On se détend, on se marre, on ne parle plus de Sébastien Genest, on déconne à propos d’un type dont je n’avais jamais entendu parler, mais qui mérite le détour. J’aurais continué à tout ignorer d’Yves Thréard sans un courrier d’une lectrice de ce blog, Eva, que je remercie donc sans manières.
Thréard est journaliste. La honte, mais bon, moi aussi d’après ce que j’ai entendu dire. Au Figaro, quotidien dirigé par l’immarcescible Étienne Mougeotte, anciennement dédié au remplissage des cerveaux par la pub sur TF1. Au Figaro, dont le propriétaire est un certain Serge Dassault. Lequel a été longtemps le patron opérationnel de la petite entreprise créée par son père, Marcel. J’imagine que vous le savez, Dassault fabrique entre autres des avions militaires. Des Mirage, des Rafale, bientôt une superbe chose qui s’appelle pour le moment nEUROn. Quel beau nom ! Je crois que les créatifs qui ont travaillé sur le sujet sont de vaillantes personnes. Moi, j’aurais bien proposé nEUnEUROn, mais on ne m’a pas demandé, malgré la faiblesse de mes prix.
Mon préambule n’est pas terminé. Le 16 mars 1988, la journée s’annonce belle. À Halabja, je veux dire, qui est une ville kurde d’Irak de 60 000 habitants, à quelques kilomètres de l’Iran. Et puis des avions du défunt régime de Saddam Hussein envahissent le ciel. Je rappelle, car ce n’est pas qu’une anecdote, qu’en cette année 1988, Saddam est encore notre ami. Celui de l’Occident, celui que l’Occident a décidé de massivement financer et armer contre l’Iran chiite. J’espère que vous suivez.
Les avions. Ce 16 mars, ils sont un tantinet bizarres. Les bombes qu’ils déversent pendant des heures n’explosent pas comme celles qu’on voit habituellement dans les films de guerre américains. Elles sifflent et répandent à terre comme une odeur de pomme pourrie. Le lendemain, dans les rues, il y a 5 000 morts, dont des bébés encore au sein. Dans la rue. Car les bombes étaient des armes chimiques, vous l’aviez compris. Détail : parmi les avions, des Mirage vendus par monsieur Dassault. Qui n’y est pour rien, puisqu’il ne pilotait aucun des engins lui-même. D’ailleurs, ce n’est pas un criminel de guerre, c’est un industriel.
Fin de l’introduction. Et début de la rigolade avec cet éditorial de Thréard paru ce matin dans Le Figaro. Oui, le monsieur éditorialise (ici). Franchement, un chef-d’œuvre. Il en est de grands et de sublimes. Il en est de si petits qu’ils en deviennent invisibles. Nous parlons ici d’un chef-d’œuvre indépassable de fantaisie baroque de (très) bas étage. Disons. Thréard tempête sur les OGM. Pour lui, il y a « la soldatesque anti-OGM », devant laquelle même son fier héros Nicolas Sarkozy aurait reculé depuis son arrivée à l’Élysée.
Heureusement pour Thréard, vous le savez peut-être, un rapport de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) estime qu’il n’y a rien de nouveau en matière de maïs MON810. Le MON n’est pas le début de Mon pote, mais le début de Monsanto. L’Afssa, agence publique sur laquelle un livre est à faire, bien que ne produisant aucune étude – elle se contente de regarder ce qui existe – rapporte donc en conclusion que : « les éléments du rapport le Maho (…) n’apportent aucun élément nouveau qui remettrait en cause la sécurité sanitaire des maïs portant l’événement MON 810 ».
Je ne peux commenter ici la malignité extrême du texte de l’Afssa. Sur l’ensemble du dossier, mon copain Frédéric Jacquemart, un scientifique comme je les apprécie – il préside le Groupe International d’Études Transdisciplinaires (Giet) – a écrit des analyses éclairantes que vous pouvez lire en ligne (ici). L’affaire est politique. On s’en serait douté.
Dans son inoubliable édito, Thréard réussit des tours de force dignes du grand Zampano (héros de La Strada, de Fellini). Cet homme a du coffre. Trois citations. La première : « Depuis de nombreuses années, les scientifiques les plus avertis de notre pays affirment que les organismes génétiquement modifiés sont “bénéfiques pour la santé humaine”». Les plus avertis. Thréard est un humoriste. Bénéfiques. Thréard est un grand inventeur d’informations. Jamais personne n’a écrit que les OGM pouvaient être bénéfiques pour la santé humaine. Même pas ses amis « scientifiques avertis ». La deuxième : « En fait, dans ce débat sur les OGM, rien n’est scientifique, tout est politique ». Copieur, va. La troisième : « Le progrès est souvent regardé comme suspect (…) Le terreau a été habilement cultivé par les batteurs d’estrade, les dévots du bio, les tenants de l’altermondialisme pour que le greffon anti-OGM se développe solidement dans les sondages (…) Afin de préserver le nucléaire, fleuron de l’industrie française, on a provisoirement sacrifié la question des OGM. Son traitement dans le cadre du Grenelle a ressemblé à une mascarade, pour être habilement confié à une Haute Autorité à la composition fort discutable ». Là, si j’étais la caution écologiste du Grenelle – je ne cite personne, je ne remets pas le couvert -, je me poserais tout de même une ou deux questions. On aurait donc évacué la lourde question du nucléaire ? On aurait viré de la table du Grenelle le réseau Sortir du nucléaire ? J’attends des preuves, monsieur Thréard.
Au fait, qui est Thréard ? Un charmant garçon muni d’une licence de droit et d’un DEA de lettres, qui aura beaucoup travaillé – comme journaliste – en Afrique, avant de devenir directeur de la rédaction de l’inénarrable France-Soir en 1997, puis de passer au Figaro. Sa déontologie ? Mais poser la question est déjà une insulte, non ? Tant pis, j’y vais. Le 28 juin 2007, le journaliste Nicolas Poincaré présente sur RTL son émission On refait le monde. Je ne l’ai jamais écoutée, désolé, la pub me rend malade physiquement. N’importe, l’émission a eu lieu. Et ce jour-là, Yves Thréard fait partie des invités. Et ce jour-là, en direct, il annonce ceci : « Je vais dire quelque chose de très important. Pendant toute la campagne [électorale de 2007], j’ai entendu que Dassault vivait des commandes de l’Etat. C’est faux ! Archi-faux ! Dassault n’a pas eu une seule commande de l’Etat en matière militaire ».
Poincaré se sent obligé de lui rétorquer : « Et le Rafale, il le vend à qui ? Il le vend à qui, le Rafale ? ». La suite relève de la pure bouffonnerie, et si vous voulez rire à l’œil et aux éclats, c’est possible en ligne sur le blog d’Olivier Bonnet (ici). Je suis charitable, et je dois reconnaître confraternellement que monsieur Yves Thréard dit de temps à autre la vérité. Par exemple le 31 janvier 2008, au cours d’un débat public. À un moment, qui ne durera jamais assez selon moi, il déclare du haut d’une tribune, parlant du quotidien Le Figaro, dont il est je crois directeur-adjoint de la rédaction : « Monsieur Dassault a un journal pour faire œuvre de militantisme politique ». Pour le cas où vous douteriez de moi, ce qui est un droit inaliénable, je vous invite à regarder un bout de film en ligne (ici).
Je dois avouer que cette saine histoire du journaliste-déontologue m’aura utilement diverti. Me voilà détendu comme tout. Je souris, je baye aux corneilles en attendant d’alller faire un tour dehors en sifflotant. Et sur ce, avec votre autorisation, je vais me faire une tasse de café bio et par ailleurs équitable. Car il est 10h35, et c’est l’heure.