Le crime, le climat, la Chine et Fred Singer (avec AJOUT)

Un grand lecteur de Planète sans visa, devenu un ami bien réel, m’envoie une information presque incroyable : l’Académie chinoise des sciences vient de donner sa reconnaissance officielle à Fred Singer, grand maître planétaire de la désinformation. Mais avant que de commenter, regardez avec moi cette publication en chinois d’un rapport américain publié en 2009, Climate Change Reconsidered.

chinaccrcover[1]

Difficile d’exagérer l’importance de l’Académie des sciences sise à Pékin (ici). Elle emploie 50 000 personnes et le groupe qui édite la revue Nature (ici) la classe au 12ème rang des 100 institutions scientifiques, en se basant sur les articles publiés dans la presse mondiale spécialisée. Harvard est la première, Yale est 18ème, Oxford 14ème. De même qu’au plan économique, la Chine devient – est déjà – un géant de la science. Et le sera toujours plus. Faut-il préciser que publier un document de 1200 pages venant des États-Unis a forcément une signification politique ? Les États totalitaires, même lorsqu’ils semblent ne plus l’être, ont toujours accordé une grande importance aux signes. Car ce sont des signaux.

Au service de la désinformation

Qui est Fred Singer, le grand inspirateur, nullement caché d’ailleurs, du gros rapport  Climate Change Reconsidered ? Né en 1924, il va avoir 89 ans. Physicien reconnu, il a travaillé à de hauts niveaux de responsabilité dans l’industrie spatiale américaine, avant de bifurquer et de mettre son nom et son énergie au service des industries les plus criminelles qui soient. Par exemple celle du tabac : Singer n’hésitera pas à mettre en cause les liens pourtant évidents entre tabagisme passif et cancer. À la tête du Science and Environmental Policy Project (ici), une petite structure créée en 1990, il va systématiquement aider l’industrie transnationale à faire face aux scandales à répétition, que cela concerne les CFC, l’amiante, les pesticides, le dérèglement climatique.

Tel un Claude Allègre à la puissance 10 ou 100, Singer s’impose, depuis une quinzaine d’années, comme le grand négateur du changement climatique d’origine humaine. il n’a de cesse de discréditer le Giec (en anglais IPCC), ce Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, au point d’avoir lancé un Nongovernmental International Panel on Climate Change (NIPCC), pour s’en moquer bien sûr. Je ne peux que vous renvoyer, sur le sujet, à deux livres dont j’ai déjà parlé ici, Les marchands de doute (Naomi Oreskes et Erik Conway, Le Pommier) et tout récemment La fabrique du mensonge (Stéphane Foucart, Denoël).

Pourquoi diable un homme aussi proche de la mort que Fred Singer use-t-il ses derniers jours de la sorte ? Poser la question, c’est visiter une fois encore le pays du mal, dont la diversité des habitants paraît à peu près sans limite. Comment la tête d’un Singer est-elle organisée ? Comment un homme peut-il défendre de tels intérêts et pour quelle obscure raison ? Voyez, je ne crois pas que l’argent qu’il retire de ses opérations, bien réel, soit l’explication principale. Quoi qu’il en soit, et parce que je tiens la lutte contre le dérèglement climatique pour la mère de toutes les batailles humaines, Fred Singer est à mes yeux un grand criminel.

L’Académie à la botte des bureaucrates

Seulement, quand une institution aussi prestigieuse que l’Académie chinoise des sciences apporte son crédit à une telle entreprise, on retombe sur terre, où la politique reprend ses droits. Il va de soi qu’une décision aussi lourde de sens n’a pu être prise que par la tête même du parti communiste chinois. Au reste, sans en faire mystère, l’Académie dépend étroitement du Conseil des affaires de l’État, lui-même aux ordres du Premier ministre. Il faut donc apprécier cette publication pour ce qu’elle est : un crachat envoyé pleine face à ceux qui tentent de faire face à la crise écologique.

On sait qu’il existe des tensions entre bureaucrates chinois. Dès 1994, quand l’agronome Lester Brown avait publié son formidable essai nommé Who Will Feed China ? (Qui nourrira la Chine ?), il était clair qu’une partie de l’appareil d’État avait pris conscience de l’impasse du modèle économique choisi. En mars 2005, le ministre de l’Environnement de l’époque, Pan Yue, avait donné au journal allemand Der Spiegel un entretien si extraordinaire qu’il n’a, à ma connaissance, pas été repris dans la presse française (ici). Vous pensez bien que lorsque Le Nouvel Observateur, Le Point ou L’Express font des dossiers de 80 pages sur la Chine, il faut surtout ne pas effaroucher l’annonceur publicitaire. Lequel veut vendre des montres de luxe, des bagnoles haut de gamme et des parfums, et ne surtout jamais entendre parler d’un Pan Yue.

Car que disait donc ce dernier ? Eh bien, que le « miracle économique » serait bientôt terminé. Citation : « Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Où placer les guirlandes ?

Oui, les conflits à l’intérieur de la bureaucratie chinoise existent. Mais l’affaire Singer, ainsi que je propose de l’appeler, montre que ce sont toujours les mêmes qui gagnent. Et s’ils gagnent, c’est parce que ce pays fou est contraint d’avancer vers le grand krach écologique. Arrêter le porte-containers sans but ni gouvernail reviendrait à disloquer le pays, entraînant des troubles aux dimensions inimaginables. Le principe d’une machine infernale, c’est que personne n’est en mesure de la désactiver. Encore faut-il placer autour de l’engin quelques menues guirlandes et boules de Noël multicolores. Encore faut-il organiser méthodiquement le déni de la catastrophe en marche.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la publication des 1200 pages de l’officine Singer. S’il n’y a pas de réchauffement climatique, alors il n’y a aucune raison pour que la Chine réduise ses formidables émissions de gaz à effet de serre. Il n’y a aucune raison pour que la Chine arrête de siphonner, dans un délire de croissance, les forêts d’Asie et d’Afrique et des Amériques. Aucune raison pour arrêter le pillage du pétrole et du gaz, et des terres, dans un saisissant remakemutatis mutandis -, de l’aventure coloniale de l’Occident.

182 espèces d’oiseaux, 47 de reptiles

Au moment où je vous écris, je pense au Mozambique, l’un des plus beaux, l’un des plus pauvres pays de la planète. Une équipe de scientifiques vient de passer trois semaines dans le parc national Gorongosa, sûrement l’une des zones les moins massacrées de notre monde. Ils y ont recensé 182 espèces d’oiseaux, 54 de mammifères, 47 de reptiles, 33 de grenouilles, 100 de fourmis, etc. Et parmi elles, un certain nombre d’espèces inconnues, je ne sais combien au juste (ici). Dans le même temps, comme le rapporte Courrier International (ici) les forêts de Mozambique sont pillées dans l’impunité la plus totale, et dans des proportions qu’on ne peut qualifier que de bibliques. Au premier chef par les Chinois, qui savent comment convaincre les politiciens locaux. Pardi.

Destruction, tel est le maître-mot de notre univers. Mais dans le même temps, et pour la raison que la vérité est insupportable, il faut nier, dénier, camoufler, désinformer, manipuler. De ce point de vue, aucun autre pays n’a davantage besoin du mensonge que la Chine. Mais que notre honneur national ne souffre pas trop : nous ne sommes pas loin derrière. Oh non.

AJOUT IMPORTANT LE 16 JUIN 2013 :

Grâce à un lecteur de Planète sans visa – Michel G., un grand merci -, il me faut apporter ici une précision essentielle. L’affaire du rapport chinois est plus complexe que ce que j’avais pensé. Car l’Académie chinoise des sciences (ici, en anglais) conteste avoir jamais donné son imprimatur au texte. À ce stade, il s’agirait donc d’un montage d’une grossièreté inouïe de Fred Singer et de ses nombreux amis. Notons qu’il y a aussi – et au moins – une autre hypothèse : que des factions se fassent la guerre à l’intérieur de l’Académie. Qu’un clan l’ait d’abord emporté, aussitôt victime d’une contre-attaque. Dans tous les cas, cela ne fait donc que commencer. La suite au prochain épisode.

10 réflexions sur « Le crime, le climat, la Chine et Fred Singer (avec AJOUT) »

  1. L’académie chinoise des sciences a publié un démenti. La traduction du document n’est PAS une reconnaissance et c’était même clairement indiqué dans la traduction. Mais ce n’est pas le genre de détail qui fait reculer les négationnistes. http://www.llas.cas.cn/tzgg/201306/t20130614_3866222.html

    Bonne continuation, Fabrice.

    Michel, qui se fait troller par son père qui participe à des conférences de climato-sceptiques.

  2. Le rétropédalage du Heartland Institute http://bit.ly/14FIcwE :

    The following statement was released today by Heartland Institute President Joseph Bast:

    « Earlier this week, the Information Center for Global Change Studies, an Information group of the Chinese Academy of Sciences, published a Chinese edition of ‘Climate Change Reconsidered,’ translating and combining the contents of two volumes in a series with the same title previously published by The Heartland Institute.

    « Some people interpreted our news release and a blog post describing this event as implying that the Chinese Academy of Sciences endorses the views contained in the original books. This is not the case, and we apologize to those who may have been confused by these news reports.
    « To be clear, the release of this new publication does not imply CAS and any of its affiliates involved with its production ‘endorse’ the skeptical views contained in the report. Rather, as stated in the translator’s preface of the book, ‘The work of these translators, organizations and funders has been in the translation and the promotion of scientific dialogue, does not reflect that they agree with the views of NIPCC.’ « 

    Le premier communiqué du H.I. a été supprimé. Les pages de l’Académie chinoise qui traitaient de la venue en Chine, pour réception à l’Académie, des auteurs du rapport original ont été supprimées. Le rétropédalage est général, vive la politique.

  3. Atteintes à la Charte de déontologie des journalistes (version 2011);
    Eu égard à la Charte stipulant qu’un journaliste digne de ce nom :

    -« respecte la dignité des personnes et la présomption d’innocence »,
    – « ne confond pas son rôle avec celui du policier ou du juge »,
    -« tient… l’accusation sans preuves, l’altération des documents,le mensonge, la manipulation,…, la non-vérification des faits pour les plus graves dérives professionnelles »,

    je vous mets en demeure de fournir les preuves sur lesquelles vous vous appuyez pour écrire :

     » l’argent qu’il retire de ses opérations, bien réel »
    Pourriez-vous fournir les documents qui prouvent les versements effectués ?

    « Fred Singer est à mes yeux un grand criminel »
    Pourriez-vous fournir les preuves de la criminalité selon la Cour pénale internationale ?

    Enfin, en ce qui concerne le changement climatique,
    1)pourquoi existe-t-il une pétition signée par plus de 30 000 noms « There is no convincing scientific evidence that human release of carbon dioxide, methane, or other greenhouse gasses is causing or will, in the foreseeable future, cause catastrophic heating of the Earth’s atmosphere and disruption of the Earth’s climate » ?
    http://www.oism.org/pproject/
    Vous présentez les faits comme étant de la seule action de M. Singer et les 29 999 autres ?

    2) vos méta-analyses personnelles des données en climatologie (il me faut vos méta-analyses et les références des articles, je ne prends pas en compte les articles où il peut y avoir conflits d’intérêts des auteurs (c’est-à-dire des liens avec des ONG ou des organismes militants), je n’accepte pas le plagiat ni les torchons bâclés donc comportez-vous respectueusement…
    Si vous êtes le journaliste que vous prétendez être, vous devez avoir tout ça sous la main et avoir tout vérifié. Je m’étonne d’ailleurs qu’un honnête homme comme vous n’ait pas songé à nous les fournir d’emblée plutôt que votre rhétorique parcellaire et incompréhensible. Sinon c’est une dénonciation auprès d’Acrimed pour désinformation et bien sûr vous en aurez une aussi si vous censurez mon message.
    Les pisse-copies, on en a marre.

  4. Chère madame Cathy,

    Vous êtes si ridicule, votre ton est si singulier que j’ai décidé de passer votre texte, malgré son indigence et ses débuts d’insulte.

    Que vous dire ? Rien.

    Fabrice Nicolino

  5. Le lien donné par Cathy est tout à fait passionnant :
    h**p://www.oism.org/pproject/

    L’OISM (Oregon Institute of Science and Medicine) est présidé par Arthur B. Robinson (http://en.wikipedia.org/wiki/Oregon_Institute_of_Science_and_Medicine#OISM).

    Personnage intéressant (et bien sûr Républicain) : « Robinson opposes abortion and supports gun rights,[1] cutting taxes, increasing border security and building new power plants.[1] He argues for balancing the federal budget, defunding earmarks and ending special-interest influence in Washington.[1] He also supports restoring sound money and ending the Federal Reserve System. Robinson is against bailouts to Wall Street banks. He also supports a strong national defense, but with a more restrained foreign policy.[21] Robinson is a signatory to A Scientific Dissent from Darwinism, a petition circulated by the Discovery Institute to promote intelligent design. »

    Pour l’OISM : http://www.sourcewatch.org/index.php/Oregon_Institute_of_Science_and_Medicine

  6. Cathy

    La climatologie scientifique existe depuis 200 ans. Arrhénius avait calculé en 1890 qu’un doublement du taux de CO2 mènerait à une augmentation de 2 degrés de la température moyenne. Ce calcul n’a jamais été infirmé et correspond aux *observations* actuelles de la NASA, NOAA etc. Suggérez-vous qu’Arrhénius était lié à des ONG et lesquelles ? Pensez-vous que la NASA et l’ESA envoient des satellites pour plaire à certains organismes militants ?

    Le consensus scientifique en climatologie est à 97% des scientifiques depuis les années 1990 et *toutes* les académies ou organismes scientifiques partagent ce consensus. Pourriez-vous nous indiquer *vos* sources qui remettent en cause ces 200 ans de science car il y aurait sûrement un prix Nobel à la clé. Ah oui, une pétition n’a pas valeur d’avancée scientifique.

    Si le sujet vous intéresse vraiment, je vous conseille la lecture de « The Discovery of Global Warming » http://www.aip.org/history/climate/index.htm

    C’est écrit par un physicien spécialisé en histoire de la géophysique moderne.

    Vous donnez des leçons en matière de journalisme mais la manière dont vous hiérarchisez vos sources et recoupez les informations sont d’une nullité affligeante pour les organismes d’éducation par lesquels vous avez pu passer.

    Enfin, pour les accusations de crime, James Hansen de la NASA a utilisé le terme de crime contre l’humanité concernant le changement climatique et bien que tout le monde soit responsable, certains le sont beaucoup plus que d’autres.

  7. @ cathy: il a été clairement démontré que les 30000 signataires de la pétition dont vous parlez n’étaient en rien des scientifiques. Cette pétition n’est rien d’autre qu’une imposture.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *