Je me rends compte avec horreur que j’ai omis de vous parler de l’anniversaire de Tchernobyl, le 26 avril dernier. Ce n’est pas si grave d’un côté, car d’autres que moi ont secoué nos mémoires assoupies. Mais enfin, je me sens tout chose néanmoins. Et je vais donc tenter de rattraper ce qui peut l’être encore. A-t-on déjà tout dit de cette épouvante nucléaire ? Non, pour la raison flagrante qu’on ne pourra jamais rapporter tout ce qui fut, qui échappe tant à l’expérience humaine.
Je me contenterai d’un aspect très mystérieux de l’explosion de 1986. Est-on si sûr de ce que l’on sait ? Est-on sûr qu’il y ait eu un grand incendie au-dessus de Tchernobyl le 26 avril 1986, voici vingt-deux ans (1) ? Pour la plupart des innombrables commentateurs, la chose est fermement établie. Il reste en ce cas à expliquer deux ou trois détails qui n’en sont peut-être pas.
Par exemple, pourquoi les peintures intérieures de la centrale sont-elles restées intactes ? Pourquoi des traces de craie datant de la construction y sont-elles encore visibles, si la chaleur est montée si vite, et si haut ? Le tout – peintures comme craie – aurait dû disparaître sous la chaleur des flammes. Et puis, une explosion dans la salle des machines a-t-elle réellement eu lieu avant celle du réacteur ? Trois secondes avant, trente secondes ? Ce n’est pas la même chose. Enfin, quelle force inouïe a-t-elle pu soulever le couvercle du réacteur, lourd de 2 000 tonnes, jusqu’à le faire retomber sur le côté ? N’ayons pas peur de l’écrire : cela sent l’énigme.
Je ne vais pas jouer au malin : je ne sais rien. Mais un spécialiste français de la mécanique quantique, Georges Lochak, président par ailleurs de la Fondation Louis-de-Broglie, s’est passionné pour le sujet. Il est vrai que le chercheur a par ailleurs découvert des particules magnétiques appelées « monopôles magnétiques légers ». Une drôle d’affaire.
Lochak, à la tête de ses monopôles, a croisé la route d’une équipe russe de l’institut Kourtchatov. Trois scientifiques, aussi respectables que d’autres – c’est-à-dire pas plus -, qui ont élaboré une hypothèse neuve sur la cause de Tchernobyl. Selon eux, le fait que les peintures intérieures soient toujours en place signifie qu’il n’y a pas eu, à l’intérieur de la centrale, de fort dégagement de chaleur. Ni, bien entendu, d’incendie. Mais alors, cette grande lueur qu’évoquent tous les témoins directs ? Selon les trois hommes, il ne s’est nullement agi d’un feu, mais d’un rayonnement d’une nature inconnue.
D’autre part, une transmutation stupéfiante a eu lieu à Tchernobyl, où l’on a retrouvé dans les débris de l’usine environ 10 tonnes d’aluminium. Ce métal n’a pas été utilisé, en tant que tel, pour la construction. L’on a aussi découvert de l’uranium enrichi à des doses étonnantes, jusqu’à 27 %, alors qu’il ne l’est au départ que de 2 %. Des forces physiques inconnues seraient donc intervenues au cours de la tragédie nucléaire.
La rencontre entre Lochak et ces trois savants a produit des étincelles, sans aucun jeu de mots. Car les travaux du premier, d’une complexité décourageante, ont permis aux Russes de parfaire leur théorie sur l’accident. Le 26 avril 1986, un court-circuit dans un transformateur électrique de la salle des machines aurait entraîné la formation d’une forte quantité de « monopôles magnétiques ». Lesquels, partant en tous sens, auraient été comme attirés vers le réacteur par le système de refroidissement. Et l’auraient du même coup relancé.
Attention, cela reste un scénario, dont je ne pense rien de particulier. Ou plutôt, si, tout de même. La seule existence de ce qui reste un récit rappelle une évidence qui met à bas, intellectuellement hélas, tout l’édifice du nucléaire. Car elle rappelle les limites flagrantes de l’esprit humain, et sa faiblesse insigne en face de la puissance de l’atome. Que Lochak et les trois Russes aient raison ou tort n’y changera rien. Il est possible, il sera toujours possible que quelque chose survienne, qui détruise les plus solides citadelles de la technologie.
Personne au monde n’est capable de nous dire, par définition, ce que nous ignorons encore. Même avec les meilleurs ingénieurs du monde, même avec des mesures de contrôle permanentes et fiables, le nucléaire est bien un crime contre la fragilité de notre espèce.
(1) On peut retrouver un excellent résumé de la question dans Les Silences de Tchernobyl (p. 28 à 41), Éd. Autrement.