Un appel contre un certain Berlusconi

Cette fois, je ne cherche pas à raccrocher vaille que vaille ce qui suit à la crise écologique, qui me poursuit pourtant jour et nuit. Ce qui vient n’est qu’un cri, que vous pouvez ou non partager avec moi. Un cri de colère et de dégoût contre l’un des pires hommes politiques que j’ai pu observer. Cet homme, bien entendu, c’est Berlusconi. Le quotidien La Repubblica a lancé un appel que je me suis empressé de signer, moi qui ne signe (presque) jamais rien (ici).

Que dit l’appel ? Que Berlusconi tente de museler ce qui reste de la presse italienne en réclamant devant la justice 1 million d’euros au quotidien. Que cette manœuvre porte atteinte à la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Qu’elle vise, au passage, à anesthésier l’opinion publique. Moi, en vérité, je ne vois guère ce qui reste à anesthésier dans ce pays, mais bon, ne finassons pas. De même, sachez tout de même que La Repubblica ne me plaît pas davantage que Le Monde ici. Mais baste ! l’heure n’est pas aux ergoteries.

Je pourrais, sans me vanter, remplir des pages et des pages sur ce bouffon-là. Qui n’en est pas un. Qui l’est, d’une certaine manière, mais qui en tout cas ne l’a pas toujours été. Le savez-vous ? Fin 2000 est sorti en Italie le livre L’odore dei soldi. Origini e misteri delle fortune di Silvio Berlusconi. Il n’est guère besoin de traduire. Oui, d’où vient réellement l’argent par lequel Berlusconi a bâti son empire industriel et médiatique ? À l’heure où j’écris, nul ne le sait. Il y a des indices, comme on dit. Convergents, même. Qui mènent droit en direction du sud de la péninsule italienne. Mais pour l’heure, aucune réponse.

Berlusconi a été un ami proche de Bettino Craxi, archiponte du Parti socialiste italien (PSI) et maître de la corruption, ce qui l’obligea à terminer sa vie en Tunisie, fuyant la justice de son pays, qui n’aurait pas manqué d’embastiller cet ancien président du Conseil. Les deux étaient si proches, au mitan des années 80, que Craxi présenta Berlusconi à son grand ami Mitterrand, qui lui offrit en retour une chaîne de télé inoubliable, la Cinq. Mais Berlusconi n’était pas, et n’a jamais été seulement ce qu’il paraissait être. On sait depuis 1981 qu’il a appartenu à la loge maçonnique dite P2, où il détenait la carte 1816.

Il l’a nié, comme il a toujours tout nié, mais la chose est désormais certaine. Officielle. Publique. Il appartenait bien à cet incroyable écheveau secret, qui a fait la loi réelle dans les coulisses de l’Italie après la Seconde guerre mondiale. De très nombreux responsables d’État – ministres, chefs des services secrets, parlementaires -, de très nombreux entrepreneurs publics et privés de premier plan avaient juré serment à Licio Gelli, chef de la Loge et homme d’extrême-droite.

Dont Berlusconi. La P2 a joué un rôle clé, central, dans ce qu’on a appelé la stratégie de la tension, qui s’est soldée par une flopée d’attentats, dont le plus grave, à Bologne, à l’été 1980, a fait plus de 100 morts. Je sens bien que cela fleure la science-fiction, mais il n’y a aucun doute que des services d’État ont permis, parfois organisé le massacre de citoyens parfaitement innocents. L’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, qui avait été président du Conseil, comme le seraient Craxi puis Berlusconi, restent parmi les mystères les mieux gardés de l’Italie contemporaine. Les faits se sont produits en 1978, et des chefs de la P2 y ont tenu une place que je qualifierais de nodale.

Pourquoi revenir en arrière ? Mais parce que tout est là. C’est parce que l’Italie n’a pas su regarder en face son visage, hier, qu’elle porte aujourd’hui celui du monstre. En refusant de purger le vrai bilan des années de plomb et du terrorisme manipulé, les Italiens ont ouvert un boulevard à Berlusconi, qui ne pouvait que s’y pavaner en empereur romain de pacotille. Nous en sommes là. Des femmes ministres sont soupçonnées de papoter entre elles sur la meilleure manière de faire jouir le vieux monsieur, qui les aurait choisies en fonction de considérations, disons physiques. Lequel vieux monsieur – 72 ans, mais une série de malaises derrière lui – se fait injecter des produits dans le sexe, pour l’usage qu’on devine, séduit ou croit séduire des jeunesses de 18 ans, etc.

Pathétique ? Non pas. Fou. Ignoble. Insupportable. Le monde de Berlusconi est de paillettes, de stupre, de dope, de fric. Un raccomodage de liftings, de putes et de champagne. Une scène que Pasolini aurait su – peut-être – changer en une esthétique de fin du monde. Je suis bien navré de vous l’écrire, mais Berlusconi me semble étonnamment moderne. Il signale comme aucun autre la fin d’un modèle, la fin d’une conception du pouvoir où le verbe dominait encore l’image. Où la raison pouvait l’emporter sur les tombolas et les concours de chansons. 93 % des Italiens ne s’informeraient plus qu’au travers de la télévision, et ceux-là ne savent rien des menues embrouilles de leur hominicule providentiel.

En sommes-nous si loin ? Je vous laisse juges, au moment où s’ouvre le procès Clearstream. Je vous rappelle que Sarkozy, faraud comme il sait être, a annoncé que son rêve était de pendre le responsable des fameux (faux) listings bancaires où son nom apparaît, « à un croc de boucher ». Et ce responsable est pour lui l’ancien Premier ministre de notre pauvre République, Villepin. Je vous signale au passage que la constitution d’un président en exercice comme partie civile à un procès le concernant est une première. Vous rendez-vous compte ? Il est intouchable légalement pendant son mandat, mais poursuit néanmoins, espérant pendre à un croc le supposé coupable, comme d’autres, que je préfère oublier, mais qui le firent pour de vrai. On aura même vu un procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, déclarer il y a un mois, avant tout procès donc, que Villepin a été l’un « des bénéficiaires collatéraux, mais parfaitement conscient » de cette sombre affaire.

Alors ? Alors, malgré ma promesse du début, un mot sur l’écologie. L’écologie qui est la mienne est morale. Elle est sursaut, résistance, résilience bien sûr. Elle demande du sang-froid quand il en faut, de la sainte colère lorsqu’elle est nécessaire. Elle exige de la révolte, des idées neuves, des perspectives inédites, elle réclame du calme et du vacarme. Et avant tout cela, l’examen véritable de la situation, sans fioriture aucune. En ce 22 septembre 2009, il me paraît limpide que la démocratie, telle qu’elle fut pratiquée pendant deux bons gros siècles, cahin-caha, est morte. Ce n’est pas une formule. Nous ne pourrons affronter la crise écologique avec les mots et les systèmes qui nous ont conduits au gouffre. Nous devons donc inventer la liberté, cette idée neuve. En plus du reste. Il ne va pas rester beaucoup de temps pour profiter de septembre.

27 réflexions sur « Un appel contre un certain Berlusconi »

  1. Vous avez raison bien raison de souligner en parlant de la démocratie: « telle qu’elle fut pratiquée pendant deux bons siècles ». Je crains que cette « démocratie » là n’ait jamais été qu’une formule vide de sens à l’usage des nigauds…

  2. le mot « liberté »a je crois été rarement vécue en occident,et elle passe par une indépendance aux objet;entout cas c’est l’impression que l’on a qu’en on voit par certain documentaire les indiens ,ou d’autres peuplent vivant en symbiose(et donc un environnement qui fait sens immédiatement),avec la terre.Notre société hors sol,et donc materiel,n’a jamais pousser a ce point le fossé,entre l’homme et le reste du vivant.D’ailleur il n’y a jamais eu autant de depression qu’en notre époque(jamais tout a fait vérifiable),en occident pour la simple raison que nous nous envenimons nous meme.La compététion mène a la grande,la vrais solitude.désolé pour cette apparent « hors sujet »,mais ceci esplique peut etre cette politique de paccotille, qui nous mèneras loin des rivages ou chacun pourra respecter l’autre et la vie en générale.D’ailleur pour le procés clearstream,je doute de l’innocence de certain.

  3. La démocratie n’engendre pas uniquement des dérives à la Berlusconi, heureusement. Ce satrape de la plus belle espèce n’est qu’un fruit pourri et décadent, ce qui n’a rien de moderne !
    Dommage en effet que Pasolini et Fellini ne soient plus là…

  4. La démocratie est morte, mais l’automne s’installe ce soir 22 septembre .

    la jungle..quelle est la politique de l’Europe face à cette douloureuse question?

  5. @ Marie et Bruno Au moment où j’ai signé (en début d’après-midi), il y avait environ 412 000 signatures, pas classées. Du coup chercher à retrouver sa signature, ça peut prendre quelques heures…

  6. @ Hélène: « La démocratie n’engendre pas uniquement des dérives à la Berlusconi, heureusement. Ce satrape de la plus belle espèce n’est qu’un fruit pourri et décadent, ce qui n’a rien de moderne !
    Dommage en effet que Pasolini et Fellini ne soient plus là… »

    Hélas, je crains bien que Berlusconi ne soit l’aboutissement logique et inévitable d’une démocratie arrivée au bout de son évolution.

    Ce qu’avaient prévu, avec la prescience caractéristique des grands artistes, aussi bien Fellini que Pasolini.

  7. Les peuples ont la classe politique qu’ils méritent. C’est tout aussi vrai pour la France que pour l’Italie. La situation présente, ici comme au-delà des Alpes, pourrait être illustrée par les Romains de la décadence. Et on a les empereurs romains que l’on peut.

  8. A tous,
    Je crois qu’il faut distinguer entre démocratie et parlementarisme. Ce n’est pas (du tout) la même chose. Un philosophe contemporain a trouvé, me semble-t-il, une expression assez juste pour qualifier le régime en place dans nos sociétés: le « capitalo-parlementarisme ». N’est-ce pas assez pertinent?
    Cultive ton jardin, j’aime bien vos références. Je n’ai pas beaucoup lu Pasolini, mais assez pour y reconnaître un grand écrivain.

  9. @ Ossian:

    Le régime en place dans nos sociétés serait donc le « capitalo-parlementarisme ». Et ce serait PAS DU TOUT la même chose que la démocratie. OK. Mais alors, ce que nous pensions être une démocratie a muté, évolué vers autre chose? Quand? Comment? Et pourquoi ne nous serions-nous aperçus de rien? Et cette mutation aurait été générale?

    Et si cette mutation a été à la fois progressive, invisible et générale, ne sommes-nous pas en droit de nous demander ce que c’est vraiment que cette démocratie qui nous a dupé si manifestement?

  10. L’idee de la democratie — j’ai bien dit « l’idee » — est quelque chose de profondement anarchiste, participative, revolutionnaire et, osons le mot, ecologique (parceque holiste et equitable et base sur le local et le communautaire et le participatif). Seulement voila, l’histoire nous montre qu’elle a ete co-optee (par vagues successives, cycliques) par la pensee dominante, le pouvoir, sans jamais vraiment voir le jour. Et cela me rappelle quelque chose: le meme processus s’empare depuis 50 ans de l’idee de l’ecologie (qui devient developpement durable, grenelle – un facsimile, un leurre. Une tetine, un soporifique dans les mains de ce grand papa imaginaire nomme pouvoir. Qu’est ce que je peux radoter alors.

  11. Les signatures n’apparaissent toujours pas sur le site du journal. Ça doit filtrer les adresses en « it ».
    Quant au classement, pour répondre à Sylvie, bien sûr qu’il y en a un 🙂 C’est affiché dans l’ordre d’arrivée des signatures, des plus récentes aux plus anciennes.
    C’est bien la peine que le Courrier international leur fasse de la pub si on ne peut pas signer.

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