Je sers juste de support à ce texte magnifique publié sur l’excellent site de Sciences critiques.
Réflexions : Allons-nous continuer la recherche scientifique ?
Mort en novembre 2014, Alexandre Grothendieck (1928 – 2014) était considéré, par nombre de ses pairs, comme le plus grand mathématicien du XXème siècle. Médaille Fields 1966, il était le co-fondateur du mouvement de scientifiques critiques « Survivre et Vivre » qui édita la première revue d’écologie politique française éponyme (août 1970-juin 1975). Nous publions un texte de réflexion qui interpelle fondamentalement chacun-e de nous sur la raison d’être, l’essence et la finalité de la science et de la recherche scientifique. Et celles de nos choix, de nos pensées et de nos comportements.
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Au début, nous pensions qu’avec des connaissances scientifiques, en les mettant à la disposition de suffisamment de monde, on arriverait à mieux appréhender une solution des problèmes qui se posent. Nous sommes revenus de cette illusion. Nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissances scientifiques, d’un supplément de techniques, mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation.
LE 27 JANVIER 1972, au Centre Européen de Recherches Nucléaires (CERN), citadelle d’une recherche de pointe, des centaines de techniciens et de physiciens se pressent pour écouter Alexandre Grothendieck.Célèbre pour ses travaux mathématiques, ce dernier l’est aussi, depuis peu, pour ses vigoureuses prises de position antimilitaristes et antinucléaires. Celui qui, un an et demi auparavant, a démissionné de son institut de recherche, pour cause de financements militaires, est devenu un professionnel de la subversion au sein des institutions scientifiques.
Sa conférence au CERN, « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? », développe son thème de prédilection, sur lequel on le sollicite de toutes parts, des écoles d’ingénieurs de province aux plus prestigieux laboratoires nationaux.
Loin d’une grande conférence théorique, sa prise de parole, pourtant, ne vise qu’à ouvrir le débat (1). Répondant aux règles de l’art de l’après-Mai 68, elle débute par « quelques mots personnels » qui interpellent les « travailleurs scientifiques » sur leur responsabilité professionnelle (2). L’autocritique de l’un des plus grands savants du XXème siècle se révèle alors édifiante.
Après une enfance et une adolescence hors normes – de l’Allemagne hitlérienne aux camps français de réfugiés espagnols –, le jeune Grothendieck s’est jeté à corps perdu dans la recherche mathématique. Rejoignant le groupe Bourbaki, qui ambitionne d’unifier et de refonder « la » mathématique sur des bases axiomatiques extrêmement formalisées, il embrasse sa conception d’une « recherche pure », dégagée de toute application matérielle. À l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES), fondé pour lui en 1958 et dont il fait la renommée mondiale, il répugne à toute collaboration avec des physiciens. Bâtisseur de nouveaux espaces mathématiques, il préfère, à la résolution de problèmes connus, l’édification de nouveaux (3).
« Un professionnel de la subversion au sein des institutions scientifiques, qui entreprend, après la guerre du Viêt Nam, de moraliser les chercheurs. »
Grand parmi les grands, il vit confortablement dans un petit « ghetto scientifique » (dira-t-il ensuite), partageant avec Jean Dieudonné, son plus proche collaborateur, une idéologie extrêmement élitiste (4) – que Mai-68 n’ébranlera que très partiellement.Le basculement pour Grothendieck provient de la guerre du Viêt Nam. La science y tue par centaines de milliers. Face à la compromission de la quasi-totalité des disciplines scientifiques ? physique, chimie, microélectronique, anthropologie, etc. ?, qui trouvent au Viêt Nam un champ d’expérimentation grandeur nature, il entreprend de moraliser les chercheurs.
Puis, l’été 1970, il découvre les mouvements de scientifiques nord-américains en lutte contre le complexe scientifico-militaro-industriel. Sur un modèle proche, il fonde le mouvement Survivre qui se donne comme objectifs de dégager la recherche de ses liens avec l’armée et de lutter pour la survie de l’espèce humaine, menacée par la puissance de destruction des technosciences. (5)
À Survivre, où il est rejoint par d’autres mathématiciens aux sensibilités plus libertaires, il prend conscience du rôle oppressif qu’il a tenu jusque-là en tant que grand savant. Intégrant la critique soixante-huitarde, il analyse la recherche comme une activité répressive, tant pour les techniciens et les « scientifiques moyens » que pour les profanes.
Pour Survivre, la prétention de la science à l’universalité, son monopole sur la vérité, dépossèdent en effet tout un chacun de formes de connaissances autres, détruisant les cultures non technico-industrielles et nous soumettant à l’autorité hétéronome d’experts de tous poils. Le mouvement s’attache alors à désacraliser la science, et tout particulièrement à déconstruire le mythe de la science pure, qui masque son rôle crucial dans la poursuite d’un développement industriel désastreux.
« Lutter pour la survie de l’espèce humaine, menacée par la puissance de destruction des technosciences.«
Survivre, devenu « Survivre et Vivre », participe de l’émergence en France d’une critique radicale de la science, menée par les scientifiques eux-mêmes (6), au sein de laquelle il se signale par ses accents écologistes, libertaires et technocritiques (7). Sa critique du scientisme s’ancre en effet dans celle de la société industrielle et l’amène à se lier aux mouvements écologistes naissants. Au petit groupe de scientifiques parisiens s’adjoignent alors des groupes de province engagés dans des luttes et alternatives locales, tandis que les numéros de sa revue, Survivre… et Vivre, tirés à plus de 10 000 exemplaires, s’épuisent rapidement.Aux côtés de son ami Pierre Fournier, Grothendieck s’investit tout particulièrement dans la lutte antinucléaire. Son invitation au CERN témoigne alors de l’écho rencontré durant les années 1970 par ses critiques radicales de la recherche dans les milieux scientifiques, traversés par le doute et un profond malaise quant à leur rôle social.
Céline Pessis
Coordinatrice éditoriale de l’ouvrage collectif « Survivre et Vivre ». Critique de la science, naissance de l’écologie (L’Échappée, février 2014).
Ci-dessous, trois enregistrements sonores de l’intervention d’Alexandre Grothendieck ? et des débats qui ont suivi ? au Centre Européen de Recherches Nucléaires (CERN), à Genève (Suisse), le 27 janvier 1972, ainsi que la transcription complète de la conférence donnée par le mathématicien. (8)
Dekkers : – Mesdames et messieurs, bonsoir. Dans nos cycles de conférences, depuis dix ans que nous les organisons, nous avons périodiquement demandé à des scientifiques de venir nous faire des réflexions sur la science, sur la responsabilité du savant et je crois que c’est particulièrement nécessaire de le faire parce que nous avons un peu tendance au CERN à nous prendre pour des gens extraordinaires qui font des choses théoriques pas dangereuses du tout, au sein d’une collaboration européenne exceptionnelle. Alors, toujours pris par ces belles idées, on a un peu trop tendance peut-être à s’en satisfaire et à ne pas se poser de questions plus profondes. C’est justement pour aller un peu plus loin qu’il est utile d’avoir des conférenciers comme M. Grothendieck que nous avons ce soir et auquel je cède immédiatement la parole.
Alexandre Grothendieck : – Je suis très content d’avoir l’occasion de parler au CERN. Pour beaucoup de personnes, dont j’étais, le CERN est une des quelques citadelles, si l’on peut dire, d’une certaine science, en fait d’une science de pointe : la recherche nucléaire (9). On m’a détrompé. Il paraît qu’au CERN – le Centre Européen de Recherches Nucléaires –, on ne fait pas de recherches nucléaires. Quoi qu’il en soit, je crois que dans l’esprit de beaucoup de gens, le CERN en fait.
« Qu’une recherche de pointe soit associée à une véritable menace à la survie de l’humanité, une menace même à la vie tout court sur la planète, ce n’est pas une situation exceptionnelle, c’est une situation qui est de règle. Cette menace à la survie ne se poserait pas si l’état de notre science était celle de l’an 1900.«
La recherche nucléaire est indissolublement associée, pour beaucoup de gens également, à la recherche militaire, aux bombes A et H et, aussi, à une chose dont les inconvénients commencent seulement à apparaître : la prolifération des centrales nucléaires. En fait, l’inquiétude qu’a provoquée depuis la fin de la dernière guerre mondiale la recherche nucléaire s’est un peu effacée à mesure que l’explosion de la bombe A sur Hiroshima et Nagasaki s’éloignait dans le passé. Bien entendu, il y a eu l’accumulation d’armes destructives du type A et H qui maintenait pas mal de personnes dans l’inquiétude. Un phénomène plus récent, c’est la prolifération des centrales nucléaires qui prétend répondre aux besoins croissants en énergie de la société industrielle. Or, on s’est aperçu que cette prolifération avait un certain nombre d’inconvénients, pour employer un euphémisme, « extrêmement sérieux » et que cela posait des problèmes très graves.
Qu’une recherche de pointe soit associée à une véritable menace à la survie de l’humanité, une menace même à la vie tout court sur la planète, ce n’est pas une situation exceptionnelle, c’est une situation qui est de règle. Depuis un ou deux ans que je commence à me poser des questions à ce sujet, je me suis aperçu que, finalement, dans chacune des grandes questions qui actuellement menacent la survie de l’espèce humaine, ces questions ne se poseraient pas sous la forme actuelle, la menace à la survie ne se poserait pas si l’état de notre science était celle de l’an 1900, par exemple. Je ne veux pas dire par là que la seule cause de tous ces maux, de tous ces dangers, ce soit la science. Il y a bien entendu une conjonction de plusieurs choses ; mais la science, l’état actuel de la recherche scientifique, joue certainement un rôle important.
Tout d’abord, je pourrais peut-être dire quelques mots personnels. Je suis un mathématicien. J’ai consacré la plus grande partie de mon existence à faire de la recherche mathématique. En ce qui concerne la recherche mathématique, celle que j’ai faite et celle qu’ont faite les collègues avec lesquels j’ai été en contact, elle me semblait très éloignée de toute espèce d’application pratique. Pour cette raison, je me suis senti pendant longtemps particulièrement peu enclin à me poser des questions sur les tenants et les aboutissants, en particulier sur l’impact social, de cette recherche scientifique. Ce n’est qu’à une date assez récente, depuis deux ans, que j’ai commencé comme cela, progressivement, à me poser des questions à ce sujet.
La chose extraordinaire est de voir à quel point mes collègues sont incapables de répondre à la question « Pourquoi faisons-nous de la recherche scientifique ? ». En fait, pour la plupart d’entre eux, cette question est simplement si étrange, si extraordinaire, qu’ils se refusent même de l’envisager.
Je suis arrivé ainsi à une position où, depuis un an et demi en fait, j’ai abandonné toute espèce de recherche scientifique. À l’avenir, je n’en ferai que le strict nécessaire pour pouvoir subvenir à mes besoins puisque, jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas d’autre métier que mathématicien. Je sais bien que je ne suis pas le seul à m’être posé ce genre de question. Depuis une année ou deux, et même depuis les derniers mois, de plus en plus de personnes se posent des questions clés à ce sujet. Je suis tout à fait persuadé qu’au CERN également beaucoup de scientifiques et de techniciens commencent à se les poser. En fait, j’en ai rencontré. En outre, moi-même et d’autres connaissons des personnes, au CERN par exemple, qui se font des idées « extrêmement sérieuses » au sujet des applications dites pacifiques de l’énergie nucléaire, mais qui n’osent pas les exprimer publiquement de crainte de perdre leur place. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une atmosphère qui serait spéciale au CERN. Je crois que c’est une atmosphère qui prévaut dans la plupart des organismes universitaires ou de recherche, en France, en Europe, et même, dans une certaine mesure, aux États-Unis où les personnes qui prennent le risque d’exprimer ouvertement leurs réserves, même sur un terrain strictement scientifique, sur certains développements scientifiques, sont quand même une infime minorité.
Ainsi, depuis un an ou deux, je me pose des questions. Je ne les pose pas seulement à moi-même. Je les pose aussi à des collègues et, tout particulièrement depuis plusieurs mois, six mois peut-être, je profite de toutes les occasions pour rencontrer des scientifiques, que ce soit dans les discussions publiques comme celle-ci ou en privé, pour soulever ces questions. En particulier : « Pourquoi faisons-nous de la recherche scientifique ? » Une question qui est pratiquement la même peut-être, à longue échéance du moins, que la question : « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? »
« La chose extraordinaire est de voir à quel point mes collègues sont incapables de répondre à cette question. En fait, pour la plupart d’entre eux, cette question est simplement si étrange, si extraordinaire, qu’ils se refusent même de l’envisager. En tout cas, ils hésitent énormément à donner une réponse quelle qu’elle soit. Lorsqu’on parvient à arracher une réponse dans les discussions publiques ou privées, ce qu’on entend généralement c’est, par ordre de fréquence des réponses : « La recherche scientifique ? J’en fais parce que ça me fait bien plaisir, parce que j’y trouve certaines satisfactions intellectuelles. » Parfois, les gens disent : « Je fais de la recherche scientifique parce qu’il faut bien vivre, parce que je suis payé pour cela. »
En ce qui concerne la première motivation, je peux dire que c’était ma motivation principale pendant ma vie de chercheur. Effectivement, la recherche scientifique me faisait bien plaisir et je ne me posais guère de questions au-delà. En fait, si cela me faisait plaisir, c’était en grande partie parce que le consensus social me disait que c’était une activité noble, positive, une activité qui valait la peine d’être entreprise ; sans du tout, d’ailleurs, détailler en quoi elle était positive, noble, etc. Évidemment, l’expérience directe me disait que, avec mes collègues, nous construisions quelque chose, un certain édifice. Il y avait un sentiment de progression qui donnait une certaine sensation d’achevement… de plénitude disons, et, en même temps, une certaine fascination dans les problèmes qui se posaient.
« La production scientifique, comme n’importe quel autre type de production dans la civilisation ambiante, est considérée comme un impératif en soi. Dans tout ceci, la chose remarquable est que, finalement, le contenu de la recherche passe entièrement au second plan. »
Mais tout ceci, finalement, ne répond pas à la question : « À quoi sert socialement la recherche scientifique ? » Parce que, si elle n’avait comme but que de procurer du plaisir, disons, à une poignée de mathématiciens ou d’autres scientifiques, sans doute la société hésiterait à y investir des fonds considérables – en mathématiques ils ne sont pas très considérables, mais dans les autres sciences, ils peuvent l’être. La société hésiterait aussi sans doute à payer tribut à ce type d’activité ; tandis qu’elle est assez muette sur des activités qui demandent peut-être autant d’efforts, mais d’un autre type, comme de jouer aux billes ou des choses de ce goût-là. On peut développer à l’extrême certaines facilités, certaines facultés techniques, qu’elles soient intellectuelles, manuelles ou autres, mais pourquoi y a-t-il cette valorisation de la recherche scientifique ? C’est une question qui mérite d’être posée.
En parlant avec beaucoup de mes collègues, je me suis aperçu au cours de l’année dernière qu’en fait cette satisfaction que les scientifiques sont censés retirer de l’exercice de leur profession chérie, c’est un plaisir… qui n’est pas un plaisir pour tout le monde ! Je me suis aperçu avec stupéfaction que pour la plupart des scientifiques, la recherche scientifique était ressentie comme une contrainte, comme une servitude. Faire de la recherche scientifique, c’est une question de vie ou de mort en tant que membre considéré de la communauté scientifique. La recherche scientifique est un impératif pour obtenir un emploi, lorsqu’on s’est engagé dans cette voie sans savoir d’ailleurs très bien à quoi elle correspondait. Une fois qu’on a son boulot, c’est un impératif pour arriver à monter en grade. Une fois qu’on est monté en grade, à supposer même qu’on soit arrivé au grade supérieur, c’est un impératif pour être considéré comme étant dans la course. On s’attend à ce que vous produisiez.
« Mais pourquoi y a-t-il cette valorisation de la recherche scientifique ? C’est une question qui mérite d’être posée. »
La production scientifique, comme n’importe quel autre type de production dans la civilisation ambiante, est considérée comme un impératif en soi. Dans tout ceci, la chose remarquable est que, finalement, le contenu de la recherche passe entièrement au second plan. Il s’agit de produire un certain nombre de « papiers ». Dans les cas extrêmes, on va jusqu’à mesurer la productivité des scientifiques au nombre de pages publiées. Dans ces conditions, pour un grand nombre de scientifiques, certainement pour l’écrasante majorité, à l’exception véritablement de quelques-uns qui ont la chance d’avoir, disons, un don exceptionnel ou d’être dans une position sociale et une disposition d’esprit qui leur permettent de s’affranchir de ces sentiments de contrainte, pour la plupart la recherche scientifique est une véritable contrainte qui tue le plaisir que l’on peut avoir à l’effectuer.
C’est une chose que j’ai découverte avec stupéfaction parce qu’on n’en parle pas. Entre mes élèves et moi, je pensais qu’il y avait des relations spontanées et égalitaires. En fait, c’est une illusion dans laquelle j’étais enfermé ; sans même que je m’en aperçoive, il y avait une véritable relation hiérarchique. Les mathématiciens qui étaient mes élèves ou qui se considéraient comme moins bien situés que moi et qui ressentaient, disons, une aliénation dans leur travail, n’auraient absolument pas eu l’idée de m’en parler avant que, de mon propre mouvement, je quitte le ghetto scientifique dans lequel j’étais enfermé et que j’essaie de parler avec des gens qui n’étaient pas de mon milieu ; ce milieu de savants ésotériques qui faisaient de la haute mathématique.
» Je connais un certain nombre de mathématiciens qui sont devenus fous. »
Pour illustrer ce point, j’aimerais donner ici un exemple très concret. Je suis allé, il y a deux semaines, faire un tour en Bretagne. J’ai eu l’occasion, entre autres, de passer à Nantes où j’ai vu des amis, où j’ai parlé dans une Maison des Jeunes et de la Culture (MJC) sur le genre de problèmes que nous abordons aujourd’hui. J’y étais le lundi. Comme les collègues de l’université de Nantes étaient avertis de ma venue, ils avaient demandé in extremis que je vienne, le lendemain après-midi, pour faire une causerie sur des sujets mathématiques avec eux. Or il s’est trouvé que, le jour même de ma venue, un des mathématiciens de Nantes, M. Molinaro, s’est suicidé. Donc, à cause de cet incident malheureux, la causerie mathématique qui était prévue a été annulée. Au lieu de ceci, j’ai alors contacté un certain nombre de collègues pour demander s’il était possible que l’on se réunisse pour parler un peu de la vie mathématique à l’intérieur du département de mathématiques à l’université et pour parler également un peu de ce suicide. Il y a eu une séance extrêmement révélatrice du malaise général, cet après-midi-là à Nantes, où manifestement tout le monde présent – avec une exception je dirais – sentait bien clairement que ce suicide était lié de très près au genre de choses que, précisément, on discutait la veille au soir à la MJC.
En fait, je donnerai peut-être un ou deux détails. Il s’est trouvé que Molinaro avait deux thésards auxquels il faisait faire des thèses de troisième cycle – je crois que ce n’étaient pas des thèses d’État. Or, ces thèses furent considérées comme n’étant pas de valeur scientifique suffisante. Elles furent jugées très sévèrement par Dieudonné qui est un bon collègue à moi et avec lequel j’ai écrit un gros traité de géométrie algébrique. Je le connais donc très bien, c’est un homme qui a un jugement scientifique très sûr, qui est très exigeant sur la qualité d’un travail scientifique. Ainsi, alors que ces thèses étaient discutées par la commission pour l’inscription sur la liste d’aptitude aux fonctions de l’enseignement supérieur, il les a saquées et l’inscription a été refusée. Ceci, bien entendu, a été ressenti comme une sorte d’affront personnel par Molinaro qui avait déjà eu des difficultés auparavant et il s’est suicidé sur ces circonstances. En fait, j’ai eu un ami mathématicien, qui s’appelait Terenhöfel, qui s’est également suicidé. Je connais un certain nombre de mathématiciens – je parle surtout ici de mathématiciens puisque c’est le milieu que j’ai le mieux connu – qui sont devenus fous.
Je ne pense pas que cela soit une chose propre aux mathématiques. Je pense que le genre, disons, d’atmosphère qui prévaut dans le monde scientifique, qu’il soit mathématique ou non, une sorte d’atmosphère à l’air extrêmement raréfié, et la pression qui s’exerce sur les chercheurs sont pour beaucoup dans l’évolution de ces cas malheureux.
« je pense même que la science la plus désintéressée qui se fait dans le contexte actuel, et même la plus éloignée de l’application pratique, a un impact extrêmement négatif. »
Ceci concernant le plaisir que nous prenons à faire de la recherche scientifique. Je crois qu’il peut y avoir plaisir, mais je suis arrivé à la conclusion que le plaisir des uns, le plaisir des gens haut placés, le plaisir des brillants, se fait aux dépens d’une répression véritable vis-à-vis du scientifique moyen.
Un autre aspect de ce problème qui dépasse les limites de la communauté scientifique, de l’ensemble des scientifiques, c’est le fait que ces hautes voltiges de la pensée humaine se font aux dépens de l’ensemble de la population qui est dépossédée de tout savoir. En ce sens que, dans l’idéologie dominante de notre société, le seul savoir véritable est le savoir scientifique, la connaissance scientifique, qui est l’apanage sur la planète de quelques millions de personnes, peut-être une personne sur mille. Tous les autres sont censés « ne pas connaître » et, en fait, quand on parle avec eux, ils ont bien l’impression de « ne pas connaître ». Ceux qui connaissent sont ceux qui sont là-haut, dans les hautes sciences : les mathématiciens, les scientifiques, les très calés, etc.
Donc, je pense qu’il y a pas mal de commentaires critiques à faire sur ce plaisir que nous retourne la science et sur ses à-côtés. Ce plaisir est une sorte de justification idéologique d’un certain cours que la société humaine est en train de prendre et, à ce titre, je pense même que la science la plus désintéressée qui se fait dans le contexte actuel, et même la plus éloignée de l’application pratique, a un impact extrêmement négatif.
C’est pour cette raison que, personnellement, je m’abstiens actuellement, dans toute la mesure du possible, de participer à ce genre d’activités. Je voudrais préciser la raison pour laquelle au début j’ai interrompu mon activité de recherche : c’était parce que je me rendais compte qu’il y avait des problèmes si urgents à résoudre concernant la crise de la survie que ça me semblait de la folie de gaspiller des forces à faire de la recherche scientifique pure. (10)
« J’ai interrompu mon activité de recherche parce que je me rendais compte qu’il y avait des problèmes si urgents à résoudre concernant la crise de la survie que ça me semblait de la folie de gaspiller des forces à faire de la recherche scientifique pure. »
Au moment où j’ai pris cette décision, je pensais consacrer plusieurs années à faire de la recherche, à acquérir certaines connaissances de base en biologie, avec l’idée d’appliquer et de développer des techniques mathématiques, des méthodes mathématiques, pour traiter des problèmes de biologie. C’est une chose absolument fascinante pour moi et, néanmoins, à partir du moment où des amis et moi avons démarré un groupe qui s’appelle Survivre, pour précisément nous occuper des questions de la survie, à partir de ce moment, du jour au lendemain, l’intérêt pour une recherche scientifique désintéressée s’est complètement évanoui pour moi et je n’ai jamais eu une minute de regrets depuis.
Il reste la deuxième motivation : la science, l’activité scientifique, nous permet d’avoir un salaire, nous permet de vivre. C’est en fait la motivation principale pour la plupart des scientifiques, d’après les conversations que j’ai pu avoir avec un grand nombre d’entre eux. Il y aurait aussi pas mal de choses à dire sur ce sujet. En particulier, pour les jeunes qui s’engagent actuellement dans la carrière scientifique, ceux qui font des études de sciences en s’imaginant qu’ils vont trouver un métier tout prêt qui leur procurera la sécurité. Je crois qu’il est généralement assez bien connu qu’il y a là une grande illusion.
A force de produire des gens hautement qualifiés, on en a produit vraiment de trop depuis le grand boom dans la production de jeunes savants, depuis le Spoutnik il y a une quinzaine d’années, et il y a de plus en plus de chômage dans les carrières scientifiques. C’est un problème qui se pose de façon de plus en plus aiguë pour un nombre croissant de jeunes, surtout de jeunes scientifiques. Aux États-Unis, on doit fabriquer chaque année quelque chose comme 1 000 ou 1 500 thèses rien qu’en mathématiques et le nombre de débouchés est à peu près de l’ordre du tiers de cela.
» Les activités scientifiques que nous faisons ne servent à remplir directement aucun de nos besoins, aucun des besoins de nos proches, de gens que nous puissions connaître. Il y a aliénation parfaite entre nous-mêmes et notre travail. »
D’autre part, il n’en reste pas moins que lorsque la science nous permet d’avoir un salaire et de subvenir à nos besoins, les liens entre notre travail et la satisfaction de nos besoins sont pratiquement tranchés, ce sont des liens extrêmement abstraits. Le lien est pratiquement formé par le salaire, mais nos besoins ne sont pas directement reliés à l’activité que nous exerçons. En fait, c’est cela la chose remarquable, quand on pose la question : « À quoi sert socialement la science ? », pratiquement personne n’est capable de répondre. Les activités scientifiques que nous faisons ne servent à remplir directement aucun de nos besoins, aucun des besoins de nos proches, de gens que nous puissions connaître. Il y a aliénation parfaite entre nous-mêmes et notre travail.
Ce n’est pas un phénomène qui soit propre à l’activité scientifique, je pense que c’est une situation propre à presque toutes les activités professionnelles à l’intérieur de la civilisation industrielle. C’est un des très grands vices de cette civilisation industrielle.
En ce qui concerne les mathématiques plus particulièrement, depuis quelques mois, j’essaie vraiment de découvrir une façon dont la recherche mathématique, celle qui s’est faite depuis quelques siècles – je ne parle pas nécessairement de la recherche mathématique la plus récente, celle dans laquelle j’étais encore impliqué moi-même à une date assez récente –, pourrait servir du point de vue de la satisfaction de nos besoins. J’en ai parlé avec toutes sortes de mathématiciens depuis trois mois. Personne n’a été capable de me donner une réponse. Dans des auditoires comme celui-ci ou des groupes de collègues plus petits, personne ne sait.
Je ne dirais pas qu’aucune de ces connaissances ne soit capable, d’une façon ou d’une autre, de s’appliquer pour nous rendre heureux, pour nous permettre un meilleur épanouissement, pour satisfaire certains désirs véritables, mais jusqu’à maintenant je ne l’ai pas trouvée. Si je l’avais trouvée, j’aurais été beaucoup plus heureux, beaucoup plus content à certains égards, du moins jusqu’à une date récente. Après tout, je suis mathématicien moi-même et cela m’aurait fait plaisir de savoir que mes connaissances mathématiques pouvaient servir à quelque chose de socialement positif. Or, depuis deux ans que j’essaie de comprendre un petit peu le cours que la société est en train de prendre, les possibilités que nous avons pour agir favorablement sur ce cours, en particulier les possibilités que nous avons pour permettre la survie de l’espèce humaine et pour permettre une évolution de la vie qui soit digne d’être vécue, que la survie en vaille la peine, mes connaissances de scientifique ne m’ont pas servi une seule fois.
» Depuis que j’essaie de comprendre un petit peu le cours que la société est en train de prendre, les possibilités que nous avons pour permettre la survie de l’espèce humaine et pour permettre une évolution de la vie qui soit digne d’être vécue, mes connaissances de scientifique ne m’ont pas servi une seule fois. »
Le seul point sur lequel ma formation de mathématicien m’ait servi, ce n’est pas tellement par ma formation de mathématicien en tant que telle ni mon nom de mathématicien, c’était que, puisque j’étais un mathématicien connu, j’avais la possibilité de me faire inviter par pas mal d’universités un peu partout. Ceci m’a donné la possibilité de parler avec beaucoup de collègues, d’étudiants, de gens un peu partout. Cela s’est produit pour la première fois au printemps dernier où j’ai fait un tour au Canada et aux États-Unis. En l’espace de trois semaines, j’ai visité une vingtaine de campus. J’ai retiré un bénéfice énorme de ces contacts ; mes idées, ma vision des choses ont énormément évolué depuis ce moment-là. Mais c’est donc de façon tout à fait incidente que ma qualité de mathématicien m’a servi ; en tout cas, mes connaissances de mathématiciens n’y étaient vraiment pour rien.
Je pourrais ajouter que j’ai pris l’habitude, depuis le printemps dernier, lorsque je reçois une invitation pour faire des exposés mathématiques quelque part, et lorsque je l’accepte, c’est en explicitant que cela ne m’intéresse que dans la mesure où un tel exposé me donne l’occasion de débattre de problèmes plus importants, tels que celui dont on est en train de parler maintenant ici. En général, cela me donne aussi l’occasion de parler avec des non-mathématiciens, avec des scientifiques des autres disciplines et également avec des non-scientifiques. C’est pourquoi je demande à mes collègues mathématiciens qu’au moins une personne du département s’occupe de l’organisation de tels débats. Cela a été le cas, par exemple, pour toutes les conférences que j’ai faites au Canada et aux États-Unis. Jusqu’à maintenant, personne n’a refusé une seule fois cette proposition d’organiser des débats non techniques, non purement mathématiques, en marge de l’invitation mathématique au sens traditionnel. D’ailleurs, depuis ce moment-là, j’ai également modifié un peu ma pratique en introduisant également des commentaires, disons, préliminaires, dans les exposés mathématiques eux-mêmes pour qu’il n’y ait pas une coupure trop nette entre la partie mathématique de mon séjour et l’autre.
Donc, non seulement j’annonce le débat public plus général qui a lieu ensuite, mais également je prends mes distances vis-à-vis de la pratique même d’inviter des conférenciers étrangers pour accomplir un certain rituel – à savoir, faire une conférence de haute volée sur un grand sujet ésotérique devant un public de cinquante ou cent personnes dont peut-être deux ou trois peuvent péniblement y comprendre quelque chose, tandis que les autres se sentent véritablement humiliés parce que, effectivement, ils sentent une contrainte sociale posée sur eux pour y aller.
« A l’intérieur de la civilisation occidentale ou de la civilisation industrielle, il n’y a pas de solution possible. L’imbrication des problèmes économiques, politiques, idéologiques et scientifiques est telle qu’il n’y a pas d’issues possibles. »
La première fois que j’ai posé la question clairement, c’était à Toulouse, il y a quelques mois, et j’ai senti effectivement une espèce de soulagement du fait que ces choses-là soient une fois dites. Pour la première fois depuis que je faisais ce genre de conférence, spontanément, sans que rien n’ait été entendu à l’avance, après la conférence mathématique qui était effectivement très ésotérique et qui, en elle-même, était très pénible et pesante – j’ai eu à m’excuser plusieurs fois au cours de la conférence parce que, vraiment, c’était assez intolérable – ; eh bien, immédiatement après, s’est instaurée une discussion extrêmement intéressante et précisément sur le thème : « À quoi sert ce genre de mathématiques ? » et : « À quoi sert ce genre de rituel qui consiste à faire des conférences devant des gens qui ne s’y intéressent rigoureusement pas ? »
Mon intention n’était pas de faire une sorte de théorie de l’antiscience (11). Je vois bien que j’ai à peine effleuré quelques-uns des problèmes qui sont liés à la question « Allons-nous continuer la recherche scientifique ? », même parmi ceux qui étaient indiqués sur ce tract dont j’ai vu une copie. Par exemple, sur les possibilités de développer une pratique scientifique entièrement différente de la pratique scientifique actuelle et sur une critique plus détaillée de cette pratique. (12)
J’ai parlé plutôt en termes assez concrets de mon expérience personnelle, de ce qui m’a été transmis directement par d’autres, pendant une demi-heure. C’est probablement suffisant ; peut-être sera-t-il préférable que d’autres points soient traités un peu plus en profondeur au cours d’une discussion générale. Je voudrais simplement indiquer, avant de terminer mon petit laïus introductif, que j’ai ramené ici quelques exemplaires d’un journal que nous éditons qui s’appelle « Survivre… et Vivre ». Il s’agit du groupe dont j’ai parlé au début et qui a changé de nom depuis quelques mois. Au lieu de Survivre, après un certain changement d’optique assez important, assez caractéristique, il est devenu Survivre et Vivre.
Au début, nous avions démarré sous la hantise d’une possible fin du monde où l’impératif essentiel, pour nous, était l’impératif de la survie. Depuis lors, par un cheminement parallèle chez beaucoup d’entre nous et d’autres ailleurs hors du groupe, nous sommes parvenus à une autre conclusion. Au début, nous étions si l’on peut dire overwhelmed, écrasés, par la multiplicité des problèmes extrêmement enchevêtrés, de telle façon qu’il semblait impossible de toucher à aucun d’eux sans, en même temps, amener tous les autres. Finalement, on se serait laissés aller à une sorte de désespoir, de pessimisme noir, si on n’avait pas fait le changement d’optique suivant : à l’intérieur du système de référence habituel où nous vivons, à l’intérieur du type de civilisation donné, appelons-la civilisation occidentale ou civilisation industrielle, il n’y a pas de solution possible ; l’imbrication des problèmes économiques, politiques, idéologiques et scientifiques, si vous voulez, est telle qu’il n’y a pas d’issues possibles.
« Le problème de la survie a été dépassé, il est devenu le problème de la vie, de la transformation de notre vie dans l’immédiat ; de telle façon qu’il s’agisse de modes de vie et de relations humaines qui soient viables à longue échéance et puissent servir comme point de départ pour l’établissement de civilisations post-industrielles. »
Au début, nous pensions qu’avec des connaissances scientifiques, en les mettant à la disposition de suffisamment de monde, on arriverait à mieux appréhender une solution des problèmes qui se posent. Nous sommes revenus de cette illusion. Nous pensons maintenant que la solution ne proviendra pas d’un supplément de connaissances scientifiques, d’un supplément de techniques (13), mais qu’elle proviendra d’un changement de civilisation. C’est en cela que consiste le changement d’optique extrêmement important.
Pour nous, la civilisation dominante, la civilisation industrielle, est condamnée à disparaître en un temps relativement court, dans peut-être dix, vingt ou trente ans… une ou deux générations, dans cet ordre de grandeur ; parce que les problèmes que pose actuellement cette civilisation sont des problèmes effectivement insolubles. Nous voyons maintenant notre rôle dans la direction suivante : être nous-mêmes partie intégrante d’un processus de transformations, de ferments de transformations d’un type de civilisation à un autre, que nous pouvons commencer à développer dès maintenant. Dans ce sens, le problème de la survie pour nous a été, si l’on peut dire, dépassé, il est devenu celui du problème de la vie, de la transformation de notre vie dans l’immédiat ; de telle façon qu’il s’agisse de modes de vie et de relations humaines qui soient dignes d’être vécus et qui, d’autre part, soient viables à longue échéance et puissent servir comme point de départ pour l’établissement de civilisations post-industrielles, de cultures nouvelles.
Alexandre Grothendieck
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> Post-scriptum : ce texte a été reproduit avec l’aimable autorisation des enfants d’Alexandre Grothendieck dans la revue Écologie et Politique, n°52, 2016.
> Publication dans la revue : https://sciences-critiques.fr
> Image de Une : un extrait des notes manuscrites d’Alexandre Grothendieck datant de 1971 (source : math.stanford.edu / Licence CC).
> photo de Alexandre Grothendieck : AKonrad Jacobs / Licence CC.
> Le 10 mai dernier, l’Université de Montpellier a mis en ligne un « Fonds Grothendieck », regroupant environ 28 000 pages – dont 18 000 sont accessibles actuellement – des archives du mathématicien, de 1949 à 1991. Y figurent des manuscrits, des tapuscrits, des documents imprimés ainsi que des correspondances d’Alexandre Grothendieck.
Notes:
1 ? L’ensemble de la discussion, incluant le passionnant débat qui s’en est suivi, a été réédité en 2005 par Bertrand Louart. Voir le verbatim sur le site Snadiecki. / https://sniadecki.wordpress.com/2012/05/20/grothendieck-recherche/
2 ? NDLR : Lire la tribune libre d’Isabelle Stengers, Que serait une science responsable ?, 10 avril 2017. / https://sciences-critiques.fr/que-serait-une-science-responsable/
3 ? Dans le beau film qu’Hervé Nisic lui a consacré, Jean-Pierre Bourguignon dira de lui qu’« il fabriquait la montagne dont on verrait le paysage » (L’espace d’un homme, 2010, 52 minutes). / ?
4 ? Cf. Pierre Samuel, « Buts d’un mathématicien », La gazette des mathématiciens, n° 5, juin 1970, p. 40. L’élitisme et l’ésotérisme de la communauté bourbakiste (dont la conférence de Grothendieck évoque les conséquences dramatiques) furent vivement dénoncés dans les années 1968. Sur l’exclusion des femmes, cf. Michèle Vergne, « La femme et la science. Témoignage d’une mathématicienne », Impascience, n° 2, printemps-été 1975, p. 3-7, reproduit dans Céline Pessis (dir.), Survivre et Vivre. Critique de la science, naissance de l’écologie, L’Échappée, Montreuil, 2014, p. 404-412. / ?
5 ? NDLR : Lire la tribune libre de Geneviève Azam, Dominique Bourg et Jacques Testart, Subordonner les technosciences à l’éthique, 15 février 2017. / https://sciences-critiques.fr/subordonner-les-technosciences-a-lethique/
6 ? NDLR : Lire la tribune libre de Jacques Testart, Pourquoi et comment être « critique de science » ?, 16 février 2015. / https://sciences-critiques.fr/pourquoi-comment-etre-critiques-de-sciences/
7 ? Céline Pessis, « Petit panorama de la critique des sciences des années 1970 », dans Céline Pessis (dir.), Survivre et Vivre, op. cit., p. 343-360. / ?
8 ? La transcription a été réalisée par Jacqueline Picard, à partir de l’enregistrement magnétique originel de la conférence. / ?
9 ? NDLR : Lire la tribune libre d’Olivier Rey, Nuclear Manœuvres in the Dark, 17 mars 2016. / https://sciences-critiques.fr/nuclear-manoeuvres-in-the-dark/
10 ? NDLR : Lire le texte du Groupe Oblomoff, Pourquoi il ne faut pas sauver la recherche scientifique, 4 mars 2015. / https://sciences-critiques.fr/pourquoi-il-ne-faut-pas-sauver-la-recherche-scientifique/
11 ? NDLR : Lire la tribune libre de Fabrice Flipo, Y’a-t-il des « antiscience » ?, 7 décembre 2015. / https://sciences-critiques.fr/y-a-t-il-des-antiscience/
12 ? NDLR : Lire le texte de Jean-Marc Lévy-Leblond, Pour une critique de science, 17 mars 2015. / https://sciences-critiques.fr/pour-une-critique-de-science/
13 ? NDLR : Lire la tribune libre d’Alain Gras, Qu’est-ce que le progrès technique ?, 26 août 2015. / https://sciences-critiques.fr/quest-ce-que-le-progres-technique/
Texte d’une limpidite et d’une humilite magnifiques, en effet!
Qui ne peut pas constater que sa profession, ou disons son activite professionelle, particulierement si elle est « intellectuelle » ou « d’elite », n’est pas au fond une confrontation avec la mort, une mise a mort des choses, qui autrement continueraient a faire partie du mouvement de la vie?
Par exemple en architecture: Tout le monde veut que sa propre maison « dure longtemps », et si necessaire on la farcit de poisons pour transformer ce qui est deja un cadavre (cadavre de bois – charpente ou d’animaux – chaux, ciment, ou de terre – murs en terre ou de plantes – plastiques, pesticides…) en cadavre « qui dure longtemps »!!!
Question collective qui nous est posee a tous aujourd’hui, meme si Grothendieck avait 45 ans d’avance! Nous sommes bien loin de l’epoque ou Proclus, un des commentateurs de « Ucli Des », (cle de la geometrie), pouvait dire que les mathematiques sont un « instrument qui aide l’accomplissement de l’ame », et « nous guide vers la vie heureuse »!
http://ckraju.net/papers/MathEducation1Euclid.pdf
Nous sommes bien loin de cette epoque, et il n’est que temps d’arreter de faire semblant d’y etre encore.
C’est exactement le genre de secousse que nécessite notre époque.
Je l’ai déjà, l’évolution doit être plus gigantesque encore que le passage de l’Empire romain du polythéisme conquérant au christianisme (lui aussi conquérant hélas…).
Pour constater combien nous en sommes loin, un extrait de la lettre adressée par le nouveau ministre de l’éducation aux enseignants :
« (…) L’idée de progrès est entrée en crise depuis plusieurs décennies sous l’effet d’inquiétudes et de menaces qui caractérisent notre monde. Et la question qui est posée à notre génération est bien : comment ce monde de plus en plus technologique peut-il être aussi plus humain ?
Les phénomènes les plus variés d’intolérance, de violence, de discrimination, de harcèlement, de transformation de la vérité semblent mettre en cause l’idée même de raison que notre pays porte pourtant avec fierté et qui va avec sa devise : « Liberté, Égalité, Fraternité. »
La meilleure réponse viendra de l’éducation. L’Éducation nationale ne doit pas être sur la défensive mais à l’offensive devant toutes sortes de vicissitudes. Ce sera le sens de nombreuses évolutions pour vous soutenir dans votre travail quotidien. (…) »
Le fric, une maladie grave :
http://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-edouard-philippe/nicolas-hulot-epingle-sur-ses-juteux-profits-engendres-par-les-produits-ushuaia_2270441.html#xtor=SEC-69
Le manque d’intégrité, une maladie grave (cette décision est purement scandaleuse !) :
http://www.laprovence.com/article/politique/4530020/nicolas-hulot-fait-appel-pour-la-centrale-de-gardanne.html
Ben voilà, Hulot n’aura pas tenu longtemps. Honte à lui ! Je suis membre d’une asso qui fédère l’une des assos locales qui avaient déposé la plainte et qui avaient gagné… du pain béni pour le ministère de l' »écologie »… mais non, Hulot CHOISIT de mettre à bas cette bonne décision juridique. Il mérite les plumes et le goudron !
Salut Laurent, vu sous cet angle là, nous allons être d’accord il me semble :
https://reporterre.net/Changement-climatique-et-conflits-attention-aux-raccourcis-simplistes
Cela dit, le réchauffement reste un facteur bien présent même s’il n’est pas toujours le plus déterminant, il n’arrange rien.
Salut P.P. (bonjour a tous!)
J’avais signalé cet intéressant article en « commentaire » à l’article précédent de Fabrice (merci cher Fabrice d’autoriser ces « commentaires » qui n’en sont pas toujours!)
Lorsqu’on dit que le changement climatique est « une des causes » de telle ou telle guerre, etc. il faut essayer de clarifier la notion de cause, ce que l’écologie nous permet, ou plutôt nous force, à faire.
On peut dire que l’arête tranchante du couteau est « l’une des causes » de la mort de la victime, une autre « cause », « concomitante » pourrait-on dire, étant le meurtrier…
Le cas semble encore un peu différent si l’on pense à la cause des morts à Hiroshima et Nagasaki. Marie Curie, Einstein, Openheimer, Truman? Même si la, personne ne pensera à accuser « l’instabilité des atomes d’uranium »!
Dès lors que des humains sont en jeu , la notion de « cause » prend un tout autre sens. Il y a une tendance, parfois implicite et parfois explicite, à naturaliser la politique sous couvert d’écologie, de Ehrlich à Hardins en passant par beaucoup d’autres moins connus, ou intellectuellement moins brillants, tendance qui est bien sûr d’extrême-droite. Qui est bien sûr le contraire de ce que l’écologie peut apporter de mieux à l’humanité. Tendance assez courante, parfois sous-jacente, à peine perceptible, par un subtil sens de la politesse, de ce qui est convenable…
Il faut savoir identifier cette tendance, la reconnaitre. Travailler à approfondir notre compréhension de ce qui est une cause, notion qui ne peut pas exister sans une vision politique, sans un projet vers le futur. (intéressant paradoxe qu’on ne peut pas avoir de notion claire de « la nature » sans avoir en même temps un projet politique, sans se projeter vers le futur!)
Planète sans visa, Reporterre, les livres de Fabrice Nicolino et de Hervé Kempf, et le magazine écologiste Down to Earth, m’aident bien en cela!
Merci Fabrice pour nous rappeler la pensée lumineuse de cet humaniste chercheur…
Je suis en train de lire « l’homme cet animal raté » de Pierre Jouventin que je ne peux que te conseiller. http://pierrejouventin.fr/
Il se trouve que Pierre Jouventin fut l’ami d’Alexandre Grothendieck.
Je n’ai pas encore lu son autobiographie de 1000 pages « Récoltes et semailles » sans éditeur mais désormais disponible ici http://lipn.univ-paris13.fr/~duchamp/Books&more/Grothendieck/RS/pdf/RetS.pdf
A méditer pour agir.
Un bouquin formidable que « L´homme cet animal raté ». Je vous conseille aussi vivement « La face cachée de Darwin ».
Moi, je me replonge dans « Bidoche », pendant que dans le quartier, l´odeur de viande grillée accompagne les soirées d´été 🙁 !
et pourtant on ne retiendra de Grothendieck uniquement ses résultats mathématiques et on n’a pas fini d’en découvrir : http://www.liberation.fr/sciences/2017/05/05/les-notes-du-mathematicien-alexandre-grothendieck-arrivent-sur-le-net_1567517
Certes on peut toujours débattre via nos écrans et Internet s’il faut « continuer la recherche scientifique ? » mais qu’est-ce ça veut dire ?….
Ca peut vouloir dire beaucoup de choses.
Par exemple, beaucoup de professions se sont pose, se posent serieusement la question de la poursuite (ou non) de leur pratique: La medecine, l’education, (le mouvement « de-schooling ») l’architecture « sans architecte », meme l’agriculture (Masanobu Fukuoka), etc. etc.
Je crois que de plus en plus, les gens qui font des choses ayant un sens sont ceux qui ont ete capables de completement remettre en question leur pratique, au risque (mais ce n’est pas toujours un risque c’est parfois une chance) de faire completement autre chose!
Ce que Grothendieck remet en question ce n’est pas la poursuite de la connaissance ni sa transmission, bien au contraire! C’est plutot « continuer comme si de rien n’etait », comme si les carrieres en mathematiques de « theorie des nombres » n’avaient rien a voir avec l’espionnage, comme si la psychologie n’avait rien a voir avec la torture (mise en pratique a Guantanamo), comme si la geometrie n’avait rien a voir avec l’analyse des images par les drones tueurs, etc. etc.
Si Grothendieck parlait comme il le faisait, donnant des conferences et rencontrant les gens au lieu d’ecrire des livres, c’est bien parcequ’il etait optimiste, et persuade qu’il etait bel et bien possible de faire se rencontrer les energies des gens, pour sauver la connaissance des pratiques « scientifiques » telles qu’elles sont devenues.
Vous avez bien sûr raison, mais je crains que rien n’arrêtera « le progrès » dans le sens où celui ci nous échappe totalement !
Grothendieck ne souhaitait pas que ces notes sont exploitées et pourtant les voilà en libre accès….
J’ai entendu dire que Grothendieck etait mecontent, vers la fin de sa vie, de la maniere dont certains admirateurs mettaient en ligne ses publications (introuvables ailleurs) et des informations biographiques. Mais selon moi ca n’a pas de sens de s’opposer a la diffusion de « Survivre et Vivre », ni de son livre Recoltes et Semailles, qui sont des documents qui etaient destines au public et qu’il a lui-meme diffuse sans restrictions. Donc il me semble qu’il y a probablement un malentendu sur sa volonte de s’opposer a la diffusion de, de quoi au juste? Meler des informations biographiques, photos de sa famille, avec ses recherches scientifiques, etait probablement ce qui le genait. Quand a ses recherches mathematiques, etes-vous sur qu’il ne souhaitait pas leur diffusion?
Quand on pense au nom qu’il leur a donne, « dessins d’enfants », et au fait que ces recherches sont basees sur une representation graphique qui fait penser a certains dessins d’enfants, et qu’il a reussi a conjuguer une tres haute abstraction avec la sensualite d’un dessin, on ne peut s’empecher de penser que c’etait sa reponse a la question qu’il posait en 1971, un effort de pousser dans une direction a laquelle revent tous les ingenieurs, scientifiques et techniciens: Une science et une technique qui, comme ecrivait Proclus, eveille l’ame et « introduit a la vie bienheureuse », une technique qui de maniere intrinseque soit « irrecuperable ».
Une telle technique est-elle possible? J’ai envie de croire, avec le nom qu’il a donne a ses recherches vers la fin de sa vie, que c’etait ce que Grothendieck souhaitait.
Par certains côtés, ces réflexions d’il y a 45 ans sont étonnamment actuelles. Etonnamment et malheureusement, surtout. Car c’est une actualité brûlante vu le merdier dans lequel on se trouve. Remarquable aussi de voir le nombre de bonnes questions posées au début des années 70. Le club de Rome, qui prévoyait l’effondrement, date de la même époque.
D’un autre côté, certains évènements actuels montrent que cette question est très complexe.
Je pense à Trump qui dénigre cette science dont parle Alexandre Grothendieck, et ses méthodologies, pour y substituer ses « vérités alternatives », dans un seul but politique, dans l’intérêt de certains intérêts privés. Mais dans ce cas, la science met justement en évidence les dérives (ou les délires) de notre civilisation technologique.
Je pense aussi, plus près de nous, à une échelle plus « microcosmique » ou « clochermerlesque », mais c’est la même démarche, à Michel Meuret et Laurent Garde, de l’INRA et du CERPAM, qui veulent substituer aux connaissances des organismes officiels, les « savoirs émergents des acteurs de terrain », afin de valider n’importe quel canular – une prétendue attaque d’un fils d’éleveur par une meute de loups. Le but final étant le déclassement du loup des espèces protégées pour satisfaire des intérêts particuliers, en l’occurrence ceux de certains éleveurs refusant toute contrainte liée à une cohabitation, ou ceux de certains chasseurs qui considèrent qu’ils ont un concurrent de trop.
Alors pour ma part, tout en souscrivant à ces réserves, je défends une science qui est un rempart contre n’importe qui disant n’importe quoi, mais qui n’est ni arrogante ni omnisciente. D’ailleurs Alexandre Grothendieck dit lui-même qu’il n’est pas là pour faire de l’antiscience.
Quand il s’interroge sur l’utilité sociale, on comprend, vu la discipline dans laquelle il a travaillé. Les mathématiques pointues, on peut difficilement trouver pire comme hermétisme, et comme difficulté à faire de la vulgarisation. Et pourtant l’utilité sociale des sciences vulgarisées me paraît évidente pour répondre au pourquoi ou au comment que l’on se pose déjà quand on est tout gosse (c’était mon cas…), et qu’on est curieux du fonctionnement du monde. Et l’investigation n’est-elle pas inscrite dans notre comportement, après des milliers d’années de prédateur pisteur, comme le suggère Baptiste Morizot dans « les diplomates » ?
Enfin Fabrice, pourquoi s’en faire?
C’est l’été!
C’est fun!
TOUT VA BIEN:
http://www.lemonde.fr/biodiversite/article/2017/07/10/la-sixieme-extinction-de-masse-des-animaux-s-accelere-de-maniere-dramatique_5158718_1652692.html
C’est (hélas) encore bien pire que ce que je n’aurais jamais osé imaginer.
« Vingt ou trente ans »: une génération!
Et pour « espérer » -en fait c’est déjà bien trop tard- limiter le réchauffement à 2°C, nous n’avons plus que trois ans -étude toute récente, je vous épargne le lien-.
Heureusement, on a Hulot et ses dizaines de millions de bagnoles électriques en 2040…
Bonjour à toutes et à tous,
Au cas où vous n’auriez pas vu la dernière interview de Fred Vargas dans « Le Monde » : je me permets de la partager pour son début, car ça fait plaisir de voir que, lentement mais sûrement, l’idée se répend.
http://lemonde.fr/m-perso/article/2017/07/09/fred-vargas-l-etre-humain-ne-reagit-que-quand-il-a-de-l-eau-dans-les-narines_5158205_4497916.html
Merci de relayer, cette décision de la cour d’Appel est un scandale absolu :
http://www.mesopinions.com/petition/nature-environnement/demolition-systematique-constructions-illegales-espaces-proteges/31537
Le dossier sur le site d’U levante :
http://levante.fr/
N’hésitez pas à soutenir cette association exemplaire dans les combats qu’elle mène pour sauver les derniers joyaux méditerranéens de la déferlante de béton et de connerie humaine. Exemple des balbuzards :
http://www.ulevante.fr/pour-les-aigles-pecheurs-scandula-est-un-enfer/
Pour info… et à propos des rapports de force réels…
http://www.liberation.fr/planete/2017/07/13/les-defenseurs-de-l-environnement-de-plus-en-plus-menaces_1583647
En se souvenant qu’une représentante de l’association U Levante a été molestée en Corse il y a quelques mois, un autre agressé aux urnes lors des dernières élections…
Triste nouvelle, Maryam Mirzakhani est morte hier d’un cancer du sein, qu’elle combattait depuis 2014, la periode ou elle a obtenu la medaille Fields, a l’age de 37 ans.
Mirzakhani est la seule femme a avoir obtenu la medaille Fields. Il y a tres peu de femmes en mathematiques en general.
Mizakhani parlait ainsi des femmes mathematiciennes, qui n’ont pas toutes une carriere aussi brillante qu’elle, avec un realisme et une delicatesse qui rappellent la maniere dont Grothendieck parle de sa profession.
C’etait en 2013, apres avoir obtenu le prix Ruth Lyttle Satter, fonde en 1990 exclusivement pour recompenser les femmes mathematiciennes:
« La situation des femmes en mathematiques est loin d’etre ideale. Les barrieres sociales pour les filles interessees par les maths ne sont probablement pas plus faciles que lorsque j’etais a l’ecole. Et mener de front une carriere et une famille reste une tache ardue, qui conduit la plupart des femmes a prendre des decisions difficiles qui en general sont aux depends de leur travail. Cependant, il y a eu du progres au fil des annees, et je suis sure que cette tendance va continuer »
http://www.ams.org/notices/201304/rnoti-p490.pdf
Sachant que la medaille Fields est reservee aux moins de 40 ans, on comprends aisement la difficulte sociale pour une femme de l’obtenir, et probablement aussi, le risque accru de cancer du sein…
Dans une autre interview:
« Il faut laisser de cote les resultats faciles, ce qui demande du discernement ».
« Je ne suis pas sure que ce soit la meilleure maniere de faire, en fait – On se torture soi-meme tout le long du chemin ».
Mais c’est ce qu’elle aime faire: « La vie n’est pas censee etre facile ».
https://www.quantamagazine.org/maryam-mirzakhani-is-first-woman-fields-medalist-20140812/
Je trouve qu’il y a un echo (pas une similarite, mais un echo) entre la vie de Grothendieck et celle de Mirzakhani.
On ne peut jamais etre sur de « sortir gagnant », mais ce qui est sur, c’est que s’abstenir de remettre en cause sa profession, c’est se garantir d’en etre la victime.
(clin d’oeil a ceux qui applaudissent a la petite phrase de notre president de la republique, « il y a ceux qui reussissent, et ceux qui ne sont rien »)
Céline Pessis, Grothendieck, hommage au défunt?, 2015
Beaucoup ont découvert Alexandre Grothendieck à l’occasion de l’hommage médiatique, écologiste et présidentiel qui vient de lui être rendu suite à son décès le 13 novembre 2014.
La France s’enorgueillit de la disparition de ce « génie national » – omettant de mentionner que celui-ci resta longtemps, et délibérément, apatride. La « communauté mathématique » salue l’un de ses plus éminents représentants – se gardant bien d’évoquer les raisons de son retrait de la recherche au début des années 1970. C’est que la situation n’a guère changé et qu’il serait de mauvais ton de rappeler que notre génie démissionna avec fracas de son institut de recherche pour cause de financements militaires ! Inutile que les chercheurs s’inquiètent de la profonde collusion entre l’entreprise scientifique et les pouvoirs militaires et industriels. Mieux vaut semer l’oubli que de petits Grothendieck…
Il est fort tentant de tisser un parallèle entre la célébration de cette disparition et les analyses de Robert Jaulin, grand ami du mathématicien. Pour ce méchant sauvage parmi les anthropologues, l’édification du monumental Crazy Horse Memorial, célébrant le grand chef sioux, visait à étouffer la renaissance de l’American Indian movement et venait parachever l’ethnocide des peuples indiens. Et Jaulin d’enfoncer le clou dans la revue de son ami en 1973:
« La civilisation occidentale étant partout, et ici d’abord, destructrice des civilisations, elle est par construction une décivilisation : elle engendre une “société cimetière” une société du silence, fût-il bruyant. »
Si ce n’est pas une civilisation qui disparaît avec Grothendieck, que l’on qualifie pudiquement de « personnalité hors norme », c’est bien toute une culture critique et un des mouvements contestataires parmi les plus subversifs qu’il s’agit d’enterrer.
Mais enfin, me dira-t-on, la presse de cimetière n’a-t-elle pas présenté Grothendieck comme un pionnier de l’écologie ? Oh, si, pour sûr, l’écologie c’est à la mode ! Yves Cochet, symbole s’il en est de l’écologisme électoral et technocratique, parle même à propos du défunt d’« une écologie fondamentaliste extrêmement radicale » (Politis n°1328, 20-26 novembre 2014). Mais quant à savoir de quoi relève cette radicalité, chacun évite de s’étendre sur ce qui fut le cœur de l’écologie de Grothendieck : la critique de la science et de la recherche en tant que causes essentielles de la crise écologique !
Plutôt que d’inviter à relire les textes ou réécouter les conférences qui firent de Grothendieck le plus célèbre représentant du salutaire mouvement d’autocritique des sciences durant les années 1970, on préfère individualiser son engagement, en s’attardant sur l’ermitage dans lequel il se retira progressivement ou en lui opposant l’écologisme associatif de Serge Moscovici, décédé deux jours après lui. C’est pourtant côte à côte que Moscovici, Grothendieck et Jaulin forgèrent une analyse critique du déploiement impérialiste des sciences « modernes », de leur prétention à l’universalité, de leur expropriation du sujet, de leur colonisation et destruction de la sphère politique comme des autres civilisations, de leur disqualification et relégation au passé et à la nature des sauvages, des femmes ou des paysans et paysannes… (cf. l’ouvrage collectif, Pourquoi la mathématique, éd. du Seuil, 1974)
Serge Moscovici évoquait comme « première filiation intellectuelle » du mouvement écologiste la critique de la science portée par des scientifiques comme Grothendieck. Loin de la décroissance de la recherche prônée par ce dernier, de sa critique de l’expertise et sa dénonciation du mythe d’une régulation citoyenne des technosciences, les hommages qui entourent sa mort sont tristement représentatifs de ce que l’écologie veut bien retenir de ses origines.
Céline Pessis
A coordonné l’ouvrage
Survivre et vivre, critique de la science, naissance de l’écologie,
éd. L’Echappée, 2014.
http://sniadecki.wordpress.com/2015/02/11/pessis-grothendieck/
@PL
« Mais dans ce cas, la science met justement en évidence les dérives (ou les délires) de notre civilisation technologique. »
Dans d’autres, au contraire, elle les cautionne et produit aussi des « vérités alternatives » destinées à en occulter les risques.
Voyez l)industrie nucléaire, par exemple (que ceux qui parlent de « crime climatique » oublient allègrement…).
Mais le réchauffement est et sera porteur de drames dont on ne mesure même pas encore l’ampleur… ce n’est pas du catastrophisme, c’est de la lucidité, rien de plus ni de moins… :
http://www.liberation.fr/planete/2017/07/19/rechauffement-climatique-la-vulnerabilite-de-l-asie-risque-d-etre-un-futur-facteur-d-instabilite_1584552
P.P., il faut regarder qui dit quoi, pas seulement ce qui est dit.
Dans cet article, il y a des platitudes sur les catastrophes dites « climatiques » (imputables a un changement de climat) et on a l’impression que la « Asian Development Bank » (ADB), ou Banque de Developement Asiatique, qui a finance ce rapport, veut proteger le climat.
Sauf que c’est cette banque qui de loin cause le plus de destructions ecologiques en Asie: Les grands barrages (dont celui, catastrophique, de la Narmada), les centrales au charbon geantes, les infrastructures qui ne profitent qu’a l’elite, la spoliation des paysans, la promotion de l’agriculture chimique et des industries polluantes en general, et meme (au titre des conditions a l’octroi de prets), la spoliation des pauvres par l’augmentation des taxes indirectes et la reduction des taxes directes, etc. etc.
Commencons par eliminer la banque de developement asiatique. Les choses iront deja un peu mieux, y compris le climat.
L’integration asiatique, par le developement du commerce local, permet de lutter contre le gaspillage du transport sur de longues distances. C’est exactement ce contre quoi lutte la banque de developement asiatique, mais son role va diminuant, heureusement.
Le role trouble de Liberation dans la promotion de cette banque sous couleur « d’inquietude pour le « climat » n’est malheureusement pas surprenant.
http://www.ecologise.in/2017/05/04/asian-development-bank-facing-hundred-protests-india-month/
99% des banques bousillent le monde… Ca, on le sait.
Qu’une banque finance des rapports scientifiques, ce n’est pas nouveau (je me souviens avoir lu -étonné- d’excellents rapports de la Banque Mondiale sur la situation écologique de la Méditerranée. Sur le rapport, on pouvait lire en tout petit que les avis des scientifiques qui s’y exprimaient -avec talent !- n’engageaient en rien la Banque Mondiale…).
Que dis-tu de la chercheuse qui a travaillé sur ce sujet ? Il s’agit de Kira Vinke de l’Institut de Recherche de Potsdam sur les effets du changement climatique. Vendue, elle aussi ? Faudrait arrêter d’exagérer des fois…
Tout ceci est donc à jeter parce qu’une banque continentale bousille le monde comme d’habitude ?
Tous pourris, le grand complot, etc…
Ca me fatigue vraiment.
Donc là, pas d’accord !
Et ça, c’est du pipeau aussi (au Monde aussi ce sont des vendus, on le sait, ça ne fait pas de leurs articles des exercices systématiques de manipulation !) :
http://www.lemonde.fr/climat/article/2017/07/21/la-france-pourrait-connaitre-des-pics-de-chaleur-de-plus-de-50-c-a-la-fin-du-siecle_5163558_1652612.html
Sur « le climat » (qu’il faudrait « sauver »)… (en pensant à P.P.)
Les religions nous ont toujours exhorté à nous désintéresser des réalités immédiates au profit de « la vraie » réalité, exhortation qui dans la religion chrétienne, suivie par la doctrine de l’église, puis la morale puritaine et finalement l’éthique capitaliste, a progressivement dégénéré en cette idée plate et abstraite: le long-terme. S’y intéresser est devenu tellement synonyme de vertu que la critique la plus familière des politiciens est qu’ils ignorent « le long-terme »! Comme s’ils s’intéressaient au court-terme! Comme s’ils prenaient au sérieux les réalités concrètes et immédiates…
On assiste a un curieux renversement: Toutes les grandes catastrophes humanitaires et écologiques ont été mises en œuvre au nom du long-terme. Toutes les guerres, les génocides, les nettoyages ethniques, les spoliations de masse, les destructions massives de régions entières par la déforestation, les grands barrages, la pollution de masse, l’élimination des semences, la dégradation des espèces, le nucléaire, ont été imposées au nom de la sauvegarde de l’humanité. Le sacrifice des pratiques et des populations ‘arriérées’ est rendu tolérable, « inévitable », au nom de l’avenir glorieux d’une humanité abstraite dont la plus haute victoire est peinte sous les couleurs d’hommes-scaphandres respirant de l’air recyclé dans des tunnels sur la planète Mars! Et les défenseurs de la réalité tangible et immédiate sont qualifiés de « romantiques ».
Plusieurs choses doivent nous mettre la puce à l’oreille à propos du « climat »:
1) On nous parle toujours (sauf Reporterre, d’une magnifique intelligence dans le bourbier ambiant) des catastrophes climatiques dans les pays non-Européens, des guerres des ressources dans les pays non-Européens, comme si l’empoisonnement massif de l’eau, la disparition des terres, les poubelles nucléaires, n’étaient pas des problèmes européens, comme si les guerres en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie, au Yémen, n’étaient pas des guerres européennes, n’étaient pas des guerres de ressources, des guerres de routes de communication, des guerres de colonisation. Presque toutes les frontières des pays d’Asie, particulièrement en Asie occidentale mais pas seulement, sont « durcies » et menacées par des « rebelles » soutenus directement (en Syrie, en Irak, en Afghanistan) ou indirectement (au Pakistan, et de manière plus subtile, en Inde, au Bangladesh, en Birmanie, en Corée, etc.) par la CIA et les puissances européennes. Conflits « climatiques », vraiment? La « religion » est en train de devenir obsolète pour légitimer les guerres, alors « le climat », pourquoi pas? Le climat a bon dos!
2) On nous parle de catastrophes futures pour détourner notre attention de celles qui se déroulent sous nos yeux et qui nous affectent immédiatement: disparition de l’eau potable, disparition des espèces, disparition du sol, et plusieurs millions de morts dans les guerres de l’OTAN pour le contrôle des ressources (pétrole, populations, commerce) ces 20 dernières années. Les millions de morts c’est aujourd’hui et sous nos yeux, pas demain.
Se réapproprier le droit à l’usage immédiat, à la réalité proche et immédiatement perceptible, contre le romantisme des buts lointains et des lendemains qui chantent, est l’attitude la plus correcte et la plus efficace, celle que Grothendieck défendait. Cette attitude est claire dans son texte, on dirait qu’elle va de soi, absolument sans prétention et sans drapeau. Son aîné et camarade, Dieudonné, voulait faire des mathématiques « pour l’honneur de l’esprit humain », désir louable mais combien romantique dans les conditions actuelles! Grothendieck avait le même but, mais a poussé l’exigence plus loin; Il s’est donné les moyens de réaliser dans sa vie ce qui n’était encore pour Dieudonné qu’un idéal lointain, nous servant d’exemple à nous tous.
Un article involontairement hilarant sur la nécessité de remettre en cause la notion de « réalisme » (selon laquelle le monde existerait « pour de vrai »)… et sur les avantages militaires (les communications chiffrées) de cette « avancée » en sciences… Comme si « l’efficacité » en sciences se faisait au profit du renoncement à l’idée même que les choses puissent avoir un concept! L’inverse exact du rêve de Dieudonné, (« pour l’honneur de l’esprit humain »), la hantise de Grothendieck, qu’il dénonçait avec tant de précision, d’énergie, et d’empathie pour ses contemporains.
https://phys.org/news/2017-07-probability-quantum-world-local-realism.html
@Alain Fournier, mais pourquoi ce manichéisme chez toi ? Ce n’est pas noir ou blanc !
On serait donc incapables de penser à la fois le court et le long terme ? Et pourquoi ? Il est nécessaire de faire les deux !
Bien d’accord aussi pour dénoncer la violence coloniale et néo-coloniale… mais pourquoi le faire en niant la gravité des bouleversements climatiques en cours et à venir ? Je trouve cette attitude vraiment étonnante et bien regrettable.
N’es-tu pas en train de tomber dans le nouveau piège climato-sceptique à destination des « progressistes » ? Le credo à mettre en avant serait : « le réchauffement climatique empêche de parler de tous les autres problèmes planétaires, donc ne parlons plus du réchauffement climatique » !!!!
Tu en fais quoi, toi du réchauffement climatique ? Tu traites cela comment ? Régler tous les autres problèmes de l’Humanité en oubliant de régler celui du saccage du climat… et c’est le naufrage assuré malgré tout ! Nous n’avons pas 100 ans devant nous, puisque tu parles de l’immédiat. Certains chercheurs estiment à 3 ans (!) le laps de temps pour modifier vraiment nos sociétés afin d’éviter le naufrage climatique. C’est à la fois du court et du long terme !
Alors ? On s’enterre la tête dans le sable et on fait l’autruche en essayant de chanter « Tout va très bien… » ?
Cher P.P. tu m’obliges à préciser ma pensée, c’est bien.
(indice au passage que tu lis peut-être un peu (trop) vite, mon prénom c’est Laurent pas Alain 😉
Tu écris: “(il ne faut pas) régler tous les autres problèmes de l’Humanité en oubliant de régler celui du saccage du climat”.
Mais ce sont les mêmes problèmes, ce ne sont pas différents problèmes, qui pourraient se régler indépendamment les uns des autres!
Si tu limites (ou élimines complètement) tes voyages en avion, ce n’est pas seulement la pollution –par les résidus de combustion, les plastiques, l’aluminium, les métaux lourds – que tu réduis, c’est aussi l’émission de gaz carbonique et donc l’aggravation de l’effet de serre auquel tu n’apportes pas ta pierre.
Au passage, on parle toujours (sauf des media de qualité comme Reporterre) du climat en lien avec l’effet de serre et “le réchauffement”, comme si la déforestation, la mort des sols (cf. C. et L. Bourguignon), la disparition et la dégradation des espèces, la pollution, n’avaient pas d’effet sur le climat! Aujourd’hui on fait, au nom « du climat » et des « marchés carbone » des plantations d’eucalyptus sur des km2, en remplacement de la vraie forêt, avec sa biodiversité et toutes les espèces animales et les populations locales qu’elle fait vivre. Mais ce n’est pas tout. Si on continue de parler hystériquement du climat et de rien d’autre, on va nous dire, bon et bien la seule solution pour empêcher la fin du monde d’ici trois ans, c’est d’envoyer des miroirs géants dans l’espace, pour dévier les rayons du soleil. Bill Gates a déjà des plans. Il attend seulement que la panique augmente encore un peu.
Tu vois, tu m’accuses de « manichéisme » et ca ressemble curieusement à ce dont on accusait les vrais manichéens, ceux qui suivaient Mani. Ils voyaient le monde comme une entité non séparée, et pas comme une bataille entre l’armée du bien et celle du mal, à jamais irréductibles. Ils savaient que les choses sont aussi un langage, et inversement. Par exemple, Grothendieck dans sa conférence parle d’un mathématicien qui s’est suicidé parce que les thèses de ses étudiants n’ont pas été acceptées par Dieudonné, dont Grothendieck défend la probité scientifique. Loin de nier cyniquement la gravité de ce drame, il voit ses protagonistes (les étudiants, leur professeur, Dieudonné, lui-même, et nous tous) comme ses acteurs, des acteurs « pour de vrai », mais des acteurs quand même, et il veut déjouer le scenario, parce qu’il ne veut pas en être un acteur.
D’une manière similaire, tu peux voir ce discours sur le climat comme une autre manière de parler de la même chose, dont on peut parler aussi ainsi : La pollution, « la dégradation de l’environnement » (là j’emploie le langage de l’adversaire, mais c’est bien ainsi qu’ils voient les choses, toujours localisées, localisables), l’aliénation de l’humanité tout entière par l’élimination de ses plantes, de ses animaux, de son eau. Ne saute pas au plafond parce que je dis « ses » plantes, etc. J’utilise ce pronom au sens du Petit Prince (Saint-Exupéry), de Lévinas, de Saint-Paul, etc. Au sens de responsabilité.
Donc on peut voir cette discussion autour du climat comme un langage pour dire autrement la même chose, et une manière particulièrement inopérante et aliénante (je ne trouve pas l’équivalent du mot anglais « disempowering »). A part les déserts verts (eucalyptus à perte de vue, etc.) le scandale des marchés carbone, un sentiment diffus de fatalisme et la menace de la géo-ingénierie, quelles ont été les avancées de ce discours ?
Je ne nie pas le drame, j’essaie de trouver des moyens concrets d’y faire face. J’essaie de changer le scenario, pas de le suivre docilement.
Le colonialisme et le « néo-colonialisme », c’est pas un autre problème, c’est le même. On voit à certains signes qu’il va bientôt toucher à sa fin. Un de ces signes, c’est le travail de décolonisation de C.K. Raju (conférences ici : http://ckraju.net/blog/) qui en « décolonisant » la société à laquelle il appartient, met à bas une construction dont les colonisateurs souffrent tout autant, et qui n’est pas pour rien dans la crise écologique dont nous souffrons tous. (Intéressant d’ailleurs que les colonisés entreprennent comme une libération collective, la fin d’une occupation, physique ou mentale, ce que les colonisateurs entreprennent comme une révolte intérieure, qui prend sa source au cœur de l’individu – comparer Raju et Grothendieck dans leur destin social, l’un coupant les ponts, l’autre multipliant les interactions et ne regrettant nullement d’avoir contribué au premier superordinateur Indien, ou encore, Jacques Derrida et Edward Saïd dans leur réception sociale, l’un rejeté dans l’ésotérisme élitiste, l’autre devenu un emblème, alors qu’ils ont fait le même travail, de deux cotés différents).
Bonjour à toutes et à tous,
Je me permets de partager ça ici, car un tel niveau de connerie, de mauvaise foi, de propagande anti-loup mérite un lot de commentaires bien senti :
http://www.europe1.fr/societe/incendies-la-propagation-en-partie-due-au-loup-3397721#xtor=CS1-16
Il y a de très nombreuses manières de parler du changement climatique et d’agir en conséquence:
Par exemple, on peut se demander comme Amitav Ghosh, pourquoi il n’y a pas de romans sur le changement climatique. Question pertinente, car si le phénomène est inaccessible à notre imagination, comment peux-t-on espérer lui trouver des solutions?
Dans toutes les disciplines, les artistes ont toujours précédé les scientifiques, les bricoleurs ont toujours précédé les gestionnaires. S’il n’y a pas de langage pour le décrire, le phénomène n’existe pas pour les scientifiques, il reste en-deca du seuil de conceptualisation.
Une autre manière de parler du changement climatique, malheureusement plus banale, est dans cet article complètement typique de la toile de fond idéologique -d’origine anglo-américaine sur laquelle le changement climatique est le plus souvent décrit:
http://nymag.com/daily/intelligencer/2017/07/climate-change-earth-too-hot-for-humans.html
Les prémisses idéologiques de l’article – malheureusement complètement typiques de la littérature « climatique » aujourd’hui – s’accrochent désespérément à la pensée infantile des débuts du capitalisme, celle pour qui « la nature » est un coffre de bijoux dans lequel on peut se servir autant qu’on peut et sans aucune conséquence autre que celle de devenir riche.
Car si l’article pose la question: « quelles sont les conséquences du changement climatique sur les guerres », il refuse absolument de considérer celle-ci, bien moins abstraite et bien plus vérifiable:
Quelles sont les conséquences des guerres sur le changement climatique?
Les milliards d’euros et de dollars d’armes déversées sur la Syrie ces 6 dernières années ont eu des conséquences gravissimes, non seulement sur le climat de la Syrie mais même sur celui de la terre entière. Si un aller-retour Paris-New York « coûte » 3m2 de banquise dans l’arctique, combien coûte le transport en avion par la compagnie Silk Air, d’un missile ou d’un canon de l’Azerbaïdjan vers la Syrie ou le Congo via la Bulgarie, combien de m2 de banquise sont détruits par l’explosion du missile, par la destruction de la cible, par les vies perdues? Combien de m2 de banquise sont irrémédiablement perdus avec chaque sortie de rafale ou de F16? Quelles sont les conséquences climatiques des tonnes de bombes, des gaz de combat, des millions de maisons détruites, des terres empoisonnées, des centaines de milliers de vies perdues, des millions de refugié(e)s?
https://trud.bg/350-diplomatic-flights-carry-weapons-for-terrorists/
On parle aussi des conséquences du changement climatique sur les « guerres de l’eau »:
https://thewire.in/122624/jammu-kashmir-power-crisis/
Mais qui évoque les conséquences des « guerres de l’eau » sur le changement climatique?
Ceux qui parlent de l’intensification des conflits a cause du changement climatique ne savent tout simplement pas de quoi ils parlent. Ils s’accrochent a l’idéologie infantile et dépassée qui est à l’origine du changement climatique et de guerres de plus en plus extrêmes.
Ces deux phénomènes étaient donc déjà le même au niveau du concept de base.
Maintenant, ils s’apprêtent à fusionner dans leur matérialité, grâce à la « géo-ingénierie ».
Evolution logique, que l’article du NY mag, nous proposant d’accélérer vers l’abîme, présente comme la seule solution crédible. Evidemment.