Comment on décapite les sangliers

Publié en avril 2021

Six minutes d’un film d’horreur. Dans une forêt de l’Aube, de valeureux chasseurs butent jusqu’à 100 sangliers en une journée. En les attirant avec du maïs avant de les attendre, planqués dans des miradors où ils ne risquent qu’une chose : coincer leur bedaine dans la barrière de bois. C’est très sympa. Ici, on égorge, ici on décapite.

Ouh là ! Ça va être dur de pas se moquer. Ou de dégueuler un bon coup. Le petit film (https://youtu.be/DCMugz2E2ow) que Charlie vous propose est diffusé par le naturaliste Pierre Rigaux, auteur de livres sur les loups, les…lapins ou encore la chasse. Que voit-on ? Simplement ce qu’est devenue la chasse en France. D’un côté ses défenseurs, qui parlent tradition, ruralité, sociabilité et nécessaire régulation des espèces. De l’autre des gros pères qui prennent leur pied en flinguant sans risque des animaux que l’on balance sous leur nez, dans une nature rendue totalement artificielle.

La scène se passe dans la forêt proche de Loges-Margueron (Aube), à une trentaine de kilomètres au sud de Troyes. Sur des milliers d’hectares se mélangent forêt domaniale – l’État, via l’Office national de forêts -, communale et privée. Enchevêtrement garanti. Une association de chasseurs gère une sorte de ferme dédiée à leur grand art, et accueillent, chaque jour de chasse, des dizaines de tireurs patentés, qui peuvent payer jusqu’à 500 euros la journée.

La veille d’une de ces grandes journées, des 4X4 bourrés jusqu’à la gueule de grains de maïs viennent gentiment les déposer le long des pistes forestières, ce qui attire aussitôt quantité de sangliers. À leur départ, vu leur nombre, il ne reste plus dans le sous-bois que des feuilles mortes, tout le reste ayant été arraché, mangé ou piétiné. Le lendemain, les gros pères se rassemblent, à qui l’on donne une consigne bien craignos : « Surtout, ne tirez pas sur les laies suitées ! ». Ces laies-là sont des mères qui ont des petits. C’est sympa ? Ben non, car c’est juste pour pouvoir les buter plus tard, quand ils auront grandi.

Attention ! Ce n’est pas enclos et ce n’est pas non plus un élevage. En théorie, les animaux peuvent aller ailleurs, mais comme on les nourrit, ils restent bien entendu dans les environs. Et on a pris soin de disposer un seul et fort long grillage sur un côté, de manière que les animaux qui s’y cognent soient obligés de repartir dans l’autre direction, là où les tueurs les attendent, installés sur des miradors.

La scène qui suit est délirante. Les miradors sont installés le long d’une piste, et l’on voit un des chasseurs tirer dans la direction d’un mirador voisin. Certes en visant plus bas les sangliers qui se débinent, mais apparemment en violant les règles de sécurité qui imposent de ne pas avoir un fusil tourné en direction d’un autre chasseur. Ensuite, retour guilleret à la ferme. Les 4X4 ramènent les cadavres – compter entre 40 et 100 sangliers par journée –, qui sont décapités, dépecés, éviscérés. Il n’y a d’ailleurs pas que des sangliers, mais aussi des cerfs ou des chevreuils. C’est le fun, au milieu du sang et des entrailles.

Les restes de barbaque, les têtes, les ordures diverses, jusqu’aux plastiques sont jetés dans une fosse ouverte à cet effet. Quand c’est plein, rien de plus simple que d’en ouvrir une autre. De quoi s’agit-il en fait ? D’une forme de « production » de sangliers prêts à être hachés par des chasseurs trop feignasses pour courir réellement les bois. Et c’est pas qu’un peu cinglé, car le sanglier fera bientôt les poubelles à Marseille, Lyon ou Paris. Sans rire, il est désormais au bord de nombreuses villes, et rien ne semble l’arrêter, surtout pas les chasseurs. Les chiffres sont incertains, discutés, contradictoires, mais on pense que les sangliers n’étaient encore que quelques milliers en France en 1960. Peut-être quelques dizaines de milliers. Une véritable explosion démographique a eu lieu à partir du début des années 70. Alors, les chasseurs tuaient environ 30 000 sangliers par an. On en est, pour la dernière saison, à 809 992. Combien sont-ils ? Un million, ou deux, ou peut-être même quatre millions, comme l’affirme la cheffe de la FNSEA Christiane Lambert (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/08/30/97001-20180830FILWWW00091-trop-de-sangliers-pour-la-fnsea.php).

Le drôle, c’est que les paysans industriels qu’elle représente sont les victimes directes de ce délire, car leurs monocultures sont souvent pillées par les sangliers. Les heurts deviennent fréquents entre paysans, éventuellement chasseurs, et chasseurs possiblement paysans. Lambert : « Nous avons trop de dégâts liés aux sangliers dans nos prairies, nos cultures, nos champs, nos vergers, nos vignes, partout…Il y a de l’élevage de sanglier, du lâcher de sanglier, de l’agrainage (répandre du grain pour le gibier, ndlr) pour les maintenir à certains endroits ». Chaque année, et de plus en plus, les fédérations de chasse paient par dizaines de millions d’euros – on approche de 80 millions – les dégâts faits aux cultures par la faune, dont le sanglier.

Les causes de la prolifération sont difficiles à démêler. La déprise agricole – le départ de tant de paysans – et l’ensauvagement de millions d’hectares jouent leur rôle. Ainsi que le dérèglement climatique, qui à ce stade fait pousser plus vite les forêts et multiplient des ressources alimentaires comme les racines, les tiges, les fruits, les céréales et les graminées. L’essor de l’agriculture intensive et des plantations de maïs ajoutent au grand bordel. Et bien entendu, les chasseurs ont leur part, très grande pour ne pas dire immense. Ils ont voulu jouer au bon Dieu, et traiter le vivant comme si c’était une propriété personnelle, et le réel leur crache à la gueule. Pour l’heure et pour longtemps, la situation est hors de contrôle.

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