Qu’elle était verte ma vallée (sur le sort malheureux du sol)

L’inconscience est-elle une barbarie ? Je ramasse les copies dans je ne sais combien de temps. Car de quel temps disposons-nous désormais ? Moi, je ne le sais. Et vous ? L’inconscience est-elle une barbarie ? C’est en tout cas, et sans conteste, une énorme connerie. Partout en France, les élus, travaillés au corps par les experts de la chose, sacrifient sans état d’âme nos sols. Notre sol. Le seul avenir concevable. Ils le font, année après année, sans seulement y réfléchir une seconde. Quels furieux imbéciles !

Quand je ne suis pas derrière cet ordinateur – certains d’entre vous le savent -, je suis ailleurs. Réellement ailleurs. Sur un bout de pierre calcaire, face à un vallon encore oublié par les massacreurs. Il m’arrive pourtant de pester, et souvent même, dès que je prends la route départementale qui mène de S. à N. La rivière coule à main droite, à 300 mètres de la route peut-être. Pendant des siècles et des siècles, son lit supérieur a recueilli des alluvions qui ont fait de cette vallée un jardin flamboyant. Les textes historiques abondent, qui racontent ce que ces terres ont porté pour satisfaire nos besoins. Selon mon goût, il est certain que cette vallée a un droit non humain à l’existence, dans la splendeur de ses courbes.

Et ce droit, nous le bafouons. Enfin, n’exagérons pas mon rôle. Ces foutus connards bafouent le droit de cette sublime vallée à vivre sa vie lente, jusqu’ici hors de portée du pire. Mais le pire advient chaque jour. Quand je dépasse les dernières maisons de S., et que je devrais commencer à admirer les herbes et le vent, les vergers et les champs, il y a toujours une maison, des maisons en construction. Et quelle agressive laideur ! Vous n’avez pas besoin, je crois, de description. C’est souvent compact, carré, imposant, cerclé de fer forgé, couvert de PVC et d’aluminium, avec pelouses et thuyas. Là ! Chez moi ! Devant mon nez ! À un autre temps de ma vie, j’aurais été tenté par la dynamite, je dois le confesser. Mais je suis devenu non-violent. Presque.

Le maire signe donc, en tout cas avalise un mitage atroce des sols les plus beaux de la région. Puis, il n’y a pas que ces maisons-gorgones. Un peu plus loin, en continuité, on trouve un tout nouveau camping avec piscine – sur cette terre de causses ! -, pastiche de quelque désastre californien, et puis une déchetterie. Et puis tant d’autres merdes que je préfère m’en tenir là. En bref, des sols prodigieux disparaissent sous l’immondice. En France, un gros département est ainsi bétonné tous les dix ans. Et ce n’est pas moi qui le prétends.

Non, car l’imagination bureaucratique, qui permet de si bien camoufler, vient de créer un Conservatoire national des sols (ici). Mais si. Rien ne nous aura été épargné. Un Conservatoire. Des sols. Un conservatoire pour des sols qui se sont passés de nous pendant des milliards d’années. Cela donne à réfléchir. L’Inra (Institut national de la recherche agronomique), qui a tant fait depuis sa création pour la destruction des sols de France, est chargé par l’État de créer, à partir de son unité Infosol, ce tout nouveau machin.

Où en est-on ? Comme il n’y a bien entendu pas d’argent, on se contente de maigres échantillonnages. Pas question d’un véritable inventaire de la qualité et de la quantité des sols sur quoi repose notre supposée civilisation. On désespérerait la France au moment où il faut la mobiliser. Malgré tout, là où on cherche, on trouve. Du plomb, des métaux lourds, du lindane partout, alors que ce pesticide est interdit depuis des lustres. Des PCB (polychlorobiphényles). Des HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). On trouve de tout, à la Samaritaine des sols, quand on se penche.

Et n’insistons pas sur l’érosion. Ce que c’est ? Un phénomène aussi simple que meurtrier. Un sol est une pellicule fragile, qui contient le germe de toutes les cultures. Si on le maltraite, si on le laboure comme une brute, si on oublie de le protéger par des haies, des talus boisés, si on refuse de tenir compte des pentes pour le travailler, on le tue. Le vent comme l’eau s’attaquent à lui et l’arrachent à la roche-mère. En France, les chiffres varient en fonction des usages du sol. Chaque année, entre 0,5 et 20 tonnes de terre par hectare sont ainsi détruits. Or un sol fertile se constitue en siècles et en millénaires. Chez nous, de 20 à 25 % des terres dites arables sont les victimes d’une érosion grave qui mène au néant. Surtout dans le nord du Bassin parisien, en Picardie, dans le pays de Caux, dans le Languedoc et une partie du sillon rhodanien.

Dans ces conditions, bétonner ma vallée à moi est un crime absurde. Un crime criminel. Commis pour faire plaisir à quelques électeurs gâteux. Cela, au moment où l’Union européenne publie un rapport (ici, en anglais) qui montre que les sols des 27 pays de l’Union stockent la bagatelle de 73 à 79 milliards de tonnes de carbone. Pas du CO2. Du carbone (un kilogramme de CO2 contient 0,2727 kg de carbone). La moitié se trouve dans des tourbières, dont au moins la moitié a été détruite par l’érosion, le drainage, l’urbanisation. Rien n’indique que les choses vont enfin changer. Là se trouve pourtant l’une des clés de la lutte continentale contre le dérèglement climatique.

Je cherche en vain ce que je pourrais ajouter pour vous remonter le moral. Je vous jure que je cherche. Je vous jure que je ne trouve pas. Et comme je ne trouve pas, et comme il n’y a rien à trouver je le crains, laissez-moi radoter à nouveau. La révolte. Il n’y a que cela de vrai. La révolte. Je ne sais pas si elle vient. Mais je l’espère de toutes mes forces.

19 réflexions sur « Qu’elle était verte ma vallée (sur le sort malheureux du sol) »

  1. Problème ô combien justement souligné! LE problème écologique central dans les pays occidentaux (car tout est lié à la « démocratisation » de la maison avec lopin de jardin: le grignotage des sols, la civilisation de la bagnole, des hypermarchés, l’hyperconsommation…)
    Quand on en discute avec les pros de l’urbanisme, ils répondent: « oui, mais c’est technique » « problèmes de foncier » « conséquence de l’émiettement communal »… La nature, pour elle-même, ne compte pas.

    Vous connaissez sans doute les textes exigeants de Bourdieu (et son équipe) sur l’économie de la maison et la misère pavillonnaire:
    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/issue/arss_0335-5322_1990_num_81_1

  2. Si il n’y avait que les sols que les agriculteurs (ou ceux qui les incitent à la monoculture rentable du maïs) pourraient éviter de maltraiter, ce serait un moindre mal !

    Il faut voir comment certains éleveurs nourrissent leurs bêtes, en leur balançant depuis leur tracteur des balles de foin qu’elles doivent consommer derrière des grilles, comme dans une prison. Et à la fin du service, ils balayent avec un soufflant le reste de foin dans les naseaux de ces pauvres bêtes.

    Comment voulez-vous avoir une agriculture heureuse en France ?

  3. J’étais sur un bassin versant en amont d’une réserve d’eau potable samedi, cela abat dans tous les sens, du drainage, le Round up partout cela pue.
    Les semis de maïs vont commencer.
    Le problème des sols c’est aussi et surtout le non accès au foncier secteur cadenacé par la FNSEA et les gros éleveurs porcins et laitiers et demain par des sociétès à actions.
    La SAFER peut préempter à partir de 1000 m2

  4. Les sols agricoles s’érodent à priori pour plusieurs raisons : le tassement et le travail par les machines agricoles, l’absence de couverture végétale une bonne partie de l’année, mais aussi la diminution de leur activité biologique.
    En leur balançant fongicides, herbicides et insecticides, les agriculteurs détruisent tout l’écosystème des sols et les transforment progressivement en des supports de stériles auxquels ils devront bien évidemment apporter quasiment tous les nutriments nécessaires à la pousse des cultures.
    Une façon ubuesque de travailler la terre qui profite principalement à l’industrie chimique et aux semenciers…

  5. LE SOL
    oui effectivement il est mal traité en me promenant dans ma campagne auvergnate je constate les dégâts. les semblants de zones humides qui restent éparpillés et sur de faibles surfaces sont brûlés ou recouvert par de la terre et des pierres pour gagner quelques surfaces pour les bêtes;
    et c’est la biodiversité qui fout le camp

    Brunoaydat

  6. « Le comportement borné des hommes en face de la nature conditionne leur comportement borné entre eux. » Karl Marx

  7. L’expansion de lotissements dans des zones inondables, des sites sauvages est problématique, mais que dire de l’extension des zones industrielles et commerciales, autour des villes mais aussi des villages, comme je le constate dans mon arrondissement rural qui comporte 14 zones industrielles, dont certaines contaminées, dont certaines avec seulement 2 bâtiments, alors que 3 suffiraient pour accueillir les industries implantées.

  8. Monsanto avance: Dans un mailing adressé « aux amis de la transformation et de la
    commercialisation des viandes bio », *Naturland *(association allemande
    de producteurs bio) regrette le « silence que l’on constate au sein de
    la filière bio » concernant le brevet sur l’élevage des porcs, accordé à
    la firme américaine Monsanto. Selon Naturland,
    l’Office Européen des
    brevets aurait octroyé, le 16 juillet 2008, un
    *brevet pour l’élevage de porcs *(brevet N° EP 165 1777) à la
    multinationale Monsanto. L’association des paysans bio allemands a déjà
    fait opposition à ce brevet et souhaite que d’autres acteurs de la
    filière bio font de même. La date limite du dépôt est le 15 avril 2009.
    Le brevet en question se base sur l’utilisation de gènes présents dans
    des *races anciennes *porcines et concernerait donc également les races
    utilisées en agriculture biologique.
    La raison principale pour faire opposition est d’ordre *éthique *: le
    brevet ne se base pas sur une invention mais vise, au contraire, la
    maîtrise de la production des denrées alimentaires. Naturland craint que
    le brevet puisse avoir des conséquences importantes en matière de
    *dépendance des éleveurs *et des consommateurs.
    La lettre d’opposition
    doit être déposée *avant le 10 avril 2009 *auprès de « Kein Patent auf
    Leben »; Frohschammerstr. 14; 80807 Munich (Allemagne). Plus
    d’informations sur KeinPatent (en allemand)
    et noPatentsOnSeeds .

  9. @ Kilroy. « auxquels ils devront bien évidemment apporter quasiment tous les nutriments nécessaires à la pousse des cultures ». Oui, sauf que sur la trentaine d’éléments minéraux puisés dans le sol dans la plante, l’agriculteur ne rend (et encore, n’importe comment) que N, P et K. On est loin du compte et les sols s’apauvrissent peu à peu, inexorablement…

  10. La drégradation des sols va très vite.
    Un sol en dessous de 2% de matière organique est considéré comme irrécupérable.
    Un kilo de MO peut retenir jusqu’à 20 litres d’eau
    Peu de MO, plus de rétention d’eau, elle ne s’infiltre plus et arrache les sédiments.
    Sur une pente même faible l’eau va prendre de la
    vitesse, d’autant plus que les haies ont été arrachées et que les engins sont de plus en plus lourds.
    Pour que ces engins puissent aller tôt dans la saison pour implanter le maïs et tard dans la saison pour le récolter, on abaisse la zone saturée en eau par un réseau de drainage.
    Les larges et profonds fossés d’hydraulique qui recoivent les drains, ont des fonds imperméables qui n’abreuvent plus latéralement les sols.
    Il n’ y a plus pour détruire le peu de vie de ces sols à rajouter tous les polluants.
    Le marais de Dol de Bretagne n’est plus qu’un vaste champ de maïs.
    En 94 les agriculteurs avaient été idemnisés au titre de catastrophe naturelle, ils n’avaient pas pu récolter leur maïs parce que le marais avait été innondé.
    derrière ils ont essayer de monter un projet avec l’agence de l’eau le Conseil général pour installer des pompes pour vider le marais.
    (le marais est en dessous du niveau de la mer).
    L’érosion éolienne est très importante également.
    L’arbre est l’élément fédérateur entre l’eau l’air, les sols.
    Les racines vont éclater la roche, l’ombre garde de la fraicheur limite l’évaporation, il freine le vent.
    Quand l’arbre n’est plus là les éléments se détruisent.

  11. La révolte, Fabrice ?
    Pour le moment, elle est dans son petit incubateur, bien au chaud…
    Elle naîtra bientôt, mais pas pour les bonnes raisons.
    Le jour où la pénurie de nourriture sera ressentie dans les chaumières des pays du Nord, celles qui pour le moment sont encore épargnées, ce jour-là, elle grondera, la révolte. Mais il sera trop tard.
    Le pavage du délitement planétaire est bien engagé, mais homo crédulus cupidus sapiens attendra une fois de plus d’être mis au pied du mur…

  12. Non, Fabrice, ne cherche pas à nous remonter le moral. L’essentiel est de savoir comment la catastrophe continue se construit.

    Tout cela finira très mal et nous le savons. Nous crèverons de faim, dans le meilleur des cas. On s’égosille dans le (futur) désert, alors le moral…

    Quant à l’utilisation de la dynamite contre du matériel et pas contre des vivants, je ne range pas ça dans la catégorie violence.

    Deux de mes grands-parents avaient acheté une maison dans un lotissement des années 30. Originellement, je ne connais pas la fonction des terrains (peut-être du maraîchage). Malgré cela, le jardin maintenait une fonction potagère et fruitière, en ville SVP (prems : ça les a aidés pendant la guerre – deuzio : ah, quel bon souvenir de travailler le sol ou récolter les cerises… – tertio : et puis plus tard fallait voir les djeun’s des cités alentours qui venaient voler nuitamment des trucs à manger !).
    Bon, un jour, il a fallu vendre la maison. J’ai constaté depuis que les n-ièmes occupants ont rasé presque tout les végétaux et ont mis des espèces de caillebotis et du mobilier du genre chaise longue et parasol. Manque la piscine (qui DOIT valoriser de 20% la baraque, comme nous l’enseigne la pube).
    Alors, Fabrice, je ressens la même douleur que toi et la même haine de tous ces imbéciles criminels.
    Allez mes petit zombies, au lieu de biner et sarcler vous-même, prenez votre tuture et allez vous gaver de pesticides chez carouf. Bonus : vous aurez plus de temps pour regarder la staracaca, sale bande de nazes.

  13. « je ressens la même douleur que toi et la même haine de tous ces imbéciles criminels »..Miaou, je pense aux voix des grenouilles et crapauds, qui s’élèvent la nuit, mêlées aux bruits de voitures qui passent en trombe,conduites pas une majorité de cons aveugles et sourds sur la très (trop) grande route à travers champs et je me dis: un jour elles se tairont pour de bon! On leur pique leur habitat et on les empoisonne ..Mais ta haine et mon malaise doivent nous servir de moteur pour tenter de semer jour après jour et partout et tout le temps, des graines de réveil, de peur, de rire, « semons la biodiversité » imaginons des actions, brisons le mur de la matrice, pas seuls, c’est pas facile, mais avec les autres ceux qui ont la même douleur que nous devant ces inconscients (pas toujours d’ailleurs) saccages. Qu’a-t-on à perdre?; le problème ici, c’est la fragmentation des actions; ex: Lepage est fière: elle a réuni 14 000 signatures pour sans plantes ogm, Greenpeace lui est content 80000 signatures pétition; et pourquoi pas 14000 plus 80000? Italie 2007 :3 millions de signatures du peuple: non aux pgm! par une action montée dans tout le pays par 28 associations et syndicats? Pourquoi pas ici?

  14. Jusqu’à présent je n’ai pas encore vu le pouvoir des pétitions sauf quelques exceptions.

    Je suis pessimiste : je doute qu’on arrive à sauver le peu qui reste. On ne constituera sans doute pas la masse critique nécessaire – si je me trompe, j’en rirai bien quand on le verra.
    Mais, d’accord avec toi, rien à perdre à essayer.

  15. Ah non , c’est plus difficile que çà, je ne parle pas que de pétitions, mais exemple dans le cadre de mon job: projet de nouveau batiment attirer l’attention sur l’endroit : champ, zone humide et grenouilles, et jeter les idées en réunion: souvent çà tombe comme un cheveu car la plupart des gens sont si formatés, peu informés et éloignés de ces questions..pour l’instant le projet est en attente il y a donc du temps pour informer, et puis ensuite remettre çà encore et toujours avec certains moins sourds; où que tu te trouves, il faut sans cesse amener(doucement) le sujet avec les gens: rue, restau, inconnus, famille, amis, boulot. C’est sur çà gonfle les gens, mais parfois, de bonnes surprises.Et surtout être avec les autres qui sont sur le même constat, çà encourage et parfois on se console les uns les autres.

  16. c’est surtout que çà fait « con » de penser aux papillons et aux grenouilles, nos projets d’humains sont si sérieux!

  17. Exactement, marie.
    Je pense qu’on sera amené, sur ce blog, à se le redire d’autres fois (ça réconforte un peu, face à l’adversité et la négation).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *