La betterave, le ministre et le « syndicat »

Ce texte a été publié hier le 6 août sur le site https://nousvoulonsdescoquelicots.org

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Nous sommes le 6 août, et il se passe dans la torpeur de cette énième canicule un événement hors du commun : le gouvernement est prêt à remettre en circulation un pesticide interdit, l’un de ces néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles et de tant d’autres insectes. Au motif qu’une maladie des plantes, la jaunisse virale, menace le niveau de production de la betterave industrielle. Notons que cet argument, qu’il soit sérieux ou fallacieux, peut être ressorti dans d’innombrables autres occasions. Et constatons qu’il s’agit de modifier la loi de la République pour complaire à des intérêts on ne peut plus particuliers. À ce stade, c’est une déclaration de guerre à ces millions de Français qui ont déjà exprimé, au travers du mouvement des Coquelicots ou par leurs achats quotidiens qu’ils voulaient la fin de ce système criminel.

Inutile ici de trop insister : oui, ce système irresponsable est aussi criminel, car il s’attaque au vivant, à cette chaîne si fragile du vivant, jusques et y compris à la santé des humains. La science, la science vivante – en l’occurrence le CNRS et le Muséum national – documente l’effarante disparition des oiseaux et des insectes. Pas au Penjab ou à Djibouti, en France. Ce désastre repose sur une alliance de longue date entre le ministère de l’Agriculture et ses pseudopodes, les firmes de l’agrochimie et ce si curieux « syndicat » qu’est la FNSEA, dont l’action continue semble être d’accompagner la mort des paysans et le triomphe des grosses machines et de la chimie de synthèse.

Mais revenons aux faits. Ce 6 août, le ministère de l’Agriculture a publié un communiqué par lequel il promet à l’industrie agricole de la betterave un changement de la loi. Celle-ci interdit depuis le 1er septembre 2018 sept pesticides néonicotinoïdes pour la raison certaine qu’ils s’attaquent à l’un des biens communs les plus précieux : les pollinisateurs. Qui a notamment porté cette loi aussi impérieuse que tardive ? Madame Barbara Pompili, alors secrétaire d’État à la biodiversité, aujourd’hui ministre d’État, en charge de la transition écologique. Sur son blog, madame Pompili écrivait en 2018 : « Je suis très fière d’avoir, avec d’autres, obtenu cette grande avancée dans la loi biodiversité‬ en 2016. Une pensée pour celles et ceux qui se sont battus avec moi dans un contexte difficile : Geneviève Gaillard, Jean-Paul Chanteguet, Viviane Le Dissez, Delphine Batho, Ségolène Royal et d’autres que je remercie pour leur courage et leur détermination ».

Il va de soi, dans ces conditions, qu’il n’y a pas de place dans le même gouvernement pour madame Pompili et monsieur Denormandie, le nouveau ministre de l’Agriculture. Ou l’une ou l’autre. Il n’est pas impossible que, sans s’en rendre compte lui-même, Emmanuel Macron se soit mis dans une situation infernale. Nous verrons bien. Mais dès maintenant, il faut essayer de comprendre ce qui se passe. Et la première évidence, c’est que la betterave intensive est, pour le vaste lobby de l’agriculture industrielle, au cœur de cette noble activité.

D’abord parce que c’est la première production agricole française, qui fait de notre pays le deuxième producteur au monde, mais le premier dans le domaine des biocarburants venus de la betterave. Les défenseurs de ce système ne semblent pas gênés, après avoir juré mille fois qu’ils existaient pour nourrir le monde, de distraire des quantités toujours croissantes de plantes alimentaires pour faire rouler des bagnoles. On ne sait pas si la France utilise une autre technique répandue aux États-Unis, mais on n’en serait pas surpris : là-bas, on utilise la betterave comme revêtement routier. Très pratique, paraît-il.

Donc, une industrie centrale. Bien entendu, et comme à chaque fois que le poste de ministre de l’Agriculture change de pensionnaire – M.Guillaume est sans doute en vacances au Pays basque, remplacé par M.Denormandie -, le lobby teste le petit nouveau. Sera-t-il aussi flexible que tant d’autres prédécesseurs ? Jusqu’où pourra-t-on pousser ces multiples avantages accordés à l’industrie de l’agriculture depuis désormais 75 années ?

Mais ce test habituel, ô combien réel, ne doit pas masquer une autre réalité : M.Denormandie et son cabinet étaient au point de départ (très) favorables au lobby agro-industriel, et c’est d’ailleurs pour cela et rien d’autre qu’ils sont en place. Voyons d’un peu plus près, ce sera éclairant. Qui est M.Denormandie ? Un ingénieur du génie rural et des eaux et forêts, grand corps technique d’ingénieurs d’État qui a fusionné avec celui des Ponts et Chaussées. Et que trouve-t-on dans son cabinet ? Des ingénieurs du génie rural et des eaux et forêt, comme Carole Ly ou Pierre Marie, et même un ancien employé du plus vaste lobby agro-industriel de la planète appelé ILSI – Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta, DuPont, Dow -, Pierre Dussort. En charge au cabinet de la…souveraineté alimentaire.

Ces gens-là ne possèdent qu’une vision, quelles que soient leurs éventuelles qualités personnelles. Le corps du génie rural et des eaux et forêts truste depuis des décennies tous les postes de responsabilité publique dans le domaine de l’agriculture, et il est le grand responsable technique de l’industrialisation des campagnes et de la mort des paysans. Tout a été entrepris sous son contrôle, et souvent à son initiative : le drainage des zones humides, le remembrement et donc la disparition des bocages et des talus boisés, le « recalibrage » des rus et ruisseaux, l’usage massif des gros engins et de la chimie de synthèse. Il serait vain de demander à de telles personnes de miser sur le chant de l’alouette et le bonheur de l’agro-écologie.

Une anecdote pour finir. Nous sommes en 1970 et Jean-Claude Lefeuvre – il deviendra l’un de nos plus grands écologues – emmène ses étudiants dans le haut-bassin de la Vilaine. Ils constatent la présence dans l’eau de 10 mg de nitrates par litre d’eau. C’est tout nouveau, et cela intervient – tiens – après une opération de remembrement. Génial précurseur, Lefeuvre comprend que l’élevage industriel qui déferle et l’agriculture intensive qui s’étend vont fatalement farcir les eaux de Bretagne de ce poison. Il alerte. En 1970. Et le directeur régional de l’Agriculture, ingénieur du génie rural comme M.Denormandie, lui rétorque : « Monsieur, vous ne devriez pas affoler les populations avec des problèmes qui n’en sont pas. Il n’y a aucune raison de s’inquiéter pour les nitrates ».

En 1976, la situation est déjà dégradée, et Lefeuvre récidive devant les quatre directeurs départementaux de l’Agriculture de Bretagne, tous ingénieurs du génie rural comme M.Denormandie. Le directeur régional de l’Agriculture qui les commande – un autre que celui de 1970, mais tout autant ingénieur du génie rural – lui lance cette fois : « Monsieur Lefeuvre, s’il y a un problème, nos ingénieurs sont là pour s’en occuper ».

Ce projet de modification de la loi française en faveur des betteraviers est une pure et simple infamie

17 réflexions sur « La betterave, le ministre et le « syndicat » »

  1. Toujours percutant cher Fabrice Nicolino, et parfaitement documenté, ne te décourage pas, tes rappels historiques sont là, ils font date, ce ne sont pas des coups d’épée dans l’eau, je suis sûr que tes avertissements répétés, et avec quel talent, porteront leurs fruits.
    Gardons l’espoir, préservons cette fameuse part d’ange en nous, -cette « part des anges qui est aussi la quantité d’alcool qui s’évapore chaque année durant le vieillissement du whisky ».
    Je bois à ta santé, à ta sagacité, à ton courage inaltérable et à tes bonheurs d’expression. Jacques Faule

  2. merci Fabrice pour ce texte très éclairant, s’il autorise ces poisons malgré tous les travaux qui montrent leur nocivité sur les abeilles et autres pollinisateurs,
    le ministre de l’agriculture devrait être nommé « ministre de l’agro-industrie »;
    mais je me demande comment un ministre peut modifier une loi : je croyais que c’était le rôle des députés

  3. À qui le tour après l’intense comm des betteraviers – dont de nombreuses banderoles plantées en bordure de champs en appelant pathétiquement à l’État ?
    Déjà les producteurs de maïs réclament leur dérogation à cette récente interdiction des néonicotinoïdes – pourtant obtenue de haute lutte – pour cause « d’absence de solutions » (sic) contre certaines mouches.

    Avec la lucidité et la maîtrise qui siéent à un légitime combat pour un avenir vivant et tout simplement vivable, il y a matière – une fois de plus ( une fois de trop ? ) – à être révolté, et pas qu’un peu. Merci donc Fabrice pour ta niacque stylée.

  4. « En même temps », on peint tout en vert mais ce qui est derrière ne change pas.
    Denormandie du génie rural, c’est bien le même qui soutient (aussi) la FDSEA quand elle dit qu’il faut retenir l’eau l’hiver -les fameuses « retenues collinéaires »- pour l’utiliser l’été? (Une aberration totale, une fuite en avant). Le même principe, à l’envers, que pour la neige artificielle (ah non! « de culture »).
    C’est vrai qu’il va en falloir, de l’eau, pour arroser le maïs qui sert à nourrir les vaches, les cochons, les poulets (avec le soja transgénique des amerloques).
    Ils sont vraiment à vomir.
    https://www.francetvinfo.fr/meteo/secheresse/infographies-secheresse-quatre-graphiques-pour-visualiser-l-aggravation-de-la-situation-en-france_4067133.html
    Merci pour le rappel sur l’usage de la betterave. Je ne savais pas (ou avais oublié), au contraire du colza lui aussi destiné en grande partie à atterrir dans les réservoirs de nos bagnoles.

  5. Ces quelques mots pour dire ici un grand merci à Fabrice Nicolino pour ses papiers remontés et si vivifiants ! (face aux mensonges mortifères et aux dénis ambiants).
    Oui nous voulons des coquelicots !
    Oui nous osons dire et implorer : Stop à tous ces poisons que sont les pesticides, dans l’agriculture et ailleurs.
    J’achète Charlie hebdo chaque semaine pour lire et soutenir les pages écolos de Fabrice Nicolino. J’ai lu son formidable Manifeste et suis en train de lire Ce qui compte vraiment, si nécessaires.
    Merci pour vos coups de gueule vibrants d’intelligence et de générosité. Puissent-ils nous être largement communicatifs !
    Encore merci et à bientôt sur ce site de publications que je découvre avec bonheur malgré le chagrin des constats.
    Corinne (en Gironde)

  6. Les années passent, les décennies (!) passent, et le même jeu morbide se répète à l’infini…
    Je n’ai plus de mots pour qualifier ces « politiques » corrompus et criminels qui se succèdent dans nos ministères… Je n’ai plus de mots pour qualifier ces « syndicalistes » de la FNSEA…
    Il me reste seulement la nausée !

  7. Bonjour.

    N’est-il pas encore temps de contrer cette décision ?
    Il faut se faire entendre ! N’y a-t-il aucune pétition en cours ?
    J’ai cherché sur le Net, mais n’en ai pas trouvé… Juste un truc pour boycotter la betterave; je m’en fous, je n’achète jamais de betteraves, ni de sucre en provenant, ni de produits industriels contenant du sucre. C’est une plante de trop piètre qualité, même à mon avis, un peu inutile…
    Si la betterave venait à se faire plus rare, il n’y aurait aucune manif pour sa réintroduction..!

    Ils pourraient remplacer les champs de betteraves par des prairies naturelles, y introduire des ruches avec des abeilles-vivantes-. Le miel peut largement concurrencer le sucre…
    Mais Pompili, je n’avais jamais cru une seconde à sa potentielle verdeur… Sa tête ne cache pas son jeu et ses ambition… On ne peut croire AUCUN d’entre eux…
    On attend la suite de ce triste feuilleton « pesticides »…

  8. Lu ce jour dans Mediapart (s’il n’est pas interdit d’antenne, et s’il est permis -en principe non- de reprendre un texte réservé aux abonnés) sous le titre:
    Réintroduction des insecticides pour les betteraves: premier échec de Barbara Pompili
    «Quoi qu’il arrive, en 2020, c’est en fini pour tous les néonicotinoïdes. » C’est Barbara Pompili qui parle, et nous sommes en 2016. Elle est alors secrétaire d’État à la biodiversité et elle se bat pour l’interdiction de ces insecticides qui s’attaquent au système nerveux des insectes, responsables de la disparition de nombreuses espèces, abeilles en particulier.
    Devant l’Assemblée nationale qui votera, le 8 août 2016, la loi « pour la reconquête de la biodiversité, la nature et les paysages » et avec elle, l’interdiction de ces produits dévastateurs pour l’environnement, elle assure : « Si on commence à dire “on interdit là où il y a des alternatives mais on fait des dérogations et on les laisse courir dans le temps”, on sait très bien que c’est la porte ouverte au fait qu’il y ait certains néonicotinoïdes qui ne soient jamais interdits. »Quatre ans plus tard, volte-face. Devenue ministre de la transition écologique dans le gouvernement Castex, Barbara Pompili assure son plein soutien au ministère de l’agriculture, qui a décidé, jeudi 6 août, d’accorder une dérogation aux producteurs de betteraves sucrières pour qu’ils puissent continuer à utiliser les néonicotinoïdes l’an prochain et jusqu’en 2023 afin de lutter contre les pucerons verts vecteurs de l’épidémie de jaunisse, particulièrement virulente cette année. L’interdiction était pourtant entrée en vigueur en septembre 2018.
    Dans une série de tweets diffusée lundi, la ministre qui fut membre d’EELV jusqu’en 2015 (avant de rejoindre les rangs de LREM en 2017) assure que cette dérogation est « la seule solution possible à court terme pour éviter l’effondrement de la filière sucrière en France » et que « les alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave se sont avérées inefficaces pour l’instant ».
    Cette décision, qui doit faire l’objet d’un projet de loi à la rentrée, vient conclure un lobbying éclair et structuré de la filière de la betterave qui s’est largement appuyée sur les relais politiques pour faire rapidement plier le gouvernement. Le 8 juillet, le président de la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves) indiquait ainsi que la situation était « hors de contrôle » et pointait l’interdiction des néonicotinoïdes…
    De ce jeu, la majorité, censée faire la politique autrement il y a trois ans, manie désormais tous les codes. Trois semaines plus tard, 80 députés (LREM, MoDem, Agir) et des Républicains publient une tribune dans L’Opinion intitulée « Avoir les moyens d’agir en cas de crise sanitaire menaçant nos productions agricoles ». Contrairement à ce que le titre peut laisser penser, c’est bien la filière de la betterave dont il est question. Parmi les rédacteurs, l’on trouve Stéphane Travert, ancien ministre de l’agriculture, Jean-Baptiste Moreau, porte-parole de LREM et agriculteur, ainsi que Roland Lescure, président de la commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Un trio représentatif des intérêts croisés du lobby agricole.
    Les arguments énoncés ne varient pas : « La filière betteravière française se trouve face à une impasse technique empêchant les agriculteurs-planteurs de pouvoir préserver et protéger leurs cultures », écrivent les élus, reprenant le discours qu’aucune alternative n’existe. 
    « Nous avons été alertés par la filière à la mi-juillet », indique Roland Lescure qui affirme auprès de Mediapart que la solution retenue par le gouvernement, « l’enrobage des semences, ne présente aucun risque pour les abeilles ». C’est ce que disent les représentants de la filière, dit-il, « des gens raisonnables ».
    Ce n’est pourtant pas ce que disent les études scientifiques sur le sujet, qui montrent que le produit, sous la forme d’une semence enrobée qui infuse l’ensemble de la plante tout au long de sa croissance, reste dans les écosystèmes et peut se retrouver dans les cultures l’année suivante. Dans une étude publiée l’an dernier, des chercheurs du CNRS et de l’Inra ont ainsi trouvé des traces de néonicotinoïdes cinq ans après leur diffusion.
    Politiquement, Roland Lescure tient à déminer la controverse. Le député défend la position du ministre de l’agriculture Julien Denormandie et, surtout, de Barbara Pompili, ne voyant « aucune dissonance cognitive, ni contradiction ». « Sur un truc comme ça, qui franchement ne va pas faire de mal aux abeilles, on dit tout de suite que la ministre mange son chapeau », dénonce-t-il, y pointant un mauvais procès.
    De fait, il faut sauver la face quand on se présente comme les champions de l’écologie et que le gouvernement souhaite peindre en vert les deux dernières années du mandat d’Emmanuel Macron. Peu de temps après sa nomination, le premier ministre Jean Castex s’était fendu d’une tribune dans Ouest-France intitulée « Tous écologistes ! » pour montrer à quel point l’engagement était sérieux.
    « Face aux périls que sont le réchauffement climatique, la pollution de l’air et des mers, la disparition de certaines espèces, notre pays agit déjà et se trouve à la pointe du combat mondial pour préserver la planète. Cependant, les scientifiques comme la jeunesse, nous poussent à aller plus loin et plus vite. Et ils ont raison », clamait-il le 27 juillet. C’était une dizaine de jours avant l’annonce d’autoriser à nouveau le recours aux néonicotinoïdes.
    Proche de Nicolas Sarkozy, Jean Castex a pu compter sur le soutien des élus des droites qui, eux aussi, ont manifesté par tribune interposée le souhait de réintroduire rapidement l’insecticide tueur d’abeilles. Une centaine d’entre eux (Xavier Bertrand, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, Hervé Morin…) avaient adressé le 29 juillet une lettre ouverte au président de la République. Dans « Halte au sabordage de la filière betteravière », ils dénonçaient « une réglementation trop rigide », demandant du « pragmatisme » si cher à LREM.
    Dès début août, l’offensive était donc en place pour pousser le gouvernement à bouger sur le sujet et Barbara Pompili à se dédire une première fois sur un sujet dont elle avait pourtant fait un combat dans le passé.
    Du côté de l’opposition, c’est au mieux la stupéfaction qui domine devant la radicalité de la mesure. « L’argument qu’il faut du temps pour trouver des alternatives, je l’entends à longueur de journée au sein de la mission parlementaire pour le suivi de l’interdiction du glyphosate, soupire Loïc Prud’homme, député de La France insoumise. C’est une raison pour ne rien faire. Or les alternatives existent, elles sont notamment défendues par la Fédération nationale de l’agriculture biologique (FNAB) : il faut sortir de la monoculture industrielle. »Diversifier les parcelles, faire tourner les cultures, décaler les semis dans le temps… : « Il existe un panier de solutions pour rompre le cycle des ravageurs, explique l’élu girondin. Certes, ce n’est pas une solution simpliste, il ne s’agit pas de remplacer un produit par un autre, mais ce sont des perspectives qui, outre leur intérêt écologique, permettraient de créer des emplois. »
    Pour cela, un accompagnement des agriculteurs – souvent coincés entre le contrat passé avec la coopérative, le poids des semenciers, et leurs investissements qu’ils doivent amortir – est nécessaire. Or depuis le vote de l’interdiction des néonicotinoïdes en 2016, rien n’a été fait pour préparer cette transition à la culture sans insecticides.
    Tout au contraire. « Depuis le vote de la loi, le lobby des betteraviers manœuvre pour obtenir des dérogations et n’a aucunement cherché à mettre en place des alternatives », dénonce Joël Labbé, sénateur divers gauche (ex-EELV) à l’origine de deux lois d’interdiction des pesticides – celle concernant les espaces publics en 2017 et celle concernant les jardins privés en 2019.
    « On est confronté à un choix de modèle, où l’agriculture dominante est dans le déni de la nécessité d’une transition agro-écologique, analyse cet élu du Morbihan. Les pratiques alternatives et biologiques, pourtant, font leurs preuves et sont même préférables que l’agriculture conventionnelle en termes de revenus. »
    La loi de 2016, souligne Joël Labbé, était en ce sens « une réelle victoire » : « La France était la première en Europe à interdire les néonicotinoïdes, l’Union européenne avait ensuite suivi le mouvement. » Mais c’était la dernière avancée en faveur de la transition agro-écologique. Le sénateur n’a pas souvenir, depuis, d’un arbitrage remporté par le ministère de l’environnement. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, « les arbitrages sont systématiquement remportés par le ministère de l’agriculture ; c’était d’ailleurs la principale raison du départ de Nicolas Hulot [qui a quitté le ministère de la transition écologique et solidaire en septembre 2018 – ndlr]. »
    Barbara Pompili ne pourra de toute façon pas avancer sur les sujets agricoles, « domaine gouverné par le court terme et les réponses au lobby du secteur », estime Joël Labbé, mais elle pourra avancer sur d’autres sujets, comme la rénovation énergétique et les transports, « pour lesquels elle a obtenu des moyens ».
    Véronique Tuffnell, ancienne députée LREM qui siège aujourd’hui au sein du groupe EDS (Écologie Démocratie Solidarité), espère aussi que la ministre pourra remporter d’autres arbitrages. « Barbara Pompili n’a pas renié ses convictions, croit-elle. Elle a fait un choix de raison, face au poids de la FNSEA et des betteraviers. Elle a pensé qu’il valait mieux apaiser les choses. C’est un compromis. »
    Mais la députée, qui se dit « abattue » par cette décision, regrette qu’« une fois de plus, le poids de l’économie l’emporte sur l’écologie ». Pour l’heure, « rien n’est réuni au sein de ce gouvernement pour montrer une feuille de route claire vers la transition écologique », accuse-t-elle. C’est pour cela que cette élue de Charentes-Maritime a quitté la majorité en mai dernier : « C’est une politique de petits pas. On se gorge de réunions mais on n’arrive pas à changer quoi que ce soit. Les décisions sont contraires à l’ambition affichée. Alors, pourquoi l’afficher ? »
    Aujourd’hui, Véronique Tuffnell place son espoir dans la conscience croissante de la société française, et des jeunes générations en particulier. « La médiatisation autour des néonicotinoïdes nous fait marquer des points », pense-t-elle ; c’est ce qui fait qu’elle n’est pas découragée. « Le dossier des néonicotinoïdes ne sera pas le dernier rapport de force, il ne faut pas baisser les bras. »
    Quoi qu’il en soit, il sera difficile pour Barbara Pompili d’enclencher une politique novatrice après avoir cédé dès le début l’exercice de son portefeuille devant les intérêts de l’agro-industrie. « Aucun de ses arguments n’est recevable, dénonce Loïc Prud’homme. Il y a 2-3 choses qui sont des porteurs symboliques de la démarche écologique, les pesticides en font partie. Avec cette décision, elle perd donc tout son crédit. »
    Depuis le début de la polémique, Barbara Pompili en est donc réduite à faire le service après-vente du ministre de l’agriculture, multipliant les déclarations pour justifier la dérogation. Le 12 août, lors d’un déplacement à Biarritz (Pyrénées-Atlantiques), l’ex-députée du département betteravier de la Somme a déploré le manque de recherche et d’alternative, signifiant ainsi l’absence totale de volonté politique de la majorité et du gouvernement sur ce dossier depuis trois ans. Alors que c’était son rôle d’en assurer la mise en application.
    Comme pour l’interdiction du glyphosate, sur laquelle le ministre de l’agriculture de l’époque Stéphane Travert avait gagné l’arbitrage sur son homologue de l’écologie Nicolas Hulot, la nouvelle ministre se retrouve dans une impasse de pouvoir. Symbole criant d’une macronie qui enrobe l’écologie de mots en piétinant les actes.

  9. Que c’est décourageant ! ! On les chasse par une porte, ils reviennent par l’autre.
    Mais qu’attendre d’autre du gouvernement ?

  10. Denormandie, c’est bien le type qui n’avait trouvé qu’une cinquantaine de SDF en région parisienne en 2017 ? Un visionnaire …

  11. Communiqué de presse commun de l’Umweltinstitut München, Alexander Schiebel, oekom verlag

    Attaque contre la liberté d’opinion : le Conseil d’État du Tyrol du Sud poursuit l’Institut de l’environnement de Munich et l’auteur Alexander Schiebel pour avoir critiqué la forte utilisation de pesticides

    La procédure a débuté le 15 septembre au tribunal régional de Bolzano (Haut-Adige). Des peines de prison et des amendes ainsi que des demandes de dommages et intérêts se chiffrant en millions les menacent. L’accusation est une intimidation non fondée contre les critiques relatives aux pesticides dans le Tyrol du Sud. Ils sont utilisés à grande échelle dans la culture fruitière, en particulier celle des pommes, de la région. Ce procès correspond à une stratégie de muselage des militants et des journalistes critiques qui est de plus en plus utilisée dans toute l’Europe.

    Munich/Bolzano, 08.09.2020 : L’Institut de l’environnement de Munich et l’auteur autrichien Alexander Schiebel critiquent les poursuites pénales engagées contre eux dans le Tyrol du Sud comme étant une atteinte massive à la liberté d’opinion. Parce qu’ils avaient publiquement critiqué l’utilisation massive de pesticides au Tyrol du Sud, le gouvernement du Tyrol du Sud en la personne d’Arnold Schuler (homologue du ministre allemand de l’agriculture au niveau de la province) a déposé une plainte pénale en 2017 pour diffamation au détriment de l’agriculture du Tyrol du Sud. Plus de 1 300 agriculteurs du Tyrol du Sud se sont joints à la plainte. Le ministère public auprès du tribunal de la Province de Bolzano a donc porté des accusations de diffamation contre Karl Bär, l’expert agricole de l’Institut de l’environnement, et contre Alexander Schiebel (Le miracle de Malles Venosta). L’utilisation supérieure à la moyenne de pesticides dans la plus grande région de culture continue de pommes en Europe fait partie de la vie quotidienne. Les plantations de pommes du Tyrol du Sud sont pulvérisées jusqu’à 20 fois par saison.
    Karl Bär, consultant en politique agricole et commerciale à l’Institut de l’environnement de Munich : « Il s’avère que le Tyrol du Sud n’a pas seulement un problème de pesticides, mais aussi un problème de démocratie. Les plaintes et les procès intentés contre nous sont dénués de tout fondement factuel et n’ont qu’un seul but : faire taire les critiques concernant l’utilisation de pesticides dans le Tyrol du Sud, alors qu’ils sont nocifs pour la santé et l’environnement. Ce procès fait partie d’une longue série de procès infondés contre des militants et des journalistes en Italie et dans toute l’Europe. De plus en plus souvent, les entreprises et les hommes politiques tentent d’entraver le travail des personnes critiques et de les intimider. »
    La raison du procès contre Karl Bär est la campagne provocatrice « Pestizidtirol » (Pesticide Tyrol), de l’Institut de l’environnement en été 2017, lorsque l’organisation environnementale a placé à Munich une affiche qui, ironiquement, déformait une campagne de marketing touristique pour le Tyrol du Sud. Avec son propre site web, la campagne visait à attirer l’attention sur la forte utilisation de pesticides dans cette région de vacances très prisée. L’accusation de diffamation dans l’affaire Schiebel se réfère à un passage de son livre Das Wunder von Mals (Le miracle de Malles Venosta), dans lequel l’auteur dénonce l’utilisation de pesticides dans le Tyrol du Sud et le comportement des fruiticulteurs de cette région. En cas d’échec, les parties concernées sont menacées non seulement d’emprisonnement et d’amendes, mais aussi d’éventuelles demandes de dommages et intérêts de la part du gouvernement provincial et de la partie civile, et donc de ruine financière.

    Nicola Canestrini, avocat de Bär et Schiebel : « Selon le droit italien, dire la vérité n’est pas un crime et ne reste pas un crime. C’est une composante fondamentale de la démocratie et l’une des armes les plus puissantes contre les abus de pouvoir. C’est un signal d’alarme pour l’État de droit que d’être accusé d’exercer un droit fondamental aussi important. Nous nous battrons à Bolzano au nom de tous les militants de l’environnement et des journalistes qui dénoncent les abus dans l’intérêt du public. Et nous prouverons au cours du procès que les pesticides sont utilisés à l’excès dans le Tyrol du Sud et qu’ils sont dangereux pour les personnes, les animaux et l’environnement ».
    Le parquet de Bolzano a également demandé l’aide du parquet principal de Munich au cours de son enquête de deux ans. Cependant, ce dernier a refusé de coopérer — en se référant à la situation juridique allemande et au droit à la liberté d’opinion, tel qu’énoncé à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Néanmoins, le ministère public de Bolzano a porté des accusations. Outre Bär et Schiebel, le conseil d’administration de l’Institut de l’environnement et oekom verlag, l’éditeur de Schiebel, sont menacés de poursuites pénales.
    Alexander Schiebel, auteur : « Arnold Schuler abuse de sa position politique et se fait le larbin du puissant lobby des fruits du Tyrol du Sud. Le conseil régional et les producteurs de pommes conventionnels veulent balayer sous le tapis l’utilisation excessive de pesticides dans les monocultures du Tyrol du Sud et leurs conséquences pour la nature et les gens. Les personnes de la région qui s’opposent à l’utilisation massive de pesticides chimiques de synthèse sont attaquées. En attendant, un climat de peur règne parmi beaucoup d’entre eux. Mais nous ne serons pas réduits au silence, bien au contraire. »

    L’utilisation de pesticides dans le Tyrol du Sud
    Environ une pomme sur dix récoltée en Europe provient du Tyrol du Sud. Pour le choix des variétés, l’industrie fruitière des pommes du Tyrol du Sud, qui fonctionne essentiellement de manière conventionnelle, s’appuie sur quelques variétés telles que la « Golden Delicious » ou la « Gala », qui sont souvent sensibles aux maladies fongiques. En 2017, ces deux variétés représentaient environ la moitié de la surface cultivée — une monoculture qui nécessite un niveau élevé d’utilisation de pesticides. Selon l’office statistique italien ISTAT, six fois plus de pesticides ont été vendus dans le Tyrol du Sud en 2018 que la moyenne nationale.

    Les procès stratégiques en Italie et en Europe
    Les poursuites stratégiques contre la mobilisation publique (SLAPP) sont des procès intentés par des acteurs puissants (par exemple, des entreprises, des fonctionnaires à titre privé ou des personnes de haut rang) afin d’intimider ou de faire taire ceux qui s’expriment dans l’intérêt public. Les victimes typiques sont des personnes ayant un rôle de supervision, par exemple des journalistes, des activistes ou des universitaires. Les caractéristiques d’un cas de SLAPP comprennent le choix disproportionné et agressif des moyens par rapport à l’infraction présumée. Dans la plupart des cas, ce sont des individus plutôt que des organisations entières qui sont dénoncés et les plaintes n’ont pas de base factuelle ou juridique. L’Italie est un haut lieu de ces poursuites stratégiques. Plus de 6 000, soit deux tiers des procès en diffamation contre des journalistes et des médias, sont rejetés par les juges comme étant non fondés.

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