Archives mensuelles : février 2009

Yves Thréard, journaliste splendide, éditorialiste magnifique

On se détend, on se marre, on ne parle plus de Sébastien Genest, on déconne à propos d’un type dont je n’avais jamais entendu parler, mais qui mérite le détour. J’aurais continué à tout ignorer d’Yves Thréard sans un courrier d’une lectrice de ce blog, Eva, que je remercie donc sans manières.

Thréard est journaliste. La honte, mais bon, moi aussi d’après ce que j’ai entendu dire. Au Figaro, quotidien dirigé par l’immarcescible Étienne Mougeotte, anciennement dédié au remplissage des cerveaux par la pub sur TF1. Au Figaro, dont le propriétaire est un certain Serge Dassault. Lequel a été longtemps le patron opérationnel de la petite entreprise créée par son père, Marcel. J’imagine que vous le savez, Dassault fabrique entre autres des avions militaires. Des Mirage, des Rafale, bientôt une superbe chose qui s’appelle pour le moment nEUROn. Quel beau nom ! Je crois que les créatifs qui ont travaillé sur le sujet sont de vaillantes personnes. Moi, j’aurais bien proposé nEUnEUROn, mais on ne m’a pas demandé, malgré la faiblesse de mes prix.

Mon préambule n’est pas terminé. Le 16 mars 1988, la journée s’annonce belle. À Halabja, je veux dire, qui est une ville kurde d’Irak de 60 000 habitants, à quelques kilomètres de l’Iran. Et puis des avions du défunt régime de Saddam Hussein envahissent le ciel. Je rappelle, car ce n’est pas qu’une anecdote, qu’en cette année 1988, Saddam est encore notre ami. Celui de l’Occident, celui que l’Occident a décidé de massivement financer et armer contre l’Iran chiite. J’espère que vous suivez.

Les avions. Ce 16 mars, ils sont un tantinet bizarres. Les bombes qu’ils déversent pendant des heures n’explosent pas comme celles qu’on voit habituellement dans les films de guerre américains. Elles sifflent et répandent à terre comme une odeur de pomme pourrie. Le lendemain, dans les rues, il y a 5 000 morts, dont des bébés encore au sein. Dans la rue. Car les bombes étaient des armes chimiques, vous l’aviez compris. Détail : parmi les avions, des Mirage vendus par monsieur Dassault. Qui n’y est pour rien, puisqu’il ne pilotait aucun des engins lui-même. D’ailleurs, ce n’est pas un criminel de guerre, c’est un industriel.

Fin de l’introduction. Et début de la rigolade avec cet éditorial de Thréard paru ce matin dans Le Figaro. Oui, le monsieur éditorialise (ici). Franchement, un chef-d’œuvre. Il en est de grands et de sublimes. Il en est de si petits qu’ils en deviennent invisibles. Nous parlons ici d’un chef-d’œuvre indépassable de fantaisie baroque de (très) bas étage. Disons. Thréard tempête sur les OGM. Pour lui, il y a « la soldatesque anti-OGM », devant laquelle même son fier héros Nicolas Sarkozy aurait reculé depuis son arrivée à l’Élysée.

Heureusement pour Thréard, vous le savez peut-être,  un rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) estime qu’il n’y a rien de nouveau en matière de maïs MON810. Le MON n’est pas le début de Mon pote, mais le début de Monsanto. L’Afssa, agence publique sur laquelle un livre est à faire, bien que ne produisant aucune étude – elle se contente de regarder ce qui existe – rapporte donc en conclusion que : « les éléments du rapport le Maho (…) n’apportent aucun élément nouveau qui remettrait en cause la sécurité sanitaire des maïs portant l’événement MON 810 ».

Je ne peux commenter ici la malignité extrême du texte de l’Afssa. Sur l’ensemble du dossier, mon copain Frédéric Jacquemart, un scientifique comme je les apprécie – il préside le Groupe International d’Études Transdisciplinaires (Giet) – a écrit des analyses éclairantes que vous pouvez lire en ligne (ici). L’affaire est politique. On s’en serait douté.

Dans son inoubliable édito, Thréard réussit des tours de force dignes du grand Zampano (héros de La Strada, de Fellini). Cet homme a du coffre. Trois citations. La première : « Depuis de nombreuses années, les scientifiques les plus avertis de notre pays affirment que les organismes génétiquement modifiés sont “bénéfiques pour la santé humaine”». Les plus avertis. Thréard est un humoriste. Bénéfiques. Thréard est un grand inventeur d’informations. Jamais personne n’a écrit que les OGM pouvaient être bénéfiques pour la santé humaine. Même pas ses amis « scientifiques avertis ». La deuxième : « En fait, dans ce débat sur les OGM, rien n’est scientifique, tout est politique ». Copieur, va. La troisième : « Le progrès est souvent regardé comme suspect (…)  Le terreau a été habilement cultivé par les batteurs d’estrade, les dévots du bio, les tenants de l’altermondialisme pour que le greffon anti-OGM se développe solidement dans les sondages (…) Afin de préserver le nucléaire, fleuron de l’industrie française, on a provisoirement sacrifié la question des OGM. Son traitement dans le cadre du Grenelle a ressemblé à une mascarade, pour être habilement confié à une Haute Autorité à la composition fort discutable ». Là, si j’étais la caution écologiste du Grenelle – je ne cite personne, je ne remets pas le couvert -, je me poserais tout de même une ou deux questions. On aurait donc évacué la lourde question du nucléaire ? On aurait viré de la table du Grenelle le réseau Sortir du nucléaire ? J’attends des preuves, monsieur Thréard.

Au fait, qui est Thréard ? Un charmant garçon muni d’une licence de droit et d’un DEA de lettres, qui aura beaucoup travaillé – comme journaliste – en Afrique, avant de devenir directeur de la rédaction de l’inénarrable France-Soir en 1997, puis de passer au Figaro. Sa déontologie ? Mais poser la question est déjà une insulte, non ? Tant pis, j’y vais. Le 28 juin 2007, le journaliste Nicolas Poincaré présente sur RTL son émission On refait le monde. Je ne l’ai jamais écoutée, désolé, la pub me rend malade physiquement. N’importe, l’émission a eu lieu. Et ce jour-là, Yves Thréard fait partie des invités. Et ce jour-là, en direct, il annonce ceci : « Je vais dire quelque chose de très important. Pendant toute la campagne [électorale de 2007], j’ai entendu  que Dassault vivait des commandes de l’Etat. C’est faux ! Archi-faux ! Dassault n’a pas eu une seule commande de l’Etat en matière militaire ».

Poincaré se sent obligé de lui rétorquer : « Et le Rafale, il le vend à qui ? Il le vend à qui, le Rafale ? ». La suite relève de la pure bouffonnerie, et si vous voulez rire à l’œil et aux éclats, c’est possible en ligne sur le blog d’Olivier Bonnet (ici). Je suis charitable, et je dois reconnaître confraternellement que monsieur Yves Thréard dit de temps à autre la vérité. Par exemple le 31 janvier 2008, au cours d’un débat public. À un moment, qui ne durera jamais assez selon moi, il déclare du haut d’une tribune, parlant du quotidien Le Figaro, dont il est je crois directeur-adjoint de la rédaction : « Monsieur Dassault a un journal pour faire œuvre de militantisme politique ». Pour le cas où vous douteriez de moi, ce qui est un droit inaliénable, je vous invite à regarder un bout de film en ligne (ici).

Je dois avouer que cette saine histoire du journaliste-déontologue m’aura utilement diverti. Me voilà détendu comme tout. Je souris, je baye aux corneilles en attendant d’alller faire un tour dehors en sifflotant. Et sur ce, avec votre autorisation, je vais me faire une tasse de café bio et par ailleurs équitable. Car il est 10h35, et c’est l’heure.

Une lettre de madame Genest (polémique)

Je viens de recevoir une lettre de madame Bérangère Genest, que j’ai évidemment mise en ligne en commentaire de l’article où je parlais de son mari (ici). À la réflexion, je pense que cette lettre mérite de devenir un article, qui se conclura par la réponse que j’ai, elle aussi, mise en ligne il y a quelques minutes.

Bien entendu, pour comprendre l’enjeu de cet échange, il faut se rapporter à l’article de départ, et peut-être n’aurez-vous ni le temps ni l’envie. Moi, je crois le propos de madame Genest à la fois éclairant et dérangeant. Dérangeant d’abord, en fait, car malgré les apparences, je déteste mettre quelqu’un dans la peine. Et c’est le cas, très visiblement. Mais aussi éclairant, car il pose de manière concrète le refus viscéral du dissensus, de la critique, de la polémique, partagé par un nombre croissant de personnes.

Cela ne me semble pas bon signe. J’ai vivement attaqué Genest sur un plan public et politique, précisément là où il a décidé d’être, et son épouse répond sur un terrain privé, avec de vraies attaques ad hominem. Non, ce n’est pas bon signe. Mais à vous de juger.

Le courrier de madame Genest

Monsieur Nicolino,
Je viens de lire votre article sur ce mariage Genest/Jouanno manifestement imminent. Je vous remercie de m’en alerter car m’étant moi même mariée avec Sébastien Genest cet été, je ne voudrais pas être la dernière informée du fond de mon Limousin.1000 mercis!

Concernant le reste de votre article au vitriol, je me suis demandée, vous qui nous exposez longuement vos faits de guerre dans votre rubrique “quelques mots sur moi”, si vous lisiez les temps forts des vies des personnes que vous égratigniez sans vergogne. Bien que Sébastien soit largement assez grand pour débattre quand vous le souhaitez de visu (c’est moins fun que par blog mais plus sain), je ne peux m’empêcher de vous glissez ces quelques mots sur votre blog frisant l’autopromotion d’ailleurs…

Que savez vous de qui est Sébastien? de son histoire de militant depuis l’âge de 13 ans? que savez vous de son sacrifice au quotidien depuis des années, tant familial, que professionnel (j’y reviendrai), qu’en terme de santé. Tous ces commentaires acerbes à commencer par les vôtres, suivis tels des disciples des autres blogueurs me font frémir tant vous ne respectez pas l’homme, son existence entière dédiée à la cause de l’environnement.

Vous vous vantez d’être issu de la classe du “sous prolétariat” Monsieur (cela fait-il branché dans les conversations parisiennes?), classe dans laquelle j’ai été élevée également mais où l’on m’a enseigné le respect de l’autre, de son travail, et la valeur humaine. “L’assemblée de petits notables frétillants d’idées reçues”, dont fait partie selon vous Sébastien Genest et les autres membres de FNE, comme son porte-parole d’ailleurs Arnaud Gossement, sont des femmes et des hommes d’engagement, bénévoles, des acharné(e)s de boulot pour que la cause avance. Tout le monde, à petite ou grande échelle doit se battre pour faire avancer LA cause au lieu de se chicaner à grand renfort d’articles dignes de VSD ou Paris Match (le titre est parfait vous pourrez leur transmettre).

Vous critiquez le Grenelle, peut-être est-ce totalement imparfait, d’accord. Je ne suis pas une experte, loin sans faut, je reste à ma place de lambda. Mais que proposez vous et qu’arrivez vous à faire vous M. Nicolino? Ce fût des heures, des jours, des semaines de réflexions, de batailles acharnées, de stress, et j’en passe. Alors que vous ne soyez pas d’accord, je l’entends, je peux le comprendre, mais que vous jetiez aux chiens tout ce travail me parait assez petit. La place de Sébastien vous tente-t-elle ? FNE est une fédération jouissant d’un système démocratique, joignez vous à eux afin que vous puissiez apporter votre temps, votre matière grise, vos réflexions pertinentes, constructives, et débattre en bonne intelligence.

Concernant le volet travail, Sébastien passe environ 40 heures par semaines pour FNE (CES compris) à minima. L’unique compensation financière est issue du CES et donc très récente. Elle est de l’ordre de 861,98€ par mois (vos sources sont erronées) pour des déplacements hebdomadaires à Paris. Il ne profite guère des « subsides de l’Etat » que vous évoquiez…
Il a également une entreprise d’élagages délicats où chaque salarié, dont je fais partie, est fier de bosser dans cette entreprise citoyenne, et surtout humaine. Il gagne le même salaire (voire moins) que ses salariés, tout en assurant la gérance. Le partage et l’intégrité ont du sens pour nous, pour lui. Alors les commentaires des bobos me paraissent si ternes…

Je ne vous écris pas en tant que “l’épouse de” mais en tant qu’une femme qui connaît l’envers du décor et que ce type de discours indigne.

Je ne connais pas Mme Jouanno, mais je la plains sincèrement de devoir sans cesse essuyer ce type de discours primaires.

Vous connaissez l’adage, « la critique est facile, mais… » vous devez connaître la suite.

Je vous souhaite de tout cœur, que votre travail, vos valeurs, et votre engagement ne soient jamais remis en question de la sorte, pour vous, ni votre famille également.

Bien à vous,
Bérangère GENEST

Ma réponse à madame Genest

Chère madame,

Croyez-le ou non, je respecte votre point de vue, et comprends, me semble-t-il du moins, votre colère. Je vais tâcher de vous répondre calmement.

Un, le titre était évidemment une blague. Il sous-entendait, il est vrai, un accord entre deux personnages publics. Mais sûrement pas autre chose. Je n’ai donc rien à révéler, et si mon sens de l’humour vous a blessée, je vous prie de m’en excuser.

Deux, et pour le reste, je ne retire pas un mot de mon commentaire. Votre époux est un personnage public, qui a voulu et accepté de l’être. Le droit de critique, même acerbe, même dérangeant, même injuste – à vos yeux – est imprescriptible. Et je le pratique.

Je ne doute pas une seconde de ce que vous écrivez. Je suis bien certain que Sébastien Genest est actif depuis des lustres. Moi aussi, figurez-vous. Pensez-vous que la sincérité et la vaillance soient réservées à vous et à vos proches ?

Je crois la situation assez grave pour autoriser le débat et l’affrontement même. Je n’ai pas accusé votre époux de taper dans la caisse, d’être pédophile ou proxénète. Je pense, et j’écris, qu’il contribue à fourvoyer gravement un mouvement auquel j’appartiens, et dont dépend en partie l’avenir de la vie sur cette terre.

Quand on n’a pas envie de prendre des coups, on ne s’expose pas, voilà tout. J’ai ouvert ce lieu sur le Net, je m’expose et reçois parfois en retour, comme aujourd’hui, une grosse engueulade. Et je n’en meurs pas.

Enfin, concernant vos allusions transparentes à mon passé, il m’a semblé, mais je peux me tromper, que vous aviez quelques doutes. Eh bien, qu’y puis-je ? Vous ne savez strictement rien, et je ne saurais donc vous en vouloir. Je suis bien né, et j’ai réellement grandi dans le sous-prolétariat urbain, dans des conditions telles qu’elles vous étonneraient. Et ma contribution personnelle aux conversations parisiennes qui vous font fantasmer est voisine de zéro. Mais je sais que votre opinion est faite, et qu’elle ne changera pas de sitôt. La mienne pas davantage.

Bien à vous,

Fabrice Nicolino

PS : Vous m’aurez mal lu. Je ne cite aucun chiffre concernant les indemnités d’un membre du Conseil économique et social.

Besancenot et ces océans qu’on fout en taule

Préambule : cet article traite de politique, en l’occurrence du Nouveau Parti Anticapitaliste de Besancenot et Krivine. Et d’écologie aussi, je vous rassure. Néanmoins, je devais vous prévenir, car d’une certaine manière, il s’agit d’une incursion. Elle en ennuiera plus d’un.

Mon Dieu ! je ne suis pas marxiste. Et je déteste tant la dictature et les autorités étatiques en général que, si j’écrivais ce que je pense, je ne sais si on me croirait. Par exemple, je vomis en grand el jefe Fidel Castro, et le régime qu’il a créé à Cuba, où l’on peut fusiller un gosse de vingt ans parce qu’il a tenté de détourner un  bateau (sans blesser personne). Je vomis ce pur salaud caudilliste, qui était prêt – les faits sont officialisés par Fidel lui-même – à sacrifier le peuple cubain dans un holocauste nucléaire en 1962, à l’époque de la crise des fusées.

Pas un défenseur du régime castriste ne s’est intéressé pour de vrai à ce qu’était l’île avant 1959. Moi si. Et la réalité est loin, très loin des pauvres descriptions qui font de l’île caraïbe le bordel des Américains. Je ne veux pas dire que Rubén Fulgencio Batista y Zaldívar, la petite crapule galonnée qui régnait avant Castro était un brave homme. Mais si Cuba, ou plutôt si La Havane comptait en effet des bordels où certains Américains venaient, alors il faut dire que Cuba est aujourd’hui devenu le bordel du monde entier. Un bordel cent fois plus grand qu’avant 1959, où des petits-bourgeois bedonnants viennent baiser à couilles rabattues des gamines qui n’en peuvent mais. Ma détestation englobe évidemment Hugo Rafael Chávez Frías, qui dirige le Venezuela de la même manière caudilliste, bordels en moins pour le moment. Et qui se préoccupe d’écologie comme je m’intéresse au défunt président Albert Lebrun (ici). Témoin entre bien d’autres son projet crapuleux de gazoduc à travers l’Amazonie.

Bref. Non. Pas moi. Tout cela pour dire que la création du NPA de Besancenot et Krivine, – lesquels soutiennent peu ou prou des régimes immondes, et qui seront reconnus comme tels, tôt ou tard -, ne me conduit pas droit au septième ciel. Mais je dois ajouter quelque chose qui compte tout de même, et pèse son poids. La LCR était, a été au long de son histoire, une organisation démocratique. Étonnamment démocratique.

À ma connaissance, mais je peux me tromper, aucun autre parti de l’échiquier n’aura à ce point pratiqué une vraie démocratie interne. Laquelle ne signifie pas l’absence de magouilles et de coups bas. Mais enfin, comparons ! Songez à Lutte Ouvrière et à l’implacable autorité de ses vrais chefs de l’ombre, aux anciens maoïstes si vous avez l’âge, songez aux lamentables lambertistes chers au cœur de Lionel Jospin. Songez au parti stalinien, qui mentit en toutes choses tant qu’il le put. Songez aux truandages des votes au PS comme à l’UMP. Et reconnaissez que la démocratie, en politique, est une chose rare. Savez-vous un autre exemple d’institution qui accepte de disparaître, de fermer le journal qui lui servait d’étendard – Rouge – avant de se fondre dans un groupe bien plus nombreux qu’elle ? Si oui, je vous en prie, faites-moi signe. Sur ce plan-là, j’applaudis sans réserves.

Sur ce plan-là. Car pour le reste, bien sûr, non. La volonté affichée par ce nouveau parti de mêler – enfin ! – l’écologie au propos général sur la société de classe ne peut mener nulle part. Je ne crois pourtant pas à une ruse tactique dont userait le NPA pour attirer à lui de nouvelles forces. Non, je crois dans une certaine mesure à la sincérité des engagements, à cet ajout du mot écosocialisme au programme traditionnel.

Et c’est là que, du point de vue des idées, cela devient passionnant. Car le NPA, sans le savoir bien sûr, est la pointe avancée de l’idéologie du progrès – matériel, avant tout – qui rassemble sur le fond la totalité de la classe politique. L’héritage historique ne trompe pas. Léon Trotski, le véritable organisateur du coup d’État de 1917 – connu sous le nom de « Révolution d’octobre » – est le grand ancêtre de la LCR. Opposé à la politique de Staline dès 1926, exilé, assassiné par un tueur employé par Moscou, il est le créateur de la Quatrième Internationale, dont la LCR était la section en France. En somme, la LCR s’est toujours réclamé du trotskisme. Trostki, dans la mythologie du groupe, c’est Le Vieux.

Mais ce vieux-là, comme Castro, comme Chávez, était un indécrottable « progressiste », un adepte de la toute-puissance de l’homme. Un ennemi déclaré de ce qui pouvait contrarier le projet humain, prométhéen en diable, consistant à tout dominer, à tout écraser, à tout soumettre. Tenez, je vous offre une citation éclairante que vous ne risquez pas de trouver si souvent. Dans l’essai Art révolutionnaire et art socialiste, publié au milieu des années 20 du siècle passé (On le trouve dans le recueil Littérature et Révolution, 10/18), Trotski écrit précisément ceci : « L’homme socialiste maîtrisera la nature entière, y compris ses faisans et ses esturgeons, au moyen de la machine. Il désignera les lieux où les montagnes doivent être abattues, changera le cours des rivières et emprisonnera les océans ».

Quel joli programme, n’est-ce pas ? Mettre en taule les océans, je dois dire que la vision est grande, géante même. En vérité, elle a été presque appliquée en Union soviétique, en Chine, à Cuba dans une moindre mesure technique, partout où des marxistes ont eu à conduire les affaires d’un pays. Le NPA ferait-il mieux ? On peut au moins l’espérer. Mais au bout du compte, cela ne changerait rien. Car l’objectif final est toujours le même. Il s’agit d’assurer à l’espèce humaine une sorte d’abondance matérielle qui est parfaitement synonyme de destruction de la vie.

Le NPA ne peut ni ne veut entendre qu’il existe des limites physiques dont tout projet politique doit désormais tenir compte. Pour les raisons qui sont les siennes, il soutient ici des revendications matérielles qui sont incompatibles avec l’avenir. Au lieu que de s’attaquer à l’aliénation, à l’industrie du mensonge qu’est la publicité, à la prolifération sans fin d’objets inutiles qui sont au cœur de la crise, il préfère soutenir les « justes revendications ». Dont une augmentation des salaires et pensions de 300 euros mensuels net pour tous.

Faut-il être un salaud comme moi pour refuser cette demande-là ! Eh bien j’assume. Je refuse. D’abord, parce qu’une telle injection de fric relancerait une fois de plus la machine à tout dévorer sur terre. La masse de ces euros-là irait une fois encore vers ces productions lamentables qui laissent les gens amers, envieux, frustrés à jamais. Mais en outre, cette revendication fait fi, très exactement, de la situation générale. Le NPA, qui se prétend universaliste, ne l’est pas davantage, au fond, que les gauches social-démocrate et stalinienne. Le monde réel, son monde irréel s’arrête aux frontières de l’Occident et rejette dans les ténèbres extérieures ce milliard d’humains qui ont faim chaque jour que Dieu fait.

Le NPA ne parle pas des paysans, des oiseaux, des Pygmées, des océans que Trotski vouait au cachot, des forêts sombres dévorées par le palmier à huile, ni même, sérieusement en tout cas, du désordre climatique en cours. Car dans ce dernier cas, il faudrait mettre en question la sainte bagnole, et l’industrie, et les prolos de Renault-Sandouville à qui l’on promet 300 euros nets. À qui on les donnera demain, quand, la révolution ayant été faite, on rasera gratis.

Pour le NPA, l’écologie n’est pas et ne sera pas une vision, un cadre, le paradigme dans lequel penser le monde et ses insupportables contradictions. Elle est un élément. Subalterne. Subordonné à cette grande cause qui consiste à socialiser les moyens de production. Imaginons un instant l’opération faite. Les patrons ont disparu. Les travailleurs commandent et produisent selon le Plan. Et quel serait le plan ? Brutalement, il faudrait dire à des millions d’hommes et de femmes qu’on aurait encouragés à demander plus, à consommer davantage, à gaspiller en aveugles, de tout revoir ? De changer l’ordre des priorités ? De renoncer à la bagnole, au téléphone portable, aux vacances bon marché chez cet excellent Castro, aux stations de ski pour les plus « fortunés » ?

Allons, voyons. Toute la politique menée par le NPA démontre qu’il n’a strictement rien compris à la crise écologique planétaire. Notez qu’il n’est pas le seul. Notez que j’ai été affreusement long. Mille excuses.

Dernière douche avant le pic de l’eau

Je crois bien que pas un humain sur mille n’entrevoit l’incroyable problème posé par la dégradation écologique des eaux de la planète. Et je ne suis pas certain d’être celui-là, malgré le temps que je passe à m’informer sérieusement sur le sujet. Voici qu’on parle désormais de peak water, de pic de l’eau. Au sens où l’on parle depuis quelques années de peak oil, ce fameux pic de Hubbert qui marquera – a peut-être marqué – le point culminant de l’extraction de pétrole sur terre, entraînant fatalement une diminution progressive de sa production.

Je vous conseille vivement sur le sujet un entretien en français avec Peter Gleick, cofondateur et directeur du Pacific Institute, un groupe de réflexion américain (ici). Gleick dit exactement ce que nous devrions tous savoir. Deux exemples parlants. Manquerons-nous un jour d’eau ? Réponse : « C’est déjà le cas, par exemple dans les pays du Moyen-Orient, du pourtour méditerranéen, dans certaines parties de la Chine, en Inde, ou encore aux Etats-Unis, en Californie et dans les grandes plaines du Centre-Ouest, là où nous faisons pousser notre soja et notre maïs. Dans ces régions, beaucoup d’eau est prélevée par l’homme, en quantités trop importantes par rapport au rythme de renouvellement naturel de la ressource. Le niveau des nappes baisse, le stock s’épuise, comme pour le pétrole ».

Et Gleick ajoute : « Dans beaucoup de régions du monde, l’utilisation d’un mètre cube supplémentaire pour l’approvisionnement humain provoque plus de dégâts écologiques que de bénéfices économiques. L’eau n’est pas seulement indispensable à la vie humaine, à son alimentation, à son développement économique… Elle est également le support de la vie de nombreuses espèces animales et végétales.
En s’appropriant les eaux, ou en les polluant, l’homme crée des dommages environnementaux sérieux, voire irréversibles. La moitié des zones humides du globe ont disparu depuis le début du XXe siècle. Ce faisant, non seulement nous détruisons de la biodiversité, mais nous compromettons la capacité des écosystèmes à nous rendre des services écologiques indispensables : fourniture d’eau douce, filtration des pollutions, fourniture d’alimentation par la pêche… »
.

Même si les chiffres sont à ce niveau de pures abstractions, sachez que l’eau disponible pour les humains, sur terre, est évaluée à 9 000 km3. Je tire ce chiffre d’un livre passionnant que je n’ai fait que commencer. Gilles-Éric Séralini, chercheur renommé, vient de sortir un ouvrage au titre éloquent : Nous pouvons nous dépolluer (Éditions J.Lyon). 9 000 km3, donc, dont nous avons effectivement consommé environ 1 000 km3 par an, et pendant des siècles. Et puis, la folle industrialisation du monde, depuis la fin de la guerre mondiale, a tout bouleversé. Nous en serions à 5 000 km3 par an !

Encore faut-il bien comprendre que la question  se joue région par région. On ne créera pas, à vue humaine, des routes de l’eau unissant le Canada, par exemple, riche en eau, et l’Égypte, qui finira, sauf miracle, dans le désastre hydrique le plus total qui soit. Et j’ajouterai qu’il faut être bien naïf pour penser que l’eau se régénère à chacun de ses cycles. Non, pas du tout. Les polluants dont nous chargeons cette merveille y demeurent d’une façon ou d’une autre. Localement – mais pour combien de temps ? -, telle source décharge ses polluants dans les sols qu’elle traverse. Mais à l’échelle globale, tout reste et se conjugue, toutes les molécules s’unissent avant d’interagir. Des chercheurs canadiens, qui pourraient être français ou mongols, viennent de montrer que les eaux du fleuve Saint-Laurent contiennent des restes significatifs de traitements contre le cholestérol, le cancer, l’hypertension. Cette immensité d’eau douce, rapporte Radio-Canada, est « une pharmacie à ciel ouvert » (ici).

La France est un grand pays imbécile, je ne pense pas être le seul à le savoir. En quelques décennies, nous avons pourri pour un temps immense l’essentiel de nos rivières et, bien que nul n’en parle, de nos nappes phréatiques. La dépollution par exemple de la nappe d’Alsace, plus grand réservoir d’eau douce d’Europe occidentale, est pour l’heure irréalisable. Qui paierait ? Quels moyens utiliserait-on ? Mais qu’attendons-nous au moins pour cesser de polluer nos eaux ? Qu’attendons-nous pour proclamer cette évidence que quiconque y jette un produit toxique, pollluant, dégradant est ÉVIDEMMENT un criminel ? Et qu’il doit être traité comme tel ?

J’ai la grande malchance d’habiter un pays où des idiots peuvent envisager de mettre en taule des gosses de douze ans. Mais où les mêmes laissent mourir sans seulement y penser ce qui nous fait tous vivre. L’eau constitue 90 % du poids d’un nourrisson. Et elle est désormais pleine de centaines de molécules différentes et potentiellement dangereuses. Je l’ai dit, je le répète : on ne compose pas avec un tel système. On l’abat. Ou bien il nous entrainera avec lui au fond, là où l’on se noie.

Un message de Christian Berdot (depuis les Landes)

Je n’ai jamais rencontré physiquement Christian Berdot, qui préside les Amis de la Terre dans les Landes. Mais nous avons échangé je ne sais combien de fois. Et je risque pas d’oublier qu’il fut le premier à m’alerter sur le crime planétaire des biocarburants. Je lui laisse bien volontiers ma place ce mercredi 4 février 2009, car il a des choses à dire. Chez lui, c’est une habitude. Une noble habitude.

Tempête dans les Landes : le climat se dégrade !

Mont-de-Marsan, le 2 février 2009

Personne ne peut affirmer que cet ouragan est dû aux changements climatiques. Par contre, on peut affirmer qu’avec les changements climatiques, ce genre de catastrophes va s’intensifier, se multiplier et pourquoi pas, alterner avec des périodes de canicules et de pluies diluviennes ! Qui est prêt à se prendre ces cataclysmes sur le coin de la figure tous les 3 ans, 5 ans, 10 ans ? Personne, bien sûr ! Mais alors que fait-on pour empêcher que les climats ne s’emballent ?

Au niveau national, le gouvernement annonce le passage à 2 x 3 voies de l’A10, un plan de relance de l’industrie automobile, des soutiens à l’Airbus : que des mesures qui nous mènent droit dans le mur ! Et au lieu de financer l’enterrement des lignes électriques, EDF et les copains industriels pourront gaspiller l’argent public avec la construction de deux nouvelles centrales atomiques, inutiles et dangereuses.

Localement, ce n’est pas mieux. Lors d’une réunion de préparation de l’étude prospective « Landes 2040 », les Amis de la Terre sont intervenus. En effet, dans cette étude, le Conseil Général des Landes n’aborde pas une fois, les crises climatique et énergétique. Les Amis de la Terre ont donc signalé que, dès 1990, ils avaient organisé des conférences sur l’effet de serre dans les Landes. Nous ne pensions pas à l’époque que nous assisterions 18 ans plus tard, en 2008, à une fonte record des calottes polaires et à l’assèchement de bras entiers de l’Amazonie, le plus grand bassin hydrographique de la planète ! Nous avons donc posé la question : « Face aux changements de ces dernières années, comment pouvez-vous faire comme si vous étiez sûrs que dans trente ans, on cultivera encore du maïs dans les Landes ou qu’il y aura encore des pins ? ». La question reçut une réponse polie et ennuyée.

Avec quelle énergie roulera-t-on demain ? Avec quelles conséquences sur les climats ? La question n’est même pas posée ! La priorité de cette étude « Landes 2040 » est la construction d’infrastructures : l’autoroute Bordeaux-Pau, l’A10, la LGV inutile et coûteuse. Pas un mot sur les transports en commun de proximité pour le quotidien des salariés, de leurs enfants.

Quant à la filière bois, parlons-en. Depuis des années, les Amis de la Terre demandent le développement d’une filière bois-énergie ainsi que l’utilisation des bois locaux. Lors de la réfection de la Place Saint-Roch à Mont-de-Marsan, on est allé chercher de l’azobé, bois africain et pour les berges de l’Adour à Dax, de l’Ipé, bois amazonien ! Quelle honte !

Une énorme crise économique secoue la planète. Elle ne fait que commencer et va faire mal, très mal ! Mais cette crise nous offre au moins le choix entre :
–  en baver pour sauver ce système économique qui repose sur l’exploitation sans limites des humains et de la planète,
–  ou bien, en baver pour le remplacer par une économie respectueuse des Humains et de la planète et qui permettra enfin d’assurer un avenir à nos enfants.

Mais pour réussir ce changement, un chantier encore plus grand que la remise sur pied de la forêt landaise nous attend ! Maintenant, il s’agit de déblayer… le cerveau de nombreux responsables politiques, de tous les vestiges d’un passé révolu, de toutes ces fausses certitudes qui les encombrent et nous mènent droit à la catastrophe. Au boulot, le temps presse !

Christian Berdot, Président des Amis de la Terre des Landes