Comme j’ai pu vibrer pour ce pays lointain ! Lorsque j’avais 16 ans, puis 17 et 18, jusqu’à disons 21, le Chili a été une présence réelle dans ma vie. C’est ainsi. D’abord quand Salvador Allende fut président – socialiste – du pays, avant d’être renversé par une brute nommée Pinochet, le 11 septembre 1973. Ensuite quand les assassins et les tortionnaires transformèrent ce pays si poignant en asile de vieillards, en maison de fous, en terre de massacres. J’ai aimé le Chili comme on peut aimer un rêve. À cette époque, je pense que je serais allé fort avant si une guerre contre les fascistes avait éclaté là-bas. En tout cas, je le crois. Et comme j’ai vécu depuis, j’ai bien quelques raisons de penser de la sorte.
Le Chili d’aujourd’hui semble un monde venu d’ailleurs. Il s’y passe des élections présidentielles, dont le deuxième tour est prévu le 17 janvier 2010. La présidente en place, la socialiste Verónica Michelle Bachelet Jeria, ne peut pas se représenter, et a dû laisser la place à un falot politicien qui est surtout le fils de son père, Eduardo Frei Ruiz-Tagle. Un démocrate-chrétien, allié aux socialistes, qui a déjà été président en 1994. En face, une sorte de Berlusconi de l’hémisphère sud, Sebastián Piñera, dont les comptes sont estimés à un milliard de dollars. Il a fait fortune avec l’introduction des cartes de crédit, possède la chaîne de télé Chilevisión. Il est la droite, Frei est donc la gauche. Et choisissez le meilleur !
C’est là, pauvres lecteurs de Planète sans visa, que je montre ce qui me reste de dents. Car je me fous totalement de savoir qui va gagner. Ils se valent. Ils se valent bien. Ils ont, depuis le départ du pouvoir de cette canaille de Pinochet, mimé l’opposition, alors qu’ils étaient évidemment d’accord sur l’essentiel. L’essentiel est là-bas la même chose qu’ici : l’économie. Il fallait faire entrer le Chili dans le moule du libéralisme dur, et la mission a été accomplie par la création du Mercosur, marché intégré des pays du cône sud de l’Amérique, par la suite connecté à son Big Brother du Nord, l’ALENA.
Je n’ai pas le goût de détailler les destructions qu’a pu entraîner cette politique purement criminelle. Il est certain, à mes yeux, que l’âme du peuple chilien en a été altérée si profondément qu’elle a peut-être disparu au passage. Ce qui reste de ce pays pourrait bien se trouver sur les flancs du volcan Villarica, au nord de la Patagonie chilienne. Il n’est pas si haut – 2847 mètres -, mais son cratère de basalte, parfois recouvert d’une neige de conte de fées, crache des flammes. Et surtout, oui surtout, il est la résidence, l’une des résidences en tout cas de Pillán. Ce dernier a évidemment créé le monde et ses chimères. De temps en temps, il s’énerve, mettez-vous donc à sa place. Le volcan Villarica, où des gommeux chiliens osent faire du ski, s’appelle en réalité Quitralpillán, c’est-à-dire, en langue mapuche, la demeure de l’ancêtre de feu. Cela se tient, aucun doute là-dessus.
Qui sont ces Mapuche ? Des Indiens. Probablement les premiers habitants humains de ce qui deviendrait bien plus tard le Chili. Cela ne les rend pas plus aimables pour autant, mais c’est en tout cas un fait. Comme il est acquis que les Mapuche, à la grande différence de tant d’autres Chiliens, vautrés devant la chaîne Chilevisión de Sebastián Piñera, ont conservé une partie de leur culture. L’avenir leur appartient donc davantage qu’aux autres, malgré les cruelles apparences actuelles. En attendant, c’est l’horreur pure et simple, car l’histoire comme l’esprit mapuche sont aux antipodes de tout ce qui domine à Santiago, la capitale, gauche et droite confondues.
Il est probable que les Mapuche, dont le territoire historique est au nord de la Patagonie, forment encore 6 % des 16 millions de Chiliens. Ils ont une langue, un imaginaire, et des revendications. Non seulement ils veulent récupérer les terres volées par les envahisseurs, mais en outre – singularité sur ce continent -, ils réclament une nation. On aime ce mot ou non, mais les Mapuche – plus ou moins synonymes d’Araucans – savent tous qu’ils n’ont pas plié devant le Conquistador. C’est inouï, mais c’est ainsi. Les soudards qui s’étaient emparés de l’empire Inca ne parvinrent jamais à gagner la partie au sud de la rivière Bio Bio. Bien mieux, les Araucans-Mapuche, qui avaient appris l’usage du cheval à une vitesse époustouflante, se jetèrent en 1554 sur Santiago de Chile, alors une simple bourgade. Avec cinq cents hommes, mais surtout une dizaine de cavaliers, tous commandés par l’illustrissime cacique mapuche Lautaro (un texte de fond, épatant, et en français, ici, puis chercher : La conquête du désert).
Dans le monde sans épaisseur – donc sans finesse – de ceux qui croient ce que leur disent propagandes et publicités de toutes sortes, il n’est plus aucun espace pour eux. Ils crient dans le vide, depuis des décennies. Un peu moins, un peu plus, selon les époques et les régimes. Le 13 décembre 2009, jour du premier tour des élections, un groupe de Mapuche encapuchonnés a barré la route du côté de Pidima, à 600 km de Santiago. Avec des arbres et des branches. Encapuchonnés, chez eux. Il faut dire que cela ne plaisante guère, lorsque l’on s’attaque au pouvoir chilien. On a appris en novembre que le Mapuche Matías Catrileo avait bien été abattu dans le dos par un flic, comme on s’en doutait. Et de même pour le jeune Jaime Facundo Mendoza, autre Mapuche assassiné le 12 août 2009 (ici).
Qui commande le Chili, au moins jusqu’au 17 janvier ? Des socialistes comme on les connaît ici. L’un d’eux, José Antonio Viera-Gallo Quesney, ministre du Secrétariat Général de la Présidence s’il vous plaît, a froidement déclaré que les Mapuche n’auraient jamais droit à une autonomie territoriale. « Ils doivent comprendre, a-t-il bien précisé, que leur identité doit prendre place dans un monde changeant et moderne ». Changeant, moderne. Les Mapuche n’ont donc qu’à crever. Oui, mais ils résistent. Et même si c’est dérisoire, je me sens proche. D’eux. De leur monde et de leurs visions. Mais qu’attend donc Pillán ?
Neuf commentaires pour 600 000 milliards de vent…
Zéro commentaire pour les Mapuches… Cela n’est pas juste!
Ossian
Je me fais le même…commentaire. Je sais bien que les Mapuches sont loin. Mais c’est justement parce qu’ils sont si loin qu’ils ont tant besoin d’un peu d’attention. Merci de ce petit mot, en tout cas.
Fabrice Nicolino
Comment ne pas se sentir solidaire de ce peuple qui résiste encore et encore, et, d’une manière générale, de la figure de l’Indien – quel qu’il soit -, vénérant la Terre nourricière, face à la figure du colon « européen » génocidaire, fasciste, imbu de lui-même et de l’idée qu’il se fait du progrès, désireux d’être « maître et possesseur de la nature » (vive Descartes…), partout où il pose les pieds.
Le plus triste en Amérique du Sud (et centrale) c’est le racisme latent et généralisé de la population métisse, contre les Indiens, méprisés encore et encore. C’est assez paranoïaque comme attitude, puisque le sang des Indiens coule dans les veines de la plus grande partie de la population (sauf en Argentine), qui les méprise bien souvent (les exècre parfois) en ignorant tout ou presque de leur culture.
Un article intéressant mettant en lumière l’intervention récente de Danielle Mitterrand en faveur des Mapuches.
http://ukhamawa.blogspot.com/2009/09/danielle-mitterrand-intervino-en.html
Un autre lien : manifeste en faveur de la cause des Mapuches.
http://www.warianoz.com/foros/showthread.php?t=49235
Les Mapuche ont le choix entre la peste et le choléra. D’un côté le fringuant Sebastián Piñera qui se partage avec les multinationales forestières et l’industrie du saumon, des centaines de milliers d’hectares appartenant aux « gens de la terre ». De l’autre les sociaux-démocrates qui appliquent aux Mapuche une loi antiterroriste datant de…Pinochet.
Je crois qu’on dit les Mapuche, sans (s). C’est un ethnonyme, invariable. J’ai lu aussi – mais où?- que les Mapuche rejettent l’usage du mot mapuche au pluriel.
Je pars précisément dans ces contrées chiliennes dans moins d’un mois. Je saluerai pour vous le volcan Villarica. Et ce voyage est tout sauf un voyage touristique… Conexion !
Raton,
Merci beaucoup ! Bien sûr, pas de s à Mapuche. Funeste erreur, mais réparée grâce à toi.
Fabrice Nicolino
Ludo,
Je compte bien sur un récit au retour !
Fabrice Nicolino
Quoi de plus choquant que cette phrase ?
« Ils doivent comprendre que leur identité doit prendre place dans un monde changeant et moderne »
On trouve là encore les germes du totalitarisme… Nous agissons pour votre bien et si vous vous en sentez plus mal c’est que vous ne comprenez pas !
C’est un discours tellement entendu, ici et là, souvent pour justifier le libéralisme…
Courage, les Mapuche, puissiez-vous ne pas rester les seuls au monde à vous soulever quand vous n’êtes pas d’accord !
L’histoire des Amériques post-1492 est un crève cœur honteux et toujours douloureux à contempler.
Tous les peuples de ce continent ont étés écrasés, spoliés et la plupart du temps simplement effacés de la surface. De nos jours même dans les pays censés être à la pointe de la démocratie et des droits de l’homme (usa, canada par exemple) la situation est inqualifiable.
Quand on lis « Bury my heart at Wounded Knee, an Indian history of the American West » de Dee Brown ou « Ishi » on ne peux que pleurer devant l’accablant gâchis et rager que de nos jours la situation se perpétue, notamment en Amérique du sud, dans l’indifférence quasi générale.
Mais bon haliday est malade … bon je me tais sinon je vais écrire des choses non publiables.
Un crève-coeur, oui, en effet. « Enterre mon coeur », de Dee Brown, a été récemment réédité en français. On le trouve donc facilement désormais. Quant à Ishi, donc j’avais déjà parlé, c’est chez Plon-Terre Humaine. Ishi, dont le peuple a été exterminé (directement et indirectement). Les derniers Yahi n’étaient qu’une quinzaine en 1870. Ils décidèrent de vivre cachés. En 1911 le dernier d’entre eux sortit de la forêt et alla au devant des Blancs. Il était le dernier Yahi, plus personne ne parlait sa langue…
Il y a bien sûr le livre. Un bon documentaire au début poignant a aussi été fait. Pour les Parisiens, sachez qu’il passe le 4 janvier à 20h00 à la filmothèque du Quartier Latin, rue Champollion.
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http://www.youtube.com/watch?v=fU_QFvkPJvw
Cher Fabrice,
Sarebbe un piacere racontare il mio viaggio. Purtroppo, dalle persone che conosco tornando da questa montagna, non mi hanno potuto racontare veramente, con parole…pero ho sentito qualcosa oltre ogni discorso, ho visto quanto sono tornati trasformati… Es un luego magico, donde la energia es muy special. Alors , je serais heureux de condividere , ma il blog non basterà !
A bon entendeur…
Auguri
l’histoire des hommes est tragique, il ne faut jamais perdre de vue cette réalité.
« Ils doivent comprendre que leur identité doit prendre place dans un monde changeant et moderne » l’abruti qui a prononcé cela devrait se porter comme mineur volontaire au Niger, son identité prendrait ainsi place dans un monde changeant et moderne, avec la protection des ouvriers locaux.
Ce sont souvent les mêmes c..s qui souhaitent le développement du nucléaire et des agrocarburants pour lutter contre le réchauffement.
Mon soutien aux Mapuches, qu’ils tiennent bon.
l’histoire des minorité ethniques,et celles des individuels dans nos societé est tragique