En Chine, c’est la nuit. Désolé, mais je ne suis pas porteur de bonnes nouvelles. Si je vous envoie ce mot, c’est parce que je viens d’apprendre une étrange affaire. À Pékin, le gouvernement en place s’avise que le barrage des Trois-Gorges est peut-être une mauvaise idée.
Avant de commenter cette audacieuse pensée, permettez-moi de rappeler quelques faits. Le barrage chinois des Trois-Gorges est le plus grand ouvrage hydroélectrique de l’histoire humaine. Installé sur le fleuve Yangzi – Le Fleuve bleu -, haut de 185 mètres, il forme à l’amont un lac de retenue de 600 kilomètres de long. Près de deux millions de personnes ont été déplacées, car leurs villages ont été détruits. Il est officiellement terminé depuis mai 2006. Coût officiel : 25 milliards de dollars. Mais dans les coulisses, on parle de 50 à 75 milliards de dollars réellement dépensés.
Nous sommes clairement dans un au-delà du délire humain. Et seule une dictature encore vaillante, comme celle qui règne là-bas, pouvait venir à bout d’un tel projet. Lequel a permis au passage, ce qui n’est pas loin d’être son seul mérite, de faire émerger en Chine une contestation écologiste. On s’en serait bien passé.
Pourquoi y revenir ? Parce que monsieur Wang Xiaofeng, le directeur des Trois-Gorges, a pour la première fois dit une partie de la vérité au cours d’un séminaire, et que ses propos ont été rapportés. Selon lui, et je le cite scrupuleusement : « Nous ne pouvons sacrifier notre environnement contre des perspectives de prospérité à court terme ». Et d’ajouter aussitôt ce que je sais – moi l’ignorant- depuis une quinzaine d’années : ce grand désastre va entraîner une pollution massive, une érosion massive, une raréfaction massive des ressources en eau, une raréfaction massive des (rares) terres arables du pays.
Inutile de perdre du temps en compagnie de ce Tartuffe. Maintenant que le barrage est fait, et que les paysans ont été sacrifiés, comme il est plaisant de reconnaître l’évidence ! Tartuffe, bien sûr, et criminel, évidemment. Mais je ne veux pas nous laisser sur cette affreuse nouvelle. La lutte contre le barrage, je vous le disais, a fait éclore un véritable mouvement. Il existe en Chine des centaines, peut-être des milliers d’ONG plus ou moins écologistes. Et la bureaucratie chinoise elle-même, du moins une part d’elle, est terrifiée. Le mot n’est pas trop fort : terrifiée par le monstre qu’elle a fait naître.
Je vous suggère, si vous lisez un peu l’anglais, d’aller visiter le site Internet du Centre pour l’assistance légale aux victimes de la pollution (1). Ses animateurs, Chinois vivant en Chine, jouent à cache-cache avec la police et l’État. Mais cela vaut la peine. J’essaierai de vous indiquer plus tard d’autres adresses du même genre. Savez-vous que des valeureux, dans ce pays prêt à tout sacrifier au fric et à la bagnole, tentent d’y sauver les derniers tigres ?
Un dernier point, et je vous laisse, car ce 3 octobre sort chez Fayard mon livre intitulé : La faim, la bagnole, le blé et nous (une dénonciation des biocarburants). Cela crée quelques obligations. Une dernière chose : qui a fourni à la Chine une grosse partie des turbines géantes du barrage des Trois-Gorges ? Qui ? Cocorico ! C’est nous. Nous, Alstom Hydro Power, géant français et transnational installé à Grenoble. J’ai trouvé une adresse presque miraculeuse (2) où l’on raconte les efforts héroïques de ces bâtisseurs pour satisfaire leurs clients chinois. On a le droit de pouffer, car c’est à peu près tout ce qui nous reste.
L’un des ingénieurs d’Alstom rapporte ceci : « Le diamètre externe de la roue des Trois-Gorges est 23 % plus grand que tout ce que nous avions fabriqué jusqu’à présent. Son diamètre est de 10,6 mètres pour une hauteur de 5 mètres ». Et ils l’ont tout de même fabriquée. Et nous conserverons donc, avant l’effondrement général, le niveau de vie matériel que nous envie la terre entière. À commencer par les Chinois.