Ce texte a été écrit au moment où Ferry devenait ministre de l’Éducation.
Le ministre est aussi un philosophe qui ne respecte pas toujours la philosophie. En 1992, il signe un livre très virulent contre l’écologie, accusée de prolonger la vision fasciste de l’homme. Luc Ferry, en un combat douteux.
Il y a au moins deux livres dans le vilain pamphlet que Luc Ferry a consacré à l’écologie voilà dix ans (Le nouvel ordre écologique, chez Grasset), et il est charitable d’en inférer qu’il y a au moins deux personnes derrière. Dans le premier, sans démontrer il est vrai une originalité folle, l’auteur s’interroge sur les liens entre la critique écologiste du monde et l’humanisme tel qu’il le conçoit. Pourquoi pas, en effet ?
Luc Ferry, on le sait, appartient au cercle de la raison, de l’équilibre en toute chose, du bon sens avant tout. Ne surtout pas voir en lui l’héritier nigaudon de Descartes, qui considérait les animaux comme de simples automates, des machines sur lesquelles il est possible et souhaitable d’exercer tous les pouvoirs de l’homme. Notre philosophe, partisan déclaré d’un » humanisme non métaphysique « , constate que les apports de Rousseau, Kant ou Fichte ont changé la donne. Certes, seul l’homme peut être doté de droits, mais il lui faut admettre quelques devoirs envers les animaux, » en particulier celui de ne pas leur infliger des souffrances inutiles « . Il faut convenir que Luc Ferry est un humain fort généreux, car pour lui » le spectacle de la souffrance ne peut laisser tout à fait indifférent, s’agirait-il de celle d’un porc ou d’un lapin « . Et comment ignorer, chez l’animal, ce qui » n’est pas de l’ordre de la simple choséité ? Comment nier son équivocité ? »
Mais ce n’est tout de même pas avec ces bluettes philosophiques qu’on peut obtenir un livre, et surtout pas un livre qui vous pose dans le débat intellectuel et politique de l’heure. Or, 1992 – date de la sortie du livre – apparaît rétrospectivement comme l’une des grandes années de l’écologie politique. Les régionales du printemps ont accordé près de 15% des voix aux Verts et à Génération Ecologie, et la société française, ébranlée par cette soudaine irruption, se demande si quelque chose de fondamental n’est pas en train de lui arriver.
Il y a filon, et Ferry, sans lui faire injure, l’a compris. Y aurait-il moyen de frapper fort, de répondre au défi lancé, de rassurer une (vaste) clientèle alarmée par le retour d’une certaine pensée critique ? Probablement, mais il faut retrousser ses manches, ce que fait sans hésitation ni état d’âme notre héros. Il serait trop long de détailler tous les trucs qu’il utilise pour (prétendre) établir une proximité philosophique entre l’écologie radicale et le fascisme le plus abject, c’est-à-dire le nazime. Le schéma récurrent est simple : tout en s’en défendant à plusieurs reprises – l’homme est tout de même un malin -, il ne cesse de revenir à cette obsession que » l’écologie, ou du moins l’écologisme, possède des racines douteuses « .
Et suivez plutôt l’implacable démonstration : certains auteurs de la deep ecology – » l’écologie profonde » – américaine ont écrit des choses détestables. Un texte fou – 1 ! – qui n’est défendu aux Etats-Unis que par quelques autres fous affirme : » C’est le devoir de notre espèce, vis-à-vis de notre milieu, d’éliminer 90% de nos effectifs « . Ferry l’inscrit dans une cohérence qui n’existe que pour les besoins de sa démonstration, au milieu de textes discutables certes, mais du moins respectables. Parmi les inspirateurs du mouvement écologiste anglo-saxon qu’il vomit, Ferry aurait parfaitement pu – et plus justement -, consacrer des dizaines de pages à Henry David Thoreau, le fabuleux auteur de Walden. Mais il lui aurait fallu signaler que celui-ci était un démocrate fervent, défenseur intransigeant de la désobéissance civile face aux abus de l’Etat, de tous les Etats.
Or il ne s’agit, tout au long du livre, que de traîner l’écologie, avec les formes hypocrites qui conviennent, au banc d’infamie. Et voilà l’essentiel : Hitler aimait les animaux, et imposa en 1935 une loi sur la protection de la nature. Par une malignité indigne du débat intellectuel, Ferry y voit un » monument de l’écologie moderne « . Pour quelle raison ? L’auteur, en réalité, ne l’explique pas, et nous laisse dans un malaise profond : son imprécision dans l’analyse des textes de loi nazis nous ferait presque douter qu’il les ait réellement lus. Son grand et unique » témoin « , le biologiste nazi Walter Schoenichen, n’apporte qu’une preuve : que certains nazis aimaient la nature, la vie sauvage, les forêts. Grande, immense révélation !
Absolument incapable de produire une vraie étude historique, sociale, humaine sur les relations entre l’Etat nazi et la protection de la nature – certes, cela lui aurait demandé davantage que quelques semaines de travail -, Ferry se contente de syllogismes et d’ellipses que son public, très nombreux en 1992, ne demande visiblement qu’à prendre pour argent comptant. Détail comique qui a son importance : s’empêtrant dans ses procédés, Ferry se voit obligé de concéder dans un discret appel de notes (p.195) que la loi belge de 1929 est très voisine de celle édictée par l’Allemagne nazie six ans plus tard. C’est très fâcheux, car tout repose sur l’idée que c’est l’idéologie nazie qui commande de protéger les animaux, y compris sauvages. La débonnaire république bruxelloise de l’entre-deux-guerres serait donc, elle aussi, l’ennemie radicale des hommes ?
Luc Ferry a beaucoup de droits, qu’on ne lui contestera pas. Celui d’ignorer l’extrême gravité de la crise écologique. Celui de détester les écologistes. Celui de préférer les salons ministériels aux arrachages nocturnes, et en tout cas illégaux, de plants d’OGM. Mais pourquoi un philosophe utilise-t-il de tels moyens pour le dire ?
Publié en septembre 2002, dans le numéro 714 de Politis
luc ferry est aussi philosophe que B.H.L..et possède certainement autant de cervelle, j’en jurerais…ami d’alert-environnement entre autre, comme dirait Brassens, quand on est …
J’avais surtout retenu les arguments permettant de comprendre la mode végétarienne chez les anglo-saxons. Il est vrai que je ne suis plus étonné par les outrances du Ferry, donc j’avais fermé mes écoutilles sur les minables arguments des nazis, etc. J’y voyais donc plus un côté documentaire (à compléter), sur la généalogie d’une certaine pensée « pro-life » en faveur des animaux, des cailloux et des plantes.
Pour le reste, je maintiens que pour comprendre Ferry, il faut comprendre qu’il n’attache d’importance qu’à la philosophie, sa philosophie, ignorant tranquillement les données de la science et de la physique.
A Luc Ferry : j’ai acquis une Simca 6 de 1949 que j’adore, esthétiquement et pour les réactions sympathiques qu’elle déclenche. Mais je ne parviens pas à trouver un mécano compatible avec mon budget, et qui ne raconte pas trop de bêtises par ignorance des mécaniques de cette époque. Par déduction je pense que seul un mécano retraité pourrait faire l’affaire. Compte tenu de vos antécédents familiaux, pourriez-vous me conseiller ? Merci d’avance et pardon pour la rupture de ton avec votre courrier « philo »…
(J’habite Dreux …)
Philippe Cordonnier