Madame Janus parle aux paysans (Judith Jiguet en plein travail)

Amis lecteurs, nous sommes le 18 juin 2009. Ce n’est pas de ma faute. Ce n’est pas de ma faute si ce jour est aussi celui d’un appel à la résistance contre la nuit noire du fascisme, celui de De Gaulle en 1940. Coïncidence, dans le genre amusant. Car le 18 juin 2009, l’État si bien incarné par notre bon roi Sarkozy 1er se couche une fois de plus devant le syndicat. Le Syndicat. Le SYNDICAT, le seul dans son genre extrême, la FNSEA.

La FNSEA, je le rappelle quand même, est cette étonnante structure de paysans industriels née dans l’après-guerre, et qui aura accompagné au son des fifrelins la disparition par millions de ses mandants. Encore bravo. Le 18 juin dernier avait lieu la réunion du Conseil syndical de la FNSEA. Et Chantal Jouanno, aide de camp de Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, avait dépêché sur place sa directrice de cabinet, madame Judith Jiguet. Qui se révèle, vu de près, une formidable Janus. Lequel était, je le rappelle, un dieu romain à deux visages.

Madame Jiguet a un beau parcours technocratique et politique, c’est indiscutable. Ingénieur du génie rural, des eaux et des forêts (IGREF), elle a travaillé à la Direction départementale de l’agriculture de la Vienne, puis a rejoint le cabinet de Dominique Bussereau au ministère de l’Agriculture. Formidable ! Elle est ensuite entrée au service de la transnationale de l’eau Veolia, puis est devenue directrice-adjointe du ministre de l’Agriculture Michel Barnier, en 2007. Formidable ! Elle n’avait que 36 ans.

La voici désormais directrice de cabinet de Chantal Jouanno (si vous voulez voir une étonnante vidéo, c’est ici) et nous en sommes très heureux. Chacun sait bien comme il est simple de marier la carpe et le lapin, fussent-ils tous deux transgéniques. Le 18 juin 2009 – décidément, je traîne en route -, madame Jiguet vient donc à la rencontre des chefs de l’agriculture industrielle. Et elle leur offre une déclaration qu’il faut savoir lire entre les lignes. À cette condition, je n’hésite pas à parler de monument.

L’association Eau et Rivières de Bretagne nous offre le verbatim de ce discours, qui vaut tous les applaudissements (ici). J’en retiens la misérable, la dérisoire présentation du Grenelle de l’Environnement. Ce grand ramdam, ce serait donc cela seulement ? Mais il y a mieux, certes. La France a perdu au moins la moitié de ses zones humides en cinquante ans, et continue d’assécher des merveilles comme le Marais poitevin ou de massacrer des territoires aussi sacrés que la Camargue. Eh bien, crotte !

Crotte, c’est tout ce que nous aurons. La madame Jiguet explique à ses petits amis – c’est le soi-disant ministère de l’Écologie qui parle par sa bouche ! – que « nous sommes en train également de redéfinir les critères pour apprécier ce qu’est une zone humide ». Redéfinir ! Des centaines de scientifiques du monde entier ont étudié la question sous tous angles, la convention internationale signée à Ramsar (Iran) en 1971 fait consensus, mais la madame a d’autres idées. Lesquelles ? Voici, et texto : « Les critères de sols ont été revus, ce qui conduit mécaniquement à restreindre de façon importante les zones susceptibles d’être classées comme zones humides ».

En criminologie, cela s’appelle un flagrant délit. On fait un petit hold-up sur les mots, et comme tout le monde s’en fiche, ni vu ni connu je t’embrouille. C’est la technique du joueur de bonneteau. Au marché aux Puces de Montreuil, madame Jiguet se ferait embarquer par les flics. Autre point, concernant cette fois les SDAGE, cette invention bureaucratique qui signifie Schéma directeur d’aménagement des eaux. Pour ne pas ennuyer la FNSEA, eh bien, « les projets vont être étudiés par l’administration centrale pour évaluer leur harmonisation, et éviter les mesures exorbitantes ». En clair, pas question de faire payer ces malheureux à la hauteur des immenses dégâts qu’ils commettent.

Cette madame Jiguet ira loin, j’en jurerais. Un dernier exemple – il y en a bien d’autres ! – et je m’arrête. Concernant les nitrates, « les préfets sauront déterminer les mesures du programme en fonction du contexte, de l’acceptabilité et de la faisabilité des mesures, en prévoyant éventuellement des avenants et des évolutions progressives les années suivantes ».

Là, tout de même, ma (lointaine ) fibre légaliste se manifeste enfin. Nous parlons là, amis lecteurs, d’une directive européenne. D’une loi de droit français, s’appliquant à tous. Mais une directrice de cabinet vient dire à d’éventuels contrevenants que cette directive doit tenir compte du « contexte », de « l’acceptabilité et de la faisabilité » de mesures exigées par le législateur européen. Avouez que c’est tout de même un peu farce. Je n’ose demander une fois de plus ce que foutent les ceusses de France Nature Environnement (FNE), qui siègent dans tant de comités Théodule, et dont tant sont désormais dotés de colifichets comme la croix du Mérite ou la Légion d’honneur. Allez, non, je n’ose pas.

16 réflexions sur « Madame Janus parle aux paysans (Judith Jiguet en plein travail) »

  1. Tiens, en parlant du lobby de l’industrie agro alimentaire, je viens d’en dénicher une bien belle (j’imagine que tu l’as deja vu Fabrice) : une étude scientifique « prouve » que les aliments bio ne sont pas meilleurs pour la santé que les merdes qu’ont nous vend dans les supermarchés … comme tu dis souvent Fabrice, ça porterait à rire si c’était pas si grave…
    Evidemment, la question n’est pas que les produits bio soient meilleurs pour la santé, C’EST QUE LES AUTRES SONT NEFASTES !
    Quelle mauvaise foi patente, quelle manipulation sémantique exécrable, QUELLE HONTE .
    Et qui se fait le relais de cette contre vérité ? Le Figaro … tiens donc..

    Et surtout, le plus risible c’est que l’étude exclu l’influence des … pesticides !!!! Autrement dit, les produits bio ne sont pas meilleurs pour la santé que les autres, si on ne prend pas en compte les pesticides !!!

    De qui se moque-t-on ?
    Quand va-t-on arrêter de se foutre de la gueule des gens ?
    Quand les gens vont-ils arrêter de se laisser foutre de leur gueule ?
    Quand les gens vont-ils arrêter d’activer le réflexe pavlovien qui fait croire que si c’est écrit sous une certaine forme, dans un certain format standardisé, et publié dans certains endroits standardisés, alors ça doit être vrai ?
    Quand les hommes vont-ils arrêter de sans cesse fonctionner en terme de manipulation des uns par les autres ?

    Pffffffff ……. (gros soupir)

    voici le lien pour les curieux :

    http://www.lefigaro.fr/sciences/2009/07/31/01008-20090731ARTFIG00011-les-benefices-du-bio-en-question-.php

    Allez, courage pour la suite des évènements sur terre.

  2. Petite remarque sémantique à propos du titre de l’article. Plutôt que paysan, je trouve que tu aurais du employer le terme « agriculteur » ou même « exploitant agricole ». Je perçois (et je ne suis pas le seul) le paysan une personne tirant ses ressources de son environnement, faisant vivre le pays, modelant le paysage et inscrit dans une continuité du savoir. Dans ma conception du paysan, celui-ci travaille AVEC la nature, et pas CONTRE. Contrairement à certains agriculteurs. Et aux exploitants agricoles. Et en l’occurrence Judith Jiguet défend visiblement cette dernière catégorie.

  3. Arnaud,

    Je suis d’accord avec toi. Et j’avoue ne pas avoir pensé à ce problème en apposant ce titre. Mais à ce stade, je crois qu’il vaut mieux laisser en place, car dans un titre, il me semble qu’agriculteur n’irait pas. D’ailleurs, ne faudrait-ils pas écrire « agrobusinessmen » ? Je ferai mieux la prochaine fois. Merci à toi.

    Fabrice Nicolino

  4. Je me méfie des analogies, mais tout de même, si l’on considère nos chers dirigeants, nos hommes politiques, comme des parasites, ce qu’ils sont pour la plupart je le crains, eh bien il faut reconnaître que la société qui les laisse proliférer sur son dos est dans un bien piteux état de santé.

    Allez, pour ceux qui auront un peu moins d’1h30 a consacrer à un film à regarder sur le net (n’oubliez pas de le mettre en plein écran ! 😉 ), voici un lien (il est en cinq parties) :
    ttp://leweb2zero.tv/video/reineroro_964a0466f8cdb25
    Le scénario de The Man on Earth est audacieux et va même assez loin. Je n’en dis pas plus. Regardez le premier quart d’heure et si l’histoire ne vous plaît pas… En tout cas, avec peu de moyens financiers mais des idées, on peut faire un film qui tient la route.

  5. Concernant le dernier point sur les nitrates, je pense qu’il est fait allusion non pas à la directive européenne de 91 mais à sa transcription en droit français et plus précisément au 4ème programme d’action Nitrates fixé par arrêté préfectoral dans tous les départements français. La signature de ces arrêtés a eu lieu ces dernières semaines partout en France et est peut-être encore en cours dans certains coins.
    Or l’établissement de ces arrêtés fait l’objet de négociations avec la profession et les élus depuis plus d’un an. Mais il reste quelques points de litiges sur lesquels la FNSEA et la APCA (Chambres d’Agriculture) ont fait remonter au ministère des demandes de dérogation qui sont à l’étude dans les départements. A mon avis, si ta citation augure de la ligne de conduite lancée par le ministère à l’égard de ces dérogations, elles vont être bien vite entérinées via un petit arrêté modificatif. Quand bien même ce ne serait pas le cas, il faut voir qu’entre les arrêtés proposés par les DDAF (ou DDEA) l’année passée et les arrêtés finalement signés ces derniers jours, le texte a déjà été, comment dire, « allégé »; enfin parfois la cure d’amaigrissement leur a à peine laisser la peau sur les os, si vous voyez ce que je veux dire.
    MISERABLE!! C’est pas ça qui va redonner le moral!

  6. En effet, l’article du Figaro est légèrement orienté. Mais ce n’est pas la première fois qu’on remet le bio en cause. Les gens ne sont pas des imbéciles, et le marché ne cesse de croître.

    Fabrice, j’ai lu ton bouquin sur les pesticides. Eh ben !…………… ça décoiffe ! (excuse l’allusion).

  7. oui les zones humides sont très menacées dès qu’un pré à une partie même pas grande mais humide voire très humide il faut la faire disparaitre alors un peu de terre avec des gravats et voila le pré devient plus humide – enfin presque- ou bien on utilise le feu dans le Cantal une narse qui abritait une espèce rare – la marouette ponctuée a été brulée
    et puis de temps en temps, quelques agriculteurs jouent le jeu, et acceptent le programme « agriculture et biodiversité  » et là avec l’aide d’association (la LPO et Hyla 63) la création de mare pour la survie les batraciens devient une réalité

    brunoaydat

  8. D’après la FNSEA, l’arrêté donne une définition trop extensive de la notion de zone humide, qui aboutirait à une possible classification d’un pourcentage très élevé de terres en sone humides (plus de 50% du territoire de certains départements). La révision de ces critèrespermet d’arriver à des pourcentages nettement plus raisonnables de l’ordre de 10% ou moins.
    La FNSEA souhaite que le projet d’arrêté soit publié le plus vite possible et demande à être consultée sur la préparation de la circulaire modifiant la circulaire du 25 juin.

    D’après l’article paru le 27 août dans le Paysan Tarnais, qui a sa rubrique infos de la FDSEA.

    Bataille de chiffres? Si on tient compte de ce que dit Fabrice, à savoir qu’on a déjà perdu 50% de zones humides en France, Même si certains départements compte 50% de zones humides selon les critères du premier arrêté (quels dép? la camargue, le Poitou, L’île de Noirmoutier et ses marais salants?) d’autres n’en ont que très très peu, alors si on revoit les critères à la baisse, on peut déjà se dire que beaucoup de départements n’auront plus du tout de zones humides « officielles ». Bravo. Je comprends de mieux en mieux pourquoi mon mari éleveur déteste la FNSEA, et pourtant il n’est pas bio.

    Quant à l’étude sur la différence entre nourriture bio ou pas bio, je reste sur mes positions, je n’achète pas bio pour le goût, et pas seulement pour ma santé: il s’agit de soutenir une agriculture qui ne rajoute pas de chimie à la terre. A la limite, même si le bio est contaminé par les champs d’à côté, j’achèterai quand même, pour soutenir. Pour qu’à force, le champ d’à côté voit l’intérêt de passer en bio.

  9. Kellia, le bio n’apporte pas forcément plus de goût. La perte en goût résulte en grande partie de la sélection ayant permis d’aller vers plus de productivité. Si telle variété produit moins, est moins réceptive aux traitements divers, engrais, pesticides, eh bien hop à la trappe. Reste apparemment celles qui n’ont pas forcément beaucoup de goût, mais rapportent bien dans ce système. Ces mêmes variétés en bio ne seront pas nécessairement plus goûteuses. Il faut s’orienter vers ce qui a été délaissé par le passé. Pour les fruits et les légumes, mais pas uniquement. Cette épuration est à l’origine de la quasi disparition de beaucoup de céréales ou apparentées, comme l’épeautre, peu réceptif aux traitements « phytosanitaires » (comme ils disent ! Quelle manipulation !!!)…

    50% de certains départements en zones humides ? Sûr que ça paraît beaucoup. Même pour les Bouches-du-Rône. Des détails ?

  10. Hacène « la bio n’apporte pas forcément plus de goût »? eh bien c’est curieux mais je trouve que les légumes bio, (naturels, quoi, j’ai horreur de ce mot « bio »)sont Divinement bons, épinards (pas en ce moment), tomates, aubergines , courgettes, potimaron, oignons, poivrons, salades vertes, etc..etc..enfin, ils sont TROP délicieusement bon!et simples à cuisiner pas besoin de compliquer; par contre je suis très d’accord avec toi pour les fruits bio, pour l’instant (à part une divine pastèque de cet été)ils me décoivent, souvent.

  11. @Marie. C’est pas systématique et j’ai souvent goûté des carottes non bio excellentes, nettement plus que certaines bio. Pour bien faire, il faudrait comparer les légumes (comme les fruits) de même variété. Car il est possible voire probable que les maraîchers bio aient une production plus diversifiée, avec des variétés délaissées par l’agriculture dominante.
    Quoi qu’il en soit, qu’est-ce qu’on se régale ! Et quand c’est du potager, c’est encore meilleur !! Par contre encore jamais mangé de légumes cultivés avec couverture de BRF. Quelqu’un a-t-il pu faire cette expérience et constater un goût meilleur (ce qui est dit par certains producteurs) ?

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