Lettre ouverte à Jacques Julliard, du Nouvel Observateur

Si vous aimez la pensée, je crois que vous ne perdrez pas votre temps en lisant le dernier éditorial de Jacques Julliard dans Le Nouvel Observateur (ici, mais attention, seule la première des trois parties est en ligne). J’ai très souvent dit ou écrit le plus grand mal de ce journal, et je ne regrette rien. Le moindre de ses rédhibitoires défauts, c’est qu’il est vendu, au sens propre, à la publicité. Laquelle est l’un des moteurs de la destruction du monde en cours.

Je lis pourtant  Julliard, même s’il m’arrive de m’assoupir sur certains de ses textes, je le confesse. Je ne supporte plus ses ratiocinations sur le parti socialiste, dont il reste un proche. Pour le reste, sa plume est vive, belle, intelligente. Il demeure à mes yeux un homme libre, même si, au fond, il m’apparaît toujours plus entravé. Libre et entravé. Julliard serait-il un oxymoron ?

Il est en tout cas cultivé, connaissant admirablement l’histoire du mouvement ouvrier non stalinien, qui fut une entreprise exemplaire de civilisation humaine. Son papier n’est qu’un cri très inspiré adressé à ce qu’on appela jadis la deuxième gauche pour la distinguer de la première, étatiste et pour tout dire parastalinienne. La deuxième gauche, dans son esprit du moins, englobe Proudhon, les mutuelles et les Bourses du travail, le syndicalisme offensif d’avant 1914, celui – créatif – d’après la Seconde guerre, qui devait conduire à la CFDT. Et bien entendu le défunt PSU et diverses revues intellectuelles, parmi lesquelles il place audacieusement Le Nouvel Observateur. Il en fut un pilier central.

Son article est passionnant, car il nous y délivre le faire-part de décès de cette deuxième gauche. Elle avait accepté le dialogue avec le capitalisme de type rhénan que nous avons connu pendant une quarantaine d’années, capable de vraies discussions sociales avec d’authentiques partenaires, reconnus comme tels. Ce temps n’est plus, nous dit Julliard. Car le capitalisme amoral est de retour, qui ne considère que le fric et la spéculation la plus vile. On ne peut discuter, dit-il, avec des actionnaires.

Quelle solution ? Eh bien, la renaissance d’un socialisme moral – l’actuel ne l’est évidemment plus – et l’annonce de fortes mesures, parmi lesquelles la taxation à 95 % des plus hauts revenus et la nationalisation du crédit. Bon, n’insistons pas : Julliard est loin, très loin, des pontes qui se réunissent à partir de ce vendredi à La Rochelle. Et je l’en félicite, bien entendu. Mais pour le reste ! Misère ! Misère ! Misère ! Comme il m’est pénible de devoir écrire que Julliard a écrit là un texte désespérément français. Comme il m’est désagréable d’ajouter qu’il est totalement aveugle.

Mais il l’est, point de doute sur le sujet. La crise est vue depuis un poste d’observation qui hésite entre le cube pour enfant de trois ans et la moquette profonde des bureaux directoriaux du Nouvel Obs. C’est simple. Et d’un, le Sud n’existe pas. Il y aurait nous, et eux, qui ne sont pas même évoqués. Le monde et ses tragédies réelles sont oubliés. Julliard, fervent catholique de gauche pourtant, sincère évidemment, n’a pas un mot pour ce milliard d’affamés chroniques qui nous déshonorent tous. Et de deux, les autres qu’humains sont oubliés. Nous sommes les contemporains de la sixième crise d’extinction, qui jette dans le néant des milliers d’espèces chaque année, mais Julliard ne consacre pas un mot à ce sujet pourtant décisif. Ce qui se passe n’a probablement pas été vu depuis 65 millions d’années. Au moins ! Et de trois, le changement paradigmatique imposé par la crise écologique n’est évidemment pas envisagé.

Non, Jacques Julliard, nous n’assistons nullement à un retour au capitalisme dur d’antan. Je crois, malheureusement, que vous faites partie de ces intellectuels qui ne conçoivent les problèmes que sous la forme d’un quelconque déjà-vu. Or nous sommes les contemporains d’événements jamais advenus. D’une complexité et d’une intrication telles qu’elles commandent bien entendu une complète révolution intellectuelle et morale. Et non pas ce retour à des sources définitivement taries. Je suis bien désolé de vous l’écrire, moi qui vous respecte, mais vous vous plantez d’une façon stupéfiante. Croyant montrer le chemin du courage à ceux qui vous font confiance, vous nous désignez à tous une route de déréliction sur laquelle aucun secours ne viendra jamais.

Je suis désolé de devoir dire cela, mais c’est, comme on l’imagine, ce que je pense. Il n’y a plus qu’une voie, qu’aucun garde-corps ne sépare du vide. Et c’est pourtant celle qu’il faut suivre. Elle porte un nom : rupture.

17 réflexions sur « Lettre ouverte à Jacques Julliard, du Nouvel Observateur »

  1. En bref, pas plus de conscience écologique chez Julliard que chez Védrine et Debray. Assez désespérant, mais pas très étonnant.

  2. Dans son « Résumons » pied de page, il semble imputer le saccage de la planète au capitalisme anthropophage.

  3. Les compromis permanents de « la 2eme gauche » avec le capitalisme ont provoqué sa disparition, il en sera de méme de l’écologie si elle reste trop consensuelle

  4. Tu ne penses que du mal du « Nouvel Observateur », et tu dis excellement pourquoi, mais tu respectes le fade Julliard qui en fut « un pilier central » – parlons au passé puisqu’aussi bien ce « journal » n’est a pas pour beaucoup plus longtemps que les autres. Ce Julliard qui aura passé une partie de sa vie à ergoter avec l’insupportable Daniel et les autres fats de cette bande… Si Julliard est un oxymoron, j’en connais un autre. Et qu’est-ce qui te prends d’interpeller comme ça tantôt Julliard, tantôt Elisabeth Badinter, tantôt je ne sais lequel de ces fantômes ? Si c’est une stratégie, elle est foireuse. Il faut rompre, c’est sûr, il est plus que temps. Mais toi qui le dis, Fabrice, avec quoi as-tu rompu au juste puisque tu vis encore dans leur monde ?

  5. Jean-Luc,

    Je te laisse à ton coup de gueule. Si, lisant ce que j’écris ici, tu penses que je n’ai pas rompu avec leur monde, eh bien, franchement, je n’y peux strictement rien. Mais rien.
    Si je parle – rarement, l’auras-tu remarqué ? – de gens comme Badinter ou même Julliard, c’est parce qu’ils font partie de la réalité, qu’elle me plaise ou non. Souhaites-tu réellement que je ne parle que de mes amis ? Penses-tu que la critique puisse oublier l’objet de son courroux ? Dernier petit point : Julliard, fade ? Non, c’est bien pire à mes yeux : cet homme, qui se trompe absolument, est intelligent et sait écrire. Qu’y puis-je ? Crois-tu que les batailles intellectuelles se mènent contre ceux qui vous ressemblent ?

    Fabrice Nicolino

  6. « eh bien, franchement, je n’y peux strictement rien. Mais rien. »
    C’est une ritournelle semble-t-il chez vous cette phrase.Vous lancez peut-être des idées ,on est d’accord avec vous tout va bien et si on l’est moins , en un premier temps il y a cette petite phrase bien pratique, on dira.
    Autre point, vous attaquez souvent « le nouvel obs » pour sa pub mais… tout ce groupe est pourri.
    Vous pourriez aussi bien écrire sur « Challenges »qui magnifie la finance ou sur « sciences et avenir »dont le dernier numéro que j’ai eu entre les mains contenait un dossier sur le cancer truffé d’inepties, mal écrit pour le coup et dont les photos même celles des insectes en fin de mag. étaient totalement plates et poussièreuses.Quant à la pub, j’ai dû en compter 14, je crois dont 10 sur les bagnoles et 2 sur edf…Alors pourquoi faire une fixation sur l’obs, monsieur?Vous avez des actions chez Challenges ou vous croyez en l’avenir « des sciences » plutôt qu’à celle des médecines douces?Je pense comme Jean-Luc que vous faites aussi parti de ce monde , simple obs ervation Sinon, pas mal votre blog

  7. Monsieur Fred,

    Vous êtes simplement ridicule. Mais ce n’est pas cela, j’en suis bien convaincu, qui vous arrêtera en si bon chemin.

    Fabrice Nicolino

  8. Totalement hors sujet , mais ….
    Je me permets de signaler ici les derniers articles du site L.214 au sujet de l’abattage de « qualité » effectué par la société CHARAL sur des bovins .
    Une fois encore, un grand bravo aux auteurs de ces reportages . Je vous invite vivement à en prendre connaissance .

  9. Journal « vendu, au sens propre, à la publicité » et dont Julliard est pourtant l’un des piliers, alors mieux vaut aller lire ailleurs.

  10. Critiquer l’Obs pour la seule raison que c’est un journal qui ne vit que grâce à la pub, je trouve ça un peu hypocrite, quand c’est le cas de 98% des journaux ou magazines. Les publications de Bayard, auquel tu collabores je crois, ne font pas exception. En revanche attaquer l’Obs et ses avatars sur sa ligne éditoriale, par exemple, de plus en plus libérale, là je dirai oui…

  11. Pour Sylvie,

    Franchement, qui est hypocrite ? Mon point de vue sur la pub, tel qu’exprimé dans l’article suivant, concerne – et attaque – toute la presse. Mais peut-être auras-tu mal lu.

    Fabrice Nicolino

  12. la bonne question à se poser c’est faut il encore être journaliste quand l’ensemble de la presse est vendue aux marchands ?

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