Puisqu’il faut parler du cancer (2)

Je suis récidiviste en bien des domaines. Même à propos de cette terrible question du cancer, évoquée hier ici. Je souhaite en effet ajouter deux informations qui complèteront mon interrogation sur les liens possibles et probables entre la dégradation de la santé des humains et l’amoncellement de polluants partout sur terre.

La première info concerne le Vietnam. J’ai défendu lorque j’étais jeune le droit de ce peuple à vivre sans les Américains. Je le referais, mais plus difficilement. Dès cette lointaine époque, je critiquais durement les staliniens qui ont mené ce noble combat. Dieu sait ! Mais ma naïveté, trop réelle, me faisait croire que ces staliniens-là l’étaient moins que d’autres, ce qui s’est révélé faux. Je plains depuis ce peuple héroïque, qui non content d’avoir combattu trente ans les soldats français, puis les troupes américaines, supporte en outre un pouvoir totalitaire.

En tout cas, l’Amérique vertueuse mena dans l’ancienne Indochine, entre 1960 et 1975, une guerre ignoble, dont l’un des buts vrais fut la destruction de la forêt tropicale sous laquelle se cachaient les combattants vietcongs et ceux de l’armée du Nord. Les barbares épandirent notamment un herbicide, l’Agent orange, qui contenait de la dioxine. Trois millions de Vietnamiens souffriraient encore des effets de ce crime de guerre.

Combien de cancéreux parmi eux ? Qui ont attrapé cette maladie à cause de l’Agent orange ? Nul ne peut le dire. Beaucoup semble le mot le plus raisonnable. Mais pas pour la justice américaine. Ceux qui lisent l’anglais se rapporteront à cette dépêche de l’agence Reuters : www.reuters.com. Ce que je peux dire aux autres est simple : une cour d’appel américaine vient de rejeter la plainte de malades vietnamiens, trente-cinq à quarante ans après les faits, contre Dow Chemical, Monsanto et 30 autres industriels. Pour la Cour, il n’y a pas de preuve scientifique d’un lien entre épandage du poison et maladies multiples, dont le cancer.

Et en effet, ce lien formel ne semble pas pouvoir être établi. Pas directement en tout cas. Pas sur la base d’une étude épidémiologique construite selon des critères acceptables aux États-Unis. Les gens meurent du cancer, c’est tout. Cela rappelle d’autres cieux. La plainte des Vietnamiens ira probablement devant la Cour suprême.
Autre histoire aussi folle : Huelva, capitale de la fraise industrielle d’Espagne. Cette ville touche l’ancien delta du Guadalquivir, un marais géant qui fut l’une des vraies merveilles de la planète, Doñana. Même aujourd’hui, Doñana reste un lieu renversant de beauté, où j’ai eu la chance d’aller il y a peu. L’aigle ibérique y voisine avec les derniers lynx de la péninsule.

Huelva, donc. Cette ville a, pour son malheur, été choisie par Francisco Paulino Hermenegildo Teódulo Franco y Bahamonde. Franco, oui, cette ganache a décidé en 1964 que Huelva serait dotée d’un complexe chimique. Façon Porto-Marghera, à Venise. Ou Fos-sur-mer en France. Je ne peux vous raconter l’histoire entière, si folle, et renvoie ceux qui lisent le castillan au remarquable site d’une association espagnole, Mesa de la Ría : www.mesadelaria.org. Tout y est.

Huelva est, sur le plan de la santé, une ville singulière. Diverses études, dont celles menées par le professeur Joan Benach, de l’université Pompeu Fabra de Barcelone, montrent que le triangle formé par Séville, Huelva et Cadix concentre les cancers. Il y aurait un taux de mortalité par cancer supérieur de 25 % à la moyenne nationale dans la province de Huelva.

Serait-ce la faute du polo químico de la ville, qui empuantit son air depuis quarante ans ? De l’infernale décharge de déchets ultratoxiques et radioactifs de 1200 hectares, à 1 kilomètre du centre urbain et 400 mètres du marais de l’Odiel, classé réserve de la biosphère par l’Unesco ? De la pollution gravissime des eaux et des sols par l’une des agricultures les plus folles du monde, qui entoure et encercle Huelva ? D’un mélange de tout cela ?

Le professeur Benach, depuis qu’il a publié ses études, est vilipendé par tout ce que l’Andalousie compte d’officiels, qui du Parti populaire (droite), qui du PSOE (gauche). Il ne faut pas dire du mal de cette région, le tourisme et les exportations de fraise ne peuvent le supporter. Interrogé par le quotidien El Mundo le 27 mars 2005, il déclare : « Notre étude ne porte pas sur un échantillon. Nous avons analysé le cas de plusieurs millions de morts, pendant des années et dans le détail ». Oui mais, et les affaires ?

La directrice générale de la Santé publique d’Andalousie, Josefa Ruiz, a réglé la question à l’automne 2007 en déclarant aun quotidien El País : « Il n’y a pas de relation entre la mortalité dans la zone et les problèmes d’environnement ». Je dois ajouter que cette bonne personne s’appuie sur sept études – que je n’ai pas regardées – réalisées depuis 2003.

Qui a raison ? Je vous pose la question comme je la pose, sincèrement. De mon point de vue, tout penche du côté d’un lien de cause à effet. Réellement tout. Et il est bien certain qu’on ne trouve jamais que ce qu’on cherche réellement. Mais au-delà, bien au-delà de ces considérations, je me permets de rappeler une évidence. La vérité sur la contamination générale – quelle qu’elle puisse être – n’a pas été établie. Il est possible qu’elle soit moins épouvantable que ce que je crains. Mais elle reste de toute manière dans les limbes, parce que tous les pouvoirs ont intérêt à ce que les études globales, générales, approfondies ne soient pas entreprises.

Le procès mondial de la chimie de synthèse reste à faire. S’il en est ainsi, c’est qu’un tel événement ébranlerait ce monde dans ses fondations mêmes. Bâtir un début de consensus dans ce domaine – voyez l’amiante ou le tabac – relève d’une périlleuse construction sociale. Faite essentiellement de combats. Nous n’en sommes qu’au début.

8 réflexions sur « Puisqu’il faut parler du cancer (2) »

  1. bonjour

    il va falloir egalement se poser un jour la question de l’influence de la « malbouffe » sur les maladies du systeme digestif. Ca n’a pas l’air d’etre brillant de ce cote la non plus …
    Pour changer radicalement l’agroalimentaire, y a du boulot aussi !

    JG

  2. la malbouffe, la polution des logements, ect . La chimie industrielle est à tous les niveaux de nos vies, partout , et le corps humain ainsi que les autres organismes vivants, ne semblent pas avoir le temps de les intégrer.
    je rappelle qu’en ce qui concerne des pays comme le cambodge, le Vietnam, on a toujours la possibilité de soutenir des asso comme « handicap international », ou de parrainer un enfant (donc sa famille entière) ou une école, un hopital, ect via « enfants du mékong » . des enfants naissent toujours victimes de malformations .

  3. Le fait que, dans notre vie, nous soyons exposés à toutes sortes de pollutions constitue d’ailleurs l’une des façons les plus commodes de noyer le poisson…

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