Archives mensuelles : juillet 2010

Peut-on se fier à la créosote (NON) ?

À qui se fier ? Mais à personne, ce sera nettement plus simple. Commençons par un mot sur l’association Robin des Bois, créée jadis par Jacky Bonnemains et les sœurs Kanas. Il y a trois ans, je me suis fâché – grave – avec Jacky, que je connais depuis bien vingt ans (lire ici). Je trouve que la querelle avait un sens, un sens qu’elle conserve pleinement. Mais je dois dire que j’ai pour Jacky Bonnemains de l’estime, une estime ancrée en moi, en dépit de tout. Et une pointe d’affection, peut-être ? Bien qu’il n’entrouvre jamais son impressionnante cuirasse, oui, une pointe d’affection.

Je ne l’ai pas vu depuis trois ans, car en général, je ne fais pas semblant de m’engueuler. Mais ces derniers temps, nous avons tout de même échangé quelques mots au téléphone. On verra bien la suite. En tout cas, Jacky est non seulement un écologiste, mais aussi une sorte d’artiste, doublé d’un enquêteur hors-normes. Aurait-il été flic que je n’aurais pas aimé être voyou. Quoique. Au long de trente années de militantisme, il aura mis au jour des dizaines d’histoires passionnantes, inquiétantes, édifiantes. Des dizaines. Qui pourrait dire mieux ?

Il y a de cela peut-être quinze ans – ou dix ? -, il m’avait entretenu des traverses de chemin de fer. Des anciennes traverses réformées par la SNCF et qui étaient revendues à je ne sais quel mercanti, qui les changeait en charbon de bois pour les barbecues. Et Jacky m’avait alors dit : « Mais c’est bourré de créosote ! ». Sans doute avait-il ajouté d’autres noms ésotériques, que j’ai oubliés depuis. La créosote, en tout cas, est une merde hautement toxique et cancérigène. Si les traverses en sont recouvertes, c’est pour les protéger de la pluie et du soleil. Quelle bonne idée ! Et quelle bonne idée de faire cramer cela en même temps que les saucisses ou les côtes de porc ! Toujours penser au déficit de la Sécu. Toujours.

Donc, Jacky en précurseur. Mais le voilà rattrapé par le ministère de l’Écologie qui n’aura jamais mis que des décennies à réagir. Hourra ! Borloo et Jouanno viennent de signer une charte avec plusieurs utilisateurs de bois à la créosote – dont Réseaux ferrés de France (RFF) et France Telecom – de manière à  « tracer » les traverses et les poteaux téléphoniques en fin de vie. Oui, il y a aussi les poteaux téléphoniques en bois, évidemment. On retrouve de ces charmants souvenirs jusque dans certaines maisons, où ils peuvent, selon, servir de poutres, de séparations dans les potagers, de bois de chauffage, etc. Croyez-moi, cela fait du volume. Si l’on en croit madame Jouanno, «  80 000 tonnes de bois traités usagés sont retirées chaque année des réseaux d’infrastructures de RFF, France Telecom et ERDF ». 80 000 tonnes, et combien de cancers à l’arrivée, gente dame ?

Je n’insiste pas, car à quoi bon ? Allez regarder le site de Robin des Bois, qui a beaucoup publié sur le sujet (lire ici). La sombre morale de cette ténébreuse affaire, c’est la même que si souvent. Le monde est victime d’un empoisonnement universel. Ou l’on abattra, je ne sais comment, l’industrie – notamment chimique – qui s’est insinuée dans le moindre interstice de nos vies, ou l’on pleurera misère jusqu’à la fin des temps. Qui risquent de ne pas être si éloignés que cela. Ou, ou. On appelle cela une alternative. Laquelle contient deux choix, et pas trois.

Un certain 14 juillet 2010

J’imagine qu’on garde le droit d’être balancé. J’espère que l’on conserve la liberté de penser ceci en même temps que cela. L’un des nombreux drames de l’époque – mais y en eut-il de plus favorables ? -, c’est qu’il faut nécessairement dire une chose sans accepter son envers. Avers ou envers, c’est pourtant toujours la même pièce, oui ou non ? Je veux parler de la révolution démocratique de 1789, dont on fête ce jour le 221ème anniversaire. Cela ne nous rajeunit pas, aucun doute hélas.

Moi, j’aime 89. Dans ma maison au-dessus du vallon magique – au fait, Hacène, j’y suis, j’ai tracé, je ne suis plus à Paris -, j’ai une pierre sur laquelle est inscrite la date fatidique : 1789. Je suis allé la chercher il y a un couple d’années avec mon ami Patrick, chez un homme de la vallée qui disposait de belles pierres venues d’une maison défunte. J’en avais besoin, je le lui en ai achetées quelques-unes. Dont une splendide entre toutes, sur laquelle est gravée cette date : 1789.

Disons-le, même si c’est passablement évident : j’aime la révolution. J’ai toujours aimé la révolution. À la folie, mais vraiment à la folie quand j’étais jeune et que je la voyais comme évidente, naturelle, arrivant à point nommé pour régler les questions du monde. Alors, je croyais sincèrement que l’on pouvait tirer sur les malheurs au fusil d’assaut. Un M16 ou un AK47 me semblaient la meilleure façon d’appréhender les problèmes du temps. Je reconnais que c’était une funeste sottise, mais elle fut mienne.

Maintenant que le temps a passé, je vois bien que la révolution est aussi inévitable qu’impossible. Je ne crois plus dans « l’homme nouveau », cet hombre nuevo qui paraissait si vrai, qui me paraissait à portée de main, ou de flingue. Mais dans le même temps, seul un bouleversement total des valeurs et des hiérarchies permettrait de limiter au moins la casse désormais inévitable de la crise dans laquelle nous sommes tous immergés. Et qui est, avant tout autre considération, écologique.

Je retrouve cette ambivalence à propos de 89. D’un côté, il s’agit d’un mouvement prodigieux de l’âme humaine. Les hommes d’il y a deux siècles ne pouvaient plus supporter le carcan. Celui du roi de droit divin. Celui des argousins au service des maîtres. Celui de la taille et de la gabelle. Celui des évêques emperlousés. Celui des guerres absurdes et meurtrières. Celui des enfants mort-nés. Celui des lettres de cachet. Celui des famines et des maladies. Celui des interminables labeurs. Celui de la soumission aux éternelles autorités. Dieu ! comme je me sens proche, aujourd’hui encore, des insurgés de la Bastille. Au fait, saviez-vous ce qui s’est passé rue Dénoyez quelques jours avant la prise de la célèbre prison ? On y attaqua un percepteur des impôts du roi, et je crois bien me souvenir qu’on lui fit la peau. Moi, je me promène parfois dans cette ruelle de Belleville (Paris), où résiste je ne sais quoi de ce passé. En 1789, la rue Dénoyez, qui était hors les murs de Paris, abritait quantité d’auberges et de bistroquets où la canaille – celle que j’aimerai toujours – se saoulait avant de se jeter à l’assaut du ciel.

Où en étais-je ? Le vin généreux que je bois ici m’aura monté à la tête, je crois. L’ambivalence. Je me sens donc du côté des émeutiers de 89, pardi. Ils sont des miens, je suis des leurs. Et en même temps, la révolution démocratique aura ouvert une tragique boîte de Pandore, celle des droits de l’homme, réduits à ceux de l’individu. J’entends déjà les cris de protestation. Non, pas ça ! La liberté ne se divise pas. Les droits de l’homme sont la plus belle conquête de l’histoire moderne, etc. Eh bien, je n’en suis pas si sûr. 89 aura finalement sacralisé le droit absurde de l’individu à réclamer toujours plus un dû qui ne peut lui être consenti. Rien n’arrête l’infernale revendication de procréation – jusqu’à 110 ans ? -, d’union, de possession, d’argent, de bonheur, de santé, d’espérance de vie même. Tout est désormais dû. En Italie, il existe une expression que j’utilise quand l’occasion m’en est donnée. La voici : « Piove, governo ladro ! ». Autrement dit : il pleut, gouvernement de voleurs !

Une telle attitude n’est pas née avec 89, mais indiscutablement, la révolution a enfoncé dans la tête de tous et de chacun que nous avions des droits, et que ces droits pratiquement sans limite devaient être garantis par l’État. Or, la multiplication de droits individuels qui ne sont jamais contrebalancés conduit au chaos. J’appelle chaos un monde où des possesseurs de portables, parce qu’ils le méritent bien, parce qu’ils ont payé pour cela, privatisent un espace public au profit de leur intérêt privé. Ce n’est qu’un exemple, que l’on peut multiplier par 100 et 1 000.

Je crois discerner ce qui a tragiquement manqué à 1789. Je ne fais pas de procès rétrospectif aux héros de ce temps passé. Ce qu’ils avaient à faire, ils l’ont fait, et merveilleusement. En revanche, je suis stupéfait par l’incapacité des sociétés d’Occident à imposer le complément vital des événements d’il y a deux siècles. Car bien entendu, nous avions, nous avons encore besoin d’une seconde Déclaration universelle. Enfin, réfléchissez avec moi : cela crève les yeux ! Je veux parler d’une Déclaration universelle des devoirs de l’homme et du citoyen, sans laquelle nous sommes perdus. Le monde malade qui est le nôtre exige cette déclaration. Il exige que soit proclamé avec solennité le devoir des hommes à protéger toutes les formes de vie qu’il menace de mort avec tant d’allégresse.

Notre terrifiante puissance de feu matérielle a fait de notre espèce une force géologique. Comme les volcans ou les tremblements de terre. Nous sommes passés sans oser le dire de l’ère holocène à l’ère anthropocène, celle que les humains ont forgée. La moindre des sagesses serait de tenter de limiter cette incroyable capacité à changer toutes les faces du monde. Moi, je vous propose pour finir l’article 1 de cette nouvelle Déclaration universelle. Voici : « L’homme détruit le vie, mais a les moyens de la protéger. Il a en conséquence le devoir premier, préalable, essentiel d’empêcher la disparition de formes de vie qui portent témoignage des insondables mystères de la création. Se soustraire à cette tâche reviendrait à nier l’homme en son essence ».

Soljenitsyne était-il écologiste ?

Si je reviens une fois de plus à Soljenitsyne, qui est pour moi une fraternelle présence, c’est pour deux raisons. La première, c’est qu’on continue à le calomnier par-delà le tombeau, ici-même dans des commentaires qui me restent au travers de la gorge. On écrit n’importe quoi, on le traite comme s’il était l’un de ces Cent-noirs, du nom des bandes antisémites qui régnaient en Russie avant la Première Guerre mondiale. Je ne le supporte pas. Même si cela semble dérisoire, je ne le supporte pas. La seconde raison, c’est que Marie-Pierre, grande lectrice des auteurs russes dans leur langue, m’a envoyé deux extraits de textes d’Alexandre Issaïevitch. Avant que vous les faire lire, deux mots.

Soljenitsyne n’est pas Tolstoï, mais je ne peux m’empêcher, pensant à l’un, d’évoquer l’autre. Tolstoï croyait en Dieu, comme Soljenitsyne. Il aimait profondément la nature, comme Soljenitsyne. Et l’antique campagne russe, et la liberté, tout comme l’autre. Mais les différences l’emportent évidemment. Car Tolstoï était un rousseauiste, un homme qui croyait en la bonté foncière de l’homme, qu’il suffisait d’aider à émerger, et qui finalement sauverait le monde. C’était un être merveilleux. Mystique, anarchiste, défenseur des animaux. Il n’y a aucun doute à mes yeux qu’il fut un écologiste avant l’heure.

Soljenitsyne avait, et pour cause, une vision bien plus noire de la vie. Il aimait profondément la liberté, mais craignait qu’elle ne fût dérobée, ou qu’elle ne servît les desseins du tyran. Il jugeait nécessaire, absolument nécessaire le constant rappel à la responsabilité individuelle. Il estimait l’homme capable de choisir entre le bien et le mal, entre la soumission et la révolte, entre la beauté et la bassesse. Dans son grand roman La Roue rouge, qui raconte l’ancienne Russie et son basculement dans l’horreur totalitaire, il fait intervenir Tolstoï. Je crois me souvenir qu’un de ses personnages ferraille avec lui. L’un croit au bien – le vieux comte Tolstoï -, l’autre préfère penser aux moyens possibles de combattre le mal. En tout cas, Soljenitsyne n’aura pas eu le temps de réfléchir à la crise écologique. Il était d’un autre monde, fort heureusement englouti depuis. Mais je puis dire, pour le bien connaître, qu’il avait tout pour devenir un formidable et tonitruant écologiste. Les circonstances en ont décidé autrement. Faut-il rappeler – oui, probablement – que je ne partage pas, de loin, tous ses textes et engagements ? Et alors, dites-moi ?

Voici le premier extrait a paru en 1990 dans le texte « Comment réaménager notre Russie ? Réflexions dans la mesure de mes forces ».

L’autolimitation

« “Les droits de l’homme”, c’est très bien, mais comment veiller nous-mêmes à ce que nos droits n’empiètent pas sur ceux des autres? Une société de droits sans fin est incapable de résister aux épreuves. Si nous ne voulons pas nous retrouver dominés par un pouvoir contraignant, chacun doit se mettre à lui-même un frein. Aucune constitution, aucune loi ni aucun vote n’assureront par eux-mêmes l’équilibre de la société, car le propre des hommes est de poursuivre opiniâtrement leur intérêt personnel. La majorité d’entre eux, s’ils ont le pouvoir d’augmenter leur surface et de happer de bons morceaux le font. (Et c’est précisément ce qui a perdu tous les groupes ou classes dirigeants de l’histoire.)

On ne fonde pas une société stable sur l’égalité des résistances mutuelles, on la fonde sur une autolimitation consciente : sur le devoir de toujours céder à la justice morale. Seule l’autolimitation permettra à l’humanité, toujours plus nombreuse et plus dense de continuer à exister. Et sa longue évolution aura été vaine si elle ne se pénètre pas de cet esprit : tous les animaux possèdent en effet la liberté de happer des proies et se remplir le ventre. La liberté humaine, elle, va jusqu’à l’autolimitation volontaire pour le bien d’autrui. Nos obligations doivent toujours dépasser la liberté dont nous jouissons. Puissions nous seulement réussir à assimiler l’esprit d’autolimitation et, surtout, à le transmettre à nos enfants. Car c’est pour lui-même que chaque homme en a d’abord besoin pour acquérir son équilibre et une âme imperturbable ».

Je vous le demande : ce texte n’entre-t-il pas en résonance profonde avec une bonne part de ce que j’écris ici ? Est-il la marque d’un esprit étroit, d’un ennemi de l’homme ? Je vous laisse juger.

Le deuxième extrait, tiré du même texte, me semble autant nécessaire, en défense intransigeante de la magnifique figure que fut Alexandre Soljenitsyne. Que je salue, que je saluerai toujours.

Adresse aux peuples et nationalités de petite taille

« Enfin, les plus petites nationalités (… ) c’est nous, l’Union soviétique du communisme, qui les avons poussées vers une mort lente. Que de mal leur ont causé notre administration sans foi ni loi et notre industrie rapace et sans cervelle, en saccageant et empoisonnant leur milieu de vie et en enlevant à cette vie sa dernière assise ! Un mal particulièrement grave pour celles dont les dimensions particulièrement restreintes ne leur permettent pas de lutter pour survivre Il faut que nous arrivions à les renforcer, les revivifier et les sauver ! Il n’est pas encore tout à fait trop tard.

Chaque peuple, y compris le plus petit, est une facette irremplaçable du dessein de Dieu. Transposant le commandement chrétien, Vladimir Soloviev a écrit : “Aime tous les peuples comme le tien propre.” Le XXe siècle est secoué et corrompu par une politique qui s’est libérée de toute morale. Ce qu’on exige de tout honnête homme, on en dispense les États et ceux qui les dirigent. L’heure est venue, et nous sommes à la limite extrême, où il faut rechercher pour la vie des États des formes plus hautes qui ne seront plus fondées sur le seul égoïsme, mais aussi sur la compassion ».

Ces mots sont écrits alors que Soljenitsyne a 78 ans. Telle était la position centrale de cet homme sur la si complexe question des peuples et nationalités dans le territoire de la défunte Union soviétique. Et vous voudriez que j’accepte la sanie constamment déversée sur ce mort éternel ? Ne comptez pas sur moi.

Acharnement non-thérapeutique (sur Borloo)

Je crois que je devrais plutôt en rire. Jean-Louis Borloo, bonimenteur de foire virtuose, ami de longue date de Bernard Tapie – entre bateleurs, on se comprend -, ministre m’as-tu-vu de l’Écologie parce que Juppé lui a laissé la place contraint et forcé en 2007, Borloo ne cesse de jongler. On peut applaudir, et c’est d’ailleurs ce qu’ont fait depuis trois ans les malheureux écologistes officiels et patentés du Grenelle de l’Environnement, cette farce grandiose. En échange d’un plat de lentilles, dont il y a fort à parier qu’elles n’étaient pas même bio, nos écolos de ministère ont aidé Borloo à se forger une image d’écologiste.

Encore bravo à FNE, la fondation Hulot, Greenpeace, le WWF pour ne prendre que les principales associations de ce Barnum de seconde catégorie. Regrettent-ils ? Pas même. Elles sont déjà passées à autre chose, car leur temps est celui du monde existant, médiatique, immédiat, sans jamais aucun retour en arrière. Ma foi. J’aimerais croire qu’un jour, quelqu’un leur demandera des comptes sur ces années perdues qui ne reviendront pas. Mais j’en doute, franchement. Le probable est que tout sera jeté à la benne du temps qui passe. Et ce sera tout.

Borloo est un triste monsieur, quoi qu’en disent ses nombreux amis. Il sait taper dans le dos, promettre la lune à l’imbécile de service, boire un verre en explosant de rire. Ce qui s’appelle entourlouper. Ses deux derniers coups d’éclats sont fameux, croyez-en mon expérience. J’ai beaucoup vu de bluffeurs, il m’est arrivé dans une autre vie d’en affronter au poker, mais Borloo est un maître. Alors qu’il avait annoncé en octobre 2007 – gros titre du journal Le Monde au moment fatidique du Grenelle – que les programmes autoroutiers étaient terminés, voilà qu’il vient d’en débloquer trois, et d’importance (ici). Il a eu l’intelligence du joueur, qui tient parfois à la diversion, profitant du fracas autour de l’affaire Woerth-Bettencourt. Voyou un jour, voyou toujours.

Autre merveille : la disparition des niches fiscales dites vertes. C’est assez génial, dans le genre. La taxe carbone ayant sombré dans les oubliettes, il restait des avantages fiscaux qui ne changeaient rien au fond, mais permettaient au moins un affichage bien venu. Zou ! Dans la cuvette. On tire la chasse d’eau et on sourit aux caméras, comme si de rien n’était. Borloo devrait faire s’envoler à lui seul deux milliards d’euros de « niches vertes » (lire ici). Est-ce un flag’ ? Bien sûr. Borloo va racontant depuis qu’il a été nommé en 2007 que la planète est exsangue. Si elle l’était à ses yeux, réellement, il va de soi qu’il ne considèrerait pas l’écologie comme une variable d’ajustement de la politique gouvernementale. Mais comme il s’en fout absolument, comme elle n’a jamais été conçue par lui autrement que comme un éventuel marchepied vers Matignon et le poste de Premier ministre, il tente de convaincre son maître qu’il est le meilleur élève de cette classe de médiocres et de corrompus. Et il y parviendra probablement. Peut-être à l’aide de Greenpeace, du WWF, de la fondation Hulot et de FNE.  Voyons, ce cher Jean-Louis n’est-il pas des leurs ?

Comment marche la presse

J’écoutais l’autre soir, pas plus tard que jeudi, Rony  Brauman sur France Culture. Brauman, que je n’ai jamais rencontré, a été le président de Médecins sans frontières, et je l’ai toujours entendu dire des choses percutantes, pertinentes, dérangeantes. Brauman est à l’opposé de ces humanitaires qui ne pensent qu’à la structure – la leur -, au blé, aux caméras. Il pense, ce qui fait tache. Mais jeudi soir, j’ai été pris d’un malaise. Le propos avait pour cadre l’émission Du grain à moudre, vers 18h30, et par extraordinaire, elle était intéressante. On y parlait du rôle si étrange, et pour tout dire, inquiétant, de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans la lutte contre la grippe porcine, dite H1N1. Mais à un moment, Julie Clarini a parlé du climat, et Brauman, à mes yeux en tout cas, a dérapé en live.

Finalement, disait-il entre deux phrases sur tout autre sujet, finalement, ma religion n’est pas faite sur la question du climat. Et moi, j’ai eu l’envie de lui dire : pauvre imbécile, si nous attendons tous que tu sois dans de bonnes dispositions, nous serons morts. En l’occurrence, la question n’est pas même – bien sûr, pour moi, elle est réglée – de savoir si le dérèglement est une réalité. Pas même, je vous le jure. La question est de savoir s’il est raisonnable de discuter encore. Et la réponse est NON, NON, NON. Admettons, pour la commodité de ma démonstration, que des idiots boursouflés comme Allègre ont raison. Même en ce cas, la raison, cette raison exigeante dont se réclament les négateurs ne devrait-elle pas TOUS nous mobiliser ?

Je m’explique, ce qui ne sera pas long. Ou les scientifiques du Giec ont tort, ou ils ont raison. S’ils ont raison, il faut abattre les voiles, car l’ouragan qui vient va tout dévaster. Et s’ils ont tort, les mesures que nous prendrions pour faire face à un typhon imaginaire seraient toutes, absolument TOUTES bénéfiques à la vie sur terre et à ses équilibres essentiels. Mais les « climatosceptiques » sont des idéologues, pour qui la réalité est seconde. En conséquence, ils font tout ce qu’ils peuvent pour empêcher des prises de décision qui iraient nécessairement vers une emprise moindre des hommes sur les écosystèmes. Ils montrent ainsi leur inconscience, en quoi ils sont si affreusement humains.

Revenons à Brauman. Mon Dieu ! Comment oser, en 2010, prétendre qu’on ne sait pas ? La seule explication que j’entrevois est qu’il fait partie de cercles qui se piquent d’indépendance intellectuelle, de ceux à «  qui on ne la fait pas ». Fantastique leçon de choses ! On  peut être lucide sur les connivences entre experts de l’OMS et industrie, et aveugle sur la plus grave menace contre les sociétés humaines. Fantastique ! Pour ce que j’ai pu entendre depuis un moment, Julie Clarini et Brice Couturier – les deux animateurs de l’émission de France Culture – font partie de cette tribu parisienne, omniprésente dans les médias, qui ne sait rien de la nature et de ses lois finalement infrangibles. Simplement, se sentant assurés de représenter l’opinion moyenne – moyenne, mais avancée – de leur temps, ils traitent l’écologie avec un mépris apitoyé. Ils sont bons, croyez-moi, dans leur genre. Indiscutablement, ils savent présenter une émission alerte. Ils sont bons, mais ignares.

Au-delà, deux faits. D’abord, une enquête sérieuse de six mois montre que les chercheurs de l’Unité de recherche climatique (CRU) de l’université d’East Anglia (Angleterre) n’ont pas truandé leurs données. Grossièrement résumé, on les accusait de cacher des éléments décisifs, de manière à exagérer l’importance du souk climatique et obtenir ainsi plus de sous ( lire ici). Vous ne vous en souvenez pas forcément( lire ici), mais avant la conférence mondiale sur le climat, à Copenhague – un hasard, sûrement un  hasard -, un opération mondiale de désinformation a eu lieu. Il s’agissait de discréditer ceux qui accumulent par milliers des données sur l’évolution dramatique du climat.

Mais pour monter une telle opération, il fallait compter sur la presse, laquelle est bête comme ses pieds, aveugle, sourde, mais hélas nullement muette, plus moutonnière que ne le sera jamais une brebis. Et le résultat prévisible fut que la presse mondiale largua dans l’espace des milliers et des milliers d’articles ineptes sur 1073 courriels que presque aucun journaliste n’avait lus. Pas le temps, coco. Sept mois, plus tard,  le but des désinformateurs est atteint, et la méfiance règne. Vienne le résultat d’une enquête sérieuse de six mois, et l’on n’obtiendra, dans le meilleur des cas, que 10% du volume consacré au soi-disant scandale appelé par des journalistes – faut-il être abruti ! – Climategate. C’est la fange qui a gagné la partie, définitivement, et les journalistes en sont les premiers responsables.

Assez d’excuses ! Assez d’arguments en défense des pires attitudes ! On attaque les politiques, les agriculteurs industriels, les syndics, les flics, les industriels. Moi, je dis que les journalistes sont des brêles, point barre. Ils ne lisent rien, ne savent rien, et racontent n’importe quoi. Je le sais, j’en suis. Dernier point, une étude de l’Institut de recherche et de développement (IRD). Cet organisme public qui a pris la suite de l’Orstom a une belle réputation, que je crois fondée. Mais peut-être ai-je tort ?

En tout cas, l’IRD vient de rendre publique une étude exhaustive sur les glaciers de Patagonie. Le mieux est encore de citer les chercheurs : « Contrées perdues aux confins du continent latino-américain, la Patagonie et la Terre de Feu, archipel à l’extrémité Sud, abritent les plus majestueux géants de glace du monde. Les glaciers patagoniens, dont le célèbre Pio XI, le plus grand d’Amérique latine avec ses 1292 km², surplombent les vallées chiliennes à l’ouest et argentines à l’est. Ceux de la Terre de Feu, les pieds dans l’océan, plongent dans les méandres des fjords. Ces glaciers reculent. Leur régression vient d’être quantifiée à une échelle régionale. Une vaste étude de chercheurs de l’IRD et de leurs partenaires, portant sur 72 d’entre eux, montre que la grande majorité des glaciers patagoniens et de Terre de Feu ont considérablement diminué depuis 1945 : jusqu’à près de 40% pour certains »

Les négateurs du dérèglement climatique n’en auront jamais assez, car une foi ne se rend jamais aux arguments. La danse macabre continuera donc. Avec la presse, cette presse inouïe, cette presse inculte, cette presse arrogante en maîtresse de cérémonie.