Archives de catégorie : Industrie et propagande

David Khayat dans le rôle de Claude Allègre

publié en octobre 2023

Nous allons gaiement vers l’abattoir. Deux chiffres pour commencer la tournée des grands-ducs. Entre 1990 et 2023 – l’année n’est pas terminée, mais l’estimation est officielle -, le nombre de nouveaux cas annuels de cancers est passé en France de 216 OOO à 433 000. Le double, alors que la population n’a augmenté que de 20%. Une épidémie, donc. Mais voilà la deuxième info, encore plus cinglée : selon une toute récente étude (1), les cas de cancer – cette fois dans le monde – ont explosé entre 1990 2019. De 79,1%. Chez les moins de cinquante ans. Derechef, épidémie.

Constatons qu’il existe chez nous une sorte de cancéroscepticisme, très voisin du déni climatique. Très. Avec dans le rôle de Claude Allègre l’inaltérable cancérologue David Khayat. Pour ceux qui ne situeraient pas le bonhomme, résumons. Il a créé et dirigé l’Institut national du cancer (Inca), conseillé Chirac, écrit je ne sais combien de livres sur le sujet, et comme Allègre, a bénéficié d’un rond de serviette dans les gazettes bien élevées – jusqu’à Libération -, les radios, les télés.

On ne peut tout écrire, il y faudrait un livre. Choisissons pour commencer un propos tenu le 21 novembre 2005 sur France Inter. Ce jour-là, Khayat est invité pour la dixième – centième ? – fois, et déclare : « Les causes de nos cancers, c’est quoi ? C’est parce que nous fumons. C’est parce que nous mangeons mal. C’est parce que nous avons exposé nos enfants au soleil. C’est parce que nous n’allons pas faire du dépistage. C’est parce que des femmes attrapent une maladie sexuellement transmissible par un papillomavirus qui donne un cancer du col. C’est parce que nous avons une bactérie dans l’estomac qui s’appelle Helicobacter et qui donne le cancer de l’estomac. Etc .» Et pour les sourds et malentendants, ajoute : « La pollution [comme cause des cancers], c’est-à-dire ce que nous, en France, nous appelons l’“environnement”, ce n’est presque rien. »

On remarquera sans l’ombre d’une polémique, que pour Khayat, le cancer, c’est la faute de celui qui l’attrape. Pas à l’industrie, pas à cause des politiques publiques. Le cancer, c’est une affaire personnelle. Notons qu’il a bien raison, puisque les Académies de vieux birbes – celle de Médecine, celles des Sciences – signent la même année, avec quelques autres sommités, un rapport sur les causes du cancer en France (2). Ça déménage. Par exemple, l’explosif cancer du sein est lié à la sensibilité de la mammographie. Par exemple, la mortalité par cancer chez les hommes n’est attribuable aux « polluants » qu’à hauteur de…0,2%. Le reste sent très fort son Khayat. Le cancer, c’est l’âge, l’alcool, le tabac, le surpoids, l’inactivité physique, le soleil, les traitements de la ménopause.

Mais revenons aux études précitées. En France, la consommation d’alcool est passée 26 litres d’alcool pur par habitant de plus de 15 ans en 1961 à 12 en 2017. Chez les hommes, 59 % clopaient en 1974 et 31,8 % en 2022. Comme Khayat et ses amis font de l’alcool et du tabac des déclencheurs souverains du cancer, l’incidence de ce dernier devrait diminuer. Mais non, il flambe, même chez les moins de 50 ans.

En mai 2004, d’autres scientifiques que ceux de la bande à Khayat lancent « L’Appel de Paris », dont voici un extrait : « Constatant que l’Homme est exposé aujourd’hui à une pollution chimique diffuse occasionnée par de multiples substances ou produits chimiques ; que cette pollution a des effets sur la santé de l’Homme ; que ces effets sont très souvent la conséquence d’une régulation insuffisante de la mise sur le marché des produits chimiques et d’une gestion insuffisamment maîtrisée des activités économiques de production, consommation et élimination de ces produits… »

Mais au fait, qui est ce bon docteur Khayat, dont l’un des derniers livres fait du stress un grand responsable du cancer ? Un lobbyiste. Un pur est simple lobbyiste embauché par le cigarettier Philip Morris pour vanter les bienfaits du tabac chauffé. Soyons sport, il « conseille » aussi Fleury-Michon et Auchan (4). Est-ce possible ? C’est.

(1)https://bmjoncology.bmj.com/content/2/1/e000049

(2)https://www.academie-sciences.fr/archivage_site/presse/communique/rapport_130907.pdf

(3)https://www.inserm.fr/dossier/alcool-sante/

(4)https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/14/david-khayat-un-monsieur-cancer-en-vrp-de-l-industrie-du-tabac_6076758_3224.html

Deuxième papier

À tous ceux qui n’auront jamais la clim’

Avis personnel : je connais des gens, proches, qui vivent dans des banlieues pouilleuses, dont le béton des immeubles brûle la peau en été. Pas de clim, pas d’évasion possible, juste l’enfer. Une petite enquête du site américain ABC News (1) revient sur la chaleur dans les villes. Cela ne va pas, cela ira de mal en pis.

Le béton, la minéralisation de tous les espaces urbains, les plantations si maigrichonnes d’arbres et de plantes annoncent un avenir radieux. Malgosia Madajewicz, chercheuse à l’université de Columbia : « Non seulement les habitants et les infrastructures subissent une hausse constante des températures moyennes, mais lorsque les vagues de chaleur extrême arrivent, elles représentent un danger encore plus grand ».

Qui morfle en priorité ? La surprise est grande : les pauvres. On l’oublie à force d’images frelatées – les films, les séries -, mais tout le monde n’a pas la clim’ aux États-Unis. Et ceux qui en ont n’ont pas forcément l’argent pour la faire marcher jour et nuit. Rachel Cleetus, directrice du programme Climat et Énergie à l’Union of Concerned Scientists : « Les chaleurs estivales extrêmes accablent les populations vulnérables, en particulier les communautés de couleur à faibles revenus .» Des relevés cartographiques montrent les inégalités territoriales, sociales, raciales dans l’accès à la climatisation (2).

On en a peu parlé à l’époque, mais une conférence internationale s’est déroulé au Qatar en mai dernier. Deux jours sur le stress thermique au travail (3), qui ont permis d’enfoncer pas mal de portes ouvertes : la température extrême provoque des coups de chaleur, augmente l’incidence des cancers, entraîne des maladies rénales, cardiaques et pulmonaires. En première ligne, le milliard d’ouvriers agricoles trimant dans les champs, accompagnés de dizaines de millions de prolos travaillant dehors. Dont bien sûr ceux du bâtiment. Oh ! Macron n’en pas dit un mot dans son distrayant discours sur “sa” transition écologique à lui. Ce sera pour une autre fois.

(1)https://abcnews.go.com/US/climate-week-nyc-large-cities-forefront-climate-change/story?id=103184987

(2)https://www.ucsusa.org/resources/killer-heat-united-states-0

(3)https://www.ilo.org/beirut/countries/qatar/WCMS_874714/lang–en/index.htm

troisième papier

Officiel : le bouchon de Volvic est « solidaire »

Prenons dans les mains une bouteille de Volvic. Les communicants se sont surpassés. Parmi les mensonges publicitaires de l’étiquette, ceci : « la force de la nature a créé Volvic .» On croyait bêtement que cette eau datait de sa commercialisation en 1938. Je m’ai trompé.

Le mieux est ailleurs. Désormais, le bouchon est dit « solidaire » – texto -, car il est retenu à la bouteille par une bague en plastique vert qu’on ne peut arracher qu’avec de forts ciseaux. D’où vient l’idée ? D’une directive européenne qui impose ce type de fermeture au plus tard le 3 juillet 2024. Ça coûte bonbon : le géant Tetra Pak aurait investi 100 millions d’euros dans son usine de Châteaubriant (Loire-Atlantique). Cristaline a montré le vertueux chemin dès 2016 et tous les autres ont suivi ou suivront dans les prochains mois.

La raison de cette grande réforme mérite d’être rapportée, car il s’agit de protéger la nature. Extrait de la directive européenne : « Les bouchons et les couvercles en plastique utilisés pour des récipients pour boissons figurent parmi les articles en plastique à usage unique les plus fréquemment retrouvés sur les plages de l’Union .» Notons que le simulacre est somptueux : selon l’OCDE, « la consommation mondiale de plastique passera de 460 millions de tonnes (Mt) en 2019 à 1 231 Mt en 2060. »

Ajoutons un petit grain de sel. Il est inévitable qu’en branlottant ainsi ces bouchons « solidaires », on produira une quantité x de microplastiques invisibles à l’oeil, et qu’on retrouvera dans l’eau. Goûteux.

Encore un barrage sur le grand Rhône

Publié en septembre 2023

Ils veulent simplement achever le Rhône. Mais présentons une splendeur qui fut sans égale. Il prend sa source en Suisse, dans un glacier qui lui a donné son nom, le Rhône. Après 290 km de tumulte, il se jette la tête la première dans le lac Léman, sort à Genève, et poursuit en France, sur 545 km. Le delta du Rhône est un miracle appelé Camargue, fait de sable, de roubines – des marais -, de sansouires – des steppes salées – et d’horribles rizières gorgées de pesticides.

Une telle puissance ne pouvait qu’exciter les ingénieurs, les techniciens, les politiciens. En 1937 commencent les travaux du barrage de Génissiat (Ain), qui ne sera inauguré qu’en 1948. On crée pour l’occasion un monstre qui ne cessera de prospérer : la Compagnie nationale du Rhône(CNR), groupe para-public toujours contrôlé par l’ État 90 ans après sa création. L’appétit de ces gens venant en se goinfrant, ce n’était pour eux qu’un modeste apéritif. Aujourd’hui, 80% du cours du Rhône sont artificialisés par le béton et les turbines, et la CNR, très fière de ses triomphes, annonce être le proprio de 19 barrages sur le Rhône et 19 centrales hydro-électriques principales.

Ce qui a été détruit ne reviendra pas. Mais on peut sauver ce que les aménageurs n’ont pas réussi à défigurer. Or la CNR et ses réseaux d’obligés politiciens veulent un nouveau barrage sur la dernière portion de Rhône non encore barrée, sur la commune de Saint-Romain-de-Jalionas, à la frontière entre l’Isère et l’Ain. Et y mènent en ce moment une « étude d’opportunité ». Comprendre que la CNR est une machine. Qui a un besoin vital de nouvelles constructions. Dont les bureaux d’étude passent des semaines et des mois à prospecter, jusqu’à trouver une proie. Une perpétuelle fuite en avant.

Avant d’aller plus loin, un souvenir personnel. Il y a une vingtaine d’années, j’ai conduit un long entretien avec l’écrivain Bernard Clavel. Je m’en souviens comme d’une lumière rasante sur le grand Rhône qui, disait-il, avait décidé de sa vocation. Celui qui avait été pâtissier, bûcheron, ouvrier, lutteur de foire – il fut un bon haltérophile -, relieur, employé, peintre et romancier enfin, me disait à propos des berges de son enfance : «  La vorgine, c’est l’ensemble des plantes sauvages qui poussent au bord du Rhône et jusqu’au coeur des lônes, qui sont ses bras morts. Il y avait à l’époque de ma jeunesse des lônes partout. Quel monde particulier ! Ils étaient remplis d’animaux, j’y ai vu des castors et quantité d’oiseaux qui n’étaient presque pas dérangés ».

Comme de juste, comme à chaque fois désormais, la CNR sort sa propagande lourde, et assure qu’il s’agit « d’accélérer le développement des énergies renouvelables dans les territoires afin d’atteindre 33 % d’énergies renouvelables en 2030 ». Eh oui, la CNR elle aussi est un soldat de l’écologie. Faut-il discuter avec ces gens ? On a le droit, mais on a tort. Le bel exemple nous vient d’un collectif appelé Le peuple des dunes, formé il y a quinze ans pour s’opposer au projet du cimentier Lafarge d’extraire 600 000 tonnes de sable au large de la Bretagne, entre Gâvres et Quiberon. Chaque année, et pendant trente ans.

S’ils ont gagné, c’est qu’ils refusaient la discussion. Extrait de l’appel d’un de leurs animateurs, Jean Gresy : « Sachez qu’il n’y a place pour aucune solution négociée avec les cimentiers, car nous ne transigerons pas sur les valeurs qui sont au cœur de notre action. Il n’y a place ni à l’arbitrage, ni à la conciliation, ni à la médiation ». En Isère, une première réunion a eu lieu le 12 juin, avec des élus, et des associations comme la LPO, France Nature Environnement, Lo Parvi (1), la fédération de pêche, et une autre se prépare pour le 30 septembre. Le maire de Saint-Romain-de-Jalionas, Jérôme Grausi, suivra-t-il le même chemin que celui des dunes ? Pour l’heure, il résiste et refuse. On peut envoyer des messages à la mairie de la part de Charlie : jerome.grausi2026@mairiestromaindejalionas.fr. Passeront-ils malgré nous tous ? En s’y prenant dès maintenant, non, sûrement pas.

(1)http://cdn2_3.reseaudescommunes.fr/cities/149/documents/p8qffvcf849z9xd.pdf

Du plomb dont on fait des neuneus

Publié en juillet 2023

Ainsi va le monde, tandis que nous hésitons sur la marque de notre prochain téléphone portable. La Burkinabée Nafisatou Cissé dirige une ONG internationale qui lutte contre l’intoxication par le plomb (1). Et elle vient de signer un article (2) dans la revue Nature qui fait le point sur ce si grand désastre. C’est très difficile à croire, et pourtant. Extrait : « Dans le monde, 815 millions d’enfants – 1 sur 3 – ont des niveaux dangereux de plomb dans le sang, suffisants pour provoquer des lésions cérébrales irréversibles, des déficiences intellectuelles, une baisse du niveau d’éducation, des troubles du comportement, une diminution des revenus tout au long de la vie, de l’anémie, des maladies rénales et des maladies cardiovasculaires ».

D’ou vient cet enfer toxique ? Des ustensiles de cuisine en aluminium, des céramiques, des épices, des cosmétiques et des piles, du recyclage des déchets électroniques et des batteries au plomb. Et bien sûr des peintures auxquelles on ajoute du plomb pour accélérer le séchage et donner de la couleur. On s’en doute un peu, il est très facile, comme dans les pays du Nord, de s’en passer. Le plomb, combien de morts dans le monde ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’un million chaque année. Et, ajoute Nafisatou Cissé, « on estime que les effets du plomb sur le développement cognitif entraînent chaque année une perte de revenus de près de 1 000 milliards de dollars dans les pays à revenu faible et intermédiaire ».

Vous avez bien lu : 1 000 milliards de dollars, à rapprocher des 9,6 milliards de dollars du budget d’un pays comme le Sénégal en 2023. Et la lutte contre le plomb mobilise à grand-peine 10 millions de dollars de fonds internationaux par an. Ce n’est pas seulement fou, c’est sanguinaire. Comme à l’habitude, derrière le crime, il y a l’industrie. Il fallait mettre du plomb partout, car on le produisait massivement. En 2022, des pays comme la Chine – deux millions de tonnes – et l’Inde – 240 000 tonnes – augmentent leur production. Et la baisse chez d’autres – Australie, États-Unis, Canada, Mexique – est minime.

Malgré l’interdiction mondiale du plomb dans l’essence en 2021, la tuerie continue. Au Sud on l’a vu, mais aussi au Nord. Une étude sérieuse de 2018 estimait à 412 000 morts par an aux États-Unis l’intoxication par de faibles expositions au plomb (3). 412 000, le sixième de la mortalité ! Mais pas en France, oh non. On se souvient du nuage de Tchernobyl arrêté en 1986 par la douane aux frontières françaises. Eh bien, de même, le plomb n’est pas passé par chez nous.

Démonstration immédiate par un rapport de la Direction du travail, révélé en juin par Le Parisien. En résumé express, la SNCF se tamponne le coquillard de l’exposition au plomb de ses salariés. Elle avait promis d’agir, mais ne l’a pas fait, et dans les gares d’Austerlitz, de Lyon, de Saint-Lazare et du Nord, elle « ne se conforme pas à des obligations essentielles de prévention des risques d’exposition au plomb, bien qu’en connaissant les termes ». Et ça craint, car « les éléments recueillis par les inspectrices du travail permettent d’établir l’existence de situations dangereuses pour les salariés de l’entreprise et de celles intervenantes ».

Mais que dire alors de l’incendie de Notre-Dame en 2019 ? Nos chers Bernard Arnault et François Pinault ont aussitôt montré grandeur d’âme et philanthropie, offrant ensemble 300 millions d’euros pour la reconstruction de la cathédrale. Oui, mais où sont passées les 400 tonnes de plomb qui ont fondu dans l’incendie avant d’être vaporisées pour le bien-être universel ?

Il faut reconnaître que l’affaire devient passionnante, car par un tour de magie digne d’Houdini, elles ont disparu. Malgré les plaintes de l’association Robin des Bois, on est toujours à leur recherche. Question des plus innocentes : pouvait-t-on trucider le tourisme parisien, l’un des grands moteurs de l’économie ? Pouvait-on se permettre d’en trouver dans les cours de récréation, les jardins publics, les intérieurs bourgeois de ce quartier chic ?

(1)en anglais https://leadelimination.org/

(2)en anglais https://www.nature.com/articles/d41586-023-02368-0

(3)en anglais https://www.thelancet.com/pdfs/journals/lanpub/PIIS2468-2667(18)30025-2.pdf

Deuxième papier

La chimie arrêtée aux frontières (bis repetita)

Ce n’est pas en France qu’on verrait cela. Certes, les États-Unis sont le royaume des pires pollueurs, mais ils abritent aussi des procureurs indépendants et teigneux dont on ne voit pas l’équivalent chez nous. Témoin cette plainte du bureau du procureur général de Washington contre 25 entreprises de la chimie, accusées d’avoir fabriqué et vendu des produits toxiques qui empoisonnent la capitale fédérale américaine depuis les années 1950.

L’Attorney general vise en particulier deux entreprises, 3M et DuPont, qui ont beaucoup utilisé ce qu’on appelle des forever chemicals, les PFAS. Autrement dit, des polluants chimiques éternels, dont la structure résiste à toute dégradation pour des siècles. Et ils l’on fait en cachant à la société et aux organismes de contrôle les risques pour la santé et l’environnement, qu’ils connaissaient pourtant. 3M pèse 34 milliards de dollars de chiffre d’affaires – 92 000 employés – et DuPont « seulement » 13 milliards après différentes modifications de capital. Des géants de l’industrie transnationale.

Ça chauffe d’autant plus que cette plainte arrive après un accord passé par 3M le mois dernier avec plusieurs villes américaines. L’industriel a accepté de verser au total 10,3 milliards de dollars sur 13 ans pour financer la dépollution des services publics de distribution de l’eau. Mais de leur côté, les cauteleux avocats de DuPont jurent qu’ils n’ont rien à voir dans cette histoire. Selon eux, DuPont n’a jamais fabriqué de PFAS, et d’un point de vue torve, c’est vrai. Car entre 2017 et 2019, l’antique DuPont de Nemours s’est scindé en trois entités. Et celle qui a gardé le nom, en effet, n’a pas fabriqué de PFAS.

C’est si gros qu’on se pince. Au fait, à quand des plaintes en France ? L’usine de 3M à Tilloy-lez-Cambrai (Nord) ne mériterait-elle pas une enquête approfondie de Santé Publique France ou de l’Agence régionale de santé ? En 2021, des tests sanguins ont montré que 59% des riverains de l’usine 3M de Zwijndrecht (Belgique) étaient farcis de PFOS, sous-famille des PFAS. Mais en France, jamais !

Troisième papier

La canicule tue aussi (surtout) les bêtes

Ils souffrent beaucoup plus que nous. Ils meurent par millions et nous regardons gentiment s’il y a encore du rosé au frais. Eux, les animaux sauvages. Eux, les plantes et les arbres. La canicule est un enfer, et l’on commence à entrevoir ses conséquences. Une étude (1) menée en 2021 et 2022 à Matera, dans la Basilicate (sud de l’Italie) montre les effets d’un stress thermique sur la population locale de faucons crécerellettes – un millier de couples ! -, qui nichent sous les tuiles ou sur les façades de Madera, l’une des villes les plus anciennement habitées au monde.

Encore l’étude ne porte-t-elle que sur des températures ne dépassant pas 37 degrés. Loin de la chaleur de 2023. L’équipe scientifique a pu montrer qu’en créant artificiellement de l’ombre sur les nombreux nichoirs de la ville, on pouvait ainsi abaisser la température de quatre degrés. Et le résultat à l’arrivée est saisissant : dans les nichoirs non ombragés, un tiers des œufs sont devenus des poussins prêts à l’envol. Mais dans les autres, autour de 70%.

Commentaire du professeur Diego Rubolini (2), de l’université d’État de Milan : « Ces résultats montrent que les phénomènes de températures extrêmes (…) dans certains cas jamais enregistrés auparavant, peuvent avoir des effets profonds et très rapides sur les populations d’animaux sauvages ». D’autant que «  les scénarios de changement climatique prévoient une nouvelle augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur(…) en particulier dans la région méditerranéenne ».

(1)en anglais https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.16888

(2)en italien https://www.lescienze.it/news/2023/07/27/news/stress_termico_effetto_animali_selvatici_ecosistema_l-13011009/

Comment ne pas rechercher un poison

Christophe Béchu, ministre de l’Écologie, avec le nez rouge du comique professionnel. L’a pas l’air. Mais la chanson, si. Savourons une décision toute récente : le 27 juin paraît au Journal officiel un arrêté Béchu, qui demande à 5 000 entreprises de rechercher « sous trois mois, la liste des substances PFAS utilisées, produites, traitées ou rejetées par son installation ».

Les PFAS dont il est question sont appelées à un grand avenir, car ces mixtures chimiques ne disparaissent pas dans l’eau, l’air, les sols. Ou les corps. Et c’est pourquoi on les appelle des forever chemicals. Des produits chimiques éternels. Où trouve-t-on des PFAS ? Eh bien, partout, car leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes, résistantes aux fortes chaleurs, en font des candidats parfaits pour les usages industriels. Ils sont utilisés aussi bien pour les poêles que pour les pesticides, dans les vêtements, les emballages alimentaires – miam – les mousses anti-incendie, les cosmétiques, et la liste continue jusqu’au bout de la terre.

Inventés dans les années Trente du siècle passé, ils ont vivoté jusqu’au 29 juillet 1967, date d’un grave accident sur le porte-avions USS Forestal, qui tue 134 soldats après un incendie géant. Des petits malins se disent que des mousses contenant des PFAS auraient été bien plus efficaces contre les flammes. Nul ne s’interroge sur rien, et l’aventure continue. Dans les années 70, on trouve dans le sang des personnels exposés des traces de PFAS. Et alors ?

En 2001, Giesy et Kannan montrent une contamination des ours polaires, des poissons, des oiseaux. Et alors ? On découvre dans la foulée, que le sang de toute la population américaine – il doit pouvoir rester deux ou trois épargnés – contient des PFAS. Et pareil en Europe. L’air des cimes en contient. La glace arctique aussi. Est-ce bien embêtant ? Un peu. On relie en effet les PFAS à des cancers des testicules, du sein, du rein. À des maladies thyroïdiennes, de l’intestin, à des lésions du foie, à de nombreux risques pour les fœtus, dont les effets ne se feront sentir qu’à la puberté, ou après.

À ce stade, résumons : on sait ce qu’il faut savoir depuis trente ans, et l’on se demande ce que nos ministres de la Santé et de l’Écologie ont bien pu faire pour contraindre si peu que ce soit l’industrie à la prudence. Oui, qu’ont donc tenté les responsables de la santé Kouchner, Douste-Blazy, Guigou, Mattei, Bertrand, Bachelot, Touraine, Buzyn ? Rien. Et pareil chez les ministres de l’Écologie Bachelot, Lepeltier, Jouanno, Kosciusko-Morizet, Batho, Martin, Royal, Pompili. Zéro plus zéro égale la tête à Toto.

Béchu a l’air bien parti pour suivre cette noble route. Revenons à sa décision historique du 27 juin : il donne trois mois à une petite fraction de l’industrie – 5000 entreprises – de déclarer s’ils utilisent des PFAS. Il connaît bien sûr la réponse, mais ça permet de gagner du temps, ce qui n’est pas rien. Lorsqu’on reparlera des PFAS, qui sait où il aura atterri ? À Angers, son fief électoral ? Au secrétariat d’État aux normes de la charcuterie et de la baguette réunies ? Loin du mistigri en tout cas, qu’il aura refilé à une autre préposé.

Au fait, les amis, savez-vous combien il y a de PFAS différents les uns des autres ? Tous les organismes officiels s’accrochent comme des noyés au chiffre ridicule de 4700 assemblages distincts. L’agence publique en charge de notre protection, l’ANSES, écrit ainsi sur son site calamiteux (2) : « Les substances per- et polyfluoroalkylées, également connues sous le nom de PFAS, sont une large famille de plus de 4000 composés chimiques ».

C’est tellement faux qu’on s’en pince la peau du bras. Le chiffre semble s’inspirer d’un rapport de l’OCDE, en 2007, qui dénombrait exactement 4730 PFAS. L’agence en charge de l’environnement aux États-Unis – l’EPA – en comptait 14 735 il y a trois ans. PubChem, sous la tutelle des National Institutes of Health, fait autorité, et en annonce…6 millions. On parle désormais de 7 millions. Bechu demande à 5000 entreprises d’en rechercher 20 en priorité. Nez rouge, oui. 

(1)https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047739535

(2) https://www.anses.fr/fr/content/pfas-des-substances-chimiques-dans-le-collimateur

Le charbon, champion du monde de l’énergie et du mensonge

Le charbon habite le si vaste pays du mensonge. Officiellement, on rasera gratis demain, car on aura éliminé le charbon – gros émetteur de gaz à effet de serre -, par des énergies dites renouvelables. Mais c’est pipeau. En 2022, la puissance installée de toutes les centrales à charbon de la planète a augmenté de 19,5 GW. Elle aurait dû baisser, puisque des centrales à charbon ont été arrêtées – pour un total de 26 GW -, mais dans le même temps, de nombreuses installations ont été ouvertes, pour une puissance installée de 45,5 GW. 59% des centrales nouvelles se trouvent en Chine (1).

La Chine, qui prétend tout ce que les niais – et les corrompus – veulent croire, est une spécialiste de la désinformation, qui a très grossièrement truandé ses chiffres publics. On apprenait ainsi, le 4 novembre 2015, que la consommation de charbon était supérieure de 17% depuis des années à ce qui était annoncé. Pour la seule année 2012, 600 millions de tonnes avaient été dissimulées. Seules les dictatures accomplies sont capables de tels exploits.

L’Inde, au-delà de grandes différences, est sur une pente comparable Sa production a augmenté de 6,3% en 2021 – 805 millions de tonnes -, et même de 11% en 2022, correspondant à 893 millions de tonnes. On devrait atteindre dans deux ans le milliard. Mais ça ne suffit pas, tant la demande est grande. En 2022, la consommation a été de 1,027 milliard de tonnes, obligeant le pays à importer massivement cette arme de destruction massive du climat. Dans ces conditions, qu’attendre ? En 2022, selon l’Agence internationale de l’énergie, la consommation mondiale a encore augmenté de 1,2%, dépassant les huit milliards de tonnes.

Malgré les falbalas des tentures officielles et des Sommets de la Terre, le charbon reste, et de loin, le plus grand producteur d’électricité dans le monde. Ne pas oublier que l’électricité n’est pas un minerai ou un puits dans lequel plonger son tuyau. Pour en obtenir, il faut d’abord cramer une énergie dite primaire. Dont le gaz, le pétrole, l’hydro-électricité, l’uranium, etc. Mais le charbon, en 2022, est le champion incontesté, avec 35,9 % du total.

C’est un peu fâcheux, car selon Global Energy Monitor, un Observatoire américain, « le rythme mondial des arrêts de centrales devrait être quatre fois et demi plus rapide, afin de mettre le monde sur la bonne voie pour éliminer le recours au charbon dans le secteur électrique d’ici 2040, comme requis pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris sur le climat ».

Il est assez douteux que cela s’arrange, car la situation fait penser aux fameuses boucles de rétroaction climatiques. On explique par un exemple : le dérèglement climatique a tendance à faire fondre le permafrost, ce sol gelé des immensités arctiques et sibériennes. Le permafrost relâche ainsi des gaz à effet de serre, dont le terrible méthane. Ce qui augmente le dérèglement global, qui accélère la fonte du permafrost, qui etc. Cette rétroaction dite « positive » – eh oui – est un emballement.

Or on le sait, la crise climatique provoque des phénomènes extrêmes, dont des sécheresses sans précédent. Comme en Chine l’été passé, où l’hydro-électricité – le tiers de la production mondiale -, s’est effondrée, obligeant à massivement augmenter la consommation de charbon. À une échelle moindre, l’Europe a fait pareil à cause de la guerre en Ukraine et des craintes sur l’approvisionnement en gaz.

Si on veut passer, malgré tout, un bon moment, on peut écouter (2) l’historien Jean-Baptiste Fressoz nous raconter à quel point la « transition énergétique » est un mythe. C’est lumineux. Il montre que dans l’histoire de l’énergie, on ne fait jamais qu’empiler les offres les unes sur les autres. Ainsi du bois-énergie, qui n’a pas été remplacé par le charbon. Ainsi du charbon, qui n’a pas été remplacé par le pétrole. Ainsi du pétrole ou du gaz, dont la consommation mondiale n’a jamais été aussi forte, malgré le solaire et le vent. Ainsi de ce nucléaire dont nous sommes si fiers, et qui ne change rien à l’augmentation sans fin de supposés besoins énergétiques.

(1)https://www.connaissancedesenergies.org/centrales-charbon-un-parc-mondial-qui-se-moque-de-lagenda-climatique-230406

(2)https://www.youtube.com/watch?v=YbebLbnGyoU