Du rôle du vélo dans un monde qui tourne en rond

Vous avez peut-être lu. Je ne suis pas sûr de vous le souhaiter, tant cette façon de voir le monde nous déshonore tous un peu, mais baste. Mario Draghi, (très) grand libéral, a été président du Conseil en Italie. Chef du gouvernement. Il est aussi banquier d’affaires, et l’Europe officielle lui voue un culte, car il parle – pense-t-elle – avec franchise. Dans un rapport tout récent, cet ancien président de la Banque Centrale Européenne suggère fortement d’investir 800 milliards d’euros par an, à l’échelle continentale, faute de quoi l’Union des 27 ira vers une lente agonie.

Ce bougre d’imbécile s’en prend à de nombreuses réglementations dites « écologiques ». Elles ne le sont évidemment pas – écologiques -, mais selon Draghi, elles entraveraient le commerce et videraient peu à peu la corne d’abondance. Ils en sont donc là. Il ne faut pas protéger ce qui reste, il faut achever.

Je n’entends pas défendre un être aussi absurde, mais je lui donnerai raison sur un point : l’agonie est bel et bien au programme. Et je m’en tiendrai à la France, au moment même où un Michel Barnier recule de jour en jour la constitution d’un gouvernement introuvable. Mon point de vue est simple : la totalité de la classe politique a failli dans des proportions telles que ce n’est pas rattrapable. Si l’on veut désormais avancer, il faudra s’en débarrasser en bloc. Comme après 1789. Comme après août 1944.

Avez-vous remarqué combien l’écologie a disparu ? Mélenchon et son parti aux ordres en faisaient la priorité des priorités, et c’est fini jusqu’à la prochaine mascarade. Aucune idée, aucun projet, aucune volonté n’auront émergé de tant de propos centrés sur la retraite et le niveau du smic. Que ceux qui voudraient me chercher sur ces questions sachent que je me suis souvent exprimé, et que je suis pour une redistribution radicale et planétaire des biens et des ressources.

Reste qu’ils ne disent plus rien après avoir clamé qu’il existait pourtant « une urgence écologique ». Il est vrai que Mélenchon soutient la bagnole électrique, désastre écologique et moral, et souhaite industrialiser la mer et l’espace, tenus pour la nouvelle frontière de notre folie. Les autres compères – zécolos officiels, post-staliniens du PCF, socialos bien sûr – ne valent pas mieux. Quant à la droite, qui inclut Macron et ses soumis, et l’extrême-droite, je n’insiste pas, car je n’ai jamais rien espéré de ce côté-là.

Parlons peu. La France s’enfonce dans l’impasse qu’elle a elle-même ouverte. Je ne peux entrer dans le détail, mais citons en vrac ce qui ne peut plus être financé. Outre la dette publique, commençons par l’état des routes. Cela vous étonne ? Les ingénieurs des Ponts (aujourd’hui rejoints par les Eaux et Forêts) ont bâti un réseau de 1 100 000 km de routes et autoroutes, car ils avaient intérêt, via les « rémunérations dites accessoires » à en construire beaucoup. Ils n’ont pas pensé à l’entretien, les pauvres avaient tant de travail. Vous avez vu l’état de tant de routes jadis nationales ? Et les départementales ? Et les communales ? Vous avez vu le rafistolage des autoroutes ?

Qui paiera pour les vieux, de plus en plus nombreux, de plus en plus malades, de plus en plus coûteux ? En 2019, la dépense moyenne d’entretien d’une personne âgée dépendante atteignait 22 000 euros par an. La France paie environ 30 milliards d’euros pas an pour la dépendance, et devrait passer à 50 milliards avant 2030. C’est beaucoup plus lourd que la question des retraites.

Et de même pour l’éducation. Et de même pour les hostos. Et de même pour la Sécu, qui accorde pour quelque temps encore le statut Affection Longue Durée (ALD) à 12 millions de Français. En grande partie selon moi parce que l’industrie chimique, pesticides compris, règne en maîtresse sur notre santé. J’arrête ici une liste plus longue, car la démonstration me semble faite. La situation est si dégradée qu’il serait formidable d’avoir un véritable débat national, hors les éternelles pressions des lobbies industriels.

Oui, ce serait grandiose. Nous pourrions dire enfin quelle France nous voulons, qui ne passe pas, qui ne peut plus passer par l’hyperconsommation d’objets jetables. Si une telle demande devait apparaître sur la scène publique, elle serait aussitôt ridiculisée, je le sais bien. Mais retenez ce qui suit : en 1974, tandis que triomphaient les guignols bien connus – Chirac, Giscard, Marchais, Mitterrand – un certain René Dumont publiait pour sa campagne présidentielle un affreux petit livre chez Jean-Jacques Pauvert. Malgré sa piètre présentation, malgré ses énormes défauts typographiques, il dit de manière stupéfiante la vérité du monde. Je le sais, j’ai le livre dans ma bibliothèque.

La classe politique de 2024 – toute la classe politique -, c’est celle de 1974. Pour faire croire aux journalistes – triste corporation – qu’il est écologiste, Barnier est arrivé à l’Élysée à vélo. Juppé, Hidalgo l’avaient fait avant lui pour les mêmes raisons. De bien belles photos à l’arrivée, de bien belles manipulations. C’est la merde ? Oui, c’est la merde.

Publié le 16 sept. 2024 à 13:25

Retour aux origines (sur le cas Emmanuel Macron)

La mémoire n’existe pas. Faut-il dire qu’elle n’existe plus ? Elle a toujours été incertaine et fragile, martyrisée au passage par l’idéologie – dans ce domaine, fascismes et stalinismes se sont montrés indépassables -, effacée d’un coup de chiffon par le premier bateleur venu. Mais ce temps béni a disparu, car la numérisation accélérée du monde écrase, broie, pulvérise les neurones sans lesquels nous sommes les fantômes de nos propres vies.

Je passe ce jour sur le cas Mélenchon, que j’ai déjà tant décortiqué ici même. Pas un seul commentateur, nul analyste, aucun observateur n’est capable de relier le phénomène à ce que j’appelle, moi, le stalinisme mental. De quoi s’agit-il ? D’une façon de faire de la politique par le mensonge et l’intimidation, sans jamais en payer le prix. Pourquoi stalinisme ? Parce que cette atroce maladie mentale et politique « de gauche » n’a jamais été éradiquée en France. Pour de multiples raisons, le parti communiste n’a jamais eu à rendre le moindre compte. Pas seulement sur le bilan réel de l’expérience lancée en 1917 dans la Russie tsariste. Mais aussi sur les crimes et délits, les falsifications qui ont eu lieu en France. Et c’est bien pourquoi un Mélenchon peut se permettre tout, sans entraves. Il y a tant de candidats à la soumission, que les grotesques génuflexions des Mathilde Panot et autres Manuel Bompard n’ont rien d’étonnant. Rien, hélas.

Mais ce n’est pas de cela que je souhaitais vous parler. Je remets en circulation un texte de mai 2017 – sept ans de malheur ! -, parce que, ainsi que l’écrivit un auteur de ma préférence, « si le mensonge règne sur le monde, qu’au moins cela ne soit pas par moi ». Je continue contre l’évidence à croire dans la mémoire des jours et des ans.

D’abord, donc, mon texte de mai 2017. Ne vous étonnez pas de cette incongruité chronologique : il est suivi d’un texte de mars 2017.

Mais qu’est donc ce merveilleux Macron ?

15 mai 2017 Morale, Mouvement écologiste, Politique

Si vous ne le savez pas, je vous apprends que j’ai ferraillé contre certains, présentés comme écologistes, qui soutenaient sans hésitation le vote en faveur d’Emmanuel Macron. Contre Yves Paccalet et Corinne Lepage, notamment, auxquels j’aurais pu ajouter Matthieu Orphelin, ancien de la fondation Hulot, et très proche de ce dernier. Je laisse de côté, car ils sont par trop grotesques, des gens comme François de Rugy – lui aussi, comme Valls, avait signé la charte de la primaire socialiste avant de s’essuyer les fesses avec – ou Cohn-Bendit, désormais commentateur de matchs de foot et chroniqueur entre deux pubs chez Europe 1.

J’ai pu dire à certains, ces dernières semaines, que je préférerais me couper un bras que de voter Macron, et c’était faux. J’ai besoin de mes bras, surtout depuis le 7 janvier 2015, car mes jambes ne sont plus ce qu’elles étaient. C’était faux, mais c’était vrai, car je voulais surtout dire : jamais. Mais pourquoi, amis lecteurs ? Le psychodrame finalement comique du deuxième tour de la présidentielle a opposé deux personnages très détestables, mais également très différents.

Il va de soi, et qui me lit un peu le sait évidemment,  que je ne donnerai jamais ma voix à des crapules racistes. Je m’empresse de dire que je comprends aisément ceux qui, craignant – à tort, selon moi – une victoire de Le Pen, ont placé un bulletin Macron dans l’urne. Je les comprends, mais je ne les approuve aucunement. Ils en sont restés à des considérations nationales, estimant, cette fois à juste titre, qu’il est préférable de vivre dans un pays qui n’est pas dirigé par une clique comme celle-là.

Là-dessus, nous pourrions presque – presque – tomber d’accord. En effet, il est plus tranquille de vivre dans un pays où l’on n’expulse pas massivement les étrangers et où la bouille de madame Le Pen n’envahit pas les écrans. Seulement, la question posée n’est pas celle du confort moral, mental et quotidien d’une partie de la population. La question est : où va-t-on maintenant ? J’ai eu l’occasion d’écrire – encore dans mon dernier livre, Ce qui compte vraiment – sur les migrations humaines en cours. Des études concordantes indiquent qu’une bande de terre peuplée de 550 millions d’habitants, courant du Maroc à l’Iran, via l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Palestine, l’Irak, la Syrie, l’Arabie saoudite, devient peu à peu inhabitable sur fond de dérèglement climatique. Les températures diurnes vont atteindre 50 degrés, celles nocturnes ne descendront plus sous les 30 degrés.

En clair, des dizaines de millions d’humains, peut-être des centaines de millions à terme, quitteront des territoires grillés par la chaleur. Regardez une carte, et dites-moi, je vous prie, où ils iront en priorité. Ce cataclysme désormais si proche – encore dix ans, encore trente ans ? – représente un danger abyssal pour les valeurs qui sont les nôtres, et ramènerait le Front National à bien peu de choses. Car de vous à moi, comment des peuples habitués à commander le monde – comme le nôtre, depuis le conseil de sécurité de l’ONU – réagiraient-il à des arrivées en masse ? Essayons d’être tous sincères, cela changera des mauvaises habitudes. De ce point de vue, le Front National de 2017 est hélas, hélas, hélas, bien peu de choses.

Le dérèglement climatique est la mère des batailles, car il porte en germe la dislocation de toutes les sociétés humaines, et la guerre de tous contre tous. Or n’est-il pas certain que l’aggravation continuelle de l’effet de serre est intrinsèquement lié à l’explosion du commerce mondial ? Et que cette explosion est fatalement soutenue par cette divine croissance que la plupart des pays sont décidés, comme naguère ce pauvre imbécile de Sarkozy, à aller chercher avec les dents ?

La croissance, c’est bien sûr de l’effet de serre concentré. La croissance de biens matériels, c’est inévitablement des émissions de gaz supplémentaires. Mon satané ordinateur en a produit, mais aussi la moindre chaussette si bon marché fabriquée au Vietnam par des gueux. Mais aussi le moindre ballon de foot cousu par des gosses dans un entrepôt sans lumière du Pakistan. Mais encore tout ce que vous portez, tout ce que vous possédez, tout ce que vous souhaitez posséder un jour. Et je parle de climat, mais je pourrais parler aussi de notre contribution nette, par nos importations, à la désagrégation de tant d’écosystèmes. Et d’ailleurs de l’appétit de tant de classes dites supérieures,  dans les pays du Sud, pour nos propres signes extérieurs de richesse : bagnoles, parfums, alcools, fringues, bijoux.

Tel est en trois mots le commerce mondial, largement dominé par la surpuissance des transnationales, qui n’ont plus à prouver leur amoralité. Celles du tabac, de l’amiante, des pesticides et de milliers de produits chimiques tous différents, ont amplement montré ce qu’étaient leurs buts, et leurs actions. Moi, je crois bien que c’est dans ce cadre, car c’est celui de la réalité, qu’il faut juger l’arrivée au pouvoir suprême d’Emmanuel Macron. Faut-il une fois de plus radoter ? Oui, visiblement.

Mais d’abord un petit détour par le rapport Rueff-Armand, bible des technocrates, publié en 1960. Il insiste beaucoup sur les « retards »  de l’agriculture, l’« archaïsme des structures parcellaires » et le manque de productivité de ce qu’on n’appelle déjà plus des fermes. Ce texte décisif et limpide « ne peut se dissimuler […] que le progrès des rendements tendra à accentuer la contraction des effectifs de main-d’œuvre ». Tout est dit en peu de mots. Il va falloir remembrer, c’est-à-dire augmenter les surfaces moyennes par la loi, et chasser de leurs terres les paysans « surnuméraires ». Le rapport Rueff-Armand n’est pas la seule cause du grand massacre des paysans et des campagnes, mais il leur servi de cadre explicatif. De justificatif auprès des puissants qui allaient dynamiter la civilisation paysanne. Tout devait disparaître, et tout a disparu avec : outre les mares et les tas de fumier dans la cour, outre les haies, les talus, le bocage, outre les abeilles, les grenouilles, les oiseaux, outre le nom des combes, des fossés, des champs, des bois, outre la lenteur et l’épaisseur du temps, la beauté d’un monde encore possible.

Si je parle de ce texte, c’est tout simplement parce qu’il a servi de repère, explicitement, à un autre rapport, connu sous le nom de Rapport Attali. À son arrivée en 2007, Sarkozy a aussitôt confié à son ami – de gauche, on s’en doute – le soin de réunir de toute urgence une « Commission pour la libération de la croissance française ». Pardi ! il fallait relancer la machine. Ces corniauds, qui de droite, qui de gauche, promettent depuis 1974 la fin du chômage de masse, et comme ils échouent à en pleurer, ils rêvassent de retrouver l’élan perdu de ces foutues 30 Glorieuses – une partie de notre vrai drame en vient -, quand la croissance atteignait 8% – en 1960 – ou encore 7,1 % en 1969.

Donc, une Commission de plus. J’en extrais les lignes directrices suivantes :

  • Préparer la jeunesse à l’économie du savoir et de la prise de risque ;
  • Participer pleinement à la croissance mondiale et devenir champion de la nouvelle croissance ;
  • Construire une société de plein-emploi ;
  • Instaurer une nouvelle gouvernance au service de la croissance.

Et j’y ajoute, pour faire bon poids, la fin du principe de précaution voulu par Chirac en 2005, pourtant si frêle garde-fou contre les délires « développementistes ». Parmi les 20 mesures-phares du rapport, pas une ne parle même de la crise écologique planétaire. Le dérèglement climatique n’est seulement pas évoqué. Ces gens sont irresponsables,  au point d’en devenir criminels.

Or, et j’y arrive enfin, qui est le rapporteur de ce funeste document, appelé à révolutionner la France au service de la croissance ? Emmanuel Macron, comme certains de vous le savent. Il était alors, à 29 ans, déjà l’ami d’Attali, et l’est resté. Ce qu’est Attali et ce que j’en pense, je l’ai écrit la dernière fois ici, après bien d’autres papiers. Ce type est profondément détestable. Il sera peut-être ministre.

Macron est un être radicalement petit. Je ne discute pas qu’il est doté de ce que certains appellent « l’intelligence logico-mathématique ». Il a fait des études, dont l’ENA. Apparemment fort bien. À ce stade, cela prouve que son cerveau fonctionne, ce qui est bien le moins lorsque vos deux parents sont médecins, dont l’un une sommité. Et puis ? Mais rien du tout ! On sait qu’il a été banquier d’affaires, ce qui prédispose assurément à considérer le sort des humiliés de ce monde. On se souvient, mais on ne se souviendra jamais assez de cette phrase prononcée en mai 2016 en face d’un gréviste : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre tee-shirt. La meilleure façon de se payer un costard, c’est de travailler ». Travailler. Parler de travailler, quand cela veut dire pour lui lire des textes, recevoir, blablater, contresigner des ordres. Il a lu des livres, certes, mais surtout passé 99 % de son temps disponible en compagnie de gens riches, en bonne santé, échangeant de plaisants propos avant que de passer à table. Que sait-il du monde réel ? Une infime rumeur du sort de milliards d’êtres humains dont la vie est une plainte.

Ne parlons pas même de la France. Parlons une fois au moins du monde. Des paysans de partout, chassés de chez eux par le marché mondial et les satrapes locaux, qui finiront dans des bidonvilles sans eau ni chiottes. Des grands singes qui meurent, comme meurent les fabuleuses forêts de notre Terre. Des océans dont nous sommes sortis un jour, et auxquels nous rendons ce cadeau par l’empoisonnement et l’hécatombe. Des sols dont tout dépend, gorgés de toutes les bontés chimiques estampillés Monsanto ou Bayer, entreprises si performantes que Macron les porte au pinacle. Des éléphants, des Pygmées d’Afrique, des lions et des tigres, des Bochiman, des Yanomami, des îles Andaman, des habitants de Lagos, de Mexico, de Mumbai, des gosses d’Agbogbloshie brûlant le plastoc de nos vieux ordinateurs pour en retirer un fil de cuivre, de la puanteur, de la saleté, des maladies qui ne guériront jamais, des plaies aux jambes, au nez, aux yeux, aux mains qui ne se refermeront jamais. Il faudrait parler de ceux qui « soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ». Macron se tait et se taira toujours, car il ne sait rien, mais le dit avec ce sourire kennédien qui plaît tant aux commentateurs et aux cuistres, si souvent les mêmes.

Voyez-vous, quelqu’un qui, en 2017, ne voit pas l’abîme qui vient, est à mes yeux irrécupérable. Et tel le cas de Macron, à ce point immergé dans l’idéologie de la machine, de la puissance matérielle, des droits de l’homme industriel à tout saloper, et pour tout dire du capitalisme débridé, qu’il ne rêve que d’une chose : encore plus. Encore plus loin, encore plus vite, toujours plus loin, toujours plus vite. Ne vous y trompez pas : son élection a son importance. Elle en aura dans le domaine clé de l’économie réelle, quand il s’agira de se partager les parts de marché comme on découpait jadis le territoire futur des colonies. Je vous le dis en toute certitude : Macron sera l’homme de la fuite en avant, car il l’est déjà.

Je ne doute pas qu’il offrira des colifichets à ceux des supposés écologistes qui lui auront fait suffisamment de lèche. Ici, un poste de député, là des strapontins au Conseil économique, social et environnemental (CESE), ailleurs quelque poste ou fromage républicains. Et les heureux récipiendaires iront comme de juste vanter le fort engagement « écologiste » de leur maître, avant de pourfendre les sectaires et fondamentalistes de mon espèce. Je ne les plains pas, je les vomis.

Moi, en ne votant pas pour ce sale type au second tour de la présidentielle, je savais ce que je faisais. Moi, je pensais au monde et à ses êtres. Moi,  je ne fantasmais pas un péril fasciste pour mieux cacher que je défends à mon profit un monde moribond, aussi dangereux que peuvent l’être certains blessés déchaînés. Moi, je suis un écologiste.

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Le 29 mars 2017, deux mois et demi avant le texte sur Macron, je critiquai avec force Yves Paccalet, que j’ai fort bien connu. Écologiste, en tout cas officiel, ancien compagnon du commandant Cousteau, Paccalet avait pour Macron les yeux de Chimène. Bien avant l’élection elle-même. Ahimè !

Tout en croisant le fer avec Yves Paccalet

29 mars 2017 Morale, Mouvement écologiste, Nucléaire, Politique, Pouvoir et démocratie

Ce qui suit est sans grande importance, je vous prie de m’en excuser. Pour ma part, je n’entends pas voter à cette élection. D’un côté, la destruction du monde s’accélère, les équilibres écosystémiques tanguent de tous côtés, la faim menace comme jamais les pauvres, la crise climatique déferle, les animaux et les arbres les plus magnifiques disparaissent; et de l’autre, la bande qui occupe le spectre politique nous offre une énième tirade franchouillarde.

Il va de soi que je déteste davantage le répugnant Front National que les autres partis. Il va de soi que je méprise François Fillon comme bien rarement un autre politicien. Mais pour le reste, ni même Hamon et Mélenchon ne sortent réellement la tête du sac qui nous étouffera tous. Aucun ne remet en cause l’économie, nul n’avance la moindre critique des objets, dont la bagnole et le téléphone portable, pas un n’ose dire que la France consomme comme s’il existait trois planètes, ce qui réduit à néant toute prétention à l’universalisme des valeurs morales. Et ces deux-là, les moins antipathiques à n’en pas douter, font exactement comme si nous disposions de quelques siècles pour aborder les sujets qui fâchent. On recommence les mêmes discours, on profère les mêmes inepties d’élection en élection. Cela pourrait durer cinquante législatures de suite, mais cela ne pouvant en fait pas durer, cela ne durera pas.

Voilà que je veux vous parler d’Yves Paccalet, dont vous trouverez ci-dessous un texte appelant à voter Macron. Je connais Yves depuis un quart de siècle, j’ai travaillé avec lui, et je l’ai toujours tenu en estime et en amitié. Seulement, cette fois, ses mots me sortent par les orifices. Comment un supposé écologiste peut-il imaginer voter pour une savonnette, fût-elle ornée sur l’emballage de messages publicitaires en couleurs ?

Dans son texte, Paccalet se contredit sans cesse, ce qui n’est pas une injure, loin de là. Et le collapsus le plus fâcheux, le voilà : il annonce après tant d’autres que notre espèce est menacée du néant, pour aussitôt se jeter aux pieds de Macron, qui ne demande qu’à accélérer encore la marche au gouffre. J’y reviendrai.

Son point de vue est simple, pour ne pas dire simpliste : Le Pen est le grand danger, Macron est le mieux placé pour la vaincre, et je me rallie donc. Cette affirmation ne se démontre ni ne peut être contredite. On croit, ou pas. Il croit, moi pas. Mais poursuivons. Comme il n’entend pas en rester à une appréciation contre, il cherche et trouve une dimension positive à Macron, ce qui l’entraîne à écrire des balivernes. Qui veut noyer son chien… Ainsi, il est faux – c’est même flagrant – de mettre sur le même plan les idées de Mélenchon, Hamon et Macron pour ce qui touche à l’environnement, mot que personnellement je n’emploie pas, car il renvoie, comme chacun peut s’en rendre compte, à ce qui entoure – environne – les hommes, ipso facto au centre. Mais étant donné que Paccalet ne nous parle aucunement d’écologie, je crois que l’on peut retenir ce mot si contestable d’environnement.

Alors, tous égaux, tous pareils ? Mélenchon – que j’ai tant étrillé, que je continuerai à étriller – se croit écologiste. Il ne l’est pas, mais il est absurde de prétendre que son propos est peu ou prou celui de Macron, qui se moque de ces questions – on va en reparler – comme moi de cette guerre du Péloponnèse qui commence en -431 avant le Christ. À la réflexion, bien plus, car tout ce qui touche à la Grèce antique m’intéresse. Quant à Hamon, qui n’est certes pas mon cheval, le point de vue de Paccalet est également gonflé, car le socialo a notamment fait entrer les perturbateurs endocriniens dans le débat public, ce qui pourrait conduire, si nous nous montrons à la hauteur, à la mise en cause de l’empoisonnement universel que j’ai longuement décrit dans un livre récent.

Venons-en à Macron, défenseur décontracté du monde tel qu’il est. Je ne dresserai pas la liste impressionnante de toutes ses déclarations choquantes – d’un point de vue écologiste -, car ce serait trop long pour vous. Il est dans l’âme un banquier d’affaires, soutient l’empire des transnationales, soutient de même la destruction du monde qui leur est liée. Je note juste deux propos, qui m’ont singulièrement choqué. L’un prononcé en Guyane, quand il était encore ministre de l’Économie, dans lequel il vantait le caractère « responsable » de l’entreprise russe Nordgold, cherchant à ouvrir une très vaste mine d’or en pleine forêt tropicale. La Nordgold ! accusée par un rapport accablant de maltraiter les ouvriers noirs de ses mines africaines.

Quant au nucléaire, c’est à chialer vraiment. Macron, le 28 juin 2016 : « Nous croyons au nucléaire, non pas parce que c’est un héritage du passé mais parce qu’il est au cœur de notre politique industrielle, climatique et énergétique (…) Le nucléaire, c’est le rêve prométhéen ». Si demain ou après-demain, la moitié de la France est vitrifiée pour 10 000 ans, vous croyez qu’on pourra demander des comptes à ce salopard ?

Je sais, il faut rester calme. Paccalet semble un ange, qui bénit dans son texte ceux qui ne s’emportent pas. Comme c’est plaisant ! Le monde meurt, ainsi qu’il le reconnaît, mais il ne surtout pas s’énerver contre ceux qui mènent la danse macabre. J’en rirais, si ce n’était aussi grotesque. Je vais vous dire : Paccalet est dans un renoncement total. Il ne veut pas, s’il l’a jamais souhaité, renverser la table et offrir au moins une chance de survie aux hommes, aux bêtes, aux plantes. Ce qui compte désormais est ce qui l’environne lui. Et de ce point de vue individuel et pour tout dire individualiste – tellement en phase avec l’époque -, il a raison. Mieux vaut finir sa vie avec Macron qu’avec Le Pen. Seulement, l’effondrement des écosystèmes dépasse tout de même un petit peu les dimensions d’un ego. Désolé, mais c’est ce que je pense.

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Je suis écologiste : je choisis Macron !

by Yves Paccalet

9 mars 2017

Écologiste j’étais, je suis et je resterai.

La Terre étouffe et pleure. La sphère de la vie ne supporte plus les dévastations de l’Homo dit sapiens : elle pourrait reconduire au néant cet australopithèque prolifique et guerrier. Je l’ai écrit dans L’Humanité disparaîtra, bon débarras ! : notre espèce a peu de chances d’entrevoir le XXIIe siècle. Mais je continue de lui chercher une Sortie de secours (l’un de mes essais). Je veux croire que le genre humain et ses colocataires végétaux et animaux échapperont à la Sixième Extinction Majeure, provoquée par une fatale conjugaison de pollutions, de saccages, de chaos climatique, de nouvelles épidémies et de « der des ders » façon nucléaire… Notre sauvetage exigera sagesse et volonté, mais nous prenons rarement des décisions raisonnables. Lorsque tel est le cas (par exemple, à la COP 21 sur le climat), nous perdons vite la volonté de les appliquer. Nos gouvernants plient devant les exigences des plus braillards et des plus égoïstes.

Dans cette atmosphère délétère, que décider à l’échelle de la France, pour les prochaines élections présidentielles ? Quel camp rallier ? Pour qui voter, à supposer qu’on glisse un bulletin dans l’urne ?

Afin de choisir le (ou la) candidat(e) dont je me sens le plus proche comme citoyen et comme écologiste, et sachant que voter « blanc » ou « nul » est inutile, j’ai décidé de suivre les préceptes du président Mao Tsé-toung dans le Petit Livre rouge : primo, identifier l’ennemi principal ; secundo, élaborer une stratégie pour le vaincre. J’ajoute un tertio aux recommandations du Grand Timonier : choisir plutôt qu’éliminer. Adhérer aux propos, aux promesses, à la gestuelle, aux câlins, même aux défauts d’un leader qui attire, plutôt que d’un apparatchik engraissé dans les banquets de son parti.

L’ennemi numéro un de la France se reconnaît comme une vilaine plaie sur la figure de Marianne : c’est le Front national, cette association à but anti-démocratique au service de la riche famille des Le Pen, où trônent le père, Jean-Marie, dans le rôle du Menhir antisémite ; la fille, Marine, qui barre le paquebot de la Xénophobie sur la mer de l’Exclusion ; et la petite fille, Marion Maréchal, dont le sourire évoque plutôt celui d’un piranha.

Le danger principal, pour la France, c’est ce parti « facho », selon le vocabulaire que nous utilisions en Mai 68. C’est cette association lucrative dans laquelle une présidente profite des emplois fictifs payés par une Europe qu’elle débine ; et au sein de laquelle la ligne politique dépend des analyses fielleuses de deux cumulards notoires : Gilbert Collard et Florian Philippot. (On voit et on entend sans cesse ces deux là, à la radio et à la télévision, ce qui ne les empêche pas d’en rajouter ad nauseam dans la dénonciation des « médias vendus qui nous privent de la parole ».)

L’élection de Marine Le Pen à la présidence de la République serait un désastre dont les meilleurs économistes nous apprennent qu’il finirait par devenir mondial, en déclenchant une crise financière plus grave que celle des subprimes. On verrait se rabougrir ce « cher et vieux pays » des Lumières, renfermé dans la détestation des étrangers. On regarderait régner une femme obsédée par le modèle Donald Trump. On contemplerait une présidente et ses ministres en train de perpétrer le Franxit, c’est-à-dire l’assassinat de l’Union européenne et le lynchage de l’euro. On assisterait, peu après, à l’écroulement du « franc bleu marine » ; à l’explosion de la dette privée et publique ; au retour de l’inflation à deux chiffres ; aux plaintes des retraités, aux lamentations des salariés, à la ruine des rentiers, à la faillite des paysans privés de politique agricole commune… En guise de « remède » à ces maux, et avec les rodomontades du ministre de la Justice identitaire Gilbert Collard et du ministre de la Préférence nationale Florian Philippot, notre pays érigerait sur ses frontières des centaines de kilomètres de murs anti-migrants, bientôt rebaptisés « murs bleu marine » !

Le citoyen et l’écologiste que je suis ne sauraient redouter pire désastre que l’accession au pouvoir d’une extrême droite aussi négationniste sur la question du réchauffement climatique que sur celle la Shoah. Deux « points de détail », ricanerait le Menhir… Je n’imagine même pas l’état dans lequel, au bout de quelques années de pouvoir frontiste, se trouveraient la flore et la faune sauvages, livrées à des hordes de « beaufs » bétonneurs ou emmanchés d’un fusil de chasse. Avec un air et une eau pollués au nom de la libre entreprise. Avec une terre et une mer sacrifiées, détériorées, ravagées pour subvenir aux besoins miniers, énergétiques, industriels et de transport d’une France réduite à sa petitesse territoriale, et dont la devise imiterait celle de Benito Mussolini dans l’Italie fasciste : « Francia farà da sè ! », « La France fera toute seule ! »

Le Front national appartient au groupe, hélas de plus en plus nombreux, des partis populistes ou fascisants. Ceux-ci rêvent que leur peuple détestera demain les voisins qu’il aimait hier. On commence par calomnier et par mentir, puis on se défie, on se menace, les périls montent, le réarmement s’ensuit et cela finit sur la ligne Maginot. Marine Le Pen et ses homologues nous mènent à la guerre, comme leurs prédécesseurs dans les années trente. Je ne connais pas de plus bel argument humanitaire et écologique pour leur interdire aujourd’hui d’accéder au pouvoir.

Une fois l’ennemi principal désigné, reste à élaborer la stratégie qui lui fera mordre la poussière. Pour qui vais-je voter, si je désire empêcher Marine Le Pen de franchir le premier tour de la présidentielle ? Et surtout de l’emporter au deuxième ?

Il ne me viendrait pas à l’idée de combattre le clan Le Pen en rejoignant Les Républicains, réduits à un noyau dur dont « Sens commun » et la « Manif pour tous » forment la coquille et François Fillon la graine. « FF » ! François Fillon ! Ce mal logé d’un manoir de Sablé-sur-Sarthe, ce potentiel mis en examen pour l’emploi fictif de sa femme et de deux de ses enfants (restera-t-il candidat après son rendez-vous judiciaire du 15 mars ?), aura connu le triomphe à la primaire « de la droite et du centre ». Un succès fondé sur la vertu, la droiture et l’honnêteté, avec en point d’orgue le coup du « Qui imaginerait le général de Gaulle mis en examen ? » On n’a jamais trouvé mieux dans le genre boomerang ! Fillon vérifie, à ses dépens, et dans des concerts de casseroles, la pertinence du vieil adage selon lequel il n’y a jamais loin du Capitole à la Roche tarpéienne. (Ceux de mes lecteurs qui n’ont pas picoré leurs humanités au lycée consulteront monsieur Larousse ou madame Wikipedia.) Les fillonistes affirment qu’en délivrant un discours ultra-droitier, leur champion siphonnera les voix du Front national. Le FN répond, avec un ricanement, que l’électeur préfèrera toujours l’original à la copie. Exeunt Les Républicains, y compris le « plan B » ou « plan J », comme Juppé, lequel vient (certes, un peu contraint !) de céder à la tentation de Bordeaux.

En sautant à l’autre extrémité de l’éventail politique, toujours dans ma double peau de citoyen et d’écologiste, je n’entrevois guère d’issue avec Philippe Poutou (du Nouveau parti anticapitaliste) ou Nathalie Arthaud (de Lutte ouvrière). Le premier est gentiment déconneur, même s’il énonce une vérité prolétarienne. La seconde aboie ses phrases, de sorte qu’on a l’impression qu’elle va dévorer à elle seule la grande bourgeoisie et les valets du capital. Je passe sur les cas des non identifiés : Jacques Cheminade (ce perpétuel revenant dont nul n’a jamais compris le combat), François Asselineau (jamais entendu parler de ce type), Jean Lassalle (un ennemi juré des ours des Pyrénées, or je vote ours) ou Rama Yade (laquelle mérite mieux que le mépris des médias qui l’ont souvent utilisée). J’espère que je n’oublie personne… Ah ! si : Alexandre Jardin et une brochette d’inconnus qui n’auront jamais les cinq cents signatures. Et la statue du petit commandeur qui se dresse devant la République : Nicolas Dupont-Aignan ! Ces braves gens désirent ne pas être élus : ils veulent seulement qu’on parle d’eux le temps d’une campagne à la télévision.

À gauche, il y a eu la primaire « de la Belle Alliance », dite aussi « du PS »… Au premier tour, on a observé la solidité d’un François de Rugy, qui (comme prévu) ne s’est pas qualifié pour la finale. Au second tour, la votation a consacré Benoît Hamon contre Manuel Valls, selon la règle unique de l’exercice, laquelle s’énonce ainsi : « Pour gagner la primaire de ton camp, caresse ton extrême ! » Hamon mène sa campagne présidentielle comme un remake du film de François Hollande : « Mon ennemi, c’est la finance ! », qu’il a retitré « Je vous offrirai le revenu universel ! » ; dans les deux cas, cette promesse de Père Noël ne peut produire que des déçus.

Benoît Hamon nous propose d’autres projets frappés au coin de l’improvisation hasardeuse. Le « 49-3 citoyen », par exemple. Cette disposition permettrait à de bons républicains de contester de mauvaises lois votées au Parlement. Le problème est qu’elle autoriserait aussi les associations d’idéologues à torpiller les bonnes lois ; voire à remettre en cause de très progressistes législations antérieures. On voit déjà la « Manif pour tous » et « Sens commun » faire un triomphe au « 49-3 citoyen » : ces bon chrétiens en profiteraient pour dézinguer le mariage pour tous, le droit à l’avortement et l’abolition de la peine de mort !

Benoît Hamon s’est, certes, découvert une âme environnementaliste : « Moi président, je vous offrirai l’écologie rose ! » Notons qu’il est devenu écologiste il y a moins d’un mois. Son alliance avec Yannick Jadot, le rescapé de la primaire « des écologistes », c’est-à-dire de ce qui reste d’Europe-Écologie les Verts (un groupuscule de groupuscule), ne lui fera pas gagner une voix : ce que le public a retenu de la manœuvre est que Cécile Duflot (la crème de l’arrivisme) y aurait « sauvé » sa circonscription parisienne pour les législatives !

Exit Benoît Hamon – le chef frondeur de la gauche de la gauche au PS, désormais sévèrement frondé par la droite libérale de ce parti ! Irai-je donc vers Jean-Luc Mélenchon, le Parti de gauche et l’allié communiste ? Mélenchon incarne un tribun de talent, qui ressasse ses ambitions avortées et ses illusions perdues en injuriant de jeunes journalistes stagiaires. Il me plaît quand il parle au peuple : il a du bagout et même de l’éloquence (une qualité rarissime chez les politiciens actuels). Il se prétend de plus en plus écolo. Il porte une idée que nous défendions déjà avec le commandant Cousteau voici trente ans : faire fructifier et protéger le prodigieux héritage océanique de la France, avec les Antilles, les Kerguelen, Mayotte, la Réunion et les archipels du Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie), jusqu’à l’îlot de Clipperton, au large du Chili, qui nous offre une zone d’intérêt économique exclusive presque aussi vaste que le territoire métropolitain… Cependant, pour me séduire, Jean-Luc Mélenchon a trop tiré sur la corde du soutien à d’épouvantables dictateurs, Fidel Castro à Cuba, Hugo Chavez au Venezuela, Bachar el-Assad et Vladimir Poutine lorsqu’il s’est agi de la guerre civile en Syrie… Exit Mélenchon.

Il n’en reste qu’un et ce sera celui-là !

Sachant qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais d’homme ou de femme idéal(e) en politique (ni dans aucun autre domaine), je le dis tout net : je choisis Emmanuel Macron. J’ai pris cette décision depuis plusieurs semaines, je l’ai annoncée sur les réseaux sociaux, certains me la reprochent avec colère ou amertume. Je l’assume et je m’en justifie dans ce texte. Je rejoins En Marche ! Non pas parce que ce mouvement nous conduira en cortège angélique jusqu’au paradis, mais parce qu’il est le seul à pouvoir nous éviter de finir en enfer, je veux dire : à devoir choisir entre François Fillon et Marine Le Pen, ou (configuration moins probable, mais pire) entre Benoît Hamon et Marine Le Pen. Risque majeur, dans ce dernier cas, de voir notre Trumpette présidente !

Emmanuel Macron n’est pas moins écologiste que Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon : tous trois ont répondu aux questions du WWF et d’autres associations de protection de la nature. Je n’entre pas dans le détail (réchauffement climatique, énergies nouvelles, nucléaire, Fessenheim, Notre-Dame des Landes, biodiversité, marées noires, pesticides, perturbateurs endocriniens, etc.) : tous les concurrents en sont à peu près au même niveau d’écologisme scolaire. Élève doué, mais peut mieux faire.

Emmanuel Macron l’emporte dans tous les autres secteurs du programme. Ni droite, ni gauche. De droite et de gauche. Centriste des lumières, mais pas des combines… J’aime cet état d’esprit ! Macron est le seul, sur la scène électorale, à déclamer des tirades d’amour à l’intention de l’Europe, ce continent qui recèle notre avenir, mais que tous les autres candidats critiquent, déprécient et salissent à l’unique profit du Front national. Il est le seul, sur le théâtre électoral en cours, à valoriser le travail tout en se préoccupant de protéger le travailleur ; à vouloir rénover l’école en commençant par la primaire ; à parier sur le labeur et l’intelligence des hommes ; à révérer les sciences et les techniques ; à prôner l’accueil des chercheurs étrangers et plus généralement des étrangers qui veulent bâtir la France avec nous. Il est le seul, dans ses meetings, à demander à ses troupes de ne jamais siffler le nom de l’adversaire : difficile, pour moi, d’expliquer à quel point j’apprécie ce message de paix !

Emmanuel Macron voit plus loin que les autres candidats, mais il reste réaliste. Il entend faire entrer la France dans la mondialisation heureuse : je goûte cette absolue différence avec les thèses frontistes du repli identitaire et de « la France aux Français ». Il voit affluer les soutiens tous bords, parce que nombre d’hommes politiques et de simples citoyens en ont marre des oppositions convenues, des bagarres de cour d’école centenaires entre « la » gauche et « la » droite, ces catégories dont nul ne perçoit plus très bien ni la pertinence, ni la frontière…

Emmanuel Macron dégage une sorte de grâce lorsqu’il parle. On lui a reproché ses attitudes évangéliques, quasi christiques, à la tribune de ses meetings. Mais il séduit la foule : c’est ce qu’on nomme le charisme. Il sourit, il est optimiste, il ne raconte pas sans cesse que la France est en ruine et les Français dans la misère noire. S’il parvenait au deuxième tour de l’élection présidentielle contre Marine Le Pen, ce qui semble à sa portée au moment où j’écris, il la battrait (selon un sondage récent ; je sais : les sondages n’engagent que ceux qui y croient) par 60 % des voix contre 40. Cela suffirait à mon bonheur politique et social pour l’année 2017.

Je vais vous faire un ultime aveu. Personne ne semble avoir remarqué à quel point Emmanuel Macron ressemble à Boris Vian (photos). Il ne joue peut-être pas aussi bien de la « trompinette ». Mais rien ne me ferait davantage plaisir que d’avoir pour président, durant le prochain quinquennat, un homme qui aurait le visage de l’auteur de L’Écume des jours, de Je voudrais pas crever et du Déserteur. La politique se nourrit parfois aussi de littérature, de poésie et de chansons, et c’est dans ces moments-là qu’elle est la plus grande.

Sur Laurence Tubiana, l’amie du climat et de la Chine

On apprend donc que le parti socialiste a proposé au poste de premier ministre une certaine Laurence Tubiana, dont je suis les activités proprement industrielles depuis fort longtemps ici. Ci-dessous, un extrait de mon livre Le grand sabotage climatique, que nos bouffons politiques – ils le sont tous – ne liront bien entendu jamais.

L’extrait

[Hollande] sort de sa torpeur – seulement d’un œil – à partir de 2015, car en novembre-décembre de cette année-là doit se tenir la COP21 en France, et il s’agit pour lui et ses équipes qu’elle soit historique. Mais il se contentera pourtant d’enfiler un nombre conséquent de perles, sans jamais aborder les questions concrètes, ce qui est bien plus prudent. Déjà le quatrième ambassadeur ? Ce sera une ambassadrice : Laurence Tubiana prend les rênes en 2014.

C’est une femme de gauche, ancien membre de la Ligue Communiste Révolutionnaire dans les années 70. Elle croise dès 1977 un certain Lionel Jospin, alors professeur dans un IUT, et devient son assistante. Elle deviendra sa conseillère pour le climat vingt ans plus tard quand Jospin sera Premier ministre. Après avoir obtenu un doctorat d’économie, et d’autres diplômes, elle devient enseignante à Sciences Po.

Elle ne quittera plus la question climatique, et sera par exemple en 2009, cheffe-adjointe de la délégation française à la calamiteuse COP de Copenhague. Mais son heure de gloire sera la préparation de la COP21 de Paris, en 2015. Aucun doute sur le sujet : elle a beaucoup travaillé, consulté, tenté de convaincre. À en croire le barnum publicitaire mis en place par le gouvernement français – Hollande-Fabius-Royal -, c’est un triomphe. Le climat est sauvé, car les 193 pays représentés, plus l’Union européenne, sont tombés d’accord pour limiter si possible à 1,5° l’augmentation moyenne de la température par rapport à l’ère pré-industrielle. Au pire, au-dessous de 2°. Labiche et son « Embrassons-nous, Folleville » n’auraient pas fait mieux.

La farce grandiose des Accords de Paris

C’est une farce, et elle est sinistre. Le Fonds mondial des fonds de pension – un comble – en tire aussitôt ce bilan : « l’objectif théorique de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’engage en rien les États-membres des Nations unies – tous signataires de l’Accord de Paris sur le climat. Les gros émetteurs de CO2, États-Unis, Chine, Inde, Brésil, Canada et Russie, qui représentent à eux seuls plus de la moitié des émissions, sont censés réduire délibérément, par eux-mêmes, leur pollution carbone sans qu’aucun mécanisme de mesure efficace ne soit mis en place, et sans le moindre incitatif financier contraignant du type taxe carbone. En somme, un accord “juridique” sans obligation, qui pose pour postulat que l’objectif recherché par les signataires sera atteint : ce que les juristes romains appelaient une pétition de principe ».

Les États-Unis ont signé, mais Trump enverra les Accords aux pelotes en 2017. La Chine a signé, mais émet en 2021 le tiers des émissions mondiales. Elles étaient de 18,7% en 2005, et de 26,4% en 2019. Il faudrait diviser nos émissions, partout, et elles augmentent, partout. Nul ne sait exactement ce que sera la trajectoire, mais les scénarios s’accumulent, scientifiques, faut-il le préciser ? D’abord, l’objectif des Accords de Paris s’écrit déjà au passé. En fonction des politiques menées, l’augmentation de la température moyenne du globe atteindra 3° en 2100, ou 5°, ou 7°, ou même pour certains 13°. Une abomination.

Les efforts de madame Tubiana seraient-ils parfaitement inutiles ? Ce n’est évidemment pas ce qu’elle pense, et comme à chaque fois, à l’instar des autres membres de la si petite tribu climatique, elle continuera à penser et à dire que la COP21 a été une réussite. Faut-il insister ? Oui, rapidement. Madame Tubiana situe sa pensée et ses efforts dans un cadre qui interdit toute amélioration. On ne parle jamais, elle ne parle jamais de la prolifération des objets, du commerce mondial, du rôle délétère de la Chine, et l’on va comprendre pourquoi.

Premier arrêt en 2001, au moment de la création de l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), que madame Tubiana présidera jusqu’en 2014. À cette date, elle conseille le Premier ministre Lionel Jospin, son ami, et l’on ne sait pas ce qu’elle lui aura suggéré au sujet du climat, mais en tout cas, aucune décision se sera prise entre 1997 et 2002. Qui trouve-t-on dans le collège des fondateurs de l’IDDRI, représentée aujourd’hui par madame Claire Tutenuit ? Un machin discret qui n’apparaît que sous le sigle anodin EpE, qui signifie Entreprises pour l’environnement. En font partie des amis déclarés du climat : TotalÉnergies, Solvay, Bayer, BASF, Airbus, Plastic Omnium, Lafarge, des banques bien sûr, qui financent allègrement les projets d’exploration pétrolière. Ah ! EpE est sans surprise correspondante en France du World Business Council for Sustainable Development (WBCSD), le vaste lobby patronal imaginé par Stephan Schmidheiny.

Madame Tubiana conseillère de la dictature chinoise

Et c’est évidemment logique et imparable, comme l’explique très bien madame Tubiana dans un entretien de 2015 avec le magazine Elle : « Il y a quand même une prise de conscience aujourd’hui et l’écologie est devenue un argument politique. Les gros trusts sont entrés dans la boucle. Ce n’est plus seulement une attitude de façade. C’est même devenu une source d’opportunités économiques pour certaines grandes entreprises. Et on n’obtiendra  pas de changement sans discuter avec les grands groupes ».

Plus tard, Madame Tubiana deviendra présidente de l’Agence française de développement (AFD), héritière en ligne directe de décennies de Françafrique. Elle n’est pas responsable ? Elle ne l’est pas. Mais quand on préside un machin pareil, il me semble qu’on engage sa réputation, d’autant que le « développement » vu par l’AFD n’a vraiment rien à voir avec la lutte résolue contre le dérèglement climatique. Enfin, et c’est encore plus grave selon moi, elle est devenue sans le claironner sur les toits une conseillère officielle du gouvernement totalitaire chinois, précisément le China Council for International Cooperation on Environment and Development (CCICED).

J’en ai déjà parlé, car de nombreux hauts-cadres onusiens des négociations climatiques – Inger Andersen, Achim Steiner, Erik Solheim – en font partie aussi. Notons que Marco Lambertini, chef du WWF-International, en est aussi, ainsi que Peter Bakker, qui préside à la suite de Schmidheiny le WBCSD. J’imagine que la place est bonne, et qu’on en oublierait presque que le CCICED est présidé par le vice-premier ministre chinois Han Zheng.

Je n’insiste pas sur l’Apocalypse écologique de la Chine actuelle, déjà présentée dans un autre chapitre. Ses dizaines de milliers – ce sont des chiffres officiels – de cours d’eau asséchés par le « développement » cher au cœur de madame Tubiana. Les villages du cancer. L’avancée du désert aux portes de Pékin pour cause de déforestation cinglée. L’air des villes devenu mortel. Les barrages partout, détruisant des écosystèmes uniques et chassant les habitants par millions. Comme si cela ne suffisait pas, la Chine pille comme jamais les ressources naturelles de continents entiers. Le pétrole, le gaz, les terres d’Afrique. Les forêts extraordinaires du Laos ou du Cambodge. La main-mise sur le grand Mékong, etc, etc, etc. Je ne sais aucun autre exemple de destruction écologique aussi concentrée dans l’histoire des hommes.

Et bien sûr, le climat. Les dirigeants communistes chinois, qui ont d’autres choses dans la tête que faire plaisir à madame Tubiana, ont grossièrement truqué leurs chiffres sur la consommation du charbon. Le New-York Times l’annonce le 4 novembre 2015, quelques jours avant la triomphale COP21 si minutieusement préparée par madame Tubiana. En réalité, cette consommation était supérieure d’environ 17 % à ce qui était annoncé. Pour la seule année 2012, l’arnaque se montait à 600 millions de tonnes oubliées en route. Et les sources du journal sont officielles, car elles proviennent du gouvernement chinois lui-même !

Alors, et ce Rassemblement national ?

Bien sûr, barrer la route à ces crapules. Car ce sont des crapules. Racistes, ridiculement ignorantes, climatosceptiques. Les gens du Rassemblement national sont les maîtres incontestés de la laideur, et n’annoncent que la guerre de tous contre tous. Et la destruction de ce qui reste encore debout. Ils sont pour les pesticides, pour la bagnole et les routes, pour le béton jusque dans le moindre recoin, pour les radios et télés pourries jusqu’à l’os, pour la pire des industries, à la condition toutefois qu’elle se pare de plumes tricolores dans le cul. Ô comme je les vomis !

J’aimerais pouvoir dire un peu de bien du Nouveau Front Populaire, mais je ne peux. D’abord, un point d’histoire. J’ai chez moi une photo de mon père, les pieds dans l’eau de mer, quelque part en France. Il regarde l’objectif, il a l’air aussi heureux que déplacé. C’est juillet 1936. Les prolos viennent de débarquer sur les plages, et après une grève véritable, avec occupation de leurs usines, ils viennent d’obtenir la semaine de quarante heures. Et des congés payés, ce qui explique la photo de mon père.

Il y a de l’indécence à utiliser le même sigle pour parler d’un salmigondis rapprochant, le temps d’une élection, post-staliniens, écolos ma non troppo, socialos façon Hollande, soutiers et soumis de et à Mélenchon. Franchement, pour qui nous prennent-ils ? Ils proposent la poursuite du même, précisément ce qui a conduit au grand désastre en cours. Ce ne serait encore rien – oui, rien – si leur programme n’était à ce point franchouillard. Je l’ai lu. Il montre son indifférence radicale à la marche du monde réel.

Car je ne parle pas ici de l’Ukraine, mais de ces vastes régions de la planète qui deviennent inhabitables. Pour cause de chaleurs démentes. Et ce n’est hélas qu’un début. Or, faut-il le rappeler ici ? Le dérèglement climatique a été provoqué au départ par «notre» révolution industrielle, et constamment aggravé depuis plus deux siècles par notre frénésie, notre insatiable bonheur à consommer les colifichets les plus laids, les plus tristes, les plus imbéciles.

Leur programme ne dit un mot du nucléaire, pour ne pas embêter le PCF – ardent atomiste de toujours – et le PS, qui soutient depuis Mitterrand cette si grande aventure. Vous lirez, ou pas, ce qu’ils écrivent sur l’eau, qui est indigent. Vous lirez, ou pas, ce qu’ils écrivent sur la santé, qui n’est rien. Et sur le climat, qui est au bord extrême de la provocation. Cela fait une quarantaine que l’on sait l’essentiel, et je le sais bien, car j’ai écrit constamment sur le sujet, depuis plus de trente ans. Or la question ne les intéresse pas.

On chercherait en vain la moindre critique de la prolifération démentielle des objets matériels, de la bagnole électrique, des vacances à la neige, de la disparition accélérée des oiseaux communs, des insectes et papillons, des amphibiens. Cela n’existe pas. En revanche, et comme de juste, les compères misent tout sur une augmentation massive du pouvoir d’achat, fatal accélérateur de la crise climatique.

À mes yeux, ces gens ne feront jamais rien de sérieux contre la crise écologique et continueront d’insulter par leurs pantomimes les milliards de gueux de l’Inde et de l’Afrique, du Vietnam et du Brésil, de tous ces coins de la terre où l’on ne sait pas si l’on trouvera sa pitance du jour. Une insulte, comme l’écrivait Prévert, « à ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire ». Quel terrible moment !