Faut-il avoir la foi du charbonnier ?

Un peu d’histoire pour commencer. L’église anglicane règne largement sur l’Angleterre. Contrairement à ce qu’on a pu voir chez nous, le schisme d’avec les catholiques ne s’est pas fait autour de querelles théologiques. Plus simplement, plus humainement peut-être, la rupture fut politique. En 1531, Henri VIII envoya promener le pape de Rome, qui lui avait refusé le divorce.

Ainsi, une église. Avec des évêques. Deux d’entre eux, celui de Londres – Richard Chartres – et celui de Liverpool – James Jones – méritent mes applaudissements enthousiastes. Ces deux personnalités anglicanes viennent en effet de suggérer à leurs fidèles un jeûne de carême sans précédent. Pour les mécréants – j’en suis -, cette précision : le carême est une période de 40 jours qui précède Pâques, sans compter les dimanches.

Donc jeûner, pour attendre la résurrection du Christ. Certains se contentent de diminuer la consommation de chocolat, mais d’autres maintiennent la tradition. Chartres et Jones, pour leur part, innovent en demandant un « jeûne carbone ». Il s’agit de diminuer concrètement l’émission personnelle de gaz carbonique. « Par exemple, explique James Jones, le premier jour, les gens peuvent retirer une ampoule électrique d’une lampe. Chaque fois qu’ils voudront allumer la lumière et que ça ne marchera pas, ils se rappelleront pourquoi ils font ce jeûne – pour aider les pauvres du monde. À la fin du jeûne, ils pourront la remplacer par une ampoule à basse consommation ».

D’autres gestes sont, d’après les évêques, de bon aloi : renoncer aux sacs plastique, oublier un jour ou deux le lave-vaisselle, isoler un chauffe-eau, etc. Vous aurez remarqué que Jones parle d’aider les pauvres du monde. En effet, nos évêques sont liés à une fondation humanitaire, Tearfund (www.tearfund.org).

Que penser de cette initiative ? Je sais nombre d’écologistes dont le poil se hérisse dès qu’on prononce le mot de religion. Pas moi. Je n’oublie strictement rien du passé. Rien du martyre des cathares, rien des horribles guerres de religion. Pour m’en tenir à la France. Au-delà, les questions de la prévention du sida, de la contraception, de l’avortement restent ouvertes. Et mieux vaut, ici du moins, ne pas considérer le dossier infernal du Rwanda.

Reste que je trouve l’attitude des évêques anglicans épatante. Je n’ai pas le temps de développer mon point de vue, mais il est organisé autour de trois arguments principaux. Un, les hommes sont les hommes. La formule est éculée, pour la raison qu’elle a beaucoup servi. Pardi ! Dans les temps qui nous sont concédés par la marche effrénée à l’abîme, l’humanité sera cette humanité-là. J’ai trop cru, dans ma jeunesse, à l’idée folle de l’homme nouveau, pour ne pas me montrer prudent avec les coupeurs de têtes. Puis, certains des plus belles personnes que j’ai croisées dans ma vie étaient de grands croyants. Cela m’a fait penser. D’autant que les massacres du passé ont tout autant été le fait d’athées convaincus. Ou de polythéistes acharnés.

Deux, il y a dans la foi un socle. Au rebours de l’individualisme dévorant de nos sociétés, la religion est transcendance. Je ne crois pas en Dieu, mais il me paraît évident que notre planète a besoin de buts plus nobles et plus élevés que la consommation déchaînée. Si l’horizon reste le téléphone portable et la prochaine bagnole, alors, oui, tout est perdu. La seule voie qui me semble aujourd’hui praticable, c’est celle de l’esprit. Et pour le dire plus nettement encore, celle de la spiritualité.

Trois, je cherche, et je ne suis pas le seul, des accélérateurs de la prise de conscience. Il ne peut plus s’agir de convaincre un à un ceux qui s’interrogent déjà. Il faut faire basculer des pans entiers de la population. Du jour ou l’église catholique dirait nettement l’importance de défendre ensemble la Création – ce que je traduis par planète -, des centaines de millions d’humains en seraient encouragés au changement personnel. Et cela vaut pour les musulmans, les juifs et tous autres.

La question est essentielle, et ne devrait pas être abordée aussi rapidement que je le fais. Mais en même temps, un blog est un blog. Je ne doute pas que certains seront en désaccord total. Cela me semble inévitable. Au moins, faites-moi cette grâce : je ne prétends pas avoir raison. Je suis juste certain que la discussion peut nous aider à avancer ensemble. Par-delà nos différences. Bonne journée !

24 réflexions sur « Faut-il avoir la foi du charbonnier ? »

  1. bah mon vieux, c’est courageux . et tellement vrai ! je discute énormément avec des religieux, essentiellement musulmans et chrétiens (je vais même à un colloque protestant sur l’environnement samedi prochain) . Il y a un peu plus d’un milliard de musulmans et quasi autant de chrétiens dans le monde . Si leurs responsables religieux se tournaient vers l’écologie de manière intransigeante(ce qui est le cas depuis au moins vingt ans avec l’église catholique : allez lire les discours papaux sur l’écologie sur le site du vatican, c’est surprenant ), c’est sûr, nous gagnerions beaucoup de temps . la question est : pour quels enjeux nous battons nous ? personnellement et au risque de faire un mauvais jeu de mots , je me fous des querelles de chapelles . je me bats pour la vie et rien d’autre .

  2. désolée, encore moi,mais j’ai fait un gros racourci maladroit : l’église catholique ne s’est évidement pas tourné vers l’écologie de manière intransigeant depuis 20 ans comme nous le savons tous, certains discours papaux l’ont été comme on peut le lire, ce n’est pas la même chose .

  3. D’accord, bien entendu, pour approuver l’initiative de ces deux évêques.
    En revanche, la religion ne suppose pas nécessairement une transcendance, même si du coup on entre dans une zone délicate où l’on risque de la confondre avec l’athéisme. Ecrivant cela, je pense à certaines formes du panthéisme ou au spinozisme où Dieu est la Nature, c’est-à-dire où tout ce qui existe, aussi bien dans l’ordre du « matériel » que du « spirituel », a sa propre valeur. Pour ma part, il me semble y avoir là une alternative aux religions « classiques » (qui sont anthropocentriques pour la plupart) et à l’athéisme mollasson qui domine notre époque, les deux contribuant à leur façon à établir une coupure entre l’humain et ce qui ne l’est pas, coupure qui a sa part, je crois, dans la crise écologique – non ?

  4. Mécréante aussi, profondément athée, je suis quand même encline à penser que les bouddhistes ont une autre vision de la planète et de la nature, et du respect en général. Et, la non-violence est pour moi une valeur essentielle. Du côté du chamanisme aussi, on trouve une grand sagesse humaine. Mais, je ne connais pas ces sujets très bien, loin s’en faut. C’est juste une sensiblité. Et, bien sûr, il y a des hommes bons, des hommes de bon sens partout, religieux ou pas.

  5. Le jeûne, c’est surtout une institution sociale, religieuse ou pas destinée à faire avaler avec la pus grande quiétude les périodes de vaches maigres. Ce n’est pas un hasard si chez nous, il arrive toujours en fin d’hiver, quand il n’y avait plus rien à manger, ni dans les greniers ni ailleurs. Nous sommes encore bien trop gras pour y penser déjà.

  6. @ alain richert oui, c’est aussi vrai, mais ce n’est pas que ça .
    @Bruno , par rapport au fait que Dieu est la nature, et gaia , notamment, je me méfie juste un peu du fait qu’avec cette idée, nous sommes dans notre mère, donc,nous n’en sommes pas sortis, en somme . mais sinon,il y a des pistes spirituelles interessantes partout, tant dans le chamanisme, l’indouisme, le boudhisme, les religions monothéistes et j’en oublie , six milliards d’êtres humains=six milliards de vérités , tant qu’elles conduisent vers la lumière …

  7. Bonjour

    a Sibiu en Roumanie, en septembre 2007, a lieu le 3ieme rassemblement oecumique (catholique, protestant, orthodoxe ..) europeen.

    http://www.eea3.org/

    l’ecologie a ete un des themes abordes. Voici un extrait de la declaration finale :
    « Recommandation VIII : Nous recommandons qu’un processus consultatif soit initié, ensemble avec les Eglises en Europe et avec les Eglises d’autres continents, qui étudie la responsabilité européenne pour la justice écologique, pour faire face à la menace du changement climatique ; la responsabilité européenne pour une juste régulation de la globalisation. »

    tout ca pour dire que ca reflechit de ce cote la.

    A mon avis, il y a vraiment matiere a reflexion, entre foi, rapport a la nature, simplicite … Jean-Marie Pelt en a mal parle deja. La « creation » est souvent vue comme un jardin dont l’homme serait responsable. A lui d’entretenir et de conserver la beaute et la richesse de ce jardin.

    Cela dit, on rencontrera toujours des gens, qui reussiront a justifier les pires conneries (sur les humains ou la nature) par la religion. Hier comme aujourd’hui …

    Pour en revenir a ce que j’essayais d’exprimer dans mes precedents messages, comme on croise une belle action ecolo, ca remonte le moral, l’espoir, la foi (?) que tout n’est pas si moche. Je ne vois trop quelle autre attitude adoptee, en fait, face a ce qui ressemble de plus en plus a une sacre urgence ecologique …

    encore merci pour ce blog et merci d’avoir ouvert ce debat.

  8. coquilles dans le dernier paragraphe
    « quand on croise une belle action .. »
    « une sacree urgence … »

    desole pour les accents, y’en pas sur mon clavier …

  9. @ jean-christophe , des adorateurs de Diogène ? Plus sérieusement, le jeûne n’est pas qu’une constante chrétienne et se retrouve dans la pluspart des religions .
    @ JG, bien-sûr que ça bouge de ce côté là , dans la genèse, il ya deux versions datées de deux époques différentes , une en effet où Dieu nomme l’homme comme le gardien de la création, l’autre, plus tardive et politique où l’homme maitre de la création doit la soumettre. mais cette notion peut être relativisée par les chrétiens par le fait que le maitre qu’il connaisse est Jésus , qui a lavé les pieds de ses serviteurs . par ailleurs, dans la religion juive, la création a été chantée dans les psaumes, sa beauté étant le témoignage de la grandeur de Dieu, bref, tout ça se discute, et s’étudie .En tout cas, ce sont des visions du monde dans lequel nous vivons.

  10. A Bénédicte (entre autres) : « nous sommes dans notre mère, donc nous n’en sommes pas sortis » ? Non, je ne crois pas qu’il y ait un engendrement, une origine des choses (ou alors en permanence et dans tous les sens) et par conséquent le problème d’en sortir ne se pose pas mais plutôt celui d’y être.

  11. oui, sauf qu’au niveau symbolique..je rejoins davantage la culture amérindienne, et la vision de la terre mère telle qu’elle y est décrite me convient . En ce sens , je me sens plutôt élément de la nature, soeur des êtres vivants (j’inclue la pierre), faite de terre, donc de poussière d’étoile.

  12. à Bruno toujours . bien-sûr, c’est une partie de mon point de vue et elle n’engage que moi, mais comme je m’interesse aussi au étoiles, la terre fait donc partie d’un système solaire , dans une galaxie, dans l’univers que nous connaissons via hubble (entre autre) et qui est , aux dernières nouvelles, en expantion de manière élliptique, ce mouvement élliptique, on le retrouve jus’aux particules composant l’atome , il y a donc des constantes de mouvements au sens occupation de l’espace et de temps . bien-sûr, nous voyons la matière, mais la vie semble résider dans ce que nous ne voyons pas : le mouvement (la pensée en fait elle partie et dans quelle dimension ?) Comme il existe quelque chose, il y a certainement un principe fondateur , qui a toujours été ? c’est ce que je crois . Après le pourquoi et le comment des choses, nous avons tous nos sensibilités, nos histoires ….pour moi, aller dans le sens de la vie nécessite de l’écoute, de l’humilité, de la délicatesse, c’est un travail de philosophe en somme!

  13. Merci, Bénédicte, pour tes réponses. Que l’Homme, croyant ou pas, ne s’estime pas au-dessus du reste du monde, ce serait déjà pas mal en termes d’attitude, surtout par les temps qui courent (à leur perte ?). Quand on voit en été, par exemple, des plages jonchées de détritus chaque soir – bien sûr, ça donne du travail aux Maghrébins du service municipal…

  14. @ bruno, heu oui, l’homme qui se croit au-dessus de la mélée croit surtout en son égo (ou n’y croit pas assez d’ailleurs, on retrouve pas mal de complexés chez les intégristes au nord, et de désespéres, au sud…). les plages jonchées de détritus, c’est un prob bien-sûr, les personnes d’origine maghrébines embauchées davantage pour des petits emplois que des postes à responsabilités en est un autre(la pluspart de mes amis arabes ou d’origine, ont émigrés à londres pour trouver du boulot, d’autres comme un de mes meilleurs amis, créent leurs emplois, puiqu’on ne leur en propose pas à la hauteur de leurs compétences)quoique c’est en train de changer dans certains secteurs (médecine) , mais j’ai du mal à voir le raccourci que tu fais entre ces problèmes de société et ce que j’ai évoqué , sur le fond, je pense que nous sommes d’accord : religion ou pas , l’essentiel est d’aller dans le sens de la vie (et apprendre à le faire peut nécessiter du temps, d’ou la notion, travail de philosophe)

  15. Ce que j’ai voulu dire, c’est qu’il faut respecter ce monde au lieu de le prendre pour un outil ou un décor (un « environnement ») et, dans l’exemple que je donnais, il y a mépris envers la nature (la plage souillée, même quand les poubelles sont deux pas) et envers ceux qui viendront nettoyer derrière, même si cette activité leur permet d’obtenir un maigre salaire. Est-ce plus clair ?

  16. N »est-ce pas un peu crédule de croire que les évêques et autres prédicateurs religieux seront sincères sur ce sujet ? La fortune de l’église et les miséreux, le comportement de la hierarchie catholique durant la seconde guerre mondiale en Europe, les coalitions entre pouvoir et religion dans le monde musulman et ailleurs sont des réalités historiques et,selon moi, pas prêtes à cesser prochainement même si la fin du monde (ou de l’humanité est proche).
    Fabrice vous êtes intellectuellement intrangiseant et c’est formidable mais à chaque fois qu’on aborde la question des solutions, ce ne m’y retrouve pas.
    N’est-ce pas « naïf » de mettre vos espoirs dans les vedettes médiatiques que sont Nicolas Hulot, Serge Orru WWF avant de s’apercevoir que comme Pierre Radame, ils sont ambivalents et pas si intrangiseant et par voie de conséquence extrêment décevants.

  17. Dieu….

    aurait donc le dernier mot?…. j’ai été tenté de ne rien écrire d’autre que ‘dieu’ pour que le message soit largement aussi explicite.

    le gag comme l’a rappelé Voltaire, c’est que dieu a fait l’homme à son image, et d’ajouter que ce dernier… le lui a bien rendu.

    Et que faisait dieu avant la Création qu’il s’agirait de respecter?

  18. Et bien, je n’avais pas encore lu cet article.
    Le chrétien que je suis a bien envie de le classer dans le peloton de tête de mes deux ou trois articles préférés que Fabrice nous a demandés de repérer…

    Pourquoi celui-ci ? En raison de la sagesse et de l’ouverture d’esprit, le respect qui en émane. J’ai tellement l’habitude d’en prendre plein la figure par certains écolos…

    Pour mémoire, sa demande :
    http://fabrice-nicolino.com/index.php/?p=1867

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