Planète sans visa rouvre ses portes

L’événement est du genre mineur, mais enfin, c’est comme ça : je reprends du service. Moi, Fabrice Nicolino, qui ai créé en septembre 2007, il y a plus de douze ans, Planète sans visa. Depuis cette date – je n’ai pas compté -, j’ai écrit et publié ici environ 1500 articles, tous disponibles. Ce que j’ai dans la tête n’a rien d’un secret. Il suffit de se référer à cette déclaration d’intention, en date du 27 août 2007.

Pourquoi s’y mettre à nouveau ? Parce que. Parce que, comme tant d’autres, je suis confiné et que ces circonstances amènent fatalement à penser un peu. Si j’en ai le goût, si j’en trouve le temps, j’écrirai ici un journal incertain, irrégulier et sincère sur ces jours d’agonie d’un monde détestable. Notons dès avant cela que Planète sans visa annonce audacieusement à son frontispice : une autre façon de voir la même chose.

Ce premier épisode concerne tous les êtres vivants, humains compris. J’éprouve depuis le départ une gêne à observer ce qui est si visiblement une épidémie de riches. Attention ! je ne souhaite pas aggraver mon cas, car je sais que ce que nous vivons est une très lourde épreuve. J’éprouve une compassion que je crois sincère pour les milliers de malades de France, les centaines de milliers de malades ailleurs. Et ne parlons pas des morts qui partent à la fosse seuls, sans même que leurs amis aient pu les accompagner. L’épouse de l’un de mes frères a dû accepter la crémation d’un proche à l’étranger, sans pouvoir faire le voyage. Bref, inutile de me chercher sur ce terrain : je sais combien tout cela est triste, douloureux, funèbre.

Je sais aussi que notre monde malade du Nord se contrefout, en règle si générale, du sort des autres. Le choléra, oublié ici depuis le 19ème siècle, tue chaque année 100 000 humains, dont chacun vaut bien la peau de chacun de nous. Faut-il rappeler la dernière phrase d’un texte célèbre ? « Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui.» Dans ce même temps, 272 000 enfants de moins de cinq ans meurent du paludisme. 650 000 de la grippe, et pas que des petits vieux. 770 000 du sida, malgré la trithérapie. Autour de deux millions de gosses boivent une eau contaminée, eux-mêmes vivant au milieu de 1,6 milliard d’humains sans accès sécurisé à une eau de qualité. 96 millions sont frappés par la dengue. 800 millions sont des affamés chroniques et 9 millions en meurent. Mais deux milliards d’adultes sont en surpoids, dont 650 millions d’obèses. 140 millions seront réfugiés climatiques dans leur propre pays en 2050, selon la Banque mondiale. Ou peut-être 250 millions, comme le craint l’ONU. À moins qu’ils ne soient un milliard, selon d’autres sources.

Est-ce assez ? Cela ne le sera jamais. En quarante ans, 60% des populations d’animaux sauvages ont disparu et le rythme s’accélère. Voilà qu’on s’en prend – et peut-être y a-t-il une part de vrai – au pangolin et à la chauve-souris, accusés d’avoir propagé le coronavirus. Il y a près de 25 ans, la grippe aviaire avait été l’occasion d’un fantastique déni mondial. On accusait les oiseaux sauvages, ces salauds, de transporter le virus dans le monde entier, avant de s’interroger sur les routes majeures de la propagation, qui étaient celles du transport d’animaux de l’élevage industriel.

Qu’en sera-t-il demain ? Savez-vous qu’en Chine, d’où tout est parti, on lance des fermes de 100 000 vaches à la frontière avec la Mongolie ? Que l’on élève des porcs dans des immeubles spécialement conçus pour en accueillir des milliers ? Que la peste porcine africaine (PPA) a peut-être tué au moment où j’écris – le pouvoir totalitaire le conteste -, 200 millions d’animaux ? Que la Chine toujours, pensant mieux se protéger du fléau, élève désormais des porcs géants, aussi lourds que des ours ?

Or, il pourrait y avoir 10 milliards d’humains sur terre en 2050. Qui les nourrira ? Selon l’Atlas mondial de la désertification, 20% de la surface végétale a subi un déclin de sa productivité agricole. Maria-Helena Semedo, directrice générale adjointe de la FAO : « Si nous n’agissons pas maintenant, plus de 90 % des sols de la surface de la terre pourraient se dégrader d’ici 2050 ». Il faut entre 200 ans et plusieurs millénaires pour obtenir un centimètre de sol.

Pourquoi vous asséner ces chiffres implacables ? Parce qu’ils sont implacables. Ils sont le cadre, la contrainte, le paradigme dans lequel tout doit être repensé radicalement. Telle est la base morale et pour tout dire raisonnable de tout discours politique en ce mois de mars 2020. La crise terrible du coronavirus doit être considérée, Dieu sait. Mais en sachant ce que nous avons sous les pieds. Les innombrables pantins et paltoquets qui nous ont conduits là ne nous sortiront pas de ce cauchemar. C’est l’heure des vaillants. Sortez de la paille, descendez des collines.

14 réflexions sur « Planète sans visa rouvre ses portes »

  1. Bien heureux de pouvoir vous re-lire.
    Bon courage dans cette épreuve, aussi minime soit-elle par rapport à d’autres.
    Germain

  2. Je n’ai pas ouvert ton blog depuis très longtemps. Mais ce soir, je me demandais ce que tu pensais de tout ça et voilà que justement, tu écris. C’est rassurant d’entendre penser. J’espère que tu vas bien.

  3. Un peu d’air frais, apres le retour du ciel bleu, a Wuhan, Kolkata et ailleurs, et toutes les vies sauvees par la reduction de la pollution, voici Fabrice de retour! Un petit signe d’espoir… Mais quand meme, on a du mal a garder le moral; car si cette epidemie a ete jusqu’a present surtout propagee par les riches (ceux qui prennent l’avion, qui enfilent les reunions, en serrant des dizaines de mains et se croient permis de toucher a tout, sans jamais se les laver), les pauvres, ceux qui vivent dans la rue ou vivent au jour le jour, savent que ca sera encore bien pire pour eux, car s’ils ont deja du mal a se nourrir, ils ne peuvent pas s’isoler ni meme se laver regulierement, et les villageois empechent toute personne de rentrer, meme les gens du pays qui sont partis chercher du travail ailleurs, n’ont plus acces a leur propre maison, leur propre famille. Les pauvres paniquent, en fait, plus que les riches. Et c’est difficile de leur donner tord…

  4. Moi, je me demande ce que font toutes ces familles confinées où règnent les sévices et les mauvais traitements sur les épouses, les enfants, l’alcoolisme, les jeux vidéo, la téloche…
    Un système immunitaire intact est capable de se défendre contre un virus. Mais si les sols ne sont pas en bon état, comment pourraient-ils produire des aliments qui nous donnent la possibilité d’être en bonne santé et de résister ? Avec, en prime, la pollution atmosphérique qui nous fragilise… que facteurs porteurs de virus !

    Portez-vous bien Fabrice, et toutes et tous !

  5. Enfin une bonne nouvelle 😉 Le retour de Planète sans Visa !

    « Il y a près de 25 ans, la grippe aviaire avait été l’occasion d’un fantastique déni mondial. » J’imagine que c’est une coquille qu’il fallait lire 15. Ou alors il y a des événements dans les années 90 que je ne connais pas.

  6. Variation sur zoonose…quand notre Nicolino désaccords les instruments de la cacophonie générale…avant la tempête finale.
    Dessoulant !! Et grand merci !

  7. Je viens de voir juste maintenant que le blog Planète Sans Visa est à nouveau habité
    Chic chic chic !
    Merci Fabrice !

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