Maudites élections européennes

Que soient maudits tous les candidats aux élections européennes. Et tous les partis qui les soutiennent. Tous. Le monde réel qu’ils ignorent flambe, et s’enfonce dans les enfers. Commençons par le Vietnam, de si haute mémoire. Trois vagues de chaleur ont dévasté ce si beau pays en avril, et au moment où ces lignes sont écrites, il fait 44 degrés dans certaines villes. Des centaines de records de température ont été battus.

Toute l’Asie du Sud-Est est touchée par le grand malheur, du Népal aux Philippines, passant par l’Inde, la Birmanie ou la Thaïlande. En Birmanie – 48 degrés au centre du pays -, 2,6 millions d’habitants sont des déplacés, pour la plupart, comme les où Rohingyas, chassés de chez eux. Au Népal, 4500 feux de forêt ont été enregistrés depuis le début de l’année. En Inde – parfois 47 degrés, souvent autour de 30 degrés la nuit -, les morts se comptent milliers. Aux Philippines – 39 degrés à Manille, la capitale -, les évêques cathos de l’archipel organisent des prières pour la pluie, et une baisse de la température. L’Asie, selon l’Organisation mondiale de la météorologie (OMM), se réchauffe très vite, avec une augmentation de deux degrés par rapport à la moyenne de la période 1961-1990.

Et que dire de l’Afrique, éternelle sacrifiée des commentaires ? Une équipe australienne menée par Fiona Charlson a recherché la liste des travaux scientifiques publiés entre 2001 et 2020 sur les liens entre santé mentale et dérèglement climatique (1). Sur les 120 études retrouvées, une seule est consacrée à un pays africain – l’Éthiopie – et 77% concernent les pays riches. Et pourtant ! L’Afrique est en pleine déroute.

Le 3 avril, il a fait 48,5 degrés à Kayes, ville importante du Mali. Une aubaine pour les djihadistes, un peu moins pour les pauvres et les paysans. Selon le World Weather Attribution (2), « fin mars et début avril 2024, la région entre le Sahel et l’Afrique de l’Ouest a connu des chaleurs extrêmes, avec des températures maximales de plus de 45°C au Sahel et des températures minimales de 32°C au Burkina Faso ». Et cette folle envolée « n’aurait pas été possible sans le changement climatique ».

Rien ne va plus, les jeux sont (presque) faits. Le Maroc est en train de perdre une partie de son agriculture après six années de sécheresse. Le Soudan du Sud, déjà martyr pour cause de guerre civile, subit des températures dépassant 45 degrés. Idem en Afrique du Sud. Au Nigeria, l’agence météorologique nationale a réclamé sans succès l’instauration de l’état d’urgence. À Kinshasa, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) tente avec des moyens dérisoires de protéger les 12 millions d’habitants d’une chaleur devenue intolérable. Au Kenya, en Tanzanie, en Somalie, au Burundi, des pluies diluviennes, sans guère de précédent, ont arraché quantité d’infrastructures.

Cet immense désordre climatique a-t-il des conséquences sur la santé mentale ? La réponse est évidente, mais elle a été détaillée en 2022 dans une note de l’OMS. Selon la docteure María Neira, « les conséquences des changements climatiques sont de plus en plus présentes dans notre vie quotidienne, et les personnes et les communautés confrontées aux dangers liés au climat et aux risques à long terme ont accès à très peu de soutien dans le domaine de la santé mentale ».

Passons sur la dimension euphémique du propos, et poursuivons avec le Climate Cares Centre (3), qui dépend du très réputé Imperial College de Londres. Il s’agit d’une équipe regroupant des chercheurs, des experts politiques et d’éducateurs « qui s’efforcent de comprendre et de soutenir la santé mentale dans le contexte des crises climatiques et écologiques actuelles ». L’urgence est là, car le désastre rend fou.

En France, que dalle. Mélenchon est en pleine perdition morale. Glucksmann propose d’investir dans la guerre à venir, les « écologistes » blablatent et, policiers dans l’âme, chassent de leurs rangs Julien Bayou. Ne parlons pas des autres. Au fait, qui est responsable du grand dérèglement, sinon notre soif insatiable de colifichets ?

(1)en anglais : https://www.mdpi.com/1660-4601/18/9/4486

(2) en anglais : https://www.worldweatherattribution.org/extreme-sahel-heatwave-that-hit-highly-vulnerable-population-at-the-end-of-ramadan-would-not-have-occurred-without-climate-change/

(3)en anglais : https://www.imperial.ac.uk/climate-cares/

Grandeur et surtout décadence des Verts

Je sais, ils ne s’appellent plus ainsi depuis 2009. Et ils ne s’appellent pas davantage Europe-Écologie-Les Verts (EELV) depuis l’an passé. Je sais. Mais comme j’entends parler d’histoire, on me pardonnera. Peut-être.

Que se passe-t-il avec la liste dite « écologiste » aux élections européennes de juin ? D’évidence, ce n’est pas une question de personne. Marie Toussaint n’est ni pire, ni meilleure qu’un(e) autre. Je ne sais quel score elle fera, mais tout annonce pour l’instant une raclée.

C’est le parti qui est en cause, cette structure perpétuellement décevante. Comme beaucoup l’ont oublié, je me permets pour commencer un peu d’histoire. Antoine Waechter, qui dirigeait alors les Verts, obtint aux élections européennes de juin 1989 10,59% des voix, nettement plus qu’une certaine…Simone Veil. En 1994, le parti chutait à 2,95%. En 1999, pourtant emmenés par Cohn-Bendit, 9,72%, moins donc que Waechter dix ans plus tôt. En 2004, 7,41%. En 2009, une nouvelle fois conduits par Cohn-Bendit, 16,28%, presque autant que les socialos. En 2014, 8,95%. En 2019, 13,5%.

Le premier constat est d’évidence : les Verts n’ont pas de socle électoral, et l’on vote pour eux au coup par coup, en fonction de considérations x, y et z, dont je gage – sans preuve il est vrai – qu’elles ont peu de rapport avec l’écologie. En outre, il semble que la décision se prenne au dernier moment. Et j’ajoute que leur score à l’élection présidentielle ne manque pas d’intérêt. Waechter en 1988 : 3,8%. Voynet en 1995 : 3,2%. Mamère en 2002 : 5,25%. Voynet en 2007 : 1,57%. Joly en 2012 : 2,31%. Jadot en 2017 se retire piteusement en faveur de Hamon, pour éviter une déculottée prévisible. Jadot à nouveau, en 2022 : 3,34%. C’est à pleurer. Les Verts obtiennent des scores dérisoires, malgré la permanence quotidienne du grand dérèglement climatique, mère de toutes les batailles humaines.

Je n’entends pas refaire ici toute l’histoire. Il y a quantité d’articles de Planète sans visa que l’on peut retrouver si l’on a envie, grâce au petit moteur de recherche intégré. Il y a trois choses plus importantes que d’autres. Un, ce parti est incapable de penser ce qu’il a vécu. Ainsi que l’écrivait le philosophe américain d’origine espagnole George Santayana, Those who cannot remember the past are condemned to repeat it. Ceux qui ne se souviennent pas du passé sont condamnés à le revivre.

Ce mouvement a connu des aventures internes délirantes. D’abord, dès 1984, avec Guy Cambot, homme de droite assurément, grand admirateur de l’armée française, qui assura, avec ce qu’il appelait lui-même « la famille », le succès à la tête du parti d’Antoine Waechter. Puis avec la montée en puissance de ce qu’il faut bien appeler le couple Duflot-Placé, qui régna une bonne dizaine d’années, à partir de 2005-2006 sur les Verts.

Lisons ensemble ce papier mien, tiré de Charlie : « La preuve que ce n’est pas un vain mot : Jean-Vincent Placé. Entre son arrivée chez les Verts, en 2001, et son départ, en 2015, on peut dire qu’il a régné. Entrée au bureau exécutif d’EELV – le sommet – dès 2011, adoubée alors par le duo Placé-Duflot, Sandrine Rousseau pouvait-elle ignorer ce que tout le monde savait et disait mezza voce ? Les constantes sorties « virilistes » de Placé, son inépuisable sac à artifices et à magouilles. En 2013, Cohn-Bendit et Besset décrivaient pour Charlie (no 1083) le système Placé-Duflot, fait de prébendes et de distributions de postes. Et la manière dont les mêmes avaient étouffé Europe Écologie au profit des Verts, Cohn-Bendit concluant : « Placé est d’un cynisme absolu. »
Pas seulement cynique. Profondément sexiste, comme le démontreront plus tard trois faits judiciaires. D’abord cette plainte non encore jugée de son assistante entre 2012 et 2016. Pour harcèlement et agression sexuels. Ensuite une condamnation en 2018 à la suite d’une virée dans un bar parisien, au cours de laquelle il insulte une femme ayant refusé de danser avec lui contre de l’argent. Enfin une condamnation en 2021 pour harcèlement sexuel.

Le 20 mai 2008, le journal Le Monde rapportait cette charmante anecdote au sujet du même : « C’est ainsi qu’au congrès de Bordeaux en 2006, Cécile Duflot, alors sa compagne, se retrouve secrétaire nationale bien que minoritaire au sein du parti. [Placé] lance à un Bruno Le Roux, député du PS, médusé : “T’as vu qui est secrétaire nationale ? Ma meuf ! C’est moi le patron maintenant.” »

Fin de la citation. Plus grave, bien plus grave, l’incapacité des Verts à mettre le dérèglement climatique au premier rang. De ce point de vue, les Européennes sont le triomphe du néant. Au lieu de balbutier sur l’Ukraine, ou de radoter sur Gaza – le sujet est très important -, Marie Toussaint aurait été avisée de répondre à l’éco-anxiété massive de la jeunesse. Mais il aurait fallu critiquer vraiment ce monde, à commencer par la prolifération des objets et la bagnole électrique. Sur ce dernier sujet, sachez que les Verts ont jugé positive cette monstruosité, sans avoir seulement organisé la moindre réunion sur le sujet. L’affaire est ancienne. Qu’on fait dans ce domaine Dominique Voynet et Yves Cochet quand ils étaient ministres entre 1997 et 2002 ? Rien. C’était le moment de lancer une action qui aurait pu être efficace, mais ils n’ont rien fait.

Enfin, mais c’est là secondaire, bien que lié, les Verts sont un mouvement petit-bourgeois blanc, caricatural de ce point de vue. Il compte très peu de vrais jeunes, aucun ouvrier, guère plus de Noirs et d’Arabes, dans une France où ils sont des millions. Les Verts auront claqué des fortunes pour des colloques sur le haschich, le vocabulaire inclusif, le sort des trans, mais n’a jamais essayé de recruter en-dehors de sa caste d’origine.

Bon, vous ferez ce que vous voulez. Je ne vote plus depuis des lustres, et voyez, je suis du parti majoritaire. Imaginons que les Verts fassent même 8% dimanche prochain. Eh bien, avec une moitié d’électeurs votants, cela ferait 4%. 4% alors que le monde flambe.

David Khayat dans le rôle de Claude Allègre

publié en octobre 2023

Nous allons gaiement vers l’abattoir. Deux chiffres pour commencer la tournée des grands-ducs. Entre 1990 et 2023 – l’année n’est pas terminée, mais l’estimation est officielle -, le nombre de nouveaux cas annuels de cancers est passé en France de 216 OOO à 433 000. Le double, alors que la population n’a augmenté que de 20%. Une épidémie, donc. Mais voilà la deuxième info, encore plus cinglée : selon une toute récente étude (1), les cas de cancer – cette fois dans le monde – ont explosé entre 1990 2019. De 79,1%. Chez les moins de cinquante ans. Derechef, épidémie.

Constatons qu’il existe chez nous une sorte de cancéroscepticisme, très voisin du déni climatique. Très. Avec dans le rôle de Claude Allègre l’inaltérable cancérologue David Khayat. Pour ceux qui ne situeraient pas le bonhomme, résumons. Il a créé et dirigé l’Institut national du cancer (Inca), conseillé Chirac, écrit je ne sais combien de livres sur le sujet, et comme Allègre, a bénéficié d’un rond de serviette dans les gazettes bien élevées – jusqu’à Libération -, les radios, les télés.

On ne peut tout écrire, il y faudrait un livre. Choisissons pour commencer un propos tenu le 21 novembre 2005 sur France Inter. Ce jour-là, Khayat est invité pour la dixième – centième ? – fois, et déclare : « Les causes de nos cancers, c’est quoi ? C’est parce que nous fumons. C’est parce que nous mangeons mal. C’est parce que nous avons exposé nos enfants au soleil. C’est parce que nous n’allons pas faire du dépistage. C’est parce que des femmes attrapent une maladie sexuellement transmissible par un papillomavirus qui donne un cancer du col. C’est parce que nous avons une bactérie dans l’estomac qui s’appelle Helicobacter et qui donne le cancer de l’estomac. Etc .» Et pour les sourds et malentendants, ajoute : « La pollution [comme cause des cancers], c’est-à-dire ce que nous, en France, nous appelons l’“environnement”, ce n’est presque rien. »

On remarquera sans l’ombre d’une polémique, que pour Khayat, le cancer, c’est la faute de celui qui l’attrape. Pas à l’industrie, pas à cause des politiques publiques. Le cancer, c’est une affaire personnelle. Notons qu’il a bien raison, puisque les Académies de vieux birbes – celle de Médecine, celles des Sciences – signent la même année, avec quelques autres sommités, un rapport sur les causes du cancer en France (2). Ça déménage. Par exemple, l’explosif cancer du sein est lié à la sensibilité de la mammographie. Par exemple, la mortalité par cancer chez les hommes n’est attribuable aux « polluants » qu’à hauteur de…0,2%. Le reste sent très fort son Khayat. Le cancer, c’est l’âge, l’alcool, le tabac, le surpoids, l’inactivité physique, le soleil, les traitements de la ménopause.

Mais revenons aux études précitées. En France, la consommation d’alcool est passée 26 litres d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans en 1961 à 12 en 2017. Chez les hommes, 59 % clopaient en 1974 et 31,8 % en 2022. Comme Khayat et ses amis font de l’alcool et du tabac des déclencheurs souverains du cancer, l’incidence de ce dernier devrait diminuer. Mais non, il flambe, même chez les moins de 50 ans.

En mai 2004, d’autres scientifiques que ceux de la bande à Khayat lancent « L’Appel de Paris », dont voici un extrait : « Constatant que l’Homme est exposé aujourd’hui à une pollution chimique diffuse occasionnée par de multiples substances ou produits chimiques ; que cette pollution a des effets sur la santé de l’Homme ; que ces effets sont très souvent la conséquence d’une régulation insuffisante de la mise sur le marché des produits chimiques et d’une gestion insuffisamment maîtrisée des activités économiques de production, consommation et élimination de ces produits… »

Mais au fait, qui est ce bon docteur Khayat, dont l’un des derniers livres fait du stress un grand responsable du cancer ? Un lobbyiste. Un pur est simple lobbyiste embauché par le cigarettier Philip Morris pour vanter les bienfaits du tabac chauffé. Soyons sport, il « conseille » aussi Fleury-Michon et Auchan (4). Est-ce possible ? C’est.

(1)https://bmjoncology.bmj.com/content/2/1/e000049

(2)https://www.academie-sciences.fr/archivage_site/presse/communique/rapport_130907.pdf

(3)https://www.inserm.fr/dossier/alcool-sante/

(4)https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/14/david-khayat-un-monsieur-cancer-en-vrp-de-l-industrie-du-tabac_6076758_3224.html

Deuxième papier

À tous ceux qui n’auront jamais la clim’

Avis personnel : je connais des gens, proches, qui vivent dans des banlieues pouilleuses, dont le béton des immeubles brûle la peau en été. Pas de clim, pas d’évasion possible, juste l’enfer. Une petite enquête du site américain ABC News (1) revient sur la chaleur dans les villes. Cela ne va pas, cela ira de mal en pis.

Le béton, la minéralisation de tous les espaces urbains, les plantations si maigrichonnes d’arbres et de plantes annoncent un avenir radieux. Malgosia Madajewicz, chercheuse à l’université de Columbia : « Non seulement les habitants et les infrastructures subissent une hausse constante des températures moyennes, mais lorsque les vagues de chaleur extrême arrivent, elles représentent un danger encore plus grand ».

Qui morfle en priorité ? La surprise est grande : les pauvres. On l’oublie à force d’images frelatées – les films, les séries -, mais tout le monde n’a pas la clim’ aux États-Unis. Et ceux qui en ont n’ont pas forcément l’argent pour la faire marcher jour et nuit. Rachel Cleetus, directrice du programme Climat et Énergie à l’Union of Concerned Scientists : « Les chaleurs estivales extrêmes accablent les populations vulnérables, en particulier les communautés de couleur à faibles revenus .» Des relevés cartographiques montrent les inégalités territoriales, sociales, raciales dans l’accès à la climatisation (2).

On en a peu parlé à l’époque, mais une conférence internationale s’est déroulé au Qatar en mai dernier. Deux jours sur le stress thermique au travail (3), qui ont permis d’enfoncer pas mal de portes ouvertes : la température extrême provoque des coups de chaleur, augmente l’incidence des cancers, entraîne des maladies rénales, cardiaques et pulmonaires. En première ligne, le milliard d’ouvriers agricoles trimant dans les champs, accompagnés de dizaines de millions de prolos travaillant dehors. Dont bien sûr ceux du bâtiment. Oh ! Macron n’en pas dit un mot dans son distrayant discours sur “sa” transition écologique à lui. Ce sera pour une autre fois.

(1)https://abcnews.go.com/US/climate-week-nyc-large-cities-forefront-climate-change/story?id=103184987

(2)https://www.ucsusa.org/resources/killer-heat-united-states-0

(3)https://www.ilo.org/beirut/countries/qatar/WCMS_874714/lang–en/index.htm

troisième papier

Officiel : le bouchon de Volvic est « solidaire »

Prenons dans les mains une bouteille de Volvic. Les communicants se sont surpassés. Parmi les mensonges publicitaires de l’étiquette, ceci : « la force de la nature a créé Volvic .» On croyait bêtement que cette eau datait de sa commercialisation en 1938. Je m’ai trompé.

Le mieux est ailleurs. Désormais, le bouchon est dit « solidaire » – texto -, car il est retenu à la bouteille par une bague en plastique vert qu’on ne peut arracher qu’avec de forts ciseaux. D’où vient l’idée ? D’une directive européenne qui impose ce type de fermeture au plus tard le 3 juillet 2024. Ça coûte bonbon : le géant Tetra Pak aurait investi 100 millions d’euros dans son usine de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Cristaline a montré le vertueux chemin dès 2016 et tous les autres ont suivi ou suivront dans les prochains mois.

La raison de cette grande réforme mérite d’être rapportée, car il s’agit de protéger la nature. Extrait de la directive européenne : « Les bouchons et les couvercles en plastique utilisés pour des récipients pour boissons figurent parmi les articles en plastique à usage unique les plus fréquemment retrouvés sur les plages de l’Union .» Notons que le simulacre est somptueux : selon l’OCDE, « la consommation mondiale de plastique passera de 460 millions de tonnes (Mt) en 2019 à 1 231 Mt en 2060. »

Ajoutons un petit grain de sel. Il est inévitable qu’en branlottant ainsi ces bouchons « solidaires », on produira une quantité x de microplastiques invisibles à l’oeil, et qu’on retrouvera dans l’eau. Goûteux.

Le ridicule ne tuera jamais les experts économiques

publié en septembre 2023

Aujourd’hui, agression au sabre d’abordage contre ce qu’ils appellent la « science économique ». Pourquoi ? Parce que le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, vient de lancer, dans un millième cri de putois : « L’effondrement climatique a commencé ». Mais combien ça coûte ? Hein, combien ? De 1991 à 2010, les experts en béton de TF1 en avaient fait une émission consacrée au porte-monnaie. Présentée par, j’ose à peine évoquer sa haute figure morale, Jean-Pierre Pernaut. Mais combien nous coûte la perdition climatique ?

Les experts expertisent depuis un moment, et parmi eux, un certain Nicholas Stern, baron Stern of Brentford. Mathématiques à Cambridge, économie à Oxford, grand homme donc. En 2006, il conduit une étude sur le coût du dérèglement climatique – une première – et assure qu’une prévention immédiate des lourds dommages prévisibles ne coûterait qu’un investissement modeste de 1% du produit mondial brut (PMB) par an (1).

Non seulement tout le monde s’en fout, mais en outre, Stern lui-même se rend compte de sa balourdise, mot euphémique comme on s’en doute. Interrogé en 2013 au cours du sommet économique de Davos, il admet s’être planté : « Je me suis trompé sur le changement climatique – c’est beaucoup, beaucoup plus grave ». Et en effet, Dugenou, mais c’est trop tard, car ta prédiction à la madame Irma aura entretemps servi la cause du déni.

L’économie, pratiquement synonyme de la destruction des écosystèmes, ne peut évidemment concevoir les conséquences réelles du désastre en cours. Aucun esprit humain n’en est d’ailleurs capable. Mais piochons dans de tout petits exemples récents, qui montrent à quel point leur « science économique » est ridicule. D’abord Lacanau, ville balnéaire de Gironde, avec sa plage d’un kilomètre de long, au dos de laquelle s’entassent 110 commerces et 1200 logements. La mer monte grignote chaque année 1 ou 2 mètres de plage, et la seule solution – s’il y en a une -, c’est de déménager le tout plus haut. Coût minoré en cet été : 500 millions d’euros. Qui paiera, qui paierait ?

Le 23 août, au moins 10 000 m3 de roches dévalent la face nord de l’Aiguille du Midi (Haute-Savoie). Le 27 août, entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane, en Savoie, 700 m3 s’abattent sur une route. Pour la seule année 2022, on a recensé autour de 250 éboulements en montagne, phénomène presque inconnu avant 1990. Le sol gelé des hauteurs, qui servait de ciment solide, fond comme neige au soleil. Ce n’est donc qu’un début.

Les milliers d’incendies – près de mille encore actifs – des forêts du Canada ont envoyé dans l’atmosphère des centaines de millions de tonnes de CO2, peut-être un milliard, tué un nombre x d’habitants des villes par les fumées, dont New-York, privé l’avenir du pays de forêts irremplaçables. Et ne parlons pas des animaux. Et ne parlons pas de la beauté. Et ne parlons surtout de rien.

La Banque africaine de développement (BAD) vient de publier un rapport involontairement saignant (2) sur l’Afrique du Nord. Pensons un quart de seconde au Maroc sous les décombres, à la Libye dévastée par les flots, à l’Égypte en énième crise du blé, à la Tunisie au premier rang des migrations subsahariennes. Eh bien, c’est gai. La BAD nous dit que l’ensemble devrait investir chaque année 25,7 milliards de dollars pour seulement contenir le dérèglement. 20% sont péniblement assemblés. Idem pour les énergies renouvelables. Il faudrait investir 183 milliards de dollars chaque année. Y a pas la queue d’un.

Enfin, la Banque centrale européenne vient de publier trois scénarios à l’horizon 2030. Si l’on veut bouger vraiment – à leur manière bien sûr, sans rien changer au fond -, l’Europe devrait mobiliser 3200 milliards d’euros d’ici 2030. C’est comme si c’était fait. Et résumons le propos de la semaine : les économistes sont bien incapables de comprendre quoi que ce soit à ce qui se passe. Une ultime moquerie pour le couple Cagé-Piketty, chéri de la gauche, qui vient de publier Une histoire du conflit politique. À quoi sert donc l’économie ? À parler d’autre chose.

(1)https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2007-4-page-475.htm

(2)https://www.afdb.org/fr/documents/perspectives-economiques-en-afrique-du-nord-2023

Encore un barrage sur le grand Rhône

Publié en septembre 2023

Ils veulent simplement achever le Rhône. Mais présentons une splendeur qui fut sans égale. Il prend sa source en Suisse, dans un glacier qui lui a donné son nom, le Rhône. Après 290 km de tumulte, il se jette la tête la première dans le lac Léman, sort à Genève, et poursuit en France, sur 545 km. Le delta du Rhône est un miracle appelé Camargue, fait de sable, de roubines – des marais -, de sansouires – des steppes salées – et d’horribles rizières gorgées de pesticides.

Une telle puissance ne pouvait qu’exciter les ingénieurs, les techniciens, les politiciens. En 1937 commencent les travaux du barrage de Génissiat (Ain), qui ne sera inauguré qu’en 1948. On crée pour l’occasion un monstre qui ne cessera de prospérer : la Compagnie nationale du Rhône(CNR), groupe para-public toujours contrôlé par l’ État 90 ans après sa création. L’appétit de ces gens venant en se goinfrant, ce n’était pour eux qu’un modeste apéritif. Aujourd’hui, 80% du cours du Rhône sont artificialisés par le béton et les turbines, et la CNR, très fière de ses triomphes, annonce être le proprio de 19 barrages sur le Rhône et 19 centrales hydro-électriques principales.

Ce qui a été détruit ne reviendra pas. Mais on peut sauver ce que les aménageurs n’ont pas réussi à défigurer. Or la CNR et ses réseaux d’obligés politiciens veulent un nouveau barrage sur la dernière portion de Rhône non encore barrée, sur la commune de Saint-Romain-de-Jalionas, à la frontière entre l’Isère et l’Ain. Et y mènent en ce moment une « étude d’opportunité ». Comprendre que la CNR est une machine. Qui a un besoin vital de nouvelles constructions. Dont les bureaux d’étude passent des semaines et des mois à prospecter, jusqu’à trouver une proie. Une perpétuelle fuite en avant.

Avant d’aller plus loin, un souvenir personnel. Il y a une vingtaine d’années, j’ai conduit un long entretien avec l’écrivain Bernard Clavel. Je m’en souviens comme d’une lumière rasante sur le grand Rhône qui, disait-il, avait décidé de sa vocation. Celui qui avait été pâtissier, bûcheron, ouvrier, lutteur de foire – il fut un bon haltérophile -, relieur, employé, peintre et romancier enfin, me disait à propos des berges de son enfance : «  La vorgine, c’est l’ensemble des plantes sauvages qui poussent au bord du Rhône et jusqu’au coeur des lônes, qui sont ses bras morts. Il y avait à l’époque de ma jeunesse des lônes partout. Quel monde particulier ! Ils étaient remplis d’animaux, j’y ai vu des castors et quantité d’oiseaux qui n’étaient presque pas dérangés ».

Comme de juste, comme à chaque fois désormais, la CNR sort sa propagande lourde, et assure qu’il s’agit « d’accélérer le développement des énergies renouvelables dans les territoires afin d’atteindre 33 % d’énergies renouvelables en 2030 ». Eh oui, la CNR elle aussi est un soldat de l’écologie. Faut-il discuter avec ces gens ? On a le droit, mais on a tort. Le bel exemple nous vient d’un collectif appelé Le peuple des dunes, formé il y a quinze ans pour s’opposer au projet du cimentier Lafarge d’extraire 600 000 tonnes de sable au large de la Bretagne, entre Gâvres et Quiberon. Chaque année, et pendant trente ans.

S’ils ont gagné, c’est qu’ils refusaient la discussion. Extrait de l’appel d’un de leurs animateurs, Jean Gresy : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation ». En Isère, une première réunion a eu lieu le 12 juin, avec des élus, et des associations comme la LPO, France Nature Environnement, Lo Parvi (1), la fédération de pêche, et une autre se prépare pour le 30 septembre. Le maire de Saint-Romain-de-Jalionas, Jérôme Grausi, suivra-t-il le même chemin que celui des dunes ? Pour l’heure, il résiste et refuse. On peut envoyer des messages à la mairie de la part de Charlie : jerome.grausi2026@mairiestromaindejalionas.fr. Passeront-ils malgré nous tous ? En s’y prenant dès maintenant, non, sûrement pas.

(1)http://cdn2_3.reseaudescommunes.fr/cities/149/documents/p8qffvcf849z9xd.pdf