L’affaire des microscopes qui tuent

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 20 août 2014

Dans un labo de Lyon, les scientifiques ramassent des cancers à la pelle, entre 27 et 55 ans. Que se passe-t-il ? Officiellement, rien. En réalité, beaucoup de choses.

L’édifiante affaire des cancers groupés commence par un communiqué du groupe de critique sociale Pièces et main d’œuvre (PMO, http://www.piecesetmaindoeuvre.com). Le 15 juillet dernier, PMO annonce une épidémie de cancers dans un laboratoire de l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Lyon, l’une des six écoles d’un pôle public de formation d’ingénieurs.

PMO, connu pour la vivacité de ses positions – notamment contre le « progrès » technologique -, n’aurait peut-être pas suffi, à lui seul, à intéresser qui que ce soit. Mais le texte est accompagné d’un courrier interne très flippant. Adressé aux personnels de l’INSA, il est signé Marie-France Joubert, directrice de l’Institut Lumière Matière (ILM), dont les travaux se mènent au sous-sol, au laboratoire de microscopie électronique du Clym (Centre lyonnais de microscopie).

La dirlo évoque « plusieurs cas de cancers graves diagnostiqués sur des collègues ayant fréquenté les installations de microscopie électronique du Clym ». Et suspend tous les travaux en cours dans ces locaux, évoquant sans se faire prier une éventuelle origine professionnelle. Panique à bord chez les chercheurs, qui tombent de l’armoire, puis de leur paillasse. Le reste est plus classique. Les bureaucrates se ressaisissent et assurent qu’il n’y a pas plus de cancers au labo que dans la population générale. Sacrés farceurs ! La vérité du dossier est tout autre : neuf chercheurs, de 27 à 55 ans, ont été frappés en une dizaine d’années par des cancers du sein, de l’utérus, du poumon, des testicules, entre autres. Et comme aucune enquête n’a encore eu lieu, la liste n’est pas nécessairement close.

Charlie n’entend pas résoudre ce qui reste une énigme, mais quantité de questions méritent d’être posées. En particulier celle des nanomatériaux étudiés au Clym, piste d’ailleurs évoquée par PMO. On ne parlera jamais assez de ces trouvailles, dont l’unité de mesure est le milliardième de mètre, ou nanomètre ; la taille d’un virus varie généralement entre 10 et 400 nanomètres.

Or, les amis, nul ne sait ce que peuvent provoquer des nanoparticules au contact de tissus vivants. C’est même l’une des raisons de leur succès. Extrait d’un article pionnier du professeur de chimie Geoffrey Ozin, paru en 1992 dans la revue Advanced Materials : «  Les objets de taille nanométrique […] démontrent de nouvelles qualités de la matière, en bonne part en raison de leur petite taille ». On a bien lu : de « nouvelles qualités de la matière ».

D’où le grand frisson de foncer encore plus vite dans le brouillard. Avant que de fâcheuses études n’empêchent l’essor des affaires, tous les gouvernements français, depuis vingt ans, ont ouvert les vannes. Et le résultat est digne de notre grand pays : en novembre 2013, le premier « recensement des nanoparticules mises sur le marché » annonçait fièrement une production nationale de 500 000 tonnes.
Est-ce une très bonne nouvelle ? Pour l’industrie, il n’y a aucun doute. On trouve désormais des centaines de produits d’usage courant qui en contiennent. Par exemple des « chaussettes antibactériennes » (nanoparticules d’argent), du ciment (dioxyde de titane), des laits solaires (idem), du sel ou du sucre (silice). Pour la santé, c’est un peu moins évident, car malgré les manœuvres de diversion, la connaissance – la vraie – avance.

En 2009, une étude parue dans Nature démontre que les nanos peuvent endommager l’ADN des humains. On apprend ensuite, en rafale, que les nanos présentes dans l’alimentation peuvent pénétrer le foie, le cerveau, les poumons et le système lymphatique. Le 26 octobre 2011, la revue Biomaterials établit que les nanos de dioxyde de titane – celles des laits solaires –attaquent la protection essentielle qu’est la barrière hémato-encéphalique (BHE). Deux ans plus tard, on apprend que les nanotubes de carbone, présents dans une multitude de matériaux, peuvent favoriser la cancérisation de certaines cellules.

Conclusion qu’on espère rationnelle : rien ne dit à ce stade que les cancéreux de l’INSA sont les victimes des nanos. Ou plutôt, ils le sont forcément, car nous le sommes tous.

12 réflexions sur « L’affaire des microscopes qui tuent »

  1. Bonjour,
    Je travaille au sein d’un service de recherche et une de nos équipes vient de publier un article sur les nanoparticules et leurs effets.
    Effectivement les problèmes avec ces particules ne font que commencer !

  2. Merci de faire circuler la prose de PMO. C’est une référence en matière de résistance face au nécrotechnologies en générale. Le capitalisme est destruction. Le slogan logique de profit ,logique de mort se vérifie avec une accélération du désastre sans précédent . Cette société est de plus en plus insoutenable socialement et environnementalement . Il est plus que temps de passer à l’action .
    Est ce qu’il serait possible d’en savoir plus sur l’article que tu évoques Olivier ?

  3. @ Olivier
    Bonjour
    Peut-on avoir accès à cet article sur les effets des nanos dont vous parlez, svp ? je pense que ça intéresse tout le monde.
    Par avance merci.

  4. Miaou,

    On ne sait pas. Il faudrait faire des calculs complexes qui, à ma connaissance, n’ont pas été faits. On parle – au moment où je t’écris – de 150 personnes, mais cela ne veut rien dire, car il s’agit du personnel actuel ayant accès.

    Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

  5. @ lionel, à propos de Chine et d’OGM:

    C’est à noter, sans doute, mais ce n’est pas forcément une bonne nouvelle, cela veut peut-être simplement dire que le gouvernement chinois veut développer sa propre technologie OGM.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *