Bienvenue au pays des paysans (Chewa, Chichewa, Malawi)

Avant de vous raconter ce qui est peut-être une formidable nouvelle, je dois évoquer en quelques mots le Chewa. Je vois que cela ne vous dit rien – pardonnez, je devine à distance – et je vais donc m’expliquer plus avant. Le Chewa, autrement appelé le Chichewa, c’est le Malawi. Et tout le monde se contrefout de ce pays d’Afrique, je vous l’accorde.

Pour commencer, il est impossible. On dirait une crotte de nez jetée entre Zambie, Tanzanie et Mozambique. On appelle cela un territoire enclavé, sans aucun accès à la mer. Pour comble, il figure un serpent long de 900 km, effilé, dont la largeur varie entre 80 et 150 km. Quelle surface ? Aux dimensions de l’Afrique, mieux vaut en rire : 118 484 km2, soit un gros cinquième de notre douce France. Et j’ajoute que le quart du territoire est constitué de lacs prodigieux, mais où il est difficile de planter sa houe. Le lac Malawi, qui court sur une grande partie de la frontière Est du Chewa, fait 580 km de long.

Sera-ce tout pour ces messieurs-dames ? Non pas. Au Malawi, on claque des dents depuis bien longtemps. Trop de gens y habitent – 11 millions en 2001, peut-être 13 aujourd’hui – et trop d’infernales sécheresses ruinent chaque fois un peu plus son agriculture. En 2005, l’eau a manqué comme jamais, et le gouvernement a été contraint d’importer en urgence 400 000 tonnes de maïs. Un coût géant pour un si petit pays.

La suite nous est racontée par une journaliste locale, Catherine Riungu (lire ici, mais en anglais). Je dois préciser, par précaution, que je n’ai aucun moyen de vérifier. Et que le Malawi est un pays étrange où la langue officielle, celle du Parlement comme celle de la justice, est l’anglais, que ne parlent qu’une partie des politiciens et des juges, et pas le peuple. Le premier président du pays, Hastings Kamuzu Banda – au pouvoir de 1966 à 1994… – ne parlait que la langue du colonisateur, et devait utiliser les services d’un interprète pour parler à ses « sujets ».

Bon, assez dénigré. Riungu. Elle raconte qu’après la sécheresse de 2005, le gouvernement local a envoyé promener ceux qu’on appelle les « bailleurs de fonds », ces institutions financières qui imposent leur loi aux pauvres, avec les résultats prodigieux qu’on commence à entrevoir. Une mention pour le FMI, dirigé par notre grand ami socialiste DSK ( pour rappel, ici).

Donc, aux pelotes. Le gouvernement de Lilongwe  – la capitale – décide de subventionner ses paysans. Une folie dans un monde où il ne faut surtout pas aider l’agriculture vivrière, qui rapporte si peu aux truands d’ici et de là-bas. N’importe : des subventions massives. Soit 53 millions d’euros sur une année, distribués, officiellement du moins, à 1,5 million de paysans sous forme d’engrais et de semences. La production de maïs double. Double. Peut-on imaginer ?

Depuis, les aides sont passées à 106 millions d’euros par an. Et 14 % du budget national seraient consacrés à l’agriculure. Si tel est le cas, le Malawi est unique en Afrique, et mérite le premier prix Nobel de la paix jamais décerné à un pays. Le président en place serait derrière ce stupéfiant défi à l’ordre du monde. Je vous donne son nom, à tout hasard : Mbingu wa Mutharika. Selon Catherine Riungu, cet homme est fier du travail accompli, et se laisse aller à des phrases dont nous ne savons plus la signification. Il a ainsi déclaré, tout récemment :  « You cannot be proud if you cannot feed your family; everybody looks at you with pity ». Et, oui, c’est l’évidence même : si l’on ne peut nourrir sa famille, on ne peut pas être fier. Et les autres vous regardent avec commisération.

J’y insiste, je ne garantis pas la teneur des informations sur cette révolution agricole. Mais une chose est certaine : des délégations venues du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Swaziland se sont succédé sur place, pour essayer de percer le mystère. Mais est-ce un mystère ? Ne sommes-nous pas en face de l’oeuf de Christophe Colomb, tout simplement ?

6 réflexions sur « Bienvenue au pays des paysans (Chewa, Chichewa, Malawi) »

  1. je crois que cela laisse tout le monde sans voix…c’est donc possible de mettre en oeuvre une telle politique, mais je doute de la transposabilité!! mais une question quand même, je n’ai sans doute pas tout compris,d’ou leur vient cet argent a redistribuer?

  2. Bonjour

    ca fait bien de lire ca !
    ouf, la periode « into the wild » n’aura pas duré trop longtemps.

    je ne sais pas si on peut comparer, j’ai lu dans la Décroissance de novembre un extrait du président bolivien Evo Morales à l’ONU en septembre 2007 (un an déjà)
    son titre : « Nous devons respecter notre mère la terre »

    http://socio13.wordpress.com/2007/09/25/discours-devo-morales-a-lonu/

    « Aujourd’hui, les peuples indigènes de l’Amérique latine et du monde nous sommes en train d’être convoqués par l’histoire pour devenir l’avant-garde de la défense de la nature et de la vie. »

    où en sont-ils là bas en Bolivie, c’est une question.

  3. Même si ça me pèse de jouer les rabat-joie mais quelques remarques s’imposent néanmoins:
    – dans l’article on parle d’une crise alimentaire provoqué par sécheresse et inondations
    – le maïs semble être l’aliment de base de ce pays
    – le gouvernement achète de l’engrais chimique et des semences de maïs hybride
    Dans une région avec une saison de pluie qui doit aller d’octobre à mai (dans les 1350mm de pluie, le double du Calvados)on devrait plutôt s’inspirer de Pierre Rabhi que de Claude Allègre sinon c’est la catastrophe assurée. Le maïs est un très mauvais aliment et il n’a rien à faire là-bas. Même en France la maïsiculture fait des ravages qui nous coûteront très chers.
    Dans l’article de Riungu il est aussi question de donateurs, sont-ce eux qui orientent certains choix?

  4. Vorreisapere,

    Ma foi, je ne vous donnerai pas tort. De nombreux problèmes existent dans ce pays, géré désastreusement depuis l’indépendance de 1966. Et il n’est pas exclu – j’ai pris assez de précautions dans mon papier ! – que l’affaire ait des aspects peu ragoûtants. Mais il n’empêche que les décisions prises sont en rupture. Avec le marché-roi. Avec le mépris, traditionnel en Afrique, pour les paysans et la terre. Avec la priorité perpétuellement accordée aux cultures d’exportation, celles qui rapportent aux élites urbaines.
    Alors, et malgré tout, il me semble que cet article s’imposait. Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  5. Je me réjouis de la bonne nouvelle d’aider des êtres humains à se nourrir décemment. Toutefois, quelques petits bémols, et particuliérement le parallèle incontournable avec les désastres écologiques et sanitaires qui nous guettent et dont une « certaine » forme de financement de l’agriculture (par fonds publiques et privés) est à l’origine… J’ai nommé la PAC mais vous l’aviez reconnue… Donner de l’argent, sur le fond pourquoi pas, mais pas pour faire n’importe quoi. C’est la ou la politique a encore une fois un rôle centrale et décisif. En l’état, le bémol profond que j’apporte à « l’aide agricole » est qu’il y a un gouffre entre « l’aide à la production » constante (qui permet de rendre les personnes et les systèmes d’exploitation dépendants via les investissements colossaux à couvrir et d’orienter les productions au passage, nous sommes toujours dans notre chère PAC) et « l’aide à la création » de systèmes autonomes et viables écologiquement, économiquement et socialement (et qui constituent donc des investissements). Mais le deuxième schéma demande des changements bien plus profonds de la société (je suis revenu chez nous la….) et la perte de quelques interêts que les plus gros lobbys ne lacheront pas si facilement… Bon je digresse….
    A bientôt,

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *