Qui est-ce ? Thierry Lentz est un historien catho, grand amoureux transi de Napoléon : il est d’ailleurs directeur de la fondation Napoléon depuis l’an 2000. Laquelle fondation, sans grande surprise, existe pour faire briller la mémoire du serial killer appelé Bonaparte. Avouons de suite que je ne sais rien de plus de Lentz, mais une chronique parue dans l’hebdomadaire Le Point a attiré mon œil quelques courtes secondes. Elle est consacrée au dérèglement climatique et s’interroge sur les libertés individuelles.
En voici les premières lignes : « Cet hiver, nous avons eu quelques jours de grand froid, moins que d’habitude, il est vrai. Cet été a été particulièrement chaud et sec. Ne remettant en cause ni le dérèglement climatique ni la nécessité de s’en préoccuper, nous ne pouvons qu’être surpris que, concernant l’impact de l’homme sur le réchauffement et la relation entre climat et météo, la peur et la culpabilisation remplacent la raison ».
Cela n’a l’air de rien, mais c’est un chef-d’œuvre, que je ne peux décortiquer en totalité, faute de temps. Notons vite l’essentiel. D’abord, la température. Monsieur Lentz aime visiblement les figures de rhétorique, car il en use et abuse. Je laisse à plus avisé le soin de dire ce qu’il préfère de la litote, de l’euphémisme ou de l’antiphrase. Mais quand il écrit à propos du froid de ce faux hiver qu’on l’aura vu « moins que d’habitude, il est vrai », il utilise une forme d’atténuation du réel qui n’est pas à son honneur. De même, l’été aurait été « particulièrement chaud et sec ». Eh non ! Nous avons connu en Europe la sécheresse la pire depuis au moins 500 ans. Donc, non.
Le reste est à l’avenant. Il faudrait se « préoccuper » du dérèglement, 40 ans après les premiers rapports indiscutés sur le sujet. On a vu plus alarmé. Et surtout, air connu chez les libéraux de son espèce, « la peur et la culpabilisation remplacent la raison ». Mais où diable veut-il en venir ? Sans souci polémique, je crois pouvoir écrire que monsieur Lentz entend relativiser. Il ne le dit pas explicitement, mais le suggère de mille manières : on a déjà vu ça ! S’appuyant sur l’historien Leroy-Ladurie – dont j’ai lu plus d’un livre -, il rappelle que sécheresses et canicules n’ont pas manqué au programme. La belle affaire ! Tout homme sérieusement informé – et j’en suis – sait bien que la stabilité du climat a toujours été relative. Et qu’au cours des 10 000 années passées, bien des épisodes climatiques extrêmes ont eu lieu.
Très visiblement, monsieur Lentz ne sait rien des innombrables études scientifiques parues depuis disons 1979. Lui ne veut entendre parler que d’un livre paru en 2006, et voilà tout. Sa trouvaille, si on peut appeler ainsi pareille couillonnerie, c’est qu’avec le « dérèglement climatique, on a trouvé la peur par excellence, la peur de long terme, la peur vitale pour des générations entières. C’est une peur en or qui permet tout et qui, un jour ou l’autre, aura des conséquences sur les libertés individuelles ». Si je comprends bien, les pouvoirs en place joueraient donc d’un phénomène déjà vu pour museler les libertés. M.Macron en manipulateur suprême, vraiment ? Est-on si loin d’une forme dérivée de complotisme ?
Inutile de se gêner plus avant. Selon lui, « pour certains, comme les Verts et les ONG les plus diverses, c’est même devenu une obligation, quitte à sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Bien sûr, monsieur Lentz serait bien en peine, si on le lui demandait, de nous prouver que les écologistes souhaitent « sacrifier tous les progrès humains (et les humains avec) ». Mais qui le lui demanderait ? Le journal Le Point a été dans les années 80 et 90 le navire-amiral du climatoscepticisme. Dans son édition du 8 mai 1995, Claude Allègre, chroniqueur comme l’est aujourd’hui Lentz, y publia un texte sous le titre : « Effet de serre : fausse alerte ». Le dérèglement climatique aurait été inventé par des « lobbys d’origine scientifique qui défendent avec acharnement leur source de crédits ».
Le Point, qui se pique si souvent de défendre la science – une science en vérité imaginaire – aura contribué plus que d’autres à désorienter la société par une désinformation constante sur la question la plus importante de toutes. Et il continue. Certes d’une manière plus empruntée, car nul n’ose plus nier le drame en cours. Mais il continue de désarmer, car comme le scorpion de la fable, c’est dans sa nature. On attend toujours, et on attendra encore, les excuses du Point pour ses innombrables mensonges sur la question climatique.
L’article de Lentz vient juste à point. Le thème du changement climatique ne sert plus à rien depuis qu’on a le covid, qui a réussi en quelques mois à réhabiliter en grande pompe la notion de nature dangereuse et méchante (« ces milliards de milliards de virus tapis en embuscade qui n’attendent qu’un moment d’inattention ou de désobéissance pour nous attaquer ! »), et il est même devenu franchement gênant, maintenant que l’appétit pour la guerre, dont l’Ukraine n’est que la partie émergée de l’iceberg, n’a plus honte de s’afficher, et s’avère vraiment trop délicate à concilier avec l’écologie (hahaha!). Pourtant la géo-ingénierie avait un peu avancé sur le theme du mariage entre « écologie » (beaucoup beaucoup de guillemets!) et guerre. Mais depuis le covid et l’Ukraine on n’a plus besoin d’histoires aussi alambiquées pour mettre des uniformes dans les têtes. L’Islamisme est fatigué, le climat est compliqué. Alors les virus, les Chinois, les Russes: Cibles faciles, retour au concret !
Et pourtant la question du climat est trop importante scientifiquement pour être sabotée, vandalisée par des articles comme celui de Lentz, qui joue le role, comme Laurel et Hardy, du meilleur allié de l’écologie misanthrope et d’extrême-droite, celle de Hardin, des Ehrlich, de « l’espace vital », des fondateurs du WWF, de l’amiantophile Schmidheiny…
L’hypothèse Gaia est passionnante. Et les travaux de Ellis sur la transformation de la terre par les humains depuis des millénaires, encore plus:
https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2023483118
https://reporterre.net/James-Lovelock-l-inventeur-de-la-revolutionnaire-hypothese-Gaia-est-mort
La pensée écologique de Lovelock, cette idée que l’atmosphère, la terre, l’eau sont des parties actives de l’écosystème, était formulée d’une manière compatible avec l’appareil industriel, et c’est pourquoi il avait des articles élogieux dans The Guardian. Mais les travaux de Benveniste et Montagnier, qui travaillaient avec exactement les mêmes hypothèses mais de manière encore plus directe et surtout plus pratique, moins « philosophique », ne l’étaient pas. Dire que l’atmosphère « en général », ou la terre « dans sa totalité » sont des organismes vivants, ça fait rêver et ça ne mange pas de pain… Ca reste une question qui techniquement ne peut être vraiment discutée que par les spécialistes mais donne l’occasion de chouettes discours moralisateurs. En revanche, montrer (et pas seulement affirmer), comment l’eau que chacun peut toucher est aussi un organisme vivant, ca ne va pas. C’est trop.
Bonjour,
À propos de Lovelock, cependant, il faut garder un œil critique effectivement.
3 articles récents et intéressants sur cette hypothèse sont disponibles sur le site de Sniadecki
https://sniadecki.wordpress.com/?s=lovelock
À titre personnel, nous sommes en sursit, si ce n’est pas d’une extinction massive dont nous serons victime, ce sera une aliénation totale à l’éco-fascisme avec remodelage complet de cette planète (que la soif éperdue d’énergie permettra).
Tout est dans la nuance – subi ou contraint – de toute façon ce sera terrible – souffrir dans une réparation que nous aurons choisie avant que ce ne soit totalement irréversible, ou souffrir terriblement parce que nous n’avons pas voulu anticiper et que maintenant nous y sommes contraints peut-être au prix de l’espèce humaine elle-même !
La cosmocratie, nouvelle classe planétaire :
Il se pourrait que l’image la plus précise de notre « modernité » nous renvoie à la chute de l’Empire romain. D’un côté, des armées de prolétaires désespérés, harcelés par des régiments de policiers. De l’autre, des fortunes géantes, dont les détenteurs se protégeaient dans des villas barricadées. Déjà, ces deux mondes-là ne se croisaient plus… (journal Le monde).
De toute façon rien ne tournera rond tant que la remise à zéro ne se sera pas faite (l’écroulement – la dystrophie) – il y a donc des milliards de gens qui devront disparaître en très peu de temps ! Mais je crains que là aussi l’on ne se fourvoie car comme le disait Albert Jacquard « oui nous sommes trop nombreux mais ceux qui sont provisoirement en trop il ne faut pas les chercher dans les bidonvilles mais dans les quartiers chics et les villas huppées » de nos grandes villes !
Mais l’espèce humaine est trop bête pour cela, je compte plutôt sur la nature pour nous mettre tous d’accord – au raz des pâquerettes et pour toujours !
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Difficile de ne pas être d’accord avec vous. Mais pourtant, le Moyen-Age ne fut pas cette période sombre comme on le décrit souvent. Les avancées philosophiques, scientifiques, techniques, artistiques furent immenses dans le monde à cette époque. L’astronomie et les mathématiques modernes (équations differentielles, nombres imaginaires) sont arrivés en Europe. Maître Eckhart, Dürer… Peut-on les dépasser, même les égaler ?
On se définit trop par rapport à un avenir, « forcément » idéal. Comme si on avait internalisé inconsciemment une image d’épinal du paradis.
Par exemple ces phrases presques identiques de Camus et John le Carré : « on ne trahit que ce qu’on aime », « ce qu’on aime c’est ce qu’on n’a pas encore trahit », ou celle-ci dont j’ai oublié l’auteur: « mourir sous la torture sans avoir parlé, ou pire encore, en ayant parlé »… et cette belle phrase de Lévinas qui me hante : « de cette misère humaine -de cet empire que les choses et les méchants exercent sur l’homme- de cette animalité – il ne s’agit pas de douter. Mais être homme, c’est savoir qu’il en est ainsi. La liberté consiste à savoir que la liberté est en péril. Mais savoir ou avoir conscience, c’est avoir du temps pour éviter et prévenir l’instant de l’inhumanité. C’est cet ajournement perpétuel de l’heure de la trahison -infime différence entre l’homme et le non-homme – qui suppose le désintéressement et la bonté, le désir de l’absolument autre ou la noblesse, la dimension de la métaphysique. »
Il semble difficile d’être plus sensible et précis, plus profond et exact…
Mais je souhaite inverser exactement cette pensée que Lévinas exprime avec tant d’amour et si précisément.
Pourquoi ne pas dire, « profitons pleinement de chacun de ces instants où nous avons l’occasion de ne pas trahir, d’aimer vraiment, et espérons que ces opportunités ne cessent jamais ! »
Pourquoi s’obnubiler avec un avenir supposé glorieux lorsque le présent est là ?
Pourquoi penser « qu’avoir parlé » efface d’un coup toutes les fois où on n’a « pas parlé » ?
Pourquoi ne pas jouir pleinement de cet instant présent et de cette joie immédiate, ce bonheur de ne pas trahir ?
Pourquoi croire que ces instants seront effacés ?
Bonjour Fabrice
Est-ce vraiment bon pour la santé et l’esprit de batifoler dans les feuilles de choux du Point ?
C’est vrai que Noam Chomsky expliquait, il y a quelques temps, qu’il prenait plus de temps à lire les textes de ses opposants que de ceux qui étaient dans le même courant que lui, afin de s’entrainer intellectuellement. (je viens peut-être de trouver l’une des raisons de l’abonnement de mon père au Point ?!! :-D)
Il semblerait que l’on soit typiquement dans un cas de fabrique de doute par ce média. Tout y est (cf la Fabrique du mensonge de Stéphane Foucart ou les Marchands de doute de Naomi Oreskes et Erik Conway). L’intellectuel-expert qui donne des impressions de « je sais tout » (ce qui est peut-être le cas pour Napoléon, qu’il semble vénérer) et parle d’un sujet qu’il ne connait pas à travers un discours d’opinions mal ficelé. Il semblerait qu’il ne veuille pas toucher à son mode de vie et essaie d’expliquer que ce n’est pas nécessaire – d’ailleurs, je viens de me prendre une saucée sous l’orage tout à l’heure, alors qu’on arrête de parler de sécheresse maintenant s’il vous plait-.
Je m’interroge, mais je ne suis pas journaliste, sur l’éthique de la pensée du journal, mais il n’est pas nécessaire de réfléchir longtemps en considérant qui il sert. Que reste-t-il de l’indépendance de la presse ? Quoiqu’il en soit, je trouve que cela crache sur votre métier, Fabrice, c’est abominable… Une telle absence de souci de transmettre des informations justes d’un point de vue historique et scientifique par les temps qui courent…
S’il est vrai que, dans les temps anciens, il n’y avait pas de satellite pour mesurer les températures les sécheresses …, les analyses historiques apportent indéniablement des éléments importants. Mais les niveaux de preuves peuvent être différents… surtout quand il s’agit du chaud et du froid, que cet historien semble appréhender à la légère. Il semble avoir mis de côté les méthodes d’investigation propres à sa discipline, à savoir la contextualisation, la prise de recul et la gestion précautionneuse des données parcellaires.
Ce qui est dérangeant, aussi, est que ce type d’article sème la confusion sur la fiabilité de ce qu’il affirme, qui semble crédible, mais qui n’est que du cherry-picking pour transmettre une opinion. Tout ça se retrouve ensuite dans une vidéo adossée à l’article (vous l’avez vue en ligne?), qui transforme cette opinion en un tuto explicatif des enjeux des transformations de vie perso à opérer face au changement climatique. Bref, le Point semble très bien opérer la manipulation des esprits avec l’aide de personnes qui savent bien parler et qui ont une étiquette « savant historien » comme caution intellectuelle. Il a un sacré nombre de prix et récompenses, on peut donc le croire. Ce comportement n’est ni bon pour le journalisme, ni pour les sciences humaines.
Le rappel de Claude Allègre fait un terrible écho dans le vide intersidéral de la conscience des scientifiques qui mentent, par-delà les chiffres. Allègre était issu d’une science exacte et ça ne l’a pas empêché de répandre la pensée climato-sceptique et bien, au contraire, ça l’a porté. Caution scientifique maximale.
Il n’y a pas mieux que des scientifiques pour fabriquer du doute. Surtout ceux qui savent parler, à qui on donne la parole ou la plume et qui sont tout simplement des bouffons ou des Tartuffe. Comment en sont-ils arrivés là ? l’observation du monde académique scientifique m’apporte quelques éléments à creuser : forte compétitivité, patriarcat, carrière encouragée par les récompenses (et les punitions pour les autres), ego frustrés… et finalement, un sentiment assez trivial mais qui se vérifie par mes analyses personnelles + celles de spécialistes des conflits d’intérêts : le manque d’amour et de reconnaissance (si si, je vous assure). On en revient à ça, au bout du compte.
Quoiqu’il en soit, pour être cohérent.e avec nos aspirations rêveuses mais faiseuses (« espoir et coopération »), je pense que ça serait intéressant de comprendre ce qui pousse ce monsieur à écrire cela et de manier la clé à molette sur des écrous bien grippés, pour reprendre l’expression de Patrick (merci pour votre message qui m’a fait sourire !).
Qui est partant.e ?
Sa dernière réflexion sur Twitter me rend optimiste 🙂 « On apprend que le PQ, pourrait venir à manquer car sa production réclame 30% d’électricité. On pourrait comme pour le carbone organiser un marché des droits à faire. Une chance pour les constipés (…) »
(je vais éviter de prendre le dernier mot pour vous quitter )
Fighteusement vôtre (contre la fabrique du doute)
Thaïs
Chère Thaïs,
C’est vous qui avez raison…J’ai perdu mon temps, et le vôtre. Désolé,
Fabrice Nicolino
Cher Fabrice,
Je suis profondément gênée par votre réponse.
Je me suis sûrement mal exprimée mais je ne pense pas avoir raison, c’est une analyse complémentaire, sincèrement, enfin je l’ai écrite comme telle mais peut-être, de toute évidence, la percevez-vous autrement.
Et non, je ne pense pas que vous ayez perdu votre temps. Vous avez une précieuse capacité de nourrir nos réflexions, pas que les miennes, et c’est merveilleux. Ne la faites surtout pas taire, sinon, on est foutu!
(je ne sais pas pourquoi je le dis, vous savez sûrement tout ça puisque votre blog vit depuis des années et je ne l’ai découvert que depuis peu)
C’est un plaisir de vous lire, de réfléchir avec vous et d’avoir ce visa pour écrire sur votre planète. Mais, je me demande si je fais bien, après ça.
Pardon, ce n’est pas vous qui allez décider quand je perds mon temps. Beaucoup de gens sont bien plus talentueux que vous à ce sujet, alors détendez-vous 🙂
C’est moi qui suis sincèrement désolée de vous avoir mis mal à l’aise, bien bien malgré moi.
(ce message est juste là, pas besoin à mon sens de le publier mais vu que je suis chez vous, libre à vous d’en disposer).
Mais je répète que je suis désolée.
Désolément vôtre
Thaïs
A Fabrice,
Au cas où vous en douteriez et c’est possible après tout, si vous avez perdu votre temps et fait perdre le sien à Thaïs avec ou sans smiley, vous ne m’avez pas fait perdre le mien, et les autres commentateurs, Laurent, EnColère et Christian ne me l’ont pas fait perdre non plus.
Salutations !
1000% d’accord Thaïs ! Merci de l’écrire si bien.