voir grand tout de suite, mais à creuser non?). les arbres sont des êtres vivants particuliers pour moi . je les aime fortement,passionnément.

  2. A la manière du Conservatoire du Littoral, peut-être? En visant les forêts domaniales, mais je n’ai aucune compétences sur les modes à envisager : des systèmes de parraianges semblent intéressants, évitant le système de l’achat et des propriétés privées qui enfanntent depuis toujours l’ostracisme… A méditer

  3. ouais, sauf que d’après Lucienne, c’est pas si simple, le parrainage ne pourrait venir qu’après une mobilisation massive .Mais je lui ai promis une page sur notre blog et une adhésion…à suivre et faire suivre, donc

  4. sur dailymotion encore voir la mort de la forêt boréale .C’est le nom d’un film doc canadien de richard desjardins (merci lucienne), âmes sensibles, vous voilà prévenues…

  5. ça revient un peu à ce dont Bébert le vert proposait : acheter les terres à protéger . ça me plait bien cette idée de prendre une part de cette forêt même si je ne connais pas cette région.
    Y a t’il d’autres actions de ce style en France ?

    Richard Desjardins a sorti le film ‘Lerreur Boréale’ il y a pas mal d’années au Québec et ça avait fait beaucoup de bruit là bas. (attention c’est un film québécois et non canadien ;o))

    http://www.richarddesjardins.qc.ca

  6. les objectifs du groupement sont l’achat de forêts feuillues mélangées afin de les préserver des coupes à blanc suivies de plantations artificielles de douglas, et de communiquer sur les méthodes gestion proche de la nature, alternative à l’exploitation industrielle.
    Le capital est essentiellement destiné à investir dans de nouveaux achats . L’opération d’achats continue, tant que nous aurons des fonds pour le faire .nous avons diffusé l’Erreur Boréal, et le désastre des forêts au canada ( à plus grande echelle) , est l’exemple de ce que nous constatons en survolant le Morvan.

  7. Bonjour,
    Tout d’abord un grand merci à Fabrice car j’ai connu Lucienne dans une autre vie. C’est professionnellement que j’ai fait la rencontre de Lucienne, le portrait que tu dresses est assez exact. Lucienne est une véritable militante écologiste. Ce qui fait sa force c’est son désir de savoir, sa faculté à écouter même quand, et surtout, lorsque la personne ne pense pas comme elle. Elle s’adapte très bien et sait ne rien lacher lorsque ses convictions sont en jeu.
    On mesure mal la quantité de travail qu’il lui a fallu pour mettre sur pied le groupement forestier. Personne dans le « monde » forestier ne lui a fait de cadeaux. Les propriétaires forestières surs de leurs bons droits et de leurs noms à particules, la très grande majorité des techniciens du centre de la propriété forestière lui ont jallonné son travail de pièges. Ils ont tout fait pour que le groupement ne voit pas le jour.
    La création de ce groupement est la preuve que toutes les théories sur le traitement de la forêt avec des sylvicultures douces peut être rentable. Trop souvent les « donneurs » de leçon restent dans le verbe. Elle a su mettre en application ces discours c’est ce qui fait sa force.
    Je te remercie lulu pour l’énergie que tu développes tous les jours. La seule véritable aide que l’on puisse t’apporter, c’est d’acheter, d’offir( pour la noël…) une part du groupement forestier.
    Encore merci fabrice et grosses bises à Lulu.

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