28 000 rivières chinoises ont disparu

Cet article a paru dans Charlie Hebdo le 2 avril 2014

Ne pas voir plus loin que le bout de son nez. Obsédé par la croissance, Hollande vient de recevoir en grande pompe le président chinois. Il oublie un détail dont il se contrefout d’ailleurs : la Chine est en train de sombrer.

« Ah les cons ! ». En 1938, Daladier rentre d’Allemagne, où il vient de signer les catastrophiques Accords de Munich. Au Bourget, où il atterrit, la foule en liesse salue l’homme qui, croit-elle, vient de sauver la paix. Le poète et diplomate Saint-John Perse qui accompagne le président du Conseil, l’entend distinctement insulter les nigauds qui l’acclament.

Bis repetita ? Le président chinois Xi Jinping a passé deux jours en France, la semaine dernière, avec 200 patrons de chez lui. Derrière les contrats et les fleurs, derrière les grandes tapes dans le dos, la réalité est simplement apocalyptique. Sauf erreur, aucun journal français n’a seulement noté la parution, il y a plusieurs mois, d’un recensement officiel du ministère chinois de l’eau (1). Accrochez-vous, il n’y pas d’erreur de frappe : environ 28 000 rivières ont disparu du pays entre les années 90 et aujourd’hui.

Cela commande quelques explications. 800 000 personnes sont allés sur le terrain, et n’ont trouvé que 22 909 cours d’eau dont le bassin était supérieur à 100 km2, contre à peu près 50 000 il y a vingt-cinq ans. Que disent les bureaucrates du parti communiste ? Que les cartes anciennes n’étaient pas fiables et que le dérèglement climatique aurait bien pu assécher quelques rivières. En marge des médias officiels, c’est un tout autre débat que mènent quelques critiques autour de l’écologiste Ma Jun, auteur d’un livre sensationnel paru en 1999 (en anglais, China’s Water Crisis).

Ma Jun, qui donne l’impression d’un bien grand courage, a donné une tout autre explication au journal The Australian, qui paraît, comme son nom l’indique, en Australie : « Une des raisons principales est la surexploitation des nappes d’eau souterraines, mais la destruction de l’environnement est une explication complémentaire, car la disparition des forêts entraîne une baisse des pluies sur nos montagnes ». Sans que personne ne s’en soucie, la Chine a donc changé de structure physique, perdant jusqu’au souvenir de rivières coulant depuis des dizaines de millénaires.

Tous les connaisseurs du dossier savent que la Chine est devenue folle, pompant sans aucun contrôle l’eau de ses rivières pour soutenir cette expansion qui fait saliver en France Hollande et Bartolone. Ce dernier, président de l’Assemblée nationale, est allé jusqu’à déclarer, au cours d’une visite à Pékin, en janvier : « La croissance, nos entreprises sont prêtes à la chercher jusqu’ici, en Chine. À cet égard, venir en Chine c’est humer un bon air d’optimisme ». Un trait d’humour, alors que les 20 millions d’habitants de Pékin étouffaient dans un infernal nuage de pollution ? Même pas.

La Chine peut-elle espérer continuer ? Quelques années, sûrement. Mais à terme, on ne voit pas comment une économie qui nie à ce point des réalités de base pourrait survivre sans un krach écologique aux dimensions bibliques. La tension ne cesse de monter entre l’Inde et la Chine – toutes deux puissances nucléaires -, car la première accuse la seconde de vouloir piquer une partie des eaux descendant du plateau tibétain vers les plaines alluviales indiennes, par exemple celle du Brahmapoutre.

Un premier barrage, celui de Zangmu, devrait être terminé en 2015, mais d’autres projets bien plus spectaculaires encore, sont sur la rampe de lancement. Les Chinois, qui le nient, prévoiraient un détournement massif d’eau pour abreuver leur Nord assoiffé. De leur côté, les Indiens le répètent sur tous les tons au cours de nombreuses réunions bilatérales : toucher à l’eau qui descend de l’Himalaya serait un casus belli.

Dans ces conditions, que penser de la joie au cœur de Hollande, Bartolone et consorts ? En 2011, le géologue chinois Fan Xiao remettait aux autorités un rapport on ne peut plus flippant (A Mighty River Runs Dry) sur le plus grand fleuve d’Asie, le Yangzi Jiang (Yangtsé). Selon lui, si tous les barrages prévus sur son cours devaient fonctionner en même temps, il n’y aurait simplement pas assez d’eau dedans. Vive le commerce mondial ! Vive l’amitié franco-chinoise !

(1) http://www.irtces.org/isi/WebNews_View-en2.asp?WebNewsID=1003

17 réflexions sur « 28 000 rivières chinoises ont disparu »

  1. C’est une situationn effroyable.
    Toute proportion gardée, savez-vous que dans le seul département de l’Ardèche, des dizaines de milliers de retenues collinaires (dont beaucoup sont illégales) empêchent une quantité très importante de l’eau tombée de rejoindre les rivières ?
    C’est une politique agricole soutenue à fond par les élus locaux et la chambre d’agriculture…
    Qu’en est-il dans d’autres départements ?

  2. Pour les moins jeunes, rappelez-vous que Alain Peyreffite avait écrit en 1973: « Quand la Chine s’éveillera ». En 1996, il aurait dit: « la Chine s’est éveillée ». Voilà mais comment, comme vous le savez.

  3. Ceci n’a rien à voir avec l’eau des rivières (ci-dessus) mais aujourd’hui, la Chine se serait octroyée des concessions agricole dans l’est de l’Afrique et rapatrierait les céréales dans le pays.

  4. Ayant un membre très proche dans ma famille qui est allé suffisamment longtemps à Pékin pour un job temporaire m’a assuré que les salariés chinois embauchés par une firme étrangère (celle-ci américaine agro-alimentaire), implantée en Chine travaillaient 1 heure de plus par jour pour le parti communiste!
    Ceci fait donc 9 heures de boulot quotidien + le samedi matin.
    A vous de juger.

  5. à P.P:
    Si vous repassez par là, allez revisiter la rubrique: « Avec tant de retard (sur le loup et les plantes) il y a quelque chose à lire pour vous, membre d’une APN.

  6. Ouh, la belle bleue, whaou, la jolie rouge, et là, la merveilleuse jaune ! Quel feu d’artifice ! Continuons à accélérer droit devant ! Sabrons le champagne et dansons jusqu’à ce que la lumière s’éteigne ! Comment peut-on dans ce monde merveilleux n’avoir qu’une seule idée : arrêter de vomir ?

  7. A ai,

    Et nous, et nous…combien d’heures par tête de pipe pour rembourser « la dette » ?

    Même que certains sont obligés de bosser le dimanche.

    Merci au passage pour la perche !

    😆

  8. à stan:
    bien que l’on se dirige vers le hors sujet, sachez que le gouvernement Walls a l’attention de ponctionner sur la sécu afin de rembourser la dette. (parmi les mesures annoncées)
    C’est fâcheux, non?,
    Là où je suis d’accord: pour l’abolition des heures sup exonérées de charges.
    En somme: la dette est due à l’Euro fort donc par la faute de Bruxelles, la mosaïque de (la grande)
    « bulle de gaz associée ».
    Pour ou contre?

  9. PP, je ne connais pas les retenues colinaires d’Ardeche, mais je crois que si leur fond n’est pas rendu etanche par du plastique ou du beton (et ca m’etonnerait qu’il le soit vu le prix) alors ces retenues colinaires augmentent l’eau coulant dans les cours d’eau au lieu de la reduire. Ceci est du au fait que les rivieres sont principalement alimentees par l’eau souterraine des nappes adjacentes, et tres peu par le ruissellement de surface. Une retenue colinaire (si son fond n’est pas etanche) augmente la percolation, force davantage d’eau a penetrer dans le sous-sol, et augmente l’eau souterraine, qui a son tour alimente les rivieres. Le gain net d’eau est du a la reduction de l’evaporation, qui est tres forte pour l’eau de ruissellement. Ces retenues colinaires sont un dispositif tres ancien en Inde et en Chine (elles s’appellent « Johad » et sont omnipresentes au Rajasthan) ou elles compensent la reduction de percolation du sol lors du changement d’un paysage de foret a un paysage agricole.

    Sinon, ces menaces de « guerre de l’eau » en Asie, leurs economies sont trop interdependantes pour que les pays de la region aient un interet a endommager l’economie de leurs voisins. Il y a des disputes permanentes a propos de barrages entre differents Etats de l’Inde, entre l’Inde et ses voisins, et jusqu’a aujourd’hui ces pays ont toujours trouve un compromis. En revanche, ces « guerres de l’eau » entre Etats qui ne sont toujours pas arrivees, cachent une guerre bien plus reelle, celle de l’Etat qui construit le barrage, au service de sa bourgeoisie, en expropriant, directement (par l’engloutissement des terres) ou indirectement (par la desertification et l’aggavation des inondations catastrophiques engendree par le barrage) la population locale qui va augmenter le proletariat au service de la bourgeoisie qui beneficie seule de l’eau et de l’electricite.

  10. En fait, la collusion entre les faiseur de barrages est telle (a l’image de l’union sacree des Etats Nucleaires) que l’Etat dont la population est victime d’un barrage ne defend en general pas sa population contre l’Etat qui beneficie de ce barrage! Il y a des arrangements qui passent bien au-dessus de la tete de ceux dont les villages sont engloutis… ou irradies!

  11. A Laurent Fournier et à toutes celles et ceux qui
    donnent le lien de textes écrits en anglais

    Serait-il possible d’en donner une traduction en français ? Merci par avance, tout le monde n’est pas anglophone.

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