Retenez ce nom : Erik Fyrwald, Américain. Si il y avait un concours mondial alliant stupidité et cupidité, nul doute qu’il serait dans les tout premiers. Il est par excellence l’homme de la chimie de synthèse, passé par plusieurs géants des pesticides comme DuPont, mais aussi le lobby en chef de l’agriculture industrielle, CropScience International. Il est aujourd’hui patron de Syngenta, leader mondial de l’agrochimie. Comme Syngenta est aux mains du Chinois ChemChina, on peut dire sans calomnie que Fyrwald bosse pour un pays totalitaire.
Dans un entretien au journal suisse de langue allemande Neue Zürcher Zeitung – son édition du dimanche -, il lance ce qui pourrait passer, en première analyse, pour une provocation (1) : « Les rendements de l’agriculture biologique peuvent être jusqu’à 50 % inférieurs, selon les produits. Nous ne pouvons pas simplement ignorer la production plus faible. Des gens en Afrique sont privés de nourriture parce que nous voulons des produits bio et que nos gouvernements soutiennent l’agriculture biologique ». Bien entendu, c’est un propos de lobbyiste, et je ne m’attarderai pas ici à répondre à tant de mensonges en si peu de mots. Disons que des études bien plus sérieuses que son pauvre couplet, y compris venus de colloques de la FAO, montrent que l’agriculture biologique peut nourrir le monde à un coût écologique incomparablement plus bas.
Le présent se résume à une alternative. Ou l’on continuera sur le chemin tracé par les assassins du vivant, ou l’on généralisera des systèmes alimentaires cohérents, locaux, sans poisons, économes en eau. Le dérèglement climatique en cours nous rapproche à très grande vitesse d’un choix fondamental. J’ignore si Fyrwald croit au moins un peu à ses conneries, mais il est la pointe avancée d’une stratégie mondiale.
Concentrons nos lorgnons sur la France. Pour la première fois en 2021, les ventes de produits bio ont baissé. De 3,1% en 2021 après une croissance folle à deux chiffres chaque année depuis près d’un quart de siècle. Néanmoins, la nouvelle a pris une place démesurée, et réveillé tous les soutiens de la structure paratotalitaire qui regroupe les administrations centrales du ministère de l’Agriculture, certains cadres de l’Inrae, institut public, l’industrie agrochimique bien sûr et, in fine, le syndic(at) de faillite de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Je précise pour les malentendants, que para signifie ici presque. Je sais établir des différences. Mais le vrai est que tous les points de la décision publique sont entre les mains de cette camarilla née en 1945 de la volonté de Fernand Willaume, premier lobbyiste connu de l’histoire des pesticides en France.
Que se passe-t-il ? La guerre en Ukraine est pour ces gens une aubaine. Dans un communiqué (2) intitulé « Conséquences de la Guerre en Ukraine : l’Union Européenne doit remettre la souveraineté alimentaire en priorité absolue », la FNSEA vole cette notion de « souveraineté alimentaire », défendue par Via Campesina (3) depuis vingt ans et plus. Sous la plume des communicants, cette volonté de nourrir sans détruire devient une ode à leurs maîtres de l’industrie. Pour la FNSEA « La logique de décroissance souhaitée par la stratégie européenne “Farm to Fork” doit être profondément remise en question. Il faut au contraire produire plus sur notre territoire, produire durablement mais produire ». La traduction est aisée : place à leur système fou. Partout. Deuxième extrait : « L’obligation dans la future PAC de consacrer 4% à des surfaces dites “non productives” doit immédiatement être remise en question ». Présents dans la nouvelle PAC, ces 4% sont une ridicule concession à la biodiversité. Mais même cela, la FNSEA n’en veut pas. Ses directions, via les coopératives et les chambres d’agriculture, ont trop à perdre, eux qui vivent en partie de la vente de pesticides.
Attention, lecteurs ! La propagande va s’emparer des gosses africains affamés. Des villes et fermes ukrainiennes dévastées, à l’abandon. C’est une guerre, mais pas celle qu’on dit.
(1) https://www.letemps.ch/economie/patron-syngenta-defend-labandon-lagriculture-biologique
Bonjour Fabrice,
Merci d’avoir relevé cette aberration qui m’a fait tomber les chaussettes lorsque j’ai lu cet article du Temps. J’ai d’ailleurs dû le lire deux fois tellement les propos de ce monsieur Erik Frywald me paraissaient énormes et me faisaient douter de mon bon sens…
Bonjour,
Je vous lis depuis longtemps, croisé dans des manifestations, mais là n’est pas mon propos.
J’habite au fin fond de la Sarthe, là où subsiste encore des traces du bocage. J’ai été interloqué par un nouveau voisin agriculteur, un jeune, qui me voyant photographier de vieilles trognes m’a apostrophé de manière assez agressive en me traitant « d’écologiste » alors que je n’avais encore rien dit. Nouveau voisin, j’ai voulu faire connaissance tranquillement malgré son attitude provoquante, mais rien n’y a fait, j’ai juste eu le temps de lui dire que j’habitais derrière le bois, qu’il m’a dit que son projet à lui était de transformer la région en « Beauce » et d’en finir avec toutes les trognes qui ne donnent que du travail supplémentaire, des frais. Et il argumente en m’expliquant de façon très vigoureuse, « qu’avant la Beauce c’était aussi du bocage et qu’heureusement ils ont tout arraché pour faire quelque chose d’exploitable » et qu’il allait faire de même ici.
Indépendamment qu’il n’était pas ouvert à la discussion, je me suis rendu compte que « nos arguments écologistes, biodiversités etc… » n’avaient aucun poids sur lui, sur sa façon de penser qu’il y avait un abîme immense entre lui et moi. Et pourtant je connais bien la problématique de l’agriculteur, du travail quotidien et du manque de revenu voire même de reconnaissance…
Et donc voici l’objet de mon commentaire :
Ne pourriez-vous pas écrire un texte qui s’adresserait à de tels agriculteurs ?
marc van der woerd
Cher Marc,
Il faudra me relancer, car je suis très occupé. Mais ma réponse est oui. Il le faut.
Fabrice Nicolino
Ca se résume a une seule et même chose : le capitalisme économique ultralibéral mondialisé et l’hégémonisme des Etats-Unis, que le troupeau de moutons-perroquets ne veut condamner – d’ailleurs vous même n’osez pas le dire – Il faudrait faire machine arrière toutes et opter pour la décroissance autre mot tabou dans notre société – mais il est trop tard, nos sommes allés trop loin pour que ça se fasse pacifiquement et sans douleur, ce sera terrible!
Signé : quelqu’un qui n’y connait rien.
Cher Christian,
Je dois vous dire mon étonnement. J’écris des décennies qu’il faut changer de direction, et diminuer notre niveau délirant de consommation, et je n’oserai pas…quoi, au juste ?
Bonne journée,
Fabrice Nicolino
Bonjour Fabrice,
Je vous apprécie beaucoup et vous allez bien plus loin dans vos propos que la plupart mais il y a quand même des mots, des expressions qui sont très difficiles à prononcer et assumer quand il s’agit de condamner explicitement le capitalisme économique ultralibéral, l’hégémonisme Américain, opter pour la décroissance, y compris chez EELV, et surtout donner l’exemple ! Je suis prêt à comparer mon indice carbone ou de consommation et possession avec quiconque !
Bien cordialement.
Cher Christian,
Vous m’aurez sans doute mal lu. Car j’ai constamment abordé, à ma façon certes, les thèmes que vous évoquez. À une exception, qui concerne le mot de décroissance, qui crée selon moi beaucoup de confusion. Je n’ai pas le temps de détailler, mais j’assume. Quant à l’hégémonisme américain, qui existe Dieu sait, il serait heureux de lui adjoindre une critique convenable de l’impérialisme chinois, qui ravage sans qu’un mot ne soit prononcé contre lui, l’Asie du sud-est, l’Afrique, et même la Sibérie et quelques pays d’Amérique latine.
Bonne journée,
Fabrice Nicolino