J’avoue tout : le titre de ce papier ne trouve son explication qu’à la fin de mon texte. Tout le reste n’est qu’une mise en condition. On n’est obligé à rien, mais vous voilà en tout cas prévenus. Et j’ajoute que cet article n’est jamais que la continuation du précédent. Orsenna est en effet Robert Lion. Et inversement. Les deux doivent l’essentiel de leur carrière publique à la victoire de la gauche française en 1981. Que serait aujourd’hui Érik Orsenna, sans son empressement dans tant de cabinets socialistes d’alors ? Que serait Lion sans les appuis glanés à Matignon, auprès de Pierre Mauroy ? Sans Mitterrand et ses serviteurs, Lion comme Orsenna nous seraient vraisemblablement inconnus. Ce n’est pas même polémique.
D’Orsenna, que vous dire ? Son sens de l’opportunité, au moins aussi puissant que celui de Lion, le pousse, un peu tardivement, à se proclamer écologiste. Il aime l’eau, c’est fou ce qu’il aime. Son livre L’avenir de l’eau, publié chez Fayard, aura réussi à me faire glousser plusieurs fois. Il faut lire les passages qui embêtent l’auteur, qui sont autant de friandises. Comme il s’agit d’un voyage planétaire, Orsenna ne peut éviter tout à fait les questions gênantes. Mais comme Orsenna est un défenseur émérite du monde réellement existant, il se tortille pour ne pas avoir à porter de jugement. Par exemple, sur le barrage chinois des Trois Gorges, désastre absolu en la matière. Il lui suffirait d’ânonner ce que de grands scientifiques chinois ont pris le risque de clamer il y a un quart de siècle. Orsenna a-t-il seulement entendu parler du physicien Zhou Peiyuan, qui lança l’alerte dès 1986, au risque évident de sa carrière ?
Vous n’y pensez pas. Aux Trois-Gorges, Orsenna se fait accompagner – je n’invente rien – par un ingénieur d’Alstom, Maurice Casali. Alstom a vendu à la Chine 17 des turbines géantes du barrage, n’est-ce pas miraculeux pour le vieux pays ? Orsenna ne dit pas un mot, pas un mot sur la destruction irrémédiable d’un des plus importants écosystèmes de la Chine. De même invente-t-il, ce brave garçon, la fable d’un gouvernement central – Pékin – vertueux dans le domaine écologique, affronté à des provinces qui n’en feraient qu’à leur tête. C’est beau, l’imagination du romancier. Orsenna me fait penser à un autre académicien, Paul Bourget. Ce n’est pas ce que j’appellerais un compliment.
Où qu’on suive Orsenna dans son voyage sur L’avenir de l’eau, on est partagé entre fou rire et stupéfaction. Voici donc où nous en sommes. Un pompeux cornichon réussit en deux temps et à peine trois mouvements à faire croire aux médias gogos-gogols qu’il est devenu écologiste. Et le pompeux cornichon se trouve du même coup légitime pour parler en notre nom. Encore un mot sur le livre, pour un passage qui me tient à cœur, et qui concerne le Bangladesh.
Il y a vingt ans, j’ai consacré une longue enquête à une ignominie française (ici). Sur ordre, Jacques Attali avait proposé un plan d’endiguement démentiel des principaux fleuves du Bangladesh. Si par malheur ce plan s’était réalisé, le sort de dizaines de millions de culs-terreux en aurait été abominablement aggravé. Orsenna, en visite sur place en 2008, ne voit évidemment rien du pays réel. On dirait Tintin au Congo, en moins plaisant. L’un de ses courts chapitres s’appelle Paroles de chars. Les chars, au Bangladesh, ce sont des bancs de sable et de limon, très fertiles, dont la forme comme la durée dépendent des crues rituelles. Rituelles et nécessaires à l’alimentation de ce peuple paysan. Car elles apportent la nourriture, ni plus ni moins.
Rien de cela n’existe chez Orsenna. Ce qu’on lit sous sa plume n’est que décor d’opérette. Rien sur l’écologie et les liens complexes entre l’inondation et les cultures. Rien sur le système féodal régnant sur le pays, où les propriétaires imposent une loi atroce, qui explique en grande part l’extrême dénuement des pauvres. Du carton pâte. Un tel carton, une telle pâte qu’on peut décemment se demander si Orsenna a vraiment mis le pied sur des chars. Je précise qu’il est ami de trente ans de Jacques Attali. Et qu’il a fait partie de la fameuse commission créée par ce dernier pour la « libération de la croissance » en France. Mais à part cela, il est écologiste. Arrête ton char, Érik, on t’a reconnu !
Y a-t-il un rapport avec moi ? Eh bien oui. Figurez-vous qu’Orsenna a parlé de moi. Pas directement, vous vous en doutez. Un académicien ne se commet pas avec une valetaille de mon espèce. Mais n’empêche. Le 20 octobre, la transnationale philanthrope de l’eau Veolia organisait à Metz un raout destiné aux élus et « décideurs ». Tiens, Orsenna était le grand témoin de la parade. Et, tiens, une journaliste présente lui a posé cette question épouvantable (ici) : « Que pensez-vous d’ouvrages comme Le Monde selon Monsanto de Marie-Monique Robin ou Bidoche. L’industrie de la viande menace le monde de Fabrice Nicolino ? ».
Suspense, hein ? Qu’a bien pu répondre Orsenna ? Il suffit de demander : « Je n’aime pas quand c’est uniquement à charge, les gens qui ne donnent pas de solutions. Le cauchemar de Darwin, pour moi, c’est de la malhonnêteté intellectuelle. On mélange tout, les perches du Nil et le trafic d’armes. Mais quelle espèce faudrait-il introduire dans le lac Victoria pour que les gens mangent à leur faim? Le film ne propose pas de solutions ». Le plus affreux n’est pas dans le ridicule du charmant personnage. Il en a vu d’autres, il en verra de pires, car c’est un spécialiste. Non, le pénible pour moi est de penser aux « solutions » que ce monsieur et ses amis ont mis en œuvre quand ils étaient au pouvoir. Car ils l’ont été. Et longtemps. Et le sont encore, car quelle différence persiste entre un Orsenna, un Attali, un Sarkozy, un Balkany ?
Les solutions du monsieur, on a fini par les bien connaître. La Françafrique et le soutien aux génocidaires du Rwanda. Les banlieues rejetées au plus profond des ténèbres intérieures. La télé vendue à la canaille privée. L’agriculture industrielle promue et soutenue jusqu’à plus soif, pesticides et biocarburants compris. Les oiseaux fourgués aux chasseurs. Le nucléaire fourgué aux Chinois et aux Pakistanais. Et le champagne par-dessus le flot d’immondices, pour oublier ce qui fut fait. En notre nom.
Monsieur Érik Orsenna me connaît. Je ne sais trop pourquoi, mais il m’a repéré. Ne me demandez pas comment, faites-moi confiance. Bien entendu, il n’a jamais ouvert le moindre de mes livres. Mais il y a quinze ans déjà, et ces gens ont la mémoire tenace quand elle touche à leur personne, je commis un petit papier très acide sur lui, lors qu’il défendait publiquement son cher vieil ami Attali. Sur Planète sans visa, le 21 novembre 2007, je récidivai, le moquant encore plus complètement. Le journaliste Jérôme Garcin avait alors écrit à son propos, suite au livre de commande qu’Orsenna avait écrit sur la bombe climatique appelée A380 : « Avec un lyrisme qui évoque l’enthousiasme de Sartre pour l’exceptionnelle productivité des vaches laitières cubaines et rappelle les odes paysannes au maréchal Tito, Orsenna célèbre ici, outre le sacerdoce du “pèlerin” Noël Forgeard, la geste immémoriale des “compagnons de l’A380?, animés par “cette fièvre joyeuse qu’on appelle le goût du travail” et attelés, jour et nuit, entre Saint-Nazaire et Hambourg, à la sculpture d’un “chef-d’œuvre”».
Donc, et parce que je le sais, Orsenna a repéré le petit crétin que je me vante d’être. Érik Orsenna, ci-devant conseiller du ministre socialiste Jean-Pierre Cot, ci-devant conseiller culturel de François Mitterrand, ci-devant conseiller de l’ineffable Roland Dumas – notamment en matière de démocratisation de l’Afrique -, bien entendu conseiller d’État, membre du Haut-Conseil de la francophonie, membre du conseil de surveillance de Canal Plus, membre du conseil de surveillance de Telfrance – « créateur d’audience » audiovisuelle -, membre du conseil d’administration de l’École normale supérieure, évidemment Académicien, donc immortel.
De fait, un tel homme est immortel. Comment lui répondre ? Comment oser répondre à une telle autorité morale et littéraire ? Tant pis, je me lance, non sans avoir vérifié que ce mot figure bien dans le dictionnaire. En tout cas, voici ce que j’ai trouvé dans la sixième édition du dictionnaire de l’Académie française, daté 1835. Une très bonne année, soit dit en passant, où l’on croyait encore avec force à l’émancipation universelle. Mais voici la citation exacte du grand manuel de notre si chère langue : « Merde,prov., fig. et bassem., Il y a de la merde au bâton, au bout du bâton, se dit d’une affaire où il y a quelque chose de honteux ». Il n’y a plus à hésiter, je pense : Merde ! Je me répète sans fatiguer : merde. Et même merdre.
Immortel ? Eh bien, c’est pour ça qu’il ne craint pas le ridicule !
Lire aussi une critique de l’Avenir de l’eau, et la réponse de l’auteur et de ses amis à la critique…
http://www.eauxglacees.com/Erick-Orsenna-la-polemique
Erik Orsenna est également membre de la commission Juppé-Rocard sur le Grand Emprunt National. Ce qui lui a donné l’occasion de déclarer : « Si vous n’avez pas d’ambition en ce moment, aujourd’hui, alors que tous les gens dans tous les pays ont de l’ambition, vous êtes mort ».
http://www.medef.com/actualites/detail/article/erik-orsenna-si-vous-navez-pas-dambition-vous-etes-mort.html
Pas mal pour quelqu’un qui prétend reprendre le flambeau d’Albert Londres et Joseph Kessel réunis, non?!
Pour Marc Laimé,
Je viens de lire le texte de Thierry Ruf et les réponses d’Orsenna and co. C’est sensationnel ! Il est très rare qu’une telle pantalonnade soit démontée avec pareille minutie. Dans un monde mieux fait, le texte de Ruf serait venu à bout de la réputation d’Orsenna. Mais nous savons ce qu’il en est. Merci en tout cas, et je vais reprendre le texte sur le blog, pas plus tard que tout de suite.
Fabrice Nicolino
Cette année, « L’Avenir de l’eau » était nominé au Prix du livre environnement décerné par Veolia Environnement – fondation de la « transnationale philanthrope ». But de l’opération : « sensibiliser le grand public aux problématiques environnementales ». Evidemment. Eh bien le prix, c’est triste, et même étrange, Orsenna ne l’a pas eu. Mais grâce au ciel (?) ses idées, les grandes et belles idées, les vraies solutions d’Erik Orsenna ont quand même triomphé, puisque c’est le livre de Philippe Jurgensen, L’économie verte, Comment sauver notre planète ? (aux éditions Odile Jacob), qui a été couronné. Résumé par l’éditeur, ça donne : « Réagir efficacement, ce n’est pas lancer des anathèmes contre la mondialisation, faucher des cultures expérimentales ou préconiser l’arrêt de toutes les centrales nucléaires. C’est, au contraire, retourner, au profit de la nature, les deux grands instruments qui ont, parfois, contribué à la détruire : une science bien comprise, qui offre de multiples promesses, et une économie qui ne demande qu’à faire jouer ses lois en faveur de l’environnement, pourvu qu’on valorise, comme il convient, les productions écologiques. » Dites-moi pourquoi je suis fasciné par ces formules.
ô cet Erik
quelle vie
péripatétique
ah! misère! mais aux antipodes de cet esprit supérieur incarné par m.Erik Orsenna, Boris Vian nous livre quelques réflexions sur la ville dans ce bel article: « Paris est dégueulasse »: (les Orsenna et apparentés devraient en prendre de la graine..)En tout cas, çà risque de plaire à Fabrice ……: » Il y a une jolie chanson de Francis Lemarque, L’Air de Paris, qui commence comme cela : On ne saura jamais/Si c’est en plein jour/Ou si c’est la nuit que naquit/Dans l’île Saint-Louis/L’ange ou bien le démon/Qui n’a pas de nom/Et que l’on appelle aujourd’hui/L’air de Paris…
C’est une chanson que j’aime énormément, parce qu’elle n’a aucun rapport avec la réalité. On le sait très bien, où il naît, l’air de Paris. Il naît dans quelques millions de cylindres alimentés en carburants plus ou moins puants et il se répand dans les rues par le canal, si l’on ose dire, des tuyaux d’échappement de ces véhicules ridicules baptisés automobiles alors qu’ils sont bien incapables de se déplacer par leurs propres moyens (on n’en voudra pour preuve que l’éclosion des voitures-grues).
Cela paraît une évidence lorsque l’on considère les faits d’un œil quelque peu ouvert : la présence dans une ville de moteurs à essence ou gas-oil qui consomment tout l’oxygène et laissent à l’habitant le bénéfice de leurs gaz d’échappement est un défi au bon sens, à l’hygiène, et même, chose plus grave, à la notion de ville.
Si des gens se groupent en cité, c’est apparemment pour en tirer avantage : sécurité, commodité, etc. Est-ce pour cela qu’il faut assortir ces avantages d’inconvénients tels que le manque d’air, la promiscuité, l’étroitesse des logements, la disparition des espaces verts ?
Réglons au passage le cas de ces derniers et allons-y de quelques mesures utiles. Les crétins assortis (déjà à l’époque les Orsenna et apparentés.?..)qui discutent au Parlement de la meilleure façon de piller la France ont autre chose à faire que de s’occuper des gens ; c’est l’argent et les privilèges qui les intéressent. Notre seule consolation, c’est qu’ils sont asphyxiés comme les autres — mais nous nous en passerions volontiers : ce qui intéresse, ce n’est pas ce bonheur de « tout le monde » qu’on nous fabrique à coups de guerres et de déclarations ronflantes, mais le bonheur de chacun qui se fait avec du travail, des maisons, du soleil, de l’herbe, des fleurs et du confort.
Solutions constructives :la suite sur
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/10/22/03005-20091022ARTFIG00462-paris-est-degueulasse-.php
A Fabrice,
Après vos billets consacrés à Robert Lion et Erik Orsenna, nous perdrions beaucoup à ce que vous vous lanciez dans le maraîchage.
@rené En même temps, il n’y a pas d’incompatibilité connue entre le journalisme et le maraîchage.
@ Sylvie
C’est vrai, mais les journées n’ont que 24 heures.
Erik Orsennar était l’invité de Eau et Rivières pour ses quarante ans;
Sans commentaires.
Ah, mais on peut rêver en maraîchant. Elaborer mentalement ses papiers, puis s’asseoir à l’ordi pour les écrire.
De toutes façons, la double activité va bientôt s’imposer pour les journalistes comme ce fut le cas pour les paysans des montagnes: faut bien bouffer, non?
On y perdra au niveau de la quantité, on y gagnera en enracinement dans le réel, dans la glèbe comme on disait jadis.
Sur Orsenna on peut aller aussi sur
http://seaus.free.fr/spip.php?article423
Mon Cher Ami,
Ce n’est pas pour vous cirez les » pompes » !!! que je prends contact avec vous malgré toute l’admiration que j’ai pour vous et Dieu sait qu’elle est grande.
En ce qui concerne l’attrait pour les femmes et de plus vos allers-retours incessants de vos yeux sur leur silhouette, comme attiré par un aimant! c’est quelquechose que je connais bien meme trés bien, en fait mon compagnon « Breton » comme vous né le 22 MARS (mais en 1960 pas important )a vos attitudes semblables. Tout comme votre Maman je lui ai demandé de consulté, c’est peine perdue!! désolée aucune descendance Cubaine. J’ai pratiqué moi meme son cas , une psychothéraphie, pas de guérison possible.
Conclusion: Cas irrémédiable
fait partie de son trait de caractère tout comme vous
Au début de notre rencontre, femme tolérante, amusante de surcroit pas » Degeu « comme dirait » Gainsbarg » réellement, I was so choquing! c’est en pleine Gueule que vous le prenez, j’ ignorai que de tels etres existaient c’est avilissant un tel comportement,que l’on ne se tienne pas devant sa compagne c’est ignoble, par derriere je m’en Tape et n’estce pas le propre de l’homme que d’avoir envie de toutes les belles femmes!! et OUI
CONCLUSION : Vous faites partie du commun des mortelles, mon petit Breton est votre jumeau que j’ai reussi en partie a redresser et oui.
Félicitations pour votre Talent d’écrivain , votre bonne humeur et humour sympathique tout cela pour vous dire que je vous aime Jackye
Quel article, c’est très bien fait, merci pour le partage