Je n’ai vu Gérard Charollois qu’une fois dans ma vie, mais cela a laissé des traces. Ce devait être aux alentours de l’année 2000, je ne sais plus très bien. En tout cas, c’était la première fois de ma vie que je rencontrais un juge aveugle. Jusqu’à cette date, je m’étais contenté du fabuleux personnage créé par Bruce Alexander, le juge Sir John Fielding (il existe une série de ses aventures en 10/18).
Un juge aveugle ! L’image est tellement étonnante qu’elle continue de me hanter. Charollois m’avait raconté comment il faisait pour rendre ses arrêts, les aides dont il avait besoin, y compris sous la forme d’outils informatiques. il n’était pas un juge de bureau et de paperasse. Il jugeait pour de bon, au tribunal de grande instance (TGI) de Périgueux, où il est aujourd’hui encore vice-président. Je me souviens très bien de son épouse et de l’un de ses fils, présents au moment de l’entretien. Pourquoi cet entretien, d’ailleurs ? Je ne sais, mais cela avait à voir avec la chasse, évidemment. Je crois me rappeler que Charollois venait d’obtenir une retentissante victoire, devant la Cour européenne, contre la loi Verdeille, outrageusement favorable aux chasseurs.
En 2 000, le juge vivait au fond de la campagne, en Dordogne, et menait la guerre contre les chasseurs qui voulaient, de force, pénétrer sa propriété pour y tuer. Cela, Charollois ne le supportait pas, il ne le supportait plus. Et comment lui donner tort ? La loi Verdeille empêchait les propriétaires d’un terrain de moins de 20 hectares d’y interdire la chasse. Je ne sais pas où en est aujourd’hui le droit, mais il était encore, voici huit ans, extravagant.
Vers 2 000, Charollois présidait une association appelée Aspas (Association pour la sauvegarde et la protection des animaux sauvages). Et puis il en est parti, contesté par une partie de ses troupes, pour fonder la Convention Vie et Nature pour une écologie radicale (CVN).
Depuis cette date, je ne suis les aventures du juge aveugle que de loin, en riant le plus souvent. Je sais que ce n’est pas drôle, mais j’aime rire aux éclats, je n’y peux rien. Charollois s’est en effet radicalisé, ce qui, chez un juge, est assez réjouissant. Il est de tous les combats pour la vie sauvage et les animaux, et il a décidé de hausser le ton jusqu’à risquer l’amende, peut-être même la…prison.
Sa tête de Turc favorite reste le chasseur et les structures politiques qui lui servent de paravent. En 2 000, à peu près au moment où je l’ai croisé, il venait d’assener un coup terrible au parti de l’extrême-chasse, CPNT. Il n’était pas seul, certes, mais les services juridiques de l’Aspas avaient signalé à différents parquets les étranges facéties financières du parti de la chasse et des chasseurs. Il n’est pas interdit de voir a posteriori, dans les enquêtes du début de 2 000, le chant du cygne du lobby politique en faveur du flingot.
Or, les chasseurs, dont le nombre diminue sans cesse, ne sont pas connus pour leur mansuétude. Raymond Faure – merci, au fait ! – me signale une vengeance dûment méditée par les valeureux de CPNT (http://www.cpnt.asso.fr). C’est simple : le parti de l’extrême-chasse réclame à Rachida Dati, en sa qualité de ministre de la Justice, des sanctions contre le juge Charollois. Des sanctions, dans l’ordre professionnel, pour des propos tenus en tant que citoyen ! Pardonnez à l’avance l’extrait qui suit : « CPNT espère que la Chancellerie par sa justice clairvoyante saura adresser à ce magistrat des sanctions proportionnelles à la hauteur de ses propos injurieux ; sans oser imaginer qu’il en puisse en être autrement car la justice doit se montrer neutre, égale et exemplaire pour l’ensemble de nos concitoyens… ».
Je me doute que Dati a d’autres chats à fouetter, mais tout de même ! Où se croit donc CPNT ? J’ai eu la curiosité d’aller voir ce que le parti des chasseurs reproche à Charollois, et je dois vous avouer que la prose de ce dernier m’a fait exploser d’un rire libérateur. Enfin une voix claire et nette ! Je serais bien incapable de reprendre les mots du juge à mon compte, car je reste partisan du compromis, car je sais ou crois savoir qu’il faut, d’une manière ou d’une autre, composer avec les porteurs de fusils. En bref, je suis bien moins extrémiste que Charollois.
Mais quel bonheur que la liberté ! Quelle joie de ne plus retenir son verbe ! Il y a de l’ivresse dans le discours du juge aveugle, et je ne dédaigne pas perdre la tête. En voici quelques aperçus. Le premier (http://www.ecologie-radicale.org) : « Là où va l’évolution, il n’y aura plus de place pour les chascistes et leur instinct de mort, puisque notre espèce se réconciliera avec la Nature ou disparaîtra ». Le deuxième (http://www.ecologie-radicale.org) : « Moralement, le violeur, l’escroc, l’assassin, le chasseur sont des délinquants sociaux, des pervers au sens psychiatrique du terme qui pensent trouver dans l’avilissement et la mort d’un être vivant leur jouissance ».
Sachez-le, un comité de soutien est en route, si le coeur vous en dit. Rien n’est perdu, en effet, car, estiment Charollois et ses amis, « les combats de gladiateurs, les ordalies, les bûchers, l’esclavage, la torture, le bagne, la peine de mort furent trop longtemps parfaitement légaux ». Aveugle, lui ?