Les dents cassées de la mer

Je crois pouvoir l’écrire : j’aime la mer. Elle me fait venir des frissons, surtout l’Atlantique dément qui cogne entre Audierne et Ouessant. Là-bas, le roi n’est pas mon cousin. Là-bas, j’éprouve des joies saisissantes, pures dirait-on. Et nager ! Sentir au-dessous cette masse ! Imaginer le lieu jaune, le bar, le maquereau, l’araignée, les forêts immergées, les prairies habitées, penser à tout ce monde inconnu autant qu’ignoré. Des frissons. Des frissons qui ne me lâchent plus.

Ce lundi matin, une invitation pour un colloque qui se tient à Paris le 3 octobre. Un journaliste en reçoit chaque jour, via les réseaux électroniques, une quantité. Ce colloque parlera de requins. De requins, oui. Yves Cochet, l’ancien ministre vert, sera là. Hubert Reeves aussi. Et la toute nouvelle députée socialiste Aurélie Filippetti. Ainsi que Rémi Parmentier, un ancien de Greenpeace, et Bernard Séret, un chercheur comme on dit éminent.

Le sujet est bien connu. On discutera ce jour-là de la situation tragique des requins et des responsabilités de la France. Et moi, qui suis un mauvais sujet, je n’irai pas. Je n’irai pas, et si j’en avais encore la force, je me moquerais sans hésitation des participants. Car franchement, et malgré la réelle estime que j’ai pour certains d’entre eux, ne sont-ils pas de vulgaires radoteurs ?

Est-ce bien le temps des colloques ? Et des mots vains qui volent avant que de se noyer ? Je rouvre pour la forme mon dossier « Requins ». En 2003 – voyez que je ne remonte pas à Mathusalem -, une équipe américaine menée par le professeur Ransom Myers publiait une étude dans la revue Science (1). En résumé, elle montrait que les populations de requins avaient diminué de moitié, en moyenne, dans l’Atlantique Nord. En seulement quinze ans. Et en moyenne, j’insiste, car certaines espèces étaient jugées au bord extrême de l’extinction.

Moitié moins de requins en quinze ans. Qui peut croire un chiffre pareil ? Personne, apparemment. Mais est-ce bien une raison pour pérorer une nouvelle fois avant d’avaler quelques petits fours ? Le temps des bouffonneries est derrière nous. Devrait être derrière nous. Devrait.
(1) Baum, J.K., Myers, R.A., Kehler, D.G., Worm, B., Harley, S.J. and Doherty, P.A. 2003. Collapse and conservation of shark populations in the Northwest Atlantic. Science 299: 389–392.

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